1925, Ostpreußen. Selbstbestimmung oder Gewalt. « Prusse orientale. L’auto-détermination ou la violence ».
Exposée dans le camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin, édifié par les nazis avant de servir aux Soviétiques jusqu’en 1954, la carte témoigne des dégâts que firent les frontières définies par le traité de Versailles. La violence de la paranoïa que l’on peut observer ici va aboutir à la guerre « préventive » menée par les Allemands, qui se jettent sur la Pologne en 1939. On ne peut que ressentir de la sympathie pour la belle jeune fille liée, vulnérable aux griffes de la bête monstrueuse qui la décapite et la dévore vivante. L’image rappelle que les relations de voisinage entre ces deux pays sont imprégnées de la mémoire, amplifiée par les phobies des impérialismes respectifs. Après 1945, d’autres régions ont été annexées par la Pologne, de Stettin (aujourd’hui Szczecin) à Dantzig devenue Gdansk et peuplée de Polonais, voire jusqu’à Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad, enclave russe…)
À quoi ressemble aujourd’hui la ligne germano-polonaise ? À une déchirure, à une blessure, là où les villes germaniques de toute leur architecture résonnent de termes Polonais ? À un camp retranché ?
… Une ligne qui serpente, des drapeaux, des panneaux, un fleuve, du mouvement, à l’heure où une grande explosion se prépare… tout cela à la fois.
30 avril 2004, Słubice. À quelques pas du pont qui sépare la ville polonaise de Francfort-sur-Oder (Frankfurt-an-der-Oder), toutes deux très associées, notamment à travers une Université, l’Europa-Universität Viadrina. À quelques heures de l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne, qui semble ravir certains Polonais,… les feux d’artifices éclateront comme prévu, à minuit.
Un peu plus à l’Ouest, seule Berlin, la porte de l’Est, et Dublin, cette première périphérie « orientale » de l’Europe, se sont couchées tard pour festoyer, quand toutes les nations occidentales, en vieilles dames décrépies, ignoraient honteusement la fête.
Pourtant, sur le pont germano-polonais, les drapeaux n’ont pas disparu…
… Il y en a pour tous les goûts, et si le sourire de la mort ne disparaît pas du paysage, c’est pour rire, agité aux mains des enfants qui l’ont préféré aux drapeaux nationaux ou aux douze étoiles sur fond bleu, trop évident – moins attirant.
Et pourtant, l’opinion anti-européenne repose sur d’antiques terreurs qu’il semble parfois très aisé de ranimer, à grand renfort d’images pour susciter l’imaginaire et ressusciter l’indicible…
…et sur la peur que l’histoire de la Pologne se prolonge, à coup de flèches…
(à quoi les opposants répondent du tac au tac)
…Peur de se noyer dans les étoiles illusoires, alors que la sauvegarde se trouverait dans le national (salvateur ou gonflé d’air ?)
Mais pour d’autres, ravissement devant un pareil Événement…
… et aussi fierté, de n’avoir pas été étranger au déclenchement de toute cette histoire européenne (ainsi que semble le revendiquer Solidarnosc sur cette carte sans commentaire à l’entrée de son siège, à Gdansk), dont les conséquences sur la carte protègent maintenant la Pologne à l’Est de l’envahissant voisin russe.
Certains drapeaux, aux premières heures d’une Pologne accueillie dans l’Union cette fois Européenne, peuvent être beaux…
… Et sur le pont qui relie Słubice à Francfort, désormais, s’il n’y avait plus que les écharpes qui flottaient au vent ?
©Emmanuelle Tricoire pour les photos 1 à 5, 8 à 10 et 12.
©Jacques Lévy pour la photo 11.