Avenue Bizot, 12e arrondissement à Paris. Un trottoir après une averse. Les habitants des immeubles alentours et les clients des petits commerces ont pour habitude de parquer leurs motos ou vespas à cet endroit précis. Au fil des jours, les pieds des engins ont formé de petits creux dans le revêtement du trottoir.
« Photographier, c’est conférer de l’importance » (Sontag, 2000, p. 45). En pointant mon objectif par terre, je cadre un « morceau de ville » considéré comme insignifiant, indigne d’être photographié parce qu’empreint de la banalité et de la saleté de la vie quotidienne.
Avec cette photographie, je cherche à attirer l’attention sur une portion de l’espace urbain, son sol, et sur sa richesse en tant que révélateur du social. Le sol urbain mérite d’être regardé, scruté minutieusement, comme un recueil d’informations sur la ville.
L’urbanité peut se lire sur l’asphalte. En effet, le revêtement des rues par du bitume désigne l’urbain ; il évite le contact avec la boue et la poussière des chemins terreux, il permet de limiter la végétation. En fait, il permet de se protéger de la salissure et de la sauvagerie. De plus, il rend possible l’usage de chaussures à talons, de trottinettes, de planches à roulettes et de rollers. L’asphalte permet le développement de comportements urbains, voire de cultures urbaines.
Sur cette photographie, on voit qu’en même temps, le sol urbain s’use par la répétition à grande échelle de ces mêmes comportements. Ailleurs, on repérera les marques des chaises sur le sol d’une terrasse, ou la gravure de la date des derniers travaux, le polissage accomplis par de multiples pas. Le bitume peut témoigner de la puissance de la masse, de la puissance des habitudes partagées qui usent « socialement » la ville.
Le bitume symbolise la ville.
La ville se révèle au travers de cette lave urbaine.
Anne Compagnon a exposé une série de photos intitulée Les usures urbaines, à la librairie Le Genre Urbain, 29 rue de Tourtille, 75 020 Paris, métro Belleville. Tel : 01 44 62 27 49.