Préambule : je traduis, tu traduis, il traduit…
[1].
Les problèmes que les géographes rencontrent lorsqu’ils veulent connecter des actions situées au niveau local et des processus censés opérer à des échelles spatiales « plus hautes » sont renforcés par le partage macro/micro qui, même s’il est distinct conceptuellement du dualisme local/global, rend les actions locales difficilement conciliables avec l’idée d’une structure sociale. Les ethnométhodologues et les tenants de l’interactionnisme symbolique ont, par exemple, développé l’idée que la vie sociale est construite par les individus dans leurs interactions avec les autres. Ils rejettent ainsi l’idée que les évènements sociaux puissent être attribués à une structure objective qui existerait en dehors des expériences des acteurs sociaux. Pour les auteurs de ce courant, la société est « un réseau de relations émergent et en constant développement », et « pas un système objectif ni une structure stable » (Layder, 1994, p. 60). La difficulté réside ici tout de même dans le fait qu’il n’est pas expliqué clairement comment les interactions dans des situations particulières pourraient faire naître quelque chose de stable appelé « société » : si les interactions sont naturellement innovantes, comment des figures sociales stables émergent-elles et s’agrègent-elles dans le temps et dans l’espace ? Les micro-sociologues comme Mead (1967) s’emploient à souligner que le potentiel de changement est généré par des individus qui ont la capacité de promouvoir de nouvelles modalités d’interaction avec les autres (à travers, par exemple, l’observation réflexive de leurs propres conduites et de celles des autres). Mais la liberté que cette approche alloue aux acteurs (en termes de potentiel à innover) rend problématique la reproduction de formes stables (structurelles). Les structuralistes soulèvent ce problème et avancent que, même si des interactions innovantes sont possibles, elles sont fortement circonscrites par les systèmes de pouvoir et de domination qui incluent des situations sociales particulières et qui produisent les figures sociales les plus significatives. La continuité et la stabilité sociale sont ainsi, d’après eux, générées par la structure sociale. Cependant, les moyens par lesquels cette structure « émerge » de l’interaction sont opaques et c’est cette opacité qui produit les dualismes micro/macro et actions/structure.
Bien entendu, de nombreuses tentatives de s’attaquer à ce problème de pensée dualiste ont vu le jour en sociologie et en géographie humaine. Pour des raisons de format, je ne traiterai ici que d’une seule d’entre elles, l’approche développée par Anthony Giddens (voir Giddens, 1976 ; 1984). Giddens a passé de nombreuses années à lutter avec les grandes divisions de la théorie sociale, il a surtout essayé de rapprocher actions et structures à l’intérieur d’un seul et même cadre théorique qui soit cohérent. Il résume ce cadre quand il dit : « Le principal domaine d’étude des sciences sociales, selon la théorie de la structuration, n’est ni l’expérience de l’acteur individuel, ni l’existence d’une forme de totalité sociétale, mais les pratiques sociales telles qu’elles s’ordonnent dans l’espace et dans le temps » (1984, p. 2). Les pratiques sociales sont au centre de la théorie de la structuration, mais Giddens reconnaît qu’elles peuvent être vues depuis deux points d’observation : l’un associé à l’action sociale, l’autre à une structure sociale. Le concept de structuration, qui se focalise globalement sur la reproduction et la transformation des structures, est utilisé pour assembler ces deux points de vue.
Giddens cherche à unir l’action et la structure en affirmant que, même si elles ne sont pas tout à fait les mêmes, elles ne sont pas si différentes. Il essaye de combler le fossé qui les sépare en expliquant que les structures n’existent pas indépendamment des acteurs et des actions. Au contraire, il souligne que les structures ne persistent que comme des « instanciations », c’est-à-dire qu’elles ont une existence virtuelle, étant à la fois les moyens et les fins des pratiques des acteurs. Pour illustrer ce point, Giddens prend l’exemple du langage : quand une personne parle, elle dessine et reproduit un langage. Parler est un acte qui instancie un langage et ce langage est à comprendre comme une structure, qui tout à la fois permet et contraint l’action. Ainsi, Giddens souligne la « dualité des structures », puisque les structures sont produites par l’action humaine et sont, en même temps, le support de cette action (voir Giddens, 1982, chap. 3, pour un exposé clair et concis de ces principes).
Il y a eu de nombreux commentaires et critiques à propos de cette approche et je n’ai pas la place, ici, de les explorer dans le détail (voir à ce propos Held, Thompson, 1989 ; Craib, 1992). Je ne vais retenir qu’un des aspects ici, lequel nourrit directement la discussion sur la théorie de l’acteur-réseau qui va suivre. Pour lier plus avant les domaines de la structure et de l’action, Giddens voit la première non pas simplement comme une contrainte externe sur l’action, mais aussi comme le moyen sans cesse renouvelé grâce auquel l’action est rendue possible. Quand Giddens parle de structure, il la définit donc à la fois comme règles et ressources. Les règles sont des appréhensions implicites en même temps qu’explicites de la façon de se comporter dans le monde social (par exemple, comment parler). Les ressources, d’autre part, se rapportent à la fois aux formes matérielles de l’environnement et à l’organisation de la vie sociale à l’intérieur des institutions (entre autres choses). Selon Craib (1992), Giddens apparaît beaucoup plus à l’aise quand il parle des règles (comme des règles d’usage de la parole) que quand il évoque les ressources, et ce dernier aspect des structures vient jouer un rôle relativement moindre dans la théorie de la structuration. Craib (1992, p. 160) précise que « Giddens donne une place très restreinte au monde physique ; il lui reconnaît un effet contraignant… mais au-delà de ça, il s’en débarrasse ». Le monde physique semble donc évacué en quelque sorte de la structure, il existe seulement « à la marge de la société, et non comme quelque chose qui serait au centre de notre être » (1992, p. 167). Pour Craib, cette négligence de la matérialité est importante, parce qu’elle participe à une conceptualisation faible de la structure dans la théorie de la structuration : en fondant la structure dans l’action (à travers le processus d’instanciation), rien de proprement « structurel » ne reste. La théorie de la structuration devient alors essentiellement une théorie volontariste de l’action (voir aussi Anderson, 1990).
Le volontarisme apparaît problématique quand il traite des systèmes, des institutions, ou des sociétés. Ces phénomènes dépendent de l’existence des actions qui ont d’une certaine façon perduré dans l’espace et dans le temps, c’est-à-dire que l’action/structure existe d’un certain point de vue « au-delà » ou « en dehors » des interactions dans lesquelles elle s’instancie. Cependant, la théorie de la structuration n’est pas claire sur la façon dont cela se passe, car elle ne donne aux actions/structures stabilisées qu’une existence virtuelle. À nouveau, le problème ici est en partie lié au peu de cas qui est fait de la physicalité : comme Craib (1992, p. 160) nous le rappelle, « les relations sociales ne sont pas médiées seulement par l’interaction de ses membres, mais par les relations de tous les membres du monde physique ». Ceci est lié au fait que « le monde physique influence certains aspects de l’action humaine — il fait des choses aux gens — en même temps que les actions humaines influencent en partie le “poids” du monde physique » (1992, p. 160). Il conclut donc qu’une certaine notion de structure externe — quelque chose qui soit physiquement distinct des acteurs humains — a besoin d’être réhabilitée, si nous voulons rendre compte des phénomènes à grande échelle.
Craib (1992, p. 167) en conclut que la faiblesse de la structure dans la théorie de la structuration vient du fait que Giddens est coincé dans le tournant linguistique et qu’il ne peut trouver de porte de sortie évidente pour se déprendre des notions de structures qui sont trop socialisées comme le langage, pour aller voir du côté des conceptions matérielles.
Mais, comme Lenoir (1994, p. 122) le montre, « le langage lui-même n’est pas seulement un signe, c’est aussi une chose. Le langage est lié à la voix, à des graphiques sur un écran, à la matérialité. Le monde n’est ainsi ni objet, ni signe ». Cette observation nous ramène une fois encore à l’importance de la physicalité pour rendre compte de l’action et illustrer comment la négligence des aspects physiques de l’action et de la structure rend la théorie de la structuration trop dépendante des interactions sociales. Donc, même si le clivage entre actions et structure semble être surmonté dans la théorie de la structuration (au prix, tout de même, d’une structure affaiblie, amoindrie), un nouveau clivage s’ouvre entre le social et le matériel — pour une illustration de la façon dont la théorie de la structuration reproduit ce clivage en géographie, voir, par exemple Soja (1985).
Des sociétés d’interaction sociale.
Je considère cette critique de la théorie de la structuration comme mon point de départ, non seulement parce que cette approche a été extrêmement influente en géographie humaine (voir Gregory, 1981 ; Thrift, 1983), mais parce qu’elle introduit l’idée d’associations hétérogènes, c’est-à-dire d’associations qui arrivent d’une certaine façon à réunir le social et le physique/matériel. Nous pouvons maintenant progresser pour examiner la théorie de l’acteur-réseau, car cette approche cherche aussi à dépasser les dualismes qui préoccupent Giddens, sauf que cette fois-ci la relation entre le social et le matériel est placée au centre de l’analyse. Ce faisant, les porteurs de cette théorie croient avoir trouvé un moyen d’unifier les autres divisions qui parcourent les sciences humaines. C’est donc en retraçant la route que la théorie de l’acteur-réseau parcourt entre les dualismes que je me concentrerai sur le rôle de la matérialité dans la construction de ces associations non dualistiques. Plus spécifiquement, j’illustrerai la façon dont la théorie de l’acteur-réseau se focalise sur des réseaux hétérogènes et permet ainsi de rendre compte de la stabilisation des actions de manière non volontariste.
Latour (1996), un représentant majeur de la théorie de l’acteur-réseau (Ant) a récemment cherché à s’attaquer aux problèmes posés par les dualités local/global et micro/macro en adoptant un point de vue vraiment novateur. En effet, il se demande à quoi ressemblerait une société qui ne serait constituée que d’interactions sociales (et de rien d’autre). Sa réponse est loin de dériver de simples spéculations, car il pense que de telles sociétés existent. Certes, on ne les rencontre pas dans le monde humain, mais parmi les babouins et les chimpanzés (cf. Latour, Strum, 1986 ; Strum 1987 ; Latour, Strum 1987). Traditionnellement, les études scientifiques des sociétés simiennes ont été motivées par la supposition que la structure sociale de créatures telles que les babouins est basée sur l’agressivité des mâles et les rapports de domination et de hiérarchie qui en découlent. Cependant, des recherches plus récentes ont montré que des liens sociaux autres que sexuels rassemblent les babouins dans des groupes cohérents. On reconnaît aujourd’hui que les babouins possèdent une variété de compétences sociales qui leur permettent de négocier, s’évaluer, et se manipuler les uns les autres de façon complexe. Voilà pourquoi d’après Latour et Strum (1987, p. 789) les babouins sont des « joueurs sociaux qui négocient et renégocient activement ce qu’est leur société et ce qu’elle sera ».
De façon plutôt provocante et ingénieuse, Latour (1986, p. 229) se sert de la socialité des babouins comme d’un sésame pour dire que la société babouine est une véritable société ethnométhodologique.
Puisque les effets de la composition du social dépendent du travail des acteurs individuels qui recommencent constamment, on pourrait en conclure que la vie sociale des singes est en apparence un paradis ethnométhodologique. Le constructivisme social dépend littéralement du simple travail des acteurs eux-mêmes pour lier les choses entre elles et ne dépend que de leurs catégories, et ce de manière cruciale.
Pour Latour, les babouins vivent effectivement dans une société performative (pour une discussion complète de cette notion, voir Latour, 1986 et, en rapport avec les babouins, Strum, Latour, 1987), société qui émerge d’une quête d’interactions prévisibles. Cependant, la prévisibilité doit être sans cesse renégociée parce que la société babouine émerge d’interactions pures qui ne peuvent se stabiliser sur le long terme. Les babouins « n’ont rien de plus pour convaincre ou enrôler les autres dans leur définition (de la société) que leurs corps, leur intelligence, et l’histoire de leurs interactions qui s’est construite avec le temps » (Strum, Latour, 1987, p. 795). Dans la société simienne, il n’y a donc aucun dualisme parce que l’interaction est société et la société est interaction : les deux sont coextensifs (Latour, 1996b). En résumé, la société simienne est un réseau d’interactions constantes.
Étant donnée la centralité de l’interaction dans les sociétés babouines, nous sommes en mesure de nous demander si elles se distinguent, et en quoi, des interactions humaines. La première chose à noter ici est que les interactions simiennes construisent une société et qu’il n’y a aucune différence de fond entre ces deux échelles sociales. Ainsi aucune interaction ne peut être discrète, séparée de la société dont elle fait partie. Il est difficile pour les babouins de localiser des aspects de leur société parce que la société comme un tout est impliquée dans chaque transaction. Pour les humains cependant, les interactions sont localisées, elles ne sont, au mieux, jamais que la partie d’un tout qui est bien plus complexe et en quelque sorte transcendant, un ensemble surplombant de connexions et d’associations. En ce sens, une distinction semble demeurer entre interaction et société.
Deuxièmement, la société babouine n’est faite qu’à partir d’éléments sociaux et cela signifie que la stabilité et la durabilité sont quasi impossibles à atteindre sauf en cas d’interactions continuelles, le social se fabrique encore et encore de manière constante et presque simultanée. Et, même si l’âge, le genre et l’affinité peuvent être saisis comme des composantes essentielles de chaque interaction, ils n’imposent pas une hiérarchie irrémédiable dans laquelle tous les individus babouins devraient rentrer, ils ne sont que les traits d’un ordre interactionniste complexe que les babouins génèrent au fur et à mesure de leurs négociations. Pour les humains en revanche, la stabilité et la durabilité sont des traits centraux de nos sociétés. L’interaction semble, en fait, être une catégorie quasi résiduelle et elle se passe au sein d’un réseau d’associations composé de beaucoup plus de choses que l’interaction elle-même (la microsociologie laisse presque toujours de côté cet aspect-là). Ainsi les sociétés simiennes se distinguent des sociétés humaines par rapport à la centralité accordée aux interactions : dans la première, la société composée ne peut jamais être plus que la somme de ses participants et de leurs interactions ; dans la seconde, la société semble exister majoritairement ailleurs, en dehors, au-delà, au-dessus, en dessous des interactions.
Objets et associations : comment des matériaux hétérogènes font tenir le social.
Pour un structuraliste pur et dur, la distinction entre une interaction localisée et la société est donnée par la nature transcendante de la seconde. Ainsi, les interactions localisées doivent toujours, à des degrés variables, se faire la preuve d’une structure sociale.
Les interactionnistes et les ethnométhodologues se disputent à propos de cette conclusion et assurent que l’interaction est un processus créatif constant qui échappe continuellement aux efforts pour la contenir. Comment alors échapper à cette division entre deux façons de penser et aussi rendre compte de la stabilité et de la durabilité des sociétés humaines ? De plus, comment les distinguer par rapport aux sociétés simiennes maintenant que nous savons que ces dernières sont pleinement socialisées ?
Latour (1994a, 1994b, 1996b) s’empare de ces difficultés et affirme que nous devons nous tourner vers l’analyse des ressources et des conditions matérielles dans lesquelles les acteurs construisent des relations sociales stables, en d’autres mots, après avoir été témoin de l’extrême sociabilité des sociétés babouins, quelque chose de différent du social doit être employé pour rendre compte de la stabilité et de la durabilité des sociétés humaines. Pour le dire d’une autre façon, la centralité de l’interaction dans les sociétés babouins révèle comment nos sociétés localisent l’interaction, c’est-à-dire comment l’interaction est limitée et circonscrite. Si l’on s’en réfère à Latour (1996b, p. 231), dans les sociétés humaines, il est toujours nécessaire de parler d’« interactions cadrées » dans lesquelles le face à face de l’engagement social est toujours marqué par des frontières, configuré, confiné et abrégé. De plus, « l’interaction cadrée n’est pas locale en elle-même, une interaction est activement localisée par un ensemble de partitions, de cadres, de parapluies, de portes coupe-feu » (1996b, p. 232). Le pendant de ce processus de « localisation » est un processus de « globalisation » partout où « l’on localise des interactions successives à travers l’usage d’un ensemble d’instruments, d’outils, d’écrits, de calculs et de compilations » (1996b, p. 233). C’est effectivement grâce à l’usage de certaines ressources matérielles que les interactions peuvent être stabilisées, résumées et étendues à travers le temps et l’espace.
Je voudrais marquer une pause sur ce point pour fournir une illustration de la façon dont les interactions sont communément encadrées par des mixtes de social et de matériel. Je tire mon exemple d’une activité qui est familière aux géographes (géographie humaine) : la conduite de recherches quantitatives en sciences sociales. Ce type de recherches se conforme en général à des routines standardisées qui spécifient comment l’activité devrait être menée. Ces routines sont communiquées aux chercheurs d’aujourd’hui dans les manuels, les codes de bonne pratique et les normes de construction de la recherche. Une routine typique est l’enquête par questionnaires. Dans ce cas, un chercheur utilise une variété de matériaux et de technologies pour développer un guide d’entretien ou une grille de questionnaire. Le questionnaire sera construit avec l’intention de prescrire et de donner forme à des ensembles d’interactions, peut-être éloignées dans le temps et dans l’espace (les interviews) pour s’assurer que ces interactions satisfassent certaines fins (des questionnaires analysables, et complets). Ensuite, le guide d’entretien ou le questionnaire sera physiquement administré ou distribué sur le lieu de l’interview. Lors de l’interview elle-même, deux ou plusieurs acteurs sociaux vont entrer dans une forme d’interaction : l’enquêteur est une sorte d’hybride, fait d’un corps humain, auquel s’ajoutent un stylo, du papier, et cette qualité hybride assure qu’un ensemble prescrit d’actions sera codé dans le matériel auquel on adhère. L’interview est simultanément configurée par des questions pré-ordonnées et finalement réduite au papier sous la forme de tirets et de réponses en un mot ou une phrase.
La recherche quantitative cadre de façon routinière les interventions locales en mettant des codes sur les comportements qui deviennent ainsi des choses. Cependant, c’est bien plus qu’un simple cadrage du local qui intervient dans cette expérience. Les grilles d’entretien ont été construites de façon à ce que les interactions puissent être transportées en dehors de l’arrangement spatial dont elles sont originaires et qu’elles puissent ainsi être ramenées dans ce que Latour (1987) appelle un « centre de calcul » (ici, le laboratoire de recherche). Une fois que toutes les interviews ont été menées, alors les grilles d’entretien sont compilées dans ce que Latour (1987) appelle cette fois un processus de « traduction », c’est-à-dire que les différentes interactions (ici les interviews) sont résumées (en utilisant à nouveau du matériel et des technologies) et les résultats de chacune d’elles (les questionnaires complétés) seront compilés sous une forme gérable et calculable tels que des graphiques, des tableaux, des citations, etc. Ces derniers seront alors compilés sous forme de textes qui, et c’est là le point essentiel, permettront au laboratoire de recherche de parler pour tous ces interviewés. Dans le processus, des globalisations et des localisations sont produites à l’intérieur d’un panorama « macro » de toutes les interactions. Tous les individus et toutes les localités qui ont été incorporées au réseau de la recherche seront re-présentés à l’intérieur de cette même et unique photo d’ensemble. Selon les mots de Law et Whittaker (1988, p. 179), le laboratoire peut dès lors « parler pour les autres (les enquêtés) à qui l’on a pris la voix, qui à partir d’objets qui parlaient pour eux-mêmes, ont été transformés en quasi-ombres de leur être d’avant ». Cet exemple montre comment les actions dans un lieu (un laboratoire ou « centre » de recherche) peuvent être amenées à porter d’autres lieux qui peuvent être distants dans le temps et dans l’espace. Dans ce processus, les lieux se démarquent les uns des autres, définis comme distincts et assortis de certaines qualités, c’est-à-dire qu’ils sont activement localisés à l’intérieur de réseaux d’interactions stabilisées qui les dépassent. L’exemple illustre aussi la manière dont l’action sociale vient à dépendre de ressources matérielles : les interactions ne peuvent être encadrées, ni les actions distanciées, ni les associations pérennisées dans l’espace et dans le temps, si l’on ne mobilise que des humains, ne serait-ce que parce que leurs interactions sont trop souvent imprévisibles (ils tendent à s’éloigner, à tracer leur propre route — cf. Law, 1986b).
Ainsi, des dispositifs tels que des feuilles de papier, des centres de recherche, des laboratoires, des instruments, des tableaux, des équations, etc. sont habituellement utilisés par les « centres » pour imposer des conventions de cadrage à des situations locales.
Les associations incrémentales.
L’utilisation de matériel dans les processus d’action a une histoire et c’est cette histoire qui éloigne les sociétés humaines des sociétés babouines. Pour illustrer comment les sociétés humaines sont arrivées à se pérenniser et à s’éloigner progressivement des signes, Latour (1994a, 1994b) identifie plusieurs couches (explicatives) pour retracer le croisement humain/non humain lié aux socialités et aux matérialités. En développant cette généalogie, il s’emploie à retrouver le développement des interactions entre les humains et la nature, puisqu’elles résultent de configurations socio-matérielles qui se compliquent de manière croissante. Il commence par les humains qui comme les babouins sont engagés dans des interactions ethnométhodologiques, puisque vivant en groupes. Ces groupes se fient à leurs corps et à la sociabilité en face à face pour survivre. Ils vivent alors dans un ordre social très précaire (déliquescent) qui ne peut être maintenu que d’un jour sur l’autre ou d’une heure à l’autre. Rien ne perdure au-delà des humaines et de leurs interactions. C’est alors que les humains commencent à déléguer certaines de leurs activités les plus basiques à des outils. Les morceaux de pierre ou de bois deviennent des partenaires sociaux qui servent à allumer des feux ou à fabriquer des armes. Ces partenaires sociaux non humains marquent le début de la stabilisation des négociations sociales. Un certain degré de pérennité est procuré à cette nature transitoire des interactions humaines en faisant appel aux non humains.
À partir de là, nous ne sommes plus seuls dans nos interactions : les non-humains existent à nos côtés et nous connectent dans le temps et dans l’espace. En fait, leur influence sur le long terme nous aide à établir des formes sociales capables de durer et de demeurer indépendantes de nos interactions précaires.
Comme le dit Latour (1994a, p. 802) « oui, la société existe pour de vrai, mais non, elle n’est pas socialement construite. Même dans ce cas précis, le concept le plus primitif de toutes les théories sociales, les non humains prolifèrent, ce qui rend impossible de distinguer une “société pure” ». Une fois que les animaux, les plantes et les matériaux sont domestiqués dans les sociétés agraires, cette prolifération devient même encore plus marquée. L’industrie ajoute encore une autre couche d’actants non humains dans le tissu social, puisque ces dernières en viennent à se relier les unes aux autres dans des machines qui sont, à leur tour, liées à des complexes productifs. L’étape ultime arrive avec la crise environnementale moderne, lorsqu’un autre ensemble de non-humains fait irruption dans les sociétés comme autant de participants actifs, reconfigurant les sociétés au fur et à mesure que le monde change de façon nouvelle et inattendue.
Dans cette généalogie, chaque couche se superpose à celles qui l’ont précédée et de nombreux humains sont mélangés avec de nombreux non-humains. La construction incrémentale des ressources éloigne les humains d’une interaction pure pour les amener vers un ensemble stable et pérenne d’associations hétérogènes. Comme Latour (1994a, p. 792) le dit : « sans la présence du passé, la présence du lointain, la présence de personnages non humains, nous serions limités précisément aux interactions, à ce que nous parvenons à faire là, maintenant, avec nos propres compétences sociales, comme des singes machiavéliens ». « En “délocalisant” l’interaction, en s’associant avec les non-humains, nous pouvons dépasser le présent. De cette façon, quelque chose de “structurel” est construit et l’ordre social, le pouvoir, l’échelle, et même la hiérarchie sont consolidés et préservés par les objets matériels. Et ces “objets” ne sont jamais seulement neutres et objectifs, ils contiennent et reproduisent le “travail congelé” » (Latour 1994b, p. 40) de tous les autres absents qui sont entrés dans les arrangements socio-matériels cadrant nos interactions quotidiennes. Ainsi, « nous rencontrons des centaines, et même des milliers de faiseurs absents qui sont éloignés dans le temps et dans l’espace mais qui sont simultanément actifs et présents » (1994b, p. 40).
L’interaction (en ce qui concerne les humains en tout cas) n’est jamais purement locale, elle est constituée, construite et configurée par des actions distantes. La clé pour comprendre cela, comme je l’ai souligné plus tôt, est le rôle joué par les ressources pour stabiliser et maintenir les actions passées de façon à ce qu’elles puissent peser sur le présent localisé. Ce qui est important pour l’argument ici défendu est que Latour ne vise pas seulement à réclamer une base matérialiste à l’action sociale, mais il croit également qu’intégrer les ressources dans nos théories et analyses signifie que nous pouvons échapper aux dualismes action/structure et micro/macro.
Latour (1994b, p. 50) exprime cette croyance comme suit :
Admettons que les ethnométhodologues aient raison, qu’il n’existe que des interactions locales, qui produisent l’ordre social sur le vif. Et admettons que les sociologues aient raison, que les actions distantes puissent être transportées et peser sur les interactions locales. Comment ces positions peuvent-elles être conciliées ? Une action dans le passé lointain, dans un lieu éloigné, par des acteurs qui sont maintenant absents, peut toujours être présente, à la condition qu’elle soit transposée, traduite, déléguée ou déplacée sur d’autres types d’actants, ce que j’ai appelé non humains.
Les ethnométhodologues en font donc trop sur la localisation de l’action, puisqu’il y en a toujours d’autres qui viennent d’ailleurs et ces autres jouent un rôle qui est loin d’être passif en pouvant circonscrire de façon aiguisée l’espace de négociation de la situation locale. Selon Latour, les structuralistes sont néanmoins autant fautifs, parce qu’ils oublient souvent de demander :
Comment une différence d’échelle est obtenue, comment le pouvoir est exercé, l’irréversibilité installée et les rôles et fonctions distribués ? Tout dans la définition d’un ordre social macro est dû à l’enrôlement des non-humains. Même le simple effet de pérennisation de cette force sociale qui perdure dans le temps, ne peut être obtenu sans la durabilité des non-humains vers lesquels les interactions humaines locales ont été transférées. (1994b, p. 51).
Latour tente de dépasser les dualismes micro/macro, local/global et même sujet/objet en se focalisant sur un « angle mort » (1994a, p. 41), celui dans lequel la société rencontre la matière, et où — c’est là l’essentiel — ils échangent leurs propriétés. Il ne voit donc pas les ressources matérielles et les technologies comme les simples résultats des intentions et actions humaines, mais comme participant activement aux processus d’interaction. Ces ressources cadrent, définissent et configurent l’interaction. Et sans de telles ressources, les humains ne pourraient jamais espérer agir sur autrui, lorsque celui-ci est distant dans l’espace ou le temps. Ainsi, Latour croit qu’en se concentrant sur l’échange des propriétés entre le social et le matériel, on peut se reposer la question de la prévalence des termes « social » et « société », puisque ces termes font apparaître une des composantes du dualisme traditionnel — le monde des sujets humains et des interactions sociales — qui excluent les objets et le matériel. Il invite alors à utiliser de nouveaux concepts — tels que l’acteur-réseau — qui permet une analyse symétrique des sujets et des objets, des acteurs et des choses.
Des actions inclusives.
En utilisant le principe méthodologique de la symétrie, Latour cherche à établir comment les distinctions entre humains et non-humains sont opérées en premier lieu. Il dit :
J’aimerais me situer en amont de l’étape où l’on peut clairement différencier les humains des non-humains, leurs buts et leurs fonctions, leurs formes et leur matière, juste avant que la permutation des propriétés et des compétences soit observable et interprétable. Les véritables acteurs humains et les objets respectables dans le monde ne peuvent pas être un point de départ, ils pourraient être notre point d’arrivée (1994b, p. 35).
Latour n’attribue donc aucune caractéristique essentielle à aucune entité — « un actant solitaire peut prendre différentes formes “actancielles” et inversement le même acteur peut jouer plusieurs rôles différents (1994b, p. 33) — tout cela émerge comme les effets des associations une fois qu’elles sont tricotées. C’est-à-dire que des entités sont amenées à être enrôlées, combinées et disciplinées à l’intérieur de réseaux qui leur donnent formes et fonctions.
Il est indispensable de marquer, ici, une pause pour souligner le fait que la notion d’agencement soutenue par la théorie de l’acteur-réseau diffère de celle qui prévaut dans le courant principal des sciences sociales, ce qui inclut la théorie de la structuration. Fuller (1994, p. 746) fait émerger une distinction clé : « au lieu de traiter l’agence comme un principe ontologique à partir duquel les sociétés seraient construites, [la théorie de l’acteur-réseau] traite de l’agence comme un construit théorique sculpté dans un ordre social transpirant déjà ». Le point de vue « primitif » dont parle Fuller voit l’agent comme une masse solide déjà formée qui bougerait selon ses propres principes et tendances, sauf dans le cas où une autre force le contraindrait (que cette force soit naturelle ou sociale). Dans la théorie de la structuration, par exemple, l’agent recouvre toujours une forme humaine, tous les humains semblent donc dotés de cette agence [2] (excepté dans des conditions extrêmes comme à l’intérieur d’institutions « totales »). À l’inverse, l’approche qu’a l’acteur-réseau de l’agence, ne prend jamais comme point de départ des agents déjà formés, mais plutôt un espace social déjà constitué (en termes d’associations ou de réseaux) et montre comment les agents (humains et non humains) émergent d’une série d’épreuves/de procès durant lesquels ils luttent constamment pour devenir des acteurs munis de pouvoirs, et ce n’est qu’à la fin de la période de stabilisation du réseau que les acteurs/agents/actants peuvent être distingués des autres entités de moindre intérêt, qui à ce moment-là ne sont plus que de simples intermédiaires, c’est-à-dire des liens dans le réseau (Fuller, 1994). L’action est ainsi la propriété des associations plus que des agents humains : « l’élément moteur d’une action devient une série nouvelle, distribuée et ancrée de pratiques dont la somme peut être mise au jour, seulement si l’on respecte le rôle médiateur des actants [qui peuvent être des humains ou des non-humains] mobilisés dans le processus » (Latour, 1994b, p. 34). L’action émerge donc des associations et la responsabilité se trouve distribuée tout au long de la chaîne d’humains et de non-humains. Comme Callon et Law (1995, p. 485, souligné dans l’original) le disent, « Ce sont les relations … qui importent. Les relations qui performent. Qui performent l’agence ».
Callon (1986a) apporte une illustration limpide de la façon dont l’action émerge des relations combinées des humains et des non-humains, quand il examine l’irruption de la science dans la domestication des coquilles Saint-Jacques dans le Nord de la France. Dans cette étude de cas révélatrice, Callon nous explique comment un groupe de scientifiques essaye de persuader un groupe de pêcheurs français de l’utilité de la connaissance scientifique en prescrivant un ensemble de recommandations qui visent à augmenter le nombre de coquilles Saint-Jacques pêchées. Il montre comment les scientifiques tentent de construire un réseau scientifique en enrôlant d’autres acteurs — des êtres humains, des institutions et des entités naturelles — pour qu’ils coopèrent à leurs côtés. Petit à petit, les chercheurs lient les entités les unes aux autres, pour qu’elles ajustent leurs identités et qu’elles se répartissent un ensemble de rôles corrélés. Il est important de noter que les entités comprennent des non-humains : Callon montre comment les chercheurs enrôlent les coquilles et les pêcheurs dans le réseau, et ce, de la même façon exactement. Cependant, il poursuit aussi en montrant que pour que le réseau se stabilise avec succès, les identités et les rôles définis doivent être acceptés par tous (humains et non-humains). Dans ce cas précis, les pêcheurs et les coquilles n’en font qu’à leur tête, ce qui fait qu’ils sortent du rôle qui leur est alloué par les scientifiques. Le réseau est rompu et les coquilles sont désignées comme des participants actifs du processus de sabotage.
Ce qu’il faut retenir de la démonstration de Callon est que les acteurs et les entités n’émergent qu’à l’intérieur des relations établies par le réseau. Leurs caractéristiques et leurs formes sont déterminées par celui-ci. Pour cette raison, les distinctions claires et rapides, comme celles opérées entre humains et non-humains, sont balayées par des liens nouveaux, et ces liens nouveaux déterminent les entités sous des traits nouveaux. Alors que les entités se nouent, l’action se fait à partir d’un ensemble de compétences distribuées dans le réseau consolidé, et humains et non-humains sont les uns comme les autres des participants à part entière. Ainsi, en principe, les non-humains ont le potentiel d’agir, un potentiel qui vient des relations du réseau dans lesquelles ils sont pris. Il existe, évidemment, une foule d’exemples d’action par les non-humains qui pourraient être citées ici pour illustrer notre propos : on pourrait penser à l’épisode de Bse [3] dans lequel un nouvel acteur (appelé « protéine prion ») semble s’être échappé d’un réseau de relations au sein de la chaîne alimentaire (établi par des acteurs humains comme les producteurs alimentaires) pour nouer un nouvel ensemble de relations qui prend en compte les vaches, les abattoirs, les hommes politiques, les hamburgers, etc. De manière comparable, l’accident du réacteur nucléaire de Tchernobyl montre comment un groupe d’acteurs humains a essayé de « domestiquer » la fission nucléaire et comment des entités naturelles, technologiques et sociales se sont réunies (dans une explosion) pour rassembler un nouvel ensemble d’associations hétérogènes — des rennes, de la pluie, des fermiers Cumarins, de l’herbe, des scientifiques — au sein d’un monde socio-matériel reconfiguré. Il est possible de souligner l’exceptionnalité de ces cas, mais l’on pourrait aussi accepter que ce sont des exceptions qui confirment la règle : les choses agissent de concert avec les humains ; les humains agissent de concert avec les choses. Les deux classes d’entités sont associées dans des acteurs-réseaux.
Ce que les théoriciens de l’acteur-réseau tentent de saisir, ce sont les moyens par lesquels les associations naissent et la façon dont les rôles et fonctions des sujets et des objets, des acteurs et des intermédiaires, des humains et des non-humains sont attribués et stabilisés. Ils s’intéressent à la façon dont ces catégories (et d’autres) émergent des processus de construction des réseaux. Ces théoriciens formulent une proposition radicale : les catégories stables n’émergent jamais que comme des résultats des activités de construction des réseaux — elles ne précèdent en aucun cas ces réseaux. Par exemple, un acteur ne deviendra acteur que si les liens établis entre les entités enrôlées dans les réseaux permettent à l’une d’entre elles (peut-être l’entité qui a initié l’enrôlement) de clamer le statut légitime d’acteur (c’est-à-dire que le pouvoir circule dans la chaine vers lui/elle/ceci, élevant son statut au-dessus de tous les autres). En un sens, alors, la distinction entre les acteurs (ceux qui organisent les associations ou les réseaux) et les intermédiaires (ceux qui sont organisés au sein de ces ensembles relationnels) advient à la fin du processus de construction, quand les premiers peuvent assumer les actions combinées de toutes les entités enrôlées. Cependant, il ne faut jamais oublier que ce n’est qu’à travers ces autres que l’acteur a la possibilité de grandir et d’étendre sa portée sur de plus grandes distances devenant ainsi « global » : 1/ Il commence à agir pour plusieurs et plus simplement pour un-tout-seul. 2/ Il devient plus puissant. 3/ Il grandit (Callon, Latour, 1981, p. 279). Nous en arrivons enfin à l’acteur-réseau : acteurs et réseaux ne font plus qu’un : c’est désormais « un pour tous et tous pour un » dans la construction d’actions communes. Et au fur et à mesure que l’acteur-réseau grandit, il va étendre son influence et atteindre au-delà d’un seul lieu, plusieurs lieux, les reliant ensemble dans des agencements complexes appelés « associations ». Il n’y a donc aucune différence de nature entre les acteurs « macro » et « micro », ou « globaux » et « locaux », les réseaux étendus peuvent simplement aller chercher plus loin que les réseaux courts.
Géographies de l’hétérogénéité.
Le projet de recherche qui suit ces propositions de liens hétérogènes et de distributions est résumé par Latour (1996b, p. 240) de la façon suivante : « il nous faut : 1/ Traiter les choses comme des faits sociaux. 2/ Replacer les deux illusions symétriques que sont l’interaction et la société dans un échange de propriétés entre les acteurs humains et non-humains. 3/ Suivre empiriquement le travail de localisation et de globalisation ». C’est ce dernier point qui est sans doute le plus intéressant pour les géographes, mais j’aimerais souligner le fait que la perspective de Latour a une pertinence plus générale pour l’analyse géographique : le panorama qu’il dresse de la vie sociale comme étant nécessairement dépendante des ressources non humaines place l’espace et le temps au centre de la théorie de l’acteur-réseau. Toute réflexion sur la longueur et l’étendue des associations hétérogènes implique de se déplacer à travers l’espace et le temps pour chercher à déterminer comment ces deux dimensions sont liées dans, et émergent de, ces réseaux complexes qui composent notre paysage socio-spatial (Latour, 1987). De ce fait, le refrain constant qui dit que « la géographie importe » (qui semble, d’après la collection que Massey et Allen fondent en 1984, être un prérequis de toute théorisation géographique et qui, à l’évidence encore aujourd’hui, animent ceux qui travaillent dans ce champ, par exemple Soja, 1996) pourrait bien être pris pour un acquis maintenant ; l’espace étant un élément central de la mobilisation à la fois des humains et des non-humains, devant prendre une place centrale dans toute étude portant sur les associations et les réseaux.
L’espace est lié aux réseaux et toute appréhension des qualités spatiales est en même temps une appréhension des relations au sein du réseau. La théorie de l’acteur-réseau insiste donc sur le fait que toute analyse spatiale est une analyse des réseaux. L’analyse des réseaux est assez simple : elle consiste à suivre les réseaux sur toute leur longueur ; nul besoin de sortir des réseaux puisque toutes les qualités de la construction et de la configuration spatiales qui sont intéressantes se trouvent à l’intérieur (Latour, 1991a). Les théoriciens de l’acteur-réseau rejettent ainsi le point de vue selon lequel la vie sociale serait arrangée autour de niveaux et de tierces personnes (qui décideraient de ce qui se passe pour les autres) ; tout est maintenu au niveau du sol (en ce sens, ils fournissent ce que Glaser et Strauss, 1967, appelaient « une théorie ancrée dans le sol » [grounded theory]). Cette théorie ne se départit jamais du domaine de l’espace et il n’y a pas de désaccord entre les interactions spatialisées et les cadres qui organisent ces interactions : c’est toujours la mobilisation de non-humains à travers l’espace et le temps qui distingue le local du global, le micro du macro. Ainsi, cette théorie remet l’espace « à sa place » : il n’y a pas de processus purement spatial, puisque la mobilisation de ressources non humaines afin de faciliter l’action à distance ne se limite pas à engager l’espace dans les processus sociaux, naturels, techniques, mais représente aussi un moyen de s’assurer que ces actions deviennent historiques, c’est-à-dire, les rendent permanentes et stables. Le temps et l’espace sont ainsi cousus ensemble sans même que cela se voie (pour un commentaire général sur ce « tissage », voir Thrift, 1996, chap. 1).
On peut alors se demander à quoi ressemblerait une géographie des associations ou des réseaux. D’abord, il est évident que « l’humain » de la « géographie humaine » est rendu problématique par la théorie de l’acteur-réseau. Les acteurs sont des réseaux, plus que des êtres humains, et ces réseaux n’ont de cesse d’être hétérogènes. Il est alors peu pertinent de délimiter une « géographie humaine » quand les humains et les non humains échangent leurs propriétés dans une telle promiscuité (de la façon dont Latour, 1993, pense que c’est le cas aujourd’hui). Deuxièmement, cette perspective rend également problématiques de nombreuses formes de théorisation « macro » que les géographes (en particulier, les marxistes) ont adoptées pour interpréter les relations entre des enjeux spécifiques à des lieux, et des processus structurels généralisables.
Nous pouvons illustrer comment la théorie de l’acteur-réseau se démarque d’approches plus établies en exposant simplement un ou deux exemples notables. Prenons, par exemple, la notion de « géométrie du pouvoir » développée par Doreen Massey (1991) qui a de façon évidente beaucoup de points communs avec la théorie de l’acteur-réseau. Massey se sert de l’idée de géométrie du pouvoir pour montrer comment l’espace est prise dans des réseaux du local au global, et comment ceux-ci configurent des lieux singuliers : comme elle l’explique (Massey, 1991, p. 29) « chaque lieu est un mixte distinct de relations plus larges et plus locales ». Dans des termes qui font échos aux théoriciens de l’acteur-réseau, elle défend l’idée selon laquelle les interactions locales sont liées dans des réseaux de relations qui « sont construits à une échelle bien plus grande que ce qu’il nous arrive d’appeler “lieu”, qu’il s’agisse d’une rue, d’une région ou même d’un continent » (1991, p. 28). Dans cette approche en termes de géométrie du pouvoir, les lieux sont des points d’intersection où les réseaux se rencontrent.
Sur beaucoup de points, la théorie de l’acteur-réseau caractériserait le lieu en des termes similaires. La distinction principale entre les deux approches, cependant, est le poids qui est donné aux explications sociales de l’action. Il semble que Massey (1991, p. 28) soit plus intéressée par les forces humaines, par les « constellations de relations sociales » qui configurent les réseaux. L’approche par l’acteur-réseau, en revanche, nous donne une vision beaucoup plus embrouillée des relations humains/non-humains en essayant d’établir la façon dont les associations complexes qui se tissent à travers notre monde sont sous-tendues par la coopération et l’adhésion des objets matériels, des artéfacts techniques, des animaux et des humains. Là où Massey cherche le social, les théoriciens de l’acteur-réseau cherchent l’hétérogénéité.
On ne peut douter du fait que beaucoup de ceux qui travaillent dans le champ de la géographie humaine assureraient qu’il y a de bonnes raisons que le social soit devenu l’objet principal d’analyse et on pourrait légitimement dire qu’en fait, les forces sociales pilotent des ensembles hétérogènes de relations et que les acteurs sociaux construisent des réseaux. C’est sans aucun doute la position adoptée par David Harvey dans son dernier livre (1996), Justice, Nature and the Geography of Difference. Dans ce travail, Harvey fait de nombreux commentaires sur les relations spatiales qui semblent dessiner quelques ponts avec la théorie de l’acteur-réseau.
La construction sociale de l’espace et du temps ne tombe pas du ciel, elle est façonnée par les formes d’espace et de temps que les êtres humains rencontrent dans leur lutte pour la survie matérielle. Par exemple, le jour et la nuit, les saisons, les cycles de vie de la faune et de la flore et les processus biologiques qui régulent la reproduction des hommes et leurs corps sont des rencontres typiques de différents niveaux de temporalité (Harvey, 1996, pp. 210-211).
On pourrait très bien s’attendre à ce que ces rencontres amènent des modifications dans le monde des humains comme dans celui des non-humains (dans le vocabulaire de Latour, « à ce que ces mondes échangent leurs propriétés »). Même si Harvey est clairement conscient d’un certain potentiel d’échange, il se détache formellement de toute sorte de traitement symétrique de ces relations hétérogènes. Son intérêt se focalise sur les modifications humaines des mondes non humains. Il considère ainsi que les forces sociales agissent sur le monde matériel, mais ne montre pas d’intérêt particulier dans le pouvoir du monde matériel lui-même : « Si les choses semblent avoir une vie à elles, ce n’est que parce que ces choses, prises dans le royaume des pratiques matérielles, sont considérées comme ayant internalisé les effets discursifs du pouvoir économique et politique et des relations spatio-temporelles (1996, p. 222). Les formes de pouvoir qui intéressent le plus Harvey sont celles qui sont pilotées par les relations capitalistes, celles qui affirment les valeurs de l’argent et de la propriété. De son point de vue, tout pouvoir détenu par des objets et des choses « dépend entièrement de la façon dont les discours sur les valeurs les enveloppent » (1996, p. 221). Même si Harvey montre ici une certaine sensibilité pour les dimensions matérielles de l’action et qu’il s’intéresse clairement à la façon dont « les relations prennent corps dans les choses » (1996, p. 220), les choses en soi ne fonctionnent que comme l’incarnation des valeurs humaines. Il n’y a ainsi aucun échange véritable entre humains et non-humains, il s’agit au fond d’accroître la domination humaine (et capitaliste) ou la transcendance du monde matériel.
Dans le travail d’Harvey, la société vient en premier, c’est la force motrice, qui pilote les relations socio-matérielles en lien avec les demandes et les désirs sociaux. Donc, pour Harvey, lorsque l’on est confronté à des choses, on est confronté à des relations sociales. Cette approche est asymétrique : même si elle admet une base matérialiste à l’action, elle traite le monde matériel comme étant (au final) asservie aux constructions (sociales) des humains. Latour (1994a, p. 793) pose néanmoins cette question quand il parle de ce type de regard asymétrique : « Si les artefacts sont des relations sociales, alors pourquoi la société doit-elle passer par eux pour s’inscrire dans quelque chose d’autre ? Pourquoi ne pas s’inscrire directement ? Après tout, les artéfacts ne comptent pour rien, ils ne sont là que pour transporter la domination, l’exclusion, le pouvoir, comme un câble conduirait de l’électricité ». La réponse est que, sans ces artéfacts, il n’y aurait pas de société, de domination ni de pouvoir. La société n’est pas ce qui fait que ces choses se tiennent, la société elle-même se tient grâce à ces choses (Latour, 1986). Comme le propos que nous avons tenu jusqu’ici, nous l’espérons, l’a démontré, le social ne peut pas se tenir tout seul d’une autre façon que celle pratiquée par les babouins (interaction continue). Cela nous ramène, finalement, à l’aphorisme qui ouvrait cet article : « la société n’est pas ce qui nous fait tenir ensemble, c’est ce qui tient ensemble » (Latour, 1986, p. 276) et elle n’est pas soutenue par les humains ou par des choses-en-soi qui seraient passives, mais par des ensembles de relations dans lesquels les humains et les non-humains échangent constamment leurs propriétés. Les sociétés — et les espaces — émergent des activités collectives de ces acteurs hétérogènes entre lesquels les pouvoirs sont distribués, les responsabilités réparties, les actions construites et les espaces configurés. Ce sont ces distributions, ces allocations, ces constructions et ces configurations qui devraient retenir toute notre attention. Mais notre attention ne peut être retenue que si nous sommes conscients de toutes les possibilités qui sont susceptibles d’émerger de la façon complexe dont se combinent les ressources sociales et matérielles au sein des réseaux.
Conclusion.
En insistant sur les qualités humaines et sociales des réseaux et associations, Harvey et Massey se positionnent sur l’un des versants du dualisme société/nature. Au final pour les deux auteurs, le matériel est configuré par le monde social, il n’y a pas d’échange symétrique entre les deux : l’un (la nature ou la matérialité) est toujours investi par les propriétés de l’autre (la société). La théorie de l’acteur-réseau, au contraire, croit que les échanges abondent dans les deux sens, en se plaçant au milieu et en essayant de s’en dépêtrer, cette approche saisit les modifications qui interviennent dans chacun des deux domaines, à savoir le social et le matériel. Et ceci s’applique à tous les dualismes, en incorporant la matérialité au cœur de l’analyse, la théorie de l’acteur-réseau tente de lier tous les domaines qui sont divisés dans une seule et même théorie sociale. De ce fait, les termes tels qu’« acteur » ou « structure », « local » ou « global » ne font sens qu’une fois rattachés les uns aux autres. Cette rationalité nous oblige à éloigner notre regard des formes pures (c’est-à-dire des catégories stabilisées comme « acteur », « structure », « local » ou « global ») pour nous concentrer sur les associations qui permettent l’émergence de résultats purs (c’est-à-dire les procédés de fabrication des catégories).
En forgeant une « voie médiane » entre ces résultats purifiés, la théorie cherche à éviter toute réification de la nature et de la société, du local et du global, de l’action et de la structure. Contrairement aux approches plus traditionnelles de la géographie humaine, elle s’efforce d’adopter un point de vue plus souple sur ce qui va pouvoir être lié, et la façon dont les liens vont être élaborés. Plus encore, « elle ne distinguera pas à priori, ce qui pilote et ce qui est piloté » (Law, 1994, p. 13). L’action peut venir sans distinction des humains comme des non-humains — tout dépend des liens à travers les réseaux. Le rôle du chercheur est ainsi de suivre l’acteur-réseau au fur et à mesure qu’il s’étend dans l’espace et le temps, localisant et globalisant sur son chemin. Pour comprendre la construction et la consolidation de l’espace et du temps au sein des réseaux, nous nous devons de toujours garder une ouverture d’esprit ; comme Latour (1987, pp. 175-76) l’affirme :
Nous devons être aussi indécis que possible sur le fait que tels éléments seront liés ensemble ou non, sur le moment où ceux-ci commenceront à avoir un destin commun, sur les intérêts qui gagneront éventuellement sur d’autres. En d’autres termes, nous devons être aussi indécis que les acteurs que nous suivons… La question pour nous, comme pour ceux que nous suivons, est simplement la suivante : lesquels de ces liens vont tenir et lesquels d’entre eux vont se défaire ?
Cette pratique de « suivi » demande de ne pas spécifier différents niveaux d’analyse à priori et de ne pas choisir de répertoire différencié pour des phénomènes qui n’ont pas encore pris de forme ou d’identité. Callon et al. (1986, p. 228) croient que l’adoption d’une grille de lecture unique est cruciale si nous avons à mesurer la résistibilité et la transformabilité des liens du réseau. Ils disent :
Utiliser un vocabulaire distinct pour ce qui est grand tend à masquer à la fois les processus par lesquels la croissance se produit et les incertitudes qui sont impliquées dans le maintien du pouvoir et de la taille. De plus, cela réifie le statut de grand, et donne l’impression que celui-ci ne pourrait pas être diminué en taille et devenir faible. Nous croyons que les théoriciens du social n’ont aucune raison d’aider ceux à qui il arrive d’être puissant.
La symétrie radicale qui occupe le cœur de la théorie sociale s’enracine dans la croyance selon laquelle le « pouvoir » et la « taille » ne sont pas gravés dans le marbre, c’est pour cela qu’elle cherche à mettre au jour comment les associations et les réseaux sont construits et entretenus. Une fois que l’on peut comprendre comment la taille et le pouvoir sont construits, alors on peut comprendre comment ils sont transformés. Mais nous ne pourrons vraiment reconnaître le potentiel de changement que si nous restons dans les réseaux. Ainsi, nous ne devrions jamais évacuer le local et le micro pour chercher des « explications » à une autre échelle d’analyse, tout comme nous ne devrions pas rester enfermés dans le local et le micro, puisque les réseaux voyageront sans aucun doute, s’éloignant de ces domaines réduits. Au lieu de cela, comme la théorie de l’acteur-réseau elle-même, nous devrions pâturer en toute liberté entre ces extrêmes. Ce n’est qu’à cet endroit, sur ce terrain médian, que nous pouvons observer comment le monde est fait, selon des manières qui appartiennent à la liberté des choix individuels qui dynamitent même les observations les plus sophistiquées.
Abstract
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Notes
[1] En français dans le texte.
[2] Nous pensons que le terme « agence » recouvre ici la capacité qu’a un acteur d’organiser des situations futures en fonction de ses ressources.
[3] Bse : Bovine Spongiform Encephalopathy. L’encéphalopathie Spongiforme Bovine (Esb) est également appelée « maladie de la vache folle ».
Authors
Traduction de Claire Tollis
Claire Tollis finit une thèse de géographie à l’Université de Grenoble sur la gestion des « espaces naturels » en France et aux États-Unis. Elle s’intéresse aux soucis de cohabitation entre les humains et les non-humains dans ces espaces (cf. Claire Tollis, « Éthique, Espace, Action : un triptyque à activer, à propos des pratiques gestionnaires des “espaces de nature” » in Géographie et Cultures, 74, 2010, pp. 97-110). Elle est membre fondatrice du Latouring Club, un collectif enthousiaste de jeunes chercheurs en sciences sociales travaillant à la publication d’un ouvrage sur la façon dont ils mobilisent, utilisent et parfois tordent les travaux de Bruno Latour au cours de leur travail doctoral.