La MiRe (Mission de Recherche) organise un séminaire de recherche sur les usages des technologies numériques dans le domaine de la santé, du handicap, de la dépendance et de l’accès aux prestations sociales. À travers la spécificité de ces différents champs, mais aussi à travers les regards croisés qu’ils permettent, il s’agit d’analyser la manière dont les technologies numériques viennent modifier le(s) rapport(s) des usagers (ayants droit, bénéficiaires, personnes en situation, patients) et des intervenants (professionnels ou aidants profanes) aux dispositifs et droits sociaux correspondants.
L’objectif du séminaire est double : d’une part, dresser un panorama des transformations les plus significatives dans un environnement particulièrement dynamique et d’autre part s’appuyer sur une pluridisciplinarité d’approches pour en expliciter les usages. Les questions de recherche issues des quatre séances donneront lieu à un appel à projets de recherche (AAP) afin d’alimenter la production de nouvelles connaissances. L’AAP sera lancé début 2021.
Une réflexion large semble d’autant plus nécessaire que les technologies numériques permettent dès aujourd’hui — et promettent encore plus pour demain — des transformations radicales dans la prise en charge des patients en décentrant certaines pratiques curatives vers un modèle davantage préventif (Isaac, 2014 ; Bloy, 2015), dans l’accompagnement des personnes dépendantes à travers le recours accru aux technologies d’assistance et enfin dans l’accès aux prestations par le biais de nouvelles formes d’administration digitalisée (Boudreau, 2009 ; Bacache-Beauvallet, Bounie et François, 2011 ; Courmont, 2019). Au-delà de la caractérisation des nouvelles opportunités numériques pour en saisir les enjeux et la portée, il convient de les ré-encastrer dans la réalité sociale et économique des organisations qui les produisent et les mettent en œuvre (Berrebi-Hoffmann, 2019), mais aussi des personnes qui les utilisent. Si les technologies numériques modifient les manières d’analyser et d’évaluer les situations et les besoins par les professionnels de l’intervention médicale ou sociale, les personnes soignées ou accompagnées sont confrontées à de nouveaux outils dont elles se saisissent ou qu’elles subissent (Dubasque, 2019).
Toutes les technologies numériques ne sont pas équivalentes. En les rassemblant sous une même terminologie générique, la dénomination de technologie numérique est sans doute trop imprécise pour appréhender leur diversité. Et celle de « e-santé » ou de « santé numérique » (Béjean, Dumond et Habib 2015 ; Dubreuil 2019) trop restrictives, car n’englobant pas le champ des prestations sociales et de la dépendance. De plus, toutes ces technologies ne sont pas comparables si l’on observe leur niveau de développement ; certaines en sont seulement à des stades d’idéation tandis que d’autres sont en cours de conception dans des laboratoires de recherche et développement. Plusieurs technologies font l’objet d’expérimentation ou sont en voie de généralisation dans le cadre de projets locaux ou nationaux (par exemple le programme Territoires de Soins Numériques [TSN] lancé en 2014, l’expérimentation Big data de la CNAF, le projet « Ma Santé 2022», etc.). Enfin, certaines sont matures, pleinement déployées et commercialisées et leur existence est juridiquement actée.
La majorité de ces technologies apparaît structurée par de nombreuses « promesses technoscientifiques » (Joly 2010 ; Tournay, Leibing et al., 2010). Pourtant, loin de modifier systématiquement en profondeur le champ des possibles, les innovations correspondantes s’imposent quotidiennement dans des contextes et des usages « déjà là » (Gaglio, 2010). Marc-Éric Bobillier-Chaumon (2012) attribue trois grands rôles transformateurs aux technologies numériques selon qu’elles sont « supplétives », « substitutives » ou « palliatives » de l’activité humaine. Cette distinction nous informe sur des modalités de transformations des usages ; plus généralement, elle incite à questionner d’autres registres comme celui des dimensions éthiques également impactées par ces technologies et leurs usages (Massé et Saint Amand, 2003 ; Moulias, 2008 ; Aiguier et Loute, 2016).
En renouvelant l’offre publique de prestations et de services (Gautellier 2009 ; Muracciole et Massé, 2018), les technologies numériques interfèrent à de multiples niveaux et modifient le jeu des systèmes d’acteurs issus des sphères sociales différentes que sont le sanitaire, le médico-social et le social. L’ensemble des manières de penser, de faire, de voir, de produire et de recevoir le soin (Gagnon et al. 2013), l’accompagnement ou le service des prestations (Dmitrijeva, Fremigacci et L’Horty 2015) semblent en jeu. Dans ce contexte général, il parait important de mieux appréhender les usages qui se font jour en cherchant à identifier la manière dont ils répondent aux besoins des populations et satisfont des objectifs généraux de cohésion sociale.
Dans cette perspective, les connaissances que les chercheurs des SHS peuvent produire à travers des cadres d’analyse, des méthodologies et des objets originaux semblent d’autant plus nécessaires que les recherches académiques sur les technologies numériques en matière de santé et de protection sociale paraissent encore insuffisantes pour explorer leur déploiement et rendre compte précisément des enjeux, en comparaison des transformations engendrées. Par ailleurs, la situation de confinement liée au Covid19 joue un rôle d’accélérateur dans la transformation des pratiques et comme un révélateur qui pourra servir de point d’ancrage à plusieurs interventions dans le cadre du séminaire.
Programme des séances
24 juin 2020
Séance 1. Nouvelles technologies et usages émergents : renouvellement des questions et des approches. Santé, dépendance et protection sociale
Pour visionner les interventions de la première séance : drees.solidarites-sante.gouv.fr
- Organiser ld’innovation dans la santé numérique : définitions, enjeux et perspectivesMathias Béjean,maître de Conférences en sciences de gestion (Université Paris Est).
- Éthique de la santé numérique : le point aveugle de la spatialisation,Alain Loute, maître de conférences au Centre d’éthique médicale, EA 7446 ETHICS, co-titulaire de la Chaire Droit et éthique de la santé numérique (Université Catholique de Lille.).
- Les différents visages du bénéficiaire de prestations sociales à l’ère de la dématérialisation des services publics sociaux. Une approche juridique,Laure Camaji, maîtresse de conférences en droit privé (Université Paris Saclay, IUT de Sceaux).
- Care technologique : le rôle des technologies numériques dans l’accompagnement,Xavier Guchet, philosophe des sciences et des techniques (Université de Technologie de Compiègne).
30 septembre 2020, 14h
Séance 2 : La transformation des organisations par les nouvelles technologies. Santé, protection sociale et dépendance.
Présentation de la séance
Les technologies numériques permettent des modalités d’action renouvelées tant elles proposent des architectures informationnelles qui fournissent de nouvelles ressources. Elles semblent à même de mieux connecter les institutions et les secteurs d’activité impliqués dans l’organisation des services et des prestations. Les transformations organisationnelles sont pour partie pilotées par les politiques publiques, par exemple avec la création du Dossier Médical Partagé, tandis que de nouveaux enjeux émergent, plus décentralisés et par conséquent moins faciles à cerner.
Pour l’organisation des soins, les technologies numériques contribuent à des transformations importantes qui ont vu le jour ces dernières années, à l’image du « virage ambulatoire » pris par l’hôpital qui s’appuie sur un système d’information propre pour la gestion des patients. Plus récemment, au niveau de la médecine libérale, la création de nombreuses Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) locales a permis de mutualiser, entre les différents partenaires impliqués, les outils de gestion logicielle des patients. Au-delà des dimensions pratiques (prises de rendez-vous, communication des prescriptions, etc.), cela est congruent avec la revendication / le besoin d’une approche plus globale et transversale, donc plus collaborative, moins disciplinaire ou « sillotée ». En matière d’accès aux prestations sociales, l’enjeu est de lutter contre le non-recours en favorisant l’échange d’informations entre les organismes gestionnaires des différents champs. Il est aussi d’améliorer l’accompagnement des personnes à travers des modes de coordination renouvelés entre les professionnels. Du point de vue de la dépendance, il s’agit de mieux concilier les préoccupations relatives à l’autonomie des personnes et à leur assistance dans les gestes de la vie quotidienne.
Les outils numériques sont sollicités, ici et là, pour équiper les organisations correspondantes en devenant le support des nouvelles manières de faire. Cette séance a pour but d’examiner les transformations en cours pour mettre en exergue les formes d’incorporation des technologies numériques dans les organisations et les modalités d’appropriation par les professionnels. Par ailleurs, d’autres enjeux transverses apparaissent dans la mobilisation des technologies et qui peuvent être l’objet d’un questionnement large sur la base de l’éthique tant le déploiement de nouveaux outils semble en accélération.
- L’efficacité du numérique dans les organisations : comment gérer la singularité à grande échelle ?Etienne Minvielle, chercheur en sciences de gestion (Polytechnique, centre Gustave Roussy).
Cette présentation analysera dans un premier temps les présupposés théoriques liés à la question de l’efficacité (la dépendance aux usages et aux comportements des patients et des professionnels ; le caractère situé). Ensuite, un cas d’étude sera présenté pour illustrer les cadres théoriques précédents. Enfin, dans un troisième temps, seront discutés les perspectives de recherche et les questionnements qui font pour certains l’objet de travaux en cours.
- Relier soins et care par la télémédecine : une analyse régulationniste du système de santé,Florence Gallois,maitresse de conférences en sciences économiques (Université de Reims).
La télémédecine est définie comme une forme de soins réalisée à distance au moyen de technologies de l’information et de la communication (OMS 1997). Cette technologie est source de nombreuses attentes puisqu’elle est supposée contribuer à faciliter l’accès aux soins dans un contexte d’insuffisance de médecins (au moins sur certains territoires et/ou pour certaines spécialités), d’inégalités territoriales, de besoins de santé accrus en raison du vieillissement, et de volonté de maitrise de la dépense publique de santé.
Toutefois, la pratique de la télémédecine induit une modification des conditions de production des soins relativement aux relations de face à face ente un patient et un soignant : médecin et patient n’ont plus besoin d’être dans le même lieu, le premier peut ainsi être à l’hôpital ou dans son cabinet tandis que le second est à son domicile ou dans un établissement médico-social. Cette présentation vise à interroger les effets de la télémédecine en termes de production et ses implications sur les régulations du système de santé. Elle part du constat d’un découpage institutionnel du système de santé entre sanitaire et social, entre soins et care mais cherche au contraire à relier ces composantes dans un même système de santé de façon à analyser les effets de la télémédecine en termes de régulation des soins, du care et du système de santé en général. Sur cette base elle pointe des conditions sous lesquelles la télémédecine peut contribuer à la performance des systèmes de santé, en particulier sous l’appellation courante de la performance comme efficience.
- Santé numérique et inégalités sociales et territoriales: conséquences inattendues et action publiqueViviane Ramel, chercheuse en sciences politiques (Université de Bordeaux), conseillère ARS Nouvelle-Aquitaine
En s’appuyant notamment sur le concept de conséquence inattendue/indésirable de Blumrosen et al. (2011), l’exposé portera sur une analyse de dispositifs numériques portés localement par l’action publique afin de réduire les inégalités sociales et territoriales.
Informations pratiques
La participation est libre, mais l’inscription est obligatoire via le lien suivant. Les informations techniques et un lien de connexion vous seront envoyés pour accéder à la visioconférence : framaforms.org
27 octobre
Séance 3 : L’usager au cœur du système. Prise en charge, soin et protection sociale : comment se reconfigurent les rôles avec les technologies numériques ?
Présentation de la séance
L’usager peut être considéré comme le destinataire final d’un système ou d’un service. Dans le cadre du système de soin, il est le patient ou le futur patient. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le système de santé et les administrations de la protection sociale se sont construits selon une logique de service public en mettant en œuvre des modalités de fonctionnement en vue d’assurer leur efficacité collective (Palier, 2015). Il s’agissait de bâtir des infrastructures de grande ampleur à même d’absorber une demande générale. Cependant, les technologies numériques permettent un changement de posture davantage tourné vers une personnalisation de l’offre. Dans ce contexte, l’usager redevient une figure, au moins discursive (Berthou et Gaglio, 2020), du système qui se voit remobilisée et requestionnée (Mayère, 2018).
Cette séance entend discuter un paradoxe : les technologies numériques permettent de produire plus d’individualisation de la prise en charge et de nouvelles représentations de sa santé et de ses droits, mais elles sont aussi soumises à des effets de standardisation (Berquin, 2009) et d’impératifs technologiques et de rationalisation (Bejean, Kretz, Moisdon et Sicotte, 2015 ; Dumez et Minvielle, 2017). Par exemple, les technologies d’accompagnement de la perte d’autonomie chez les personnes âgées doivent nécessairement répondre à des logiques de conception dites « universelle » (Winance, 2014) pour répondre à la singularité des besoins par un design adapté à tous. Ces adaptations ne sont toutefois pas toujours économiquement soutenables, ce qui entraine dans les faits des situations contrastées et qui mettent l’usager « au travail » (Mayère, 2012 ; Mathieu-Fritz et Guillot, 2017) et positionne le patient face à de nouvelles injonctions.
Questionner la place de l’usager dans le système (de soin, de protection sociale, de prise en charge du handicap, de la dépendance, etc.) doit systématiquement s’envisager dans une posture relationnelle. L’usager est systématiquement usager d’un service, d’une organisation ou d’un ensemble de technologies. Il n’est pas un acteur isolé puisqu’il dépend d’un ensemble plus vaste d’interactions au sein d’un système sociotechnique (Callon et Latour, 2013). Dans cette perspective, l’apparition des « patients experts » (Boudier, Bensebaa et Jablanczy 2012) est un phénomène qui peut avant tout être considéré comme la modification d’un rapport entre un soignant et un soigné – ou un ensemble de pratique et un système technicien –, contribuant au rééquilibrage voire à la transformation d’une relation de dépendance, mais aussi comme la reconfiguration plus générale d’un système basé sur des acteurs et des technologies.
Interventions
- Usagers, appropriation, responsabilisation, autonomie : les usages des technologies. La figure de « l’usager responsable » au prisme des technologies numériques en projet et en pratiquesAnne Mayère, professeure des Universités, sciences de l’information et de la communication (Université Toulouse 3)
Dans les trois champs d’analyse du présent séminaire, les nouvelles technologies renvoient à des éléments différents : robotique, télémédecine, télésurveillance, domotique, santé mobile, simulation et démarches en ligne, etc. Comme l’ont montré les travaux en sociologie des sciences et des techniques, il importe de distinguer entre les outils numériques considérés et les dispositifs organisationnels dans lesquels ils s’insèrent (Feenbert, 2006 ; Orlikowski, 2007). Les recherches en sciences de l’information et de la communication ont également montré combien il importe de documenter ce qu’il en est effectivement des technologies dans leur matérialité, leur « architexte » (Jeanneret, 2011), les attributions d’autorité et d’auteurité (Wathelet, 2015). Ceci est particulièrement requis dans les domaines de la santé et du social pour lequel les enjeux de responsabilité (médico-légale, économique, politique) sont cruciaux.
Il importe également d’interroger la notion d’usager (Demailly, 2008), qui plus est au masculin singulier. Ces usagers sont à considérer dans leur ensemble et leurs interactions : aussi bien les ayant-droits, les patient.e.s, les personnes concernées par des questions de santé, que les professionnels qui interagissent avec eux ou qui prennent appui sur la mise en trace de leur « travail de santé » (Strauss, 1992) pour mener à bien leur activité. Pour produire les effets escomptés, ces technologies impliquent des usages renouvelés. Ceux-ci ne requièrent pas seulement la disposition réelle de ces outils et leur maitrise pratique. Ils impliquent qu’émerge un « nouvel usager » doté de qualités projetées qui peuvent être assez distinctes de ce que sont les usagers en pratiques. Ces technologies font entrevoir de multiples questions sur les modes de réceptions, l’appropriation, les usages, les questions relatives à l’autonomie, la liberté, les dispositifs contraignants et/ou stigmatisants, l’isolement, etc.
Plus généralement, on observe une tendance lourde dans laquelle les usagers se retrouvent captifs et obligés de produire un véritable « travail ». Face à de nouveaux outils ou à la sollicitation technique, et au déclin des précédentes aides/services, les usagers doivent parfaire leur connaissance, apprendre à maitriser, s’emparer des outils, exercer leur pouvoir pour se conformer aux scripts d’usages (Akrich, 1992) inscrits dès la conception des dispositifs sociotechniques. Ces questions ne sont pas singulières à la santé, des situations similaires dans d’autres contextes comme celui du consommateur (Dujarier, 2008) ou pour les plateformes du numérique (Casilli, 2018) montrent des tendances similaires, mais elles présentent une acuité et des formes particulières en ce qu’elles ont ici trait à la maladie et à la mort (Memmi, 2003). Le renoncement aux droits et le renoncement aux soins est déjà fort élevé en France, qui se trouve être parmi les pays de l’OCDE présentant les inégalités sociales de santé les plus élevées (Haschar-Noé, Lang, 2017). Il convient d’interroger ce en quoi les technologies peuvent réactualiser voire renforcer les inégalités sociales de santé.
Nous prendrons appui sur deux programmes de recherche récent et en cours portant sur des dispositifs de suivi à distance de patient.e.s, pour illustrer ces différentes questions.
- L’autonomie des « dépendants » au travers d’un processus d’innovation, ou comment des échanges virtuels impactent les négociations liées aux soins dans le monde réel,Christophe Humbert, sociologue (université de Strasbourg)
Cette présentation vise à proposer une définition de l’autonomie des personnes âgées en situation de dépendance, telle qu’elle est mise en jeu dans des échanges en ligne via un système d’information (S.I.) pour la coordination gérontologique de proximité. J’ai suivi le déploiement de ce dispositif pendant quatre années consécutives, en Alsace, de 2015 à 2018. Partant d’une analyse qualitative des interactions liées aux aides et aux soins de longue durée à domicile pour dix personnes âgées, apportées par des professionnels, parfois en collaboration avec des proches, à différentes étapes de déploiement du S.I., j’identifie huit formes idéal-typiques d’autonomie faisant l’objet de négociations. L’objectif consiste ainsi à répondre à la question : un processus d’innovation technologique et organisationnelle par un S.I., générant des échanges virtuels entre professionnels en équipe de soins élargie, permet-il de tendre progressivement vers un soutien plus effectif de l’autonomie des « dépendants » dans le monde réel ?
- Dématérialisation des services publics et reconfiguration de la relation à l’usager : processus, effets, enjeuxPierre Mazet, sociologue, Labaccès (TiLab-Askoria, Rennes)
Engagé depuis plus de 20 ans, le processus de numérisation de l’administration a connu ces dernières années un double mouvement d’accélération et d’amplification. La « dématérialisation » de l’offre de service constitue aujourd’hui un objectif central de l’ensemble des services publics et administrations – à l’instar du plan « Action publique 2022 » présenté en octobre 2017, qui vise 100% de démarches dématérialisées dans les administrations d’état à l’horizon 2022. Sur le plan de la relation à l’usager, l’on est passé de l’offre d’une modalité de relation alternative, rendant accessibles en lignes des services existant et/ou support de nouveaux services, à l’imposition d’un canal de communication majoritaire voire exclusif, conditionnant l’accès aux services à une « obligation de connectivité ». En quelques années, les modalités de gestion de la relation aux administrations se sont donc profondément modifiées.
On dispose pourtant de peu d’études de sciences sociales sur la reconfiguration de la relation aux administrations dans un environnement dématérialisé. Les sociologies de guichet, qui ont largement thématisé la relation à l’usager dans le cadre des interactions physiques de face-à-face (Dubois, Weller), n’ont pas pris le virage de la dématérialisation ; le courant de la sociologie des usages (Jouet, Proulx), attentif à décrire la variété et la multiplicité des pratiques numériques, ne s’est quant à lui pas intéressé à ces usages particuliers que sont les usages connectés de l’administration. Situé à la croisée de plusieurs champs, et pris dans un mouvement en développement rapide, le rapport des usagers aux services publics numériques est ainsi demeuré dans un angle mort, et n’a fait l’objet que de peu de travaux d’enquête précis – hormis la thèse d’Éric Dagiral (2007) et plus récemment celle de Clara Deville (2019).
Dans le cadre de cette présentation, l’on voudrait par conséquent tenter d’éclairer cet angle mort, en se demandant ce que le processus de dématérialisation des services publics, tel qu’il s’est jusqu’à présent développé, fait de et à l’usager : en mettant en en évidence les spécificités de la dématérialisation telle qu’elle s’est faite, en interrogeant ses effets sur la relation administrative et les enjeux qu’elle soulève, en particulier au regard du régime d’obligation qui en structuré le développement.
25 novembre (sous réserve)
4e séance : les professionnels face aux technologies numériques. Évolution des pratiques dans le champ de la santé, de la dépendance et de l’accès aux prestations.
[Programme définitif et intervenants à venir]
En tant que rouages essentiels des organisations du soin, de la protection sociale et de prise en charge de la dépendance, les professionnels sont les usagers principaux des technologies numériques. Ils sont en première ligne pour se les approprier et expérimenter de nouveaux outils et les nouvelles pratiques qui en découlent. Les technologies en question recouvrent des aspects larges comme par exemple la télésanté permettant une prise en charge à distance ou le traitement automatique des données qui se constituent comme des outils d’aide à la décision. Cette séance entend questionner les transformations majeures qui concernent les pratiques des professionnels. Les problématiques se portent sur les transformations endogènes aux corps de métier, mais également à la manière dont les technologies numériques proposent de nouveaux modes de collaboration entre les acteurs et leurs secteurs d’attache. Ainsi, il sera question d’aborder la modification des identités et des pratiques à travers l’usage de technologies et de voir comment les cadres de l’activité évoluent et se reconfigurent. Au-delà du questionnement principal sur les gains en efficacité promis par les technologues, cette séance est l’occasion d’une réflexion large sur les nouvelles formes de collaboration (via le partage d’information sur les patients, par exemple) ou si au contraire on assiste à des phénomènes de complexification de l’activité, entrainant à leur tour une intensification de la charge de travail et un brouillage des identités et des collectifs précédemment institués.
- Axe 1 : Reconfigurer les relations professionnelles : le numérique, vecteur de rapprochement ?
- Axe 2 : Le traitement automatique des données en tant qu’outils d’aide à la décision
- Axe 3 : Prise en charge à distance ; nouveaux paradigmes de la connexion ?
- Axe 4 : Mieux connaitre ses usagers grâce aux technologies numériques.