« Remettre inlassablement en question l’ipséité de toutes les pluralités individuelles » ; « décevoir, au sens de tromper, à travers le recours réitéré aux raisonnements rhétoriques » ; « l’auteur met à nu sans tabous les sombres catacombes de l’inconscient collectif » : voici seulement quelques phrases parmi les 23 716 combinaisons possibles du xyloglossaire artistique de Stephan Ansermet, paru ce janvier en 3e édition (Éditions Castagniééé) et intégralement consultable en ligne [1].
Elles ne sont pas sans rappeler les titres des essais philosophiques automatiquement générés par l’un des automates de Charabia.net, comme par exemple « Pour une vision synthétique de l’extratemporanéité » ou encore « Quelle pertinence pour la certitude existentielle ? », suivis d’essais étendus tout aussi automatiques et dotés parfois d’une inquiétante vraisemblance.
Par-delà la prouesse technique que représentent de tels générateurs, la démarche — certainement un peu cynique — de leur création ne semble renvoyer à première vue qu’à un constat déjà daté de Cioran, du temps où ce dernier désignait, brillamment, tout grand système comme « brillante tautologie » [2].
Mais au-delà de cet aspect, l’objet automatique ne pourrait-il également être perçu comme véritable instrument de réflexion menant au dépassement des langues de bois ? En effet, en démontrant l’étendue du domaine de la glose vide, ne désigne-t-il pas également l’autre espace : celui où la machine n’entre pas et où se déploie le sens véritablement humain des discours, doté d’intentions, d’espoirs et de projets ?
Il se peut ainsi qu’en désignant avec précision le futile et le contingent, l’automate nous amène à déterminer avec d’autant plus de force la dimension irréductible de notre identité.