Une approche critique de la mondialisation peut consister à montrer l’environnement de pauvreté, de misère et d’exploitation de l’amont des filières marchandes globalisées qui exploitent une ressource localisée dans le Sud, notamment en Afrique. Une telle approche critique devient militante et terriblement efficace lorsqu’elle établit des liens de cause à effet entre l’environnement misérable et l’activité de production destinée au marché mondial. C’est le projet du film Le Cauchemar de Darwin qui prend appui sur les évolutions que connaît la ville de Mwanza au Nord-ouest de la Tanzanie sur le lac Victoria. Cité frontalière, elle est aussi capitale administrative d’une région minière et lieu de transformation des produits de la pêche lacustre qui a connu un boom avec le développement des exportations des filets de perche du Nil ou capitaine. C’est cette industrie de la pêche et de la transformation d’un poisson exogène et fossoyeur de biodiversité qui est au centre des investigations du documentaire ainsi que le trafic d’armes dont l’aéroport serait une plaque tournante. Parallèlement, sont montrés les ravages du sida, de la prostitution et des enfants des rues. Par souci d’efficacité et pour que le film fonctionne comme une allégorie sur les maux de l’Afrique dans le cadre de la globalisation, le Cauchemar de Darwin ne se contente pas d’asséner l’horreur de ces réalités et du sort d’une grande partie de la population, mais suggère une relation étroite entre ces différents aspects. Les trois scandales (environnemental, social et politico-économique) que ce film dénonce auraient ainsi pour cause commune l’exploitation de la perche du Nil. L’approche systémique se fait holiste, et la perche du Nil se retrouve, au moins symboliquement, au centre de la machine infernale qui voue les abords du lac Victoria et plus généralement l’Afrique des Grands lacs à la damnation sur fond d’opulence occidentale .Le film sorti en 2005 a connu un succès critique et commercial international et fonctionne dorénavant comme une référence pour une approche critique de la mondialisation libérale et de ses modèles de développement dans les Suds, et plus particulièrement en Afrique. Le professeur que je suis a pu constater en 2006 la généralisation des références à ce film dans les copies sur la mondialisation, tandis que fleurissaient de nombreuses conférences et rencontres organisées par les altermondialistes qui ont pris ce documentaire comme support et comme étendard. L’année 2006 a également été l’occasion de quelques contre-enquêtes journalistiques qui ont relativisé certaines affirmations et suggestions du film. Ceci à la suite et en parallèle de l’offensive menée par François Garçon contre le film documentaire et son auteur, Hubert Sauper, accusé de supercherie et de falsification, d’abord dans un long article paru dans la revue Les Temps Modernes, puis dans un ouvrage de journalisme d’investigation intitulé Enquête sur le Cauchemar de Darwin.
Interrogations sur la portée et les insinuations d’un témoignage-choc.
Avant de revenir sur le contenu et les apports de cet ouvrage critique, précisons que Le cauchemar de Darwin est indéniablement un film magistral par la galerie de portraits et de lieux qu’il propose. Du côté des portraits : un gardien de nuit, paisible père de famille mais avide d’une guerre qui l’enrichirait ; un pilote ukrainien qui parcourt le monde à la barre de son Antonov cabossé et dévolu à tous les commerces avec les Suds ; une prostituée assassinée par un client occidental et qui aurait tant voulu retourner à l’école… sont autant de figures magnifiques et misérables qui émergent d’une ambiance lunaire. Du côté des lieux : Ito, l’île des pêcheurs réprouvés, dite « colonie de travail », en fait bidonville du lac, d’où l’on repart mourant pour éviter le transport coûteux du corps au village…, ou l’aéroport déglingué cerné de carcasses d’avions cargos hors d’âge, sont deux facettes des extrêmes périphéries africaines. L’un est un lieu de relégation, tandis que l’autre est celui des trafics internationaux, entre légalité et illégalité, qu’autorise la position marginale, bien loin des normes du transport aérien. Il y a là deux lieux qui sont aussi deux facettes d’une enclave de la mondialisation à la fois intégrée, exploitée et exclue (Koop, 2006 ; Reynaud, 1981 ; Scholz, 2005). Le film cependant peut et doit être critiqué par ses omissions (une classe moyenne émerge-t-elle parmi les employés ? Mwanza est-elle vraiment un ex-paisible village de pêcheurs, ou est-ce structurellement une grande ville régionale tournée vers les relations transfrontalières de tous types et les fonctions administratives ?…), voire ses manipulations (les restes séchés et boucanés sont-ils vraiment réservés à la consommation humaine régionale ?), son idéologie autarcique (l’exogène sous la forme des cargaisons qui arrivent, des maladies ou des migrants qui affluent est toujours porteur de malheur), mais surtout par les relations de cause à effet qu’il suggère. La malheureuse perche du Nil est sûrement un prédateur fossoyeur de la biodiversité lacustre et c’est certainement son exploitation industrielle qui attire la misère de la région. Est-ce pour autant cette exploitation qui est responsable de cette misère ? Empêche-t-elle réellement la production vivrière au risque d’accroître la famine présentée comme endémique ? Sert-elle de paravent et de complément nécessaire au trafic d’armes autrement plus lucratif et porteur de mort cette fois pour tout le sous-continent ? Est-elle responsable au total d’un désastre social, moral et sanitaire ? Faut-il donc en boycotter la consommation ici en Europe comme l’encourage la chaîne Arte (« Vous ne mangerez plus jamais de perche du Nil ! ») dans la publicité précédent le passage du film que la chaîne a co-produit ?
Avec ces suggestions, on est dans le fantasme et dans la confusion. N’oublions pas que la Tanzanie n’est pas un lieu neutre : il s’agit de l’un des hauts lieux de la troisième voie autogestionnaire sous le régime de Julius Nyerere et son vaste projet de villagisation (l’Ujamaa). Elle s’est transformée dans les années 1990 en bon élève du Fmi loué par les bailleurs de fonds comme le furent l’Ouganda et le sont aussi le Ghana, voire le Mali. Pour l’altermondialisme, il y a donc là des situations à forts enjeux idéologiques où la dénonciation de la misère régnante sonne comme une revanche. À l’inverse de cette utilisation du film, François Garçon, dans une charge univoque, s’attaque autant au réalisateur et à sa malhonnêteté intellectuelle supposée qu’aux positionnements altermondialistes du film et de son exploitation politique. Ainsi l’ouvrage, sorti fin 2006, après que François Garçon eut étayé son dossier d’accusation avec la consultation de rapports et d’articles, la réalisation d’entretiens et se soit rendu sur place, sonne d’abord comme un combat singulier contre le réalisateur et contre la critique qui l’a encensé. La volonté de terrasser l’un et l’autre passe par une reprise systématique des incohérences et paradoxes de leurs propos disséminés dans les interviews et les articles de presse, ceci parfois au détriment de la seule analyse du film, avec au total une impression de règlement de comptes assez obsessionnelle. Dommage, car le livre recèle de bons éclairages complémentaires sur la situation socio-économique de Mwanza ainsi que des critiques pertinentes et bienvenues de certains témoignages, notamment de scientifiques, censés venir à l’appui de la thèse du film.
Eutrophisation et revenus : les responsabilités du capitaine.
L’introduction de la perche du Nil et l’eutrophisation du lac font l’objet de bons développements à partir de la compilation d’articles et d’entretiens de chercheurs français de l’Ird (Didier Paugy, Christian Lévêque et Christine Deslaurier) et anglo-saxons (Robert Pringle notamment). Ainsi on apprend que l’introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria fut l’objet d’âpres débats durant l’époque coloniale (les trois États riverains actuels étaient sous administration coloniale britannique). Les partisans (milieu des administrateurs coloniaux) de l’introduction, qui finirent par l’emporter, se positionnaient au nom de la faible productivité piscicole du lac et des impératifs alimentaires, et les opposants (chercheurs) brandissaient les risques pour la faune originelle. Cependant, l’analyse de ce débat proposée dans l’ouvrage renvoie au productivisme et au principe de précaution et semble quelque peu anachronique, on suppose que les représentations coloniales de l’exploitation (y compris en termes de chasse et de pêche sportives pour les colons) et de la préservation (des usages prédateurs des « indigènes ») de la nature (wilderness) ont dû également s’exprimer dans les deux sphères d’acteurs coloniaux identifiés. L’eutrophisation du lac est quant à elle reliée non plus à la seule perche du Nil prédatrice des espèces consommatrices d’algues, mais aussi et principalement aux effluents liés à l’intensification de l’agriculture irriguée aux abords du lac avec l’usage d’engrais et de pesticides.
Le sujet crucial des revenus de la pêche et surtout de sa transformation industrielle fait également l’objet d’apports d’information et de développements intéressants. En complément, on indique le site Géoconfluences qui consacre un dossier très bien informé et illustré à la question du secteur de la pêche sur le lac (Carnat et Tabarly, 2005). L’une des critiques majeures que l’on peut faire au film est son désintérêt pour l’amélioration éventuelle du sort des ouvriers des pêcheries et l’amorce de constitution d’une classe d’employés aux revenus réguliers et sensiblement plus élevés que ceux de l’agriculture ou du secteur artisanal et/ou informel, voire des secteurs administratifs et miniers. Si une telle amélioration est avérée, il est alors possible de parler de développement, même si celui-ci s’effectue dans un environnement de pauvreté extrême. Or sur ce plan l’enquête de Garçon apporte d’indéniables éléments accréditant la thèse de l’augmentation des revenus des employés directement impliqués dans les activités de transformation, voire de celle de la pêche. On peut ainsi admettre qu’avec l’activité d’exploitation et de transformation du poisson liée à ses possibilités d’exportation, le sort d’une petite minorité promue ouvrière s’améliore tandis que les revenus régionaux s’accroissent. Cependant, l’enquête de Garçon révèle également, et apparemment bien involontairement, les grandes difficultés dans lesquelles peuvent se débattre certains employés du secteur. Ainsi l’auteur nous indique les conditions de vie très difficiles de Raphaël Tukiko, le gardien de nuit des National Fisheries, qui est au centre du documentaire, reprochant au réalisateur de ne pas l’avoir aidé ni rémunéré après le succès du film. On apprend ainsi que Raphaël « vit avec son père de quatre-vingt-douze ans et élève ses cinq enfants. À Nyegezi Kijiweni, la famille au complet vit au grand air : ni eau, ni électricité. Raphaël dort à même le sol, sous une tôle ondulée arrimée sur quatre pieux. À Sauper, Raphaël a fait savoir que le terrain qu’il occupait était à vendre pour deux millions de Shillings, soit 1800 Euros, ce qui lui permettrait en outre d’acheter du ciment et de construire une baraque pour sa famille. Au motif qu’il squattait un terrain ne lui appartenant pas, en janvier 2004 la police a en effet rasé sa maison ».
Les passages les plus réussis du livre de Garçon sont ceux où il pointe les paradoxes et les présupposés à tendances racistes de certains avocats de l’autarcie comme remède aux mots du développement industriel et marchand de la pêche. Ainsi, Eirik G. Jansen, chercheur norvégien spécialiste de la pêche sur le lac côté Kenyan et auteur d’une note de soutien scientifique au film distribuée par la production est épinglé pour son argumentaire pro-informel et anti-ouvrier aux relents paternalistes et hygiénistes. En effet, sa note vise à soutenir l’emploi informel contre l’emploi formel, d’une part parce que le second détruirait le premier dans un rapport de un pour huit (ce qui n’est absolument pas démontré par cet anthropologue) et d’autre part, parce que les hommes employés dans le secteur formel seraient voués à l’alcoolisme là où les femmes de l’informel auraient consacré leurs maigres revenus à la famille et notamment à l’éducation ! Dans le collimateur de l’auteur, également un rapport réalisé conjointement par le groupe Carrefour et la fondation Charles Leopold Meyer en mars 2006 à Mwanza, qui s’en prend aux intermédiaires de la collecte considérés comme des parasites dans la filière et aux industriels non autochtones (comprendre d’origine indienne) qui seraient peu sensibilisés à l’intérêt d’un réinvestissement régional. La réponse argumentée de Garçon sur ces deux points est pertinente et sans appel, du coup c’est l’idéologie autarcique et autochtoniste de certains discours altermondialistes portés par des chercheurs qui est atteinte.
Ni supercherie, ni évidence : les Grands lacs et le trafic d’armes.
En revanche l’attaque finale de Garçon sur le trafic d’armes, censée porter l’estocade à Sauper et aux critiques de la presse parisienne, est certainement la plus faible de l’ouvrage et finit par nuire à sa crédibilité. Pourtant ses calculs montrent que le commerce de la perche du Nil n’a nul besoin du trafic d’armes pour être rentable et qu’il ne peut donc être une activité paravent, ce que peut laisser entendre le film. Mais pris dans son élan, Garçon est persuadé que le trafic d’armes à Mwanza est une supercherie absolue et entend nous le démontrer. Pour ce faire, il tombe dans le travers des « dévots » altermondialistes du film qui systématiquement proposent de contextualiser Mwanza dans la cadre d’une Tanzanie livrée aux injonctions libérales des bailleurs de fonds. Pour Garçon, ramener Mwanza et la région lacustre du pays à son appartenance tanzanienne est le moyen d’en faire la ville d’un État fondamentalement pacifique non impliqué directement dans le trafic d’armes et dans les conflits de la région des Grands lacs, si ce n’est comme lieu de négociation de paix. Or, la région de Mwanza est une région de confins extrêmes dans le cadre tanzanien. État aux très faibles moyens de contrôle de ses périphéries, sur un continent où l’on sait que nombre de régions périphériques frontalières ont une économie largement autonomisée qui s’affranchit des cadres étatiques de la souveraineté économique (Mbembe, 2005 ; Antheaume et Giraut, 2002). Mwanza est d’abord une ville de la région des Grands lacs, voisine de quatre États impliqués dans les conflits régionaux. Le secteur de Mwanza a vraisemblablement servi de base arrière armée à des extrémistes hutus dignitaires du régime rwandais déchu de Hbyarimana, ce que nous dit Garçon d’après les indications du journaliste du Monde J.-P. Rémy, mais pour nous préciser qu’il s’agit d’une vieille histoire de dix ans ! Toujours est-il que l’aéroport international de Mwanza reste plus proche des régions de conflits de l’Est du Congo que de la capitale économique du pays Dar Es Salaam. Il s’agit même de l’aéroport international le plus proche du Rwanda et du Burundi, mis à part ceux du Congo, autrement dit hors zone directe de conflit. Dès lors les suspicions apparaissent moins absurdes qu’on veut bien le dire dans l’ouvrage. Du coup, et en l’absence de constats de faits avérés de trafic, les rapports d’experts sur la question sont cruciaux. Or, si Garçon prétend que tous les rapports sur le trafic des armes légères dédouanent la Tanzanie et Mwanza de toute implication, une lecture de tous ceux disponibles sur la toile, comme nous y invite l’auteur, fait apparaître de très fortes suspicions. Ainsi, Human Rights Watch mentionnait en 1997 dans un rapport du Grip une rupture de charge terrestre à Mwanza sur le Lac Victoria dans une filière ougandaise d’approvisionnement en armes du Burundi depuis le port de Dar es Salaam en 1996. C’est vieux et ce n’est pas l’aéroport, soit. Plus récent, plus précis et plus éclairant sur les techniques et les difficultés de constat du trafic, le « Rapport d’experts sur la République du Congo (le trafic d’armes à destination du) » remis en juillet 2006 au conseil de sécurité de l’ONU dont voici des extraits :
« 85. Le Groupe [d’experts pour l’ONU] cherche à vérifier si d’autres techniques n’impliquent pas les vols en relais par lesquels la marchandise est déchargée à un point donné, puis envoyée vers sa destination finale par un autre avion ou par un autre mode de transport. Les trafics à destination de Mwanza (République-Unie de Tanzanie), point de passage fréquent pour tous ces aéronefs, ont particulièrement intéressé le Groupe. Le Groupe a relevé que de petites compagnies partent de cet aéroport pour des aérodromes non douaniers en République démocratique du Congo. Il s’agit notamment de Butembo Airlines, connue pour ses connexions avec les miliciens aux temps forts du conflit mais surtout par ses collusions avec les trafiquants d’or ciblés pour être sanctionnés qui effectuent régulièrement la liaison Butembo-Mwanza-Butembo. Kilwa Air, une autre petite compagnie tanzanienne basée à Mwanza, a attiré l’attention du Groupe par ses vols directs sur Doko ou Mongbwalu, tous deux aérodromes non douaniers de la République démocratique du Congo, à partir soit de Mwanza, soit d’Entebbe et ce, régulièrement. La proximité du lac Tanganyika, avec ses ouvertures sur le Burundi et la République démocratique du Congo, peut également offrir un cadre propice pour toute sorte d’activités illégales.
86. Plus le nombre de points de transbordement et d’avions impliqués est grand, plus l’expédition et la destination finale des livraisons d’armes peuvent être brouillées, compliquant la tâche d’identification et de dépistage des envois suspects et des acteurs impliqués.
87. En outre, l’itinéraire des livraisons d’armes se complique par l’utilisation de plusieurs fausses immatriculations, par le manque de respect ou de contrôle des détails du vol par les autorités aéroportuaires et douanières. Le Groupe avait eu à mettre en évidence cette pratique lors de ses derniers mandats. Les aéroports de la République démocratique du Congo, notamment ceux de l’est du pays, continuent à être tenus par du personnel non qualifié pour les opérations de contrôle au niveau des autorités de l’aviation civile et de la douane. […]
96. Également, un avion cargo peut être enregistré dans un pays, puis loué et affrété par des compagnies enregistrées dans un autre, l’équipage pouvant encore être recruté ailleurs. C’est le cas de Kilwa Air que le Groupe a visité à Mwanza. Kilwa Air est enregistrée en République-Unie de Tanzanie. Elle utilise des avions sud-africains et est affrétée par Anglogold Ashanti ou Moto Goldmines pour transporter des marchandises entre la République démocratique du Congo et Mwanza ou Entebbe. »
Les filières complexes de trafic fortement suspectées par le groupe d’experts pour l’Onu et impliquant l’aéroport de Mwanza renvoient à plusieurs faits constatés ces dernières années, à commencer par une affaire de 2001 évoquée dans l’ouvrage et dans le film, qui impliquent un avion ukrainien arrêté à Mwanza et chargé d’armes en provenance d’Israël. Son plan de vol indiquait la destination de l’Angola mais son arrêt à Mwanza demeure inexpliqué, contrairement aux affirmations de problèmes techniques reprises dans l’ouvrage. Une autre, qui implique cette fois une compagnie slovaque, est relatée sur le site des Pères Blancs d’après un ouvrage (Running Guns, pp. 13-25, Zed books, Londres, 2000) et des informations parues dans la presse britannique (The Sunday Times, Londres, 10/9/99, The Observer, Londres, 13/3 et 4/7/99). On y relate de manière détaillée comment une livraison d’armes à destination officielle du Tchad fut détournée illégalement vers Khartoum (Soudan), puis acheminée dans la région des Grands Lacs via Mwanza. L’avion russe chargé de cet acheminement prit ensuite une cargaison de poisson pour son retour vers l’Europe. Il s’agit d’un ensemble d’éléments qui semble corroborer les affirmations du journaliste Richard Mgamba dans le film, ainsi que différents articles que ce journaliste a fait paraître dans la presse tanzanienne et notamment celui (on suppose qu’il est du même auteur) repris par l’agence d’information chinoise Xinhua en juin 2005. Article qui affirme que Mwanza est l’un des sept aéroports impliqués dans le trafic d’armes à destination des Grands Lacs depuis l’Europe (et notamment la Lituanie, l’Ukraine, la Slovaquie et la Belgique) et le Moyen-Orient. L’aéroport tanzanien se retrouve ainsi dans une liste noire aux côtés de Entebbe (Ouganda), Nairobi et Mombassa (Kenya), Lubumbashi (République démocratique du Congo), Luanda (Angola) et Copperbelt (Zambie).
Au final, et après la lecture du nouveau brûlot de François Garçon, une série de questions se posent, qui se posaient déjà après la simple vision du film pamphlet : faut-il brûler le film, le ranger au rayon de la propagande ou le conserver comme un document ? Nous penchons pour la dernière option et l’utilisons dans cet esprit comme support pédagogique dans le cadre d’un séminaire sur les espaces de la mondialisation dans les Suds. S’il nécessite bien sûr une sérieuse prise de distance critique, ce documentaire-choc, outre la valeur déjà évoquée de quelques lieux et de portraits qui ponctuent le film, a des vertus pédagogiques. À ce titre, son apport essentiel est certainement la démonstration de l’imbrication (ce qui ne veut pas dire lien de dépendance ou de causalité) d’une part des économies formelles (l’industrie de la transformation, la consultance internationale…) et informelles (le gardiennage, la pêche artisanale, la récupération et le traitement des restes après éfiletage…), et d’autre part des activités légales (commerce alimentaire transcontinental, transport aérien…) et illégales (trafic d’armes, prostitution…). On touche certainement là un des aspects les plus fondamentaux de la mondialisation appliquée au continent africain.
Illustration : Alejandro Capellan, « Darwin’s Nightmare », 29.12.2006, Flickr (tous droits réservés).