Ce livre présente les actes d’un colloque organisé en juin 2005 par l’Institut de France. L’introduction précise que ce colloque était exceptionnel puisqu’il a réuni des membres de l’Académie des sciences et des membres de l’Académie des sciences morales et politiques. L’enjeu était de clarifier la distinction entre soi et non soi, d’un point de vue biologique, et de comprendre le sens des mots individu, personne et identité. Le plan général n’est pas clairement justifié et l’enchaînement n’est pas toujours limpide entre deux articles successifs. Dans l’ensemble cependant, la démarche est compréhensible : le premier article parle de génétique et conclut sur le fait que la génétique ne détermine pas totalement l’homme… le dernier article parle de Dieu et commence par indiquer que le concept de personne est porteur de transcendance. Entre ces deux extrêmes, les articles qui jalonnent le parcours des gènes à Dieu sont inégalement longs, différemment denses et parfois très intéressants.
L’ouvrage compte quelques courtes communications faites par des biologistes. Leur lecture est généralement claire pour un non spécialiste, et très instructive. Sont exposés, dans un article de Carosella et Le Maoult, les différences entre le soi immunologique (le système qui reconnaît le produit dangereux et qui entreprend de l’éliminer), le soi individuel (qui reconnaît l’étranger même s’il n’est pas dangereux et agit, par exemple lors des greffes), le soi de l’espèce (qui permet les relations entre mère et enfant), le soi emprunté (une modification temporaire de notre faculté à distinguer l’étranger) et le soi adopté (qui est le système ayant évolué au cours de notre vie et n’étant pas identique à celui de notre naissance).
D’autres articles reprennent ce type de distinction, au sujet de l’identité après une greffe (Cortesini) ou à propos des maladies auto-immunes (Bach).
Certaines contributions relèvent le défi de la pluri (ou inter ?)-disciplinarité et sont écrits par des spécialistes de sciences humaines et des spécialistes de science biologique. C’est par exemple le cas du texte de Pradeu et Carosella, qui aventure un concept nouveau : fonder la réflexion sur l’identité non pas sur une dualité soi/non soi, mais sur une continuité. L’idée est présentée ainsi. Le soi et le non soi supposent deux définitions figées (d’inspiration leibnizienne paraît-il) de l’individu, qui dès son origine contient en potentiel tout ce qui adviendra. Selon les auteurs, cette conception est internaliste et scientifiquement irrecevable. Penser l’identité sur le mode du maintien à l’identique ne les convainc pas davantage, puisque selon eux, on ne peut pas toujours distinguer l’endogène de l’exogène et, en conséquence différencier ce qui est originel de ce qui est arrivé après. Ils proposent donc une hypothèse de continuité et suggèrent de définir l’identité par la continuité des relations entre un organisme et un environnement, à partir d’un fonctionnement, d’une interaction constructiviste qui ne nécessite pas de rester semblable à soi toute sa vie, mais qui intègre le changement, tout au moins tant que l’individu reste identifiable par certaines caractéristiques en tant que le même.
Un article plus philosophique, écrit par Debru, tente de présenter le débat selon une approche conceptuelle, en invoquant une citation de Ricoeur : « L’identité du vrai est inventée, par falsification du réel, pour la tranquillité du vivant, en réaction de défense préventive contre l’imprévu ». Autrement dit, ajoute Debru, l’identité au sens logique est une erreur !
D’autres articles sont, en comparaison, peu originaux et peu denses.
L’ouvrage, au final, est décevant. Parler d’identité sans mentionner l’inconscient (sinon brièvement lors d’une mention de Lacan dans l’article de Buser) est un parti pris scientifique non neutre au moment où les attaques contre la psychanalyse sont fortes. Pourquoi, alors, les auteurs ne justifient-ils pas de ne donner la parole qu’aux seuls biologistes et pas aux psychanalystes ?
Ce trait est caractéristique de l’ouvrage en général : des choses intéressantes y sont dites, de nombreuses choses sont sous-entendues par litote (les anarchistes sont des « énergumènes », p. 81, Lacan a une pensée « obscure », p. 114), ou laissées à l’imagination du lecteur (« Y a-t-il un grand ordonnateur des relations entre les gènes » ? p. 82).
Il y a surtout beaucoup de non-dits. L’identité est posée comme un problème individuel, pas social, pas environnemental. L’identité ne dépendrait-elle ni du groupe, ni du lieu ? Les changements d’identité des greffés sont intéressants, mais qu’en est-il des changements d’identité des migrants ?
Cet ouvrage est donc un travail dans lequel on doit retenir quelques articles riches et de nombreuses problématiques tues.
Edgardo D. Carosella, Thomas Pradeu, Bertrand Saint-Sernin, Claude Debru, L’identité ? Soi et non-soi, individu et personne, Paris, Puf, 2006.