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Serendipity.

La subjectivation au cœur des mouvements sociaux contemporains.

Pleyers, Geoffrey et Brieg Capitaine (dirs.). 2016. Mouvements sociaux. Quand le sujet devient acteur. Paris : Maison des Sciences de l'Homme.

L’intérêt de mettre la subjectivation au cœur de l’appréhension des mouvements sociaux contemporains.

L’ouvrage [1] dirigé par Geoffrey Pleyers et Brieg Capitaine se propose de traiter des mouvements contemporains à partir des travaux empiriques menés dans une quinzaine de pays. Loin des grandes mobilisations pour la démocratie et d’autres formes hyper médiatisées d’engagement social et/ou collectif, les 16 auteurs de ce livre s’efforcent de débusquer les mouvements sociaux contemporains au niveau local, tout en relevant le caractère « profondément personnel » de l’engagement d’aujourd’hui (p. 7-8). Une distance est d’emblée prise avec la lecture « économique » classique des comportements sociaux, qui fait du militant un expert dans le bon usage du calcul rationnel [2]. En revanche, la subjectivation est abondamment mobilisée, le plus souvent en lien avec la globalisation, en vue de « repenser » les formes d’engagement « post-2010 » et de « jeter un nouveau regard sur l’action collective et le sens des luttes politiques à l’âge global » (p. 9). L’ouvrage s’inscrit dans la perspective théorique des nouvelles sociologies du sujet, au sein desquelles les processus de subjectivation et de dé-subjectivation [3], en plus d’occuper une centralité analytique dans l’appréhension des processus sociaux, informeraient le recul des « mouvements proprement sociaux de la société industrielle » au profit des « mouvements éthico-démocratiques » (Touraine 2015, p. 18). La subjectivation décrit ce processus à la fois interne et externe à travers lequel l’individu s’érige en principal architecte de son existence en développant le souci de soi (Foucault 1984) qui, dans le même sillage, annonce l’acteur en devenir et dont l’action impacte sur les processus sociaux.

De la transformation de soi au cœur des « mouvements des places ».

En articulant rapport à soi et rapport au monde, la subjectivation, qui sous-entend la construction de soi comme principe de sens et d’expérience produite dans la vie concrète, est mise en relief, dans la première partie de l’ouvrage, au travers des enquêtes effectuées au sein des « mouvements de places » (p. 25). Cette implication des chercheurs sur le « terrain » les aurait conduits à découvrir une spécificité commune à ces processus de subjectivation, dont le propre serait de « mêler étroitement revendications économiques, sociales, politiques, culturelles et subjectives, au point de remettre en cause la pertinence de la distinction entre valeurs matérialistes et post-matérialistes » (p. 17). La première grande articulation de l’ouvrage laisse ainsi percevoir un fort potentiel de transformation de soi au cours de l’action militante (p. 27-47), débouchant, à l’instar du mouvement de résistance dans le parc de Gezi en Turquie, sur l’émergence de sujets-acteurs de type nouveau (p. 49-70), incorporant l’imaginaire global dans un même élan de résistance aux pouvoirs dominants, tout en expérimentant une créativité impulsée, à travers les différents usages de l’espace apprivoisé (infirmerie, cuisine, bibliothèque, etc.), et dont la transformation recoupe en même temps celle de soi et du rapport à autrui (p. 71-86). Cependant, si l’hétérogénéité [4], principale caractéristique de la résistance de Gezi, traduit un affaiblissement progressif de la culture partisane – prégnante durant les mouvements sociaux des années 1960 – (p. 87-100), l’émergence actuelle de l’activiste, soucieux de préserver son autonomie et sa flexibilité, en lieu et place du partisan engagé contre les inégalités et injustices sociales, expliquerait en partie la difficile amorce d’institutionnalisation en force politique émancipée des pratiques « traditionnelles », comme le révèle le cas du 15M et du Podemos en Espagne (p. 101-114).

Des conflits locaux et des enjeux globaux saisis à ras le sol.

Si la première partie de l’ouvrage informe sur les formes et modalités de liaison du sujet militant avec le global, la deuxième s’efforce de saisir, à ras le sol, les liens qui se tissent entre les conflits locaux et lesdits enjeux globaux. Des mobilisations banales à Kaliningrad (p. 117-130) à la critique de la « flexicurité [5] », perçue comme une flexi-précarité continue, en Italie (p. 131-146), en passant par l’engagement en dehors des systèmes partisan et confessionnel au Liban (p. 147-161), et la protestation « indigène » contre l’extraction minière, et d’hydrocarbures, abusive en Amérique latine (p. 163-177), l’enjeu des luttes semble toujours situé au cœur d’une contestation de ce que Touraine appelle les pouvoirs totaux, entendus comme des forces de « destruction de la modernité par les modernisateurs », et opérant au double échelon local et global, sous trois principales formes que sont le « capitalisme financier sans finalité productive », le « parti-État totalitaire » et la « tyrannie postnationaliste » (Touraine 2015, p. 11) (idem, p. 15).

Il s’ensuit que la subjectivation permet de cerner le sens et l’orientation (la raison d’être) d’un mouvement social, en mettant en lumière les raisons d’agir du sujet s’opposant à un acteur majeur-dominant clairement identifié, dans l’enjeu du contrôle de l’historicité. Sous le prisme de la subjectivation, les mouvements sociaux contemporains présenteraient deux facettes qu’il convient d’articuler : la face défensive et la face offensive. Entre ces deux visages, il importe d’insérer la place centrale des émotions échangées – point commun de l’ensemble des contributions – qui fondent le « ferment des solidarités émergentes » (p. 128). En cela, le nouveau sujet-acteur émergent, dans sa double relation entretenue avec le gouvernement national et la globalisation, ou encore entre « les moyens locaux de subsistance et les modèles globaux d’accumulation » (p. 165), est également mis en relief à travers le mouvement anti-ACTA en Pologne (p. 179-190) et le Maïdan ukrainien de 2013, qui symboliserait un exemple de contestation réussie de l’ordre établi (p. 191-204).

Du racisme et de la violence au cœur des mouvements post-2010.

Probablement, c’est parce que tout processus de subjectivation s’expérimente dans un contexte global, flirtant continuellement  avec la menace de dé-subjectivation, que les auteurs de l’ouvrage appréhendent également la reconstruction des mouvements sociaux comme une voie plausible de sortie de la violence, elle-même pensée comme un « déficit de sens » et une opposition au conflit (p. 20). C’est l’objectif de la troisième et dernière partie de l’ouvrage, qui s’intéresse aux effets induits du racisme et de la violence, véhiculés par des mouvements extrémistes. CasaPound, présenté comme symbole de la nouvelle droite radicale et fasciste en Italie (p. 207-216), trouverait certaines analogies avec le Zaitoku-kai japonais, manifestant un racisme ouvertement dirigé contre les ressortissants coréens (p. 217-227).  

Cependant, la violence et le racisme ne relèvent pas seulement de l’apanage des groupes extrémistes. Comme le démontre l’expérience des survivants des pensionnats indiens face à la violence coloniale, l’institutionnalisation (ou l’instrumentalisation étatique) des mouvements, de même que la politisation ciblée de la violence expliqueraient la difficile émergence d’un mouvement social autochtone en Amérique du Nord (p. 229-246). Révélant subtilement la violence extrême comme une politique publique ciblée, entretenant des affinités profondes avec l’irruption de l’État moderne, ce dernier cas validerait l’hypothèse selon laquelle subjectivation et dé-subjectivation semblent pousser à partir d’une tige commune – la modernité –, qui permet de mieux cerner les effets induits des politiques de l’inimitié à l’échelle globale [6]. Les menaces de dé-subjectivation [7] expliqueraient en outre l’affinité construite, au cours du conflit israélo-palestinien, entre radicalité et non-violence (p. 247-257), en même temps qu’elles informeraient sur les défis de reconstruction identitaire des ex-guérilleros kurdes, suite à l’effondrement d’anciens réseaux de sociabilité (p. 259-271).

Subjectivation et intelligibilité des mouvements sociaux contemporains.

Si le premier mérite du livre est de mettre l’émotivité au centre de la fabrique du sujet [8], un apport décisif à relever est l’établissement d’un lien heuristique entre la subjectivité (singularité) et le « penser global » [9] (universalité), en proposant une articulation entre « subjectivation personnelle et collective » [10] (p. 242). De ce précédent, l’on décèle un autre mérite de l’ouvrage. Celui de contenir quelques contributions s’efforçant d’aller au-delà des balises théoriques classiques. C’est le cas de la contribution de Buket Türkmen qui, grâce à ses notes de terrain, révèle Gezi comme un mouvement créateur de nouvelles organisations politiques. Ou encore de Karine Clément qui, plutôt que de faire préexister (au moins potentiellement) le sujet à l’action, fait du passage à l’action collective un impératif vital au sein « des sociétés comme la Russie où les logiques de désubjectivation sont tellement pesantes » (p. 129).

Un intérêt majeur de l’ouvrage est la pertinence universelle du concept de subjectivation dans l’appréhension des mouvements sociaux contemporains. Les différents auteurs parviennent ainsi à la débusquer au sein de n’importe quelle situation sociale et historique. En contexte de précarité, par exemple – encore que les formes de précarité sont distinctes en fonction des lieux géographiques –, le processus de subjectivation désigne surtout une aptitude à produire un récit cohérent et objectif sur sa condition existentielle, de même qu’il désigne une capacité de logique d’action (d’engagement) qui transcende la situation personnelle pour poser un problème global d’organisation de la société et du monde (p. 142-143). Expérimentée au cœur de l’engagement collectif, la subjectivation révèle comment l’aptitude de se mettre à contrecourant du système débouche sur la possible création d’espaces vitaux alternatifs et proches des sensibilités des participants. À cette condition également, la subjectivation ne permet pas seulement à l’individu engagé dans la lutte d’articuler changement de soi et changement social ; elle le pousse aussi à devenir « acteur de son monde » à travers la combinaison « des aspirations universelles et une diversité culturelle » (p. 156-157).

Si l’articulation entre acteur « de sa vie » et acteur « de son monde » semble un peu précipitée, sans égard aux multiples passerelles et pré-conditions qui assurent le lien permanent entre ces deux sphères – remarque qui recoupe quelque peu également la jonction un peu précipitée entre subjectivité et penser global –, il semble évident que les différentes expériences décrites et analysées ouvrent des perspectives heuristiques à l’exploration de l’action historique, au travers du détour par la subjectivité. En effet, le déclenchement de la subjectivation est intrinsèquement lié au contexte historique de socialisation de l’individu [11] – et, partant, aux conditions matérielles d’existence. Aussi, c’est quand la subjectivité individuelle déteint sur les pratiques des relations sociales que les facteurs prédisposant à l’action historique [12] ressortent. Il est curieux que cette dimension n’ait pas été approfondie par les auteurs de cet ouvrage [13].

Le défi de l’articulation de la subjectivation avec le « penser global » dans la dynamique des mouvements sociaux contemporains.

La volonté d’articuler la subjectivité avec le « penser global » est à saluer. Il semble néanmoins que l’articulation de ces deux pôles distincts (« grand écart analytique ») (p. 148-149) ne saurait s’opérer sans un détour par le poids de l’histoire, appréhendé au travers d’une lecture plus critique-analytique que simplement descriptive-narrative. De mon point de vue, le lien entre subjectivation et processus de globalisation demande encore à être étayé et complexifié par des travaux empiriques, fermentés par la posture interdisciplinaire. Entre ces deux sphères, il y aurait des micro-réalités, expériences et expérimentations à explorer, en vue de proposer de nouvelles conceptualisations qui, à leur tour, nourriront la théorie. À cet effet, l’établissement – peu nuancé souvent – d’une concordance subjective entre transformation de soi et transformation de la société, entre processus de subjectivation et capacité d’agir, semble encore « mécaniste ». Une approche réellement ethnologique de terrain (Copans 2010), agrémentée de la rigueur du qualitatif, aurait permis d’atténuer certains effets de surinterprétation relevés (Olivier de Sardan 2008). De même, un détour par les expériences socio-biographiques – grand absent des différentes contributions – de jeunes alter-activistes, des résistants de Gezi ou des autres acteurs majeurs des mouvements étudiés, aurait pu aider à tonifier l’analyse des modèles-types de passage du micro au macro en passant par le méso, en vue d’évaluer la mesure et le niveau d’influence des plis singuliers du social (Lahire 2013).

Aussi convient-il de resituer chaque mouvement étudié dans le contexte historique de production conflictuelle de sens. Le fait que ce dernier aille bien au-delà du mouvement étudié – historiquement et localement situé – est la preuve que le mouvement social ne saurait, seul, façonner le social et les rapports sociaux. Car la remise en cause des méthodes de rationalisation mobilisées par les acteurs dirigeants s’opère également à l’échelon individuel, tout en se traduisant par des engagements personnels non nécessairement ou directement insérés dans un mouvement, mais qui participent de la production du social. À titre illustratif, le schéma individuation-subjectivation-individualisation apparait comme une autre grille de lecture à explorer, dans l’appréhension des transformations en cours au sein des sociétés contemporaines.

En resituant le mouvement social (niveau méso) en amont de la subjectivité de l’acteur (niveau micro) et en aval de la dynamique sociale et historique en cours (niveau macro), il est possible que ce qui fait l’originalité de certains mouvements sociaux post-2010 puisse devenir un obstacle à la constance dans l’engagement [14]. Et dans le cas où ce postulat serait confirmé par d’autres enquêtes approfondies de terrain, le recours à la socio-histoire pourrait renforcer le rattachement du sens des différentes dynamiques sociales étudiées à une parcelle sociale et historique particulière et en permanente structuration. Car la perspective socio-historique, en mettant l’accent sur le vécu et les faits culturels, permet en même temps de comprendre à quel point « le passé pèse sur le présent » (Noiriel 2006, p. 4). Par ailleurs, la méfiance que les activistes actuels affichent vis-à-vis des obligations – que les partisans des anciens mouvements sociaux s’efforçaient d’observer – ne pourrait-elle devenir, en cas de généralisation exacerbée, un obstacle à la consolidation des mouvements sociaux contemporains ? De même, si le refus de participation politique directe, en vue d’adhérer à des formes nouvelles d’organisation, est un indice majeur de la formation du sujet, le besoin de laisser ouverte une porte de sortie ne peut-il également révéler des signaux d’une possible dé-subjectivation – au sens de déresponsabilisation ? Les nouvelles formes d’engagement mettent certes en relief le potentiel d’individualité des acteurs, amenés à bricoler sans cesse en vue de s’émanciper des logiques d’enfermement – entendues comme tout ce qui est perçu, à tort ou à raison, comme un obstacle au devenir-sujet. Néanmoins, le « refus d’un engagement à temps plein et de responsabilités organisationnelles » d’un côté, et « la dévalorisation de l’adhésion en raison du caractère hiérarchique des formes classiques de l’organisation » (p. 92) de l’autre, peut devenir un obstacle à la cohérence et à l’efficacité de l’action collective.

L’obstacle majeur devant lequel semble buter la plupart des mouvements étudiés se trouve dans la traduction des gains et acquis au front en legs historique utile à l’avancement de l’humaine condition. Exprimé autrement, comment de sujet révélé dans un mouvement, l’on accède au statut de sujet-acteur, dans la production du quotidien ? La relation entre savoir, vouloir et pouvoir demeure problématique au sein des mouvements sociaux contemporains. La difficulté principale est de transformer le savoir acquis durant l’expérience inédite de subjectivation et la volonté manifeste de produire un monde meilleur en une dynamique d’action historique. Si la dimension subjective de l’engagement permet de mettre en lumière de nouvelles expériences de production du politique autrement et de nouveaux acteurs, le passage entre l’aspiration à être acteur de sa vie (sujet) et acteur de son monde (sujet-acteur) demande à être affiné par des recherches empiriques sensibles à la dimension complexe des phénomènes étudiés [15]. Bien plus, l’élan, unanimement reconnu aux mouvements sociaux contemporains, à produire des individus acteurs de leur monde nécessite encore de distinguer l’action sociale ordinaire de l’action (potentiellement) historique, tout en les articulant.

Pour émerger comme force politique, il importe d’explorer, au préalable, les préconditions ou modalités d’émergence du mouvement social comme force historique. Plus spécifiquement, le défi des recherches actuelles est de voir comment traduire les gains issus des mouvements de résistance (capacité de mobilisation, accès du sujet à la reconnaissance) en une action offensive inscrite et traduite dans la banalité de la vie quotidienne, afin de faire culture. Car, comme l’a clairement explicité Narda Henriquez, les mobilisations indigènes contre l’exploitation pernicieuse des ressources naturelles des pays andins, par exemple, « connaissent des succès ponctuels mais insuffisants quand sont en jeu des projets de vie : la configuration des sociétés andines et amazoniennes dans l’immédiat et la vie des générations futures » (p. 176).

Il importe, pour des travaux à venir, de penser les mouvements sociaux au-delà des mouvements sociaux, en interrogeant, par exemple, comment les activistes, résistants et sujets-entrepreneurs « anti-systèmes » organisent leur vie quotidienne en dehors et/ou à l’intérieur des rouages institutionnels. Les mobilisations et manifestations ne constituant qu’un moment (fût-il phare) dans la trajectoire d’un individu, l’intérêt des futures recherches serait de voir comment cette expérience majeure s’inscrit en amont, puis en aval, de la pratique des relations sociales. Surtout, il pourrait s’agir de voir comment elle permet à l’histoire en cours d’opérer des sauts qualitatifs, inscrits dans la durabilité. Dans la mesure où l’action visible (manifestation) n’est qu’une situation privilégiée (mais aussi circonstancielle) qui peut informer sur un état d’esprit permanent (profil subjectif), il importe d’en savoir davantage sur le profil socio-biographique de l’acteur agissant. C’est à cette condition que la boîte noire du rapport entre l’histoire individuelle et l’histoire sociale peut révéler certains mystères du passage à l’action historique qui, jusque-là, constitue le principal leitmotiv des mouvements sociaux.

Abstract

Subjectivization would be at the heart of contemporary social movements. Based on a critical and analytical reading of the book edited by Geoffrey Pleyers and Brieg Capitaine, this review revisits the theoretical issue of subjectivization in the apprehension of collective movements, while highlighting some of the challenges that emerge from its articulation with "global thinking".

Bibliography

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Notes

[1] Ce texte a été rédigé durant mon séjour au Centre de recherches interdisciplinaires Démocratie, Institutions, Subjectivité / Social Movements in the Global Age (CriDIS/SMAG), de l’Université Catholique de Louvain. Je remercie Geoffrey Pleyers qui, en m’invitant au CriDIS/SMAG, a renforcé mon intérêt pour l’enjeu épistémologique de la subjectivation. Je remercie également l’évaluateur du texte pour ses commentaires et suggestions.

[2] Sous la houlette de l’économiste Mancur Olson (1978), cette approche aurait contribué à l’émergence d’un culte de l’action rationnelle, célébrant l’Homo œconomicus en action (Neveu 2015, p. 42-47).

[3] Si la subjectivation traduit la « revendication et reconnaissance des droits humains fondamentaux d’un individu ou d’un groupe, qui leur permettent de devenir des acteurs historiques (créateurs culturels ou mouvement social) » (Touraine 2015, p. 387), les processus de subjectivation et de dé-subjectivation « sont les processus par lesquels se construit et se transforme la conscience des acteurs, à partir de laquelle ils prennent des décisions » (Wieviorka 2012, p. 6). La dé-subjectivation traduit une absence de sujet, c’est-à-dire une inaptitude à « se constituer soi-même comme principe de sens, de se poser en être libre et de produire sa propre trajectoire » (Wieviorka 2010, p. 286).

[4] L’engagement, qui autrefois visait un objectif principalement politique révélant la figure du « partisan », renverrait aujourd’hui à une « lutte d’acteurs aux intérêts et aux identités très hétérogènes » (p. 90).

[5] Ce paradigme viserait à combiner les besoins de flexibilité de l’entreprise avec de nouveaux systèmes de protection pour les travailleurs, en facilitant les licenciements et l’utilisation de contrats à durée déterminée, tout en s’efforçant de donner à chacun des possibilités de formation continue, de soutien économique et d’appui à la recherche d’un emploi (p. 134).

[6] À propos des politiques de l’inimitié, consulter Mbembe (2016). Pour ce qui est des défis posés à l’intelligibilité du sujet individuel dans l’actuelle configuration des sociétés humaines, je me permets de renvoyer le lecteur à deux textes récemment publiés (Amougou 2016) (Amougou 2017).

[7] Ici, il s’agit surtout de menaces provoquées par des situations de violence ou de conflit, correspondant à une perte de sens. Celles-ci, le plus souvent, entraînent la perte de la capacité à être ou à demeurer sujet. L’individu aurait tendance à devenir, suivant les termes de Michel Wieviorka (2010, p. 292-301), un « sujet flottant » (incapable de se transformer en acteur alors qu’il en éprouve le besoin), un « hyper sujet » (quand la surcharge de sens débouche sur des débordements), un « anti-sujet » (producteur de violence et/ou de cruauté gratuites), ou un « sujet en survie » (quand le désespoir débouche sur une forme de violence exprimant le refus de l’écrasement ou de la négation de soi dans un contexte social donné).

[8] Ce mérite permet ainsi d’inscrire l’ouvrage dans le sillage de la sociologie du sujet, notamment des travaux d’Alain Touraine et de Michel Wieviorka.

[9] À propos du « penser global », l’on s’étonne tout de même qu’aucun auteur de l’ouvrage n’ait directement fait référence à Edgar Morin (2015).

[10] Voir notamment le texte de Brieg Capitaine, même si l’on aurait aimé en savoir davantage sur les profils d’acteurs de la Commission de vérité et réconciliation (CVR), mise en place en 2008.

[11] Derrière tout processus de subjectivation se trouve un conflit d’interprétation ou de contrôle du sens. C’est pourquoi la mémoire est devenue un élément essentiel de l’action collective (Wieviorka 2012).

[12] Plutôt que de s’adapter ou de s’accommoder d’une situation sociale prégnante, l’action historique vise la modification de la configuration dominante (Rocher 1968, p. 128).

[13] Le cas du Zaitoku-kai au Japon montre, par exemple, à quel point la frontière entre subjectivation et dé-subjectivation peut être poreuse, tout en interpellant sur les questions historiques profondes, de gouvernance locale et de complexification du phénomène de racisme à l’échelle mondiale.

[14] Cet argument est également relevé à la fin de l’article de Geoffrey Pleyers et Marlies Glasius (2013) portant sur la résonnance des « mouvements des places ».

[15] À ce niveau également, la prise en compte véritable de la dynamique psychique dans l’explication des mouvements sociaux contemporains permettrait d’approfondir le travail amorcé de remise en cause du modèle d’analyse de la production sociale des individus, peu soucieux des formes et processus par lesquels les individus à leur tour contribuent à cette production (Gaulejac 2009, p. 53-54). L’apport de la psychologie serait ainsi déterminant au sein des recherches actuelles d’élucidation des influences réciproques permanentes existant entre individuation (processus par lequel la société produit des individus qui produisent la société) et subjectivation (processus par lequel l’individu cherche à devenir autre chose que celui auquel il est socialement assigné).

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