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Serendipity.

Retour sur images.

Les stations touristiques de Seignosse et Gourette sous le regard des touristes.

Créées pour et autour d’une activité touristique unique (le ski ou la baignade), les stations « archipels » contemporaines [1] sont aujourd’hui confrontées à une série de difficultés (forte saisonnalité, vétusté de certains équipements publics, obsolescence du parc de logements, etc.) qui conduisent leurs gestionnaires à envisager des opérations de requalification urbaine destinées — a priori — à prévenir ou à enrayer une baisse de la fréquentation touristique. Poussés par l’État à définir des Projets d’Aménagement et de Développement Durable (Padd) [2], les acteurs locaux s’interrogent sur les orientations générales d’urbanisme et d’aménagement de leur station, notamment les fonctions nouvelles et la restructuration de leurs espaces publics [3]. Le Padd a pour vocation de présenter, de « manière intelligible pour le citoyen », les choix politiques de la commune et d’engager le débat municipal. Cette question appliquée précisément aux stations de tourisme interroge le chercheur en urbanisme. Dans ce champ disciplinaire, l’analyse de l’image des destinations touristiques n’a encore guère été traitée, alors qu’elle fit l’objet de recherches prolixes en ville, dès les années 1960, comme en témoignent les travaux de Kevin Lynch sur l’image de la ville (1960). Elle est alors appréhendée à partir de l’analyse des représentations que les habitants se font de leur lieu de vie. Nous nous sommes proposés de transposer cette démarche aux stations touristiques vieillissantes qui s’interrogent sur leur devenir, et notamment, aux stations « archipels » françaises de Gourette, dans les Pyrénées et de Seignosse-Océan, dans les Landes. Nous avons cherché à évaluer la perception, par les usagers (les touristes), du cadre bâti et de l’attractivité des espaces publics des stations qu’ils fréquentent en identifiant les marqueurs microterritoriaux [4] pouvant enrichir la construction du projet d’aménagement. Nous avons donc donné la parole à des interlocuteurs habituellement absents dans cet exercice en station touristique : les « touristes ». Quelle méthode adopter pour appréhender leurs représentations des espaces publics et de l’urbanisme de leur lieu de vacances ? Comment analyser les représentations des stations dans leur dimension microterritoriale ? À la croisée de deux champs d’étude, urbanistique et touristique, le recours à l’image semblait être un medium pertinent. On aborde ainsi les enjeux indirects qu’a pu soulever la mise en œuvre de cette recherche urbanistique appliquée aux stations touristiques. Le support photographique employé, notamment pour ses qualités opératoires et pédagogiques dans la prise de décision et la gouvernance, pose également la question du rapport de l’enquêteur au terrain et aux personnes enquêtées. Après avoir rappelé l’apport de la méthode de recherche choisie, on reviendra dans un second temps sur les enjeux soulevés par sa mise en œuvre.

Les enquêtes par double classement libre de photographies au service de l’aménagement.

Les touristes, des acteurs incontournables en station.

Il semble désormais acquis que toute requalification urbaine doit s’appuyer sur une analyse approfondie des relations réciproques entre l’homme et l’espace. Le tournant des années 1960 marque en effet l’émergence du sujet-acteur dans la recherche et la création urbanistiques : les habitants, « destinataires » [5] de ces aménagements, sont désormais mieux pris en compte. Si, en ville, les pratiques et les représentations urbaines des habitants retiennent de plus en plus l’attention des chercheurs, des techniciens et des élus, il ne semble pas en aller de même des touristes en station touristique (Guérin, 2002, p. 7). Construite selon un modèle urbain, la station « archipel » contemporaine revêt pourtant bien des caractéristiques de la ville (Lazzarotti, in Duhamel et Knafou, 2007, p. 324), comme en témoignent les questions relatives à la gestion de la co-présence en période de forte affluence [6]. Malgré d’indéniables spécificités (faible population permanente, forte fréquentation saisonnière, prépondérance des résidences secondaires dans le parc de logements, économie principalement touristique, etc.), les stations contemporaines peuvent être considérées comme des fragments de « villes ailleurs » (Stock, 2003, p. 50), dans lesquels les espaces publics jouent un rôle essentiel. Ces derniers sont non seulement des espaces de contemplation, de déambulation, de récréation ou encore de rencontre, mais aussi des lieux qui donnent à voir une certaine image de la station (Vlès, 2004 et 2007). L’ordonnancement de l’espace public, le choix du mobilier urbain, l’agencement des couleurs, des matériaux et, parfois, des sons peuvent contribuer à créer une certaine ambiance et participer à l’image de la destination, pour les habitants comme pour les touristes. Ce sont ces « touristes » [7], destinataires essentiels des stations « archipels », qui ont fait l’objet de l’expérimentation dont on rend compte ici. En haute saison touristique, le rapport entre habitants et touristes est de l’ordre de 2% : à Gourette, on compte moins d’une centaine d’habitants permanents [8] pour une capacité d’hébergement touristique de 10 000 lits ; à Seignosse-Océan, ils sont 800 résidents permanents pour une capacité de 30 000 lits.

Les principales stations littorales et de montagne du Sud-ouest français (Cartographie : Monique Morales, Uppa).

Les principales stations littorales et de montagne du Sud-ouest français (Cartographie : Monique Morales, Uppa).

Dans la lignée des approches en sciences sociales, marquées depuis les années 1990 par le « retour au sujet », l’intérêt se porte ici sur le regard du touriste qui « demeure un personnage méconnu, ou, plus exactement, ignoré » (Urbain, 1993, p. 47). Le postulat central qui sous-tend une attention nouvelle à cet habitant particulier consiste à interroger son approche sensible de l’espace touristique, entendu comme le territoire qu’il fréquente. Développe-t-il une conscience critique (latente ou réfléchie) des espaces publics et du domaine urbain qu’il fréquente ? Observe-t-il, juge-t-il, compare-t-il, apprécie-t-il ou rejette-t-il les formes urbaines qui s’offrent à son regard, à ses pratiques ? Comment peut-on appréhender ses représentations microterritoriales ? Nous souhaitions nous pencher sur les représentations « collectives » des stations étudiées à travers leurs espaces libres et accessibles à tous (donc non préfigurés pour une catégorie de destinataires en particulier). Au-delà de la diversité et des spécificités des représentations (représentations individuelles variables selon le genre, les générations, les trajectoires, les catégories sociales, etc.), il s’agit donc de cerner leurs fondements communs, « l’habitus qui les rassemble » (identification des représentations collectives, Briffaud 1994, p. 18). L’analyse part du principe que chaque représentation individuelle est unique, néanmoins elle rejoint une image collective (plus ou moins contraignante, plus ou moins englobante) que l’on peut identifier et examiner (Lynch, [1960]1976, p. 53 ; Hatzfeld, in Marcel, 2006). La recherche consistait ainsi à identifier les lignes directrices, les « représentations-clés » (Bailly et al., 1995, p. 6) qui organisent cette diversité à travers les individus qui cohabitent, communiquent, partagent parfois une culture commune (Elias, 1991). Ainsi, si les représentations sont éminemment variables selon les caractéristiques et l’histoire de chaque individu, on a pris toutefois le parti de tenter de discerner les éléments qui les lient, c’est-à-dire d’approcher ce qui pourrait être une image « collective » de la destination. La question du dispositif méthodologique pour y parvenir s’est alors posée.

La photographie comme medium et médiateur.

Le recours à l’enquête photographique est très vite apparu être un complément indispensable à d’autres procédés d’analyse. En effet, si l’utilisation d’entretiens semi-directifs est toujours un moyen approprié pour approcher les discours et les représentations que les concepteurs se font de l’espace urbain (acteurs relativement à l’aise dans cet exercice auquel ils ont le plus souvent déjà été confrontés), en revanche, leurs résultats se sont révélés moins probants auprès des touristes. Ainsi, à partir d’un dialogue mené sur la base d’une grille d’entretien, l’échange durait en moyenne une heure trente auprès des concepteurs, quarante-cinq minutes auprès des habitants permanents et ne dépassait guère les quinze minutes auprès des touristes, lesquels répondaient de façon relativement expéditive aux questions, de mauvaise grâce, considérant souvent qu’ils n’avaient pas leur mot à dire sur la question ou qu’ils n’étaient pas là pour cela. Il s’est vite avéré difficile de tenter de faire parler le touriste d’un espace urbain abstrait, aux contours flous, qu’il identifiait mal faute de parvenir à l’appréhender sur le mode sensible. La réalisation de descriptions en marche a partiellement permis de libérer la parole des touristes et de pallier, par la proximité géographique, ce problème. L’analyse in situ a constitué en ce sens un « embrayeur de parole », le sensible et les ambiances locales étant des « motifs à la verbalisation » (Grosjean et Thibaud, 2001, p. 83). Toutefois, il a fallu dépasser ou du moins compléter ce dispositif auprès de touristes qui sont peu enclins à passer une heure de leur temps de vacances à marcher aux côtés de l’enquêteur pour parler d’une station qu’ils ne fréquentent qu’occasionnellement. Dans ces conditions, le chercheur en urbanisme touristique a dû inventer un autre dispositif d’enquête, mieux adapté aux objectifs de sa quête (cerner les représentations des espaces publics) et aux interlocuteurs premiers (les touristes). Dans le prolongement des recherches menées en anthropologie (Collier, 1967 ; Duteil-Ogata, 2007), en psychologie (Delisle, Baptiste et Babin, 1974 ; Vacheret, 2000), en sociologie (Papinot, 2007), la photographie comme support d’enquête s’impose en sciences du territoire pour cerner le rapport des habitants à leur espace de vie quotidien, appréhendé alors en termes de paysage (Michelin, 1998 ; Le Lay et al., 2005 ; Bigando, 2006). Son usage, déjà préconisé par Kevin Lynch en 1960, demeure encore peu usité dans les recherches en urbanisme.

Deux possibilités s’offraient à l’équipe : opter pour la prise directe d’images par l’enquêté en essayant de déterminer non seulement les intentions explicites du touriste dans le choix de l’objet photographié mais également les significations sous-jacentes, reflets des valeurs d’une époque, d’une classe sociale, d’un groupe, d’un individu, etc. (Bourdieu, 1965, pp. 24-25) ; choisir de présenter une sélection de photographies prises par les chercheurs en tentant de limiter la part de subjectivité présente dans tout acte photographique (sans pour autant prétendre à une quelconque neutralité axiologique). Une méthode d’enquête basée sur l’examen de photographies prises par les chercheurs a finalement été retenue à la fois pour des raisons pratiques de faisabilité technique auprès de ce public particulier, présent seulement pour de très courts séjours dans la station, mais également pour des raisons scientifiques : il s’agissait d’identifier très précisément, dans la perspective de construction du projet urbain, le degré de connaissance et de reconnaissance des espaces publics et d’accéder à l’expression d’un jugement sur ceux-ci. Cette méthode offre de nombreux avantages. La présentation de photographies en un lieu fixe peut se substituer à l’observation in situ. Elle permet un gain de temps considérable et augmente le nombre d’individus enquêtés tout en présentant l’avantage d’une relative « équivalence de présentation aux participants » (Le Lay et al., 2005, p. 4). Une large gamme d’espaces publics peut être donnée à voir sur le même plan, sans déplacement, au sein même de l’espace privilégié de la pratique (la plage, le front de neige ou leurs abords). Certes, leur exposition est fragmentée, discontinue et sélective, mais elle est aussi d’une grande richesse puisqu’elle autorise l’ubiquité et donc la comparaison entre des lieux multiples, ici et ailleurs. En outre, la photographie est un medium familier à tous et d’accès aisé. À la différence d’autres arts exigeants, la photographie ne requiert en apparence que peu ou pas d’apprentissage (Bourdieu, 1965). Avec la généralisation de la photographie numérique, la multiplication des possibilités techniques de prises de vue (appareil photographique compact, téléphone mobile, baladeur MP4, etc.) et de transmission des images, la photographie semble plus facile à maîtriser et à interpréter par le plus grand nombre. Dans le cadre de l’enquête, cet objet coutumier est créateur de lien entre le chercheur et l’enquêté, il instaure une forme de connivence entre eux et libère la parole. La photographie suscite des réactions voire des émotions, elle aide également à reconstituer les « images mentales » que les individus ont de leur territoire. Les images constituent ainsi un stimuli essentiel lors de l’enquête (Lanquar, 1990). Elles sont des « déclencheurs d’idées », elles perturbent « le psychisme tout en l’aidant à le préciser » (Garrigues, 2000, p. 60 et p. 135).

Une méthode expérimentale en urbanisme : les enquêtes photographiques.

Dans la lignée d’une recherche menée sur l’urbanité paysagère Montreuillois et la perception des rapports ville-nature dans l’imaginaire des murs à pêches (Séchet et al., 1998), une méthode d’enquête par double classement libre de photographies a été mise en œuvre, pour ses qualités pédagogiques et opératoires du point de vue de l’exercice décisionnel et de la gouvernance [9]. Le corpus photographique retenu est ainsi composé de deux séries : la première (T1) est composée de photographies d’espaces publics de stations touristiques balnéaires [10] (75 images) ou de sports d’hiver [11] (78 images) variées ; la seconde (T2) ne comprend que des images de la station étudiée, Seignosse-Océan (59 images) dans un cas, Gourette dans l’autre (57 images). Ce corpus, riche de plus de 130 photographies dans chaque cas, permet de proposer à l’enquêté un assez large échantillon d’espaces urbains en stations. De façon à limiter le plus possible les biais introduits par la nature et la qualité de la prise de vue, une attention particulière a été apportée au choix de la focale (équivalent à 50 mm dans la plupart des cas), à la composition de l’image et à la lumière (exclusion des prises de vue à caractère trop esthétisant). Lors de la phase test de l’enquête [12], l’écart introduit par la mise en scène des photographies est apparu clairement. Si la forme et le fond sont inévitablement liés dans l’image, on a toutefois pu remarquer que les commentaires émis au sujet d’une photo de Formigal (station de ski en Aragon), très travaillée (jeux de lumières notamment) se concentraient plus sur la forme, les enquêtés soulignant à plusieurs reprises la qualité esthétique, voire artistique de la photo, ce qui n’était pas le cas au sujet des autres images qu’on leur présentait.

Image de Formigal non intégrée à la série des photographies de stations de montagne (Vlès, 2008).

Image de Formigal non intégrée à la série des photographies de stations de montagne (Vlès, 2008).

Le corpus ainsi constitué a été soumis à l’enquêté, en deux temps, pour un double classement libre des photographies (Hatt, 2010, Vlès et alii, 2009). L’enquêté est d’abord confronté à la série T1 et doit opérer un classement des images en plusieurs catégories selon ses propres critères d’analyse [13] qu’il explicitera postérieurement. Aucune indication ou consigne ne lui est fournie si ce n’est celle de constituer au moins cinq groupes de photographies de façon à éviter l’écueil d’une bipolarisation (négatif/positif). L’enquêté est laissé libre d’évaluer les images qui lui sont soumises, de construire son système de classement et de dénommer avec ses propres mots chacune des catégories créées à l’issue de cette phase. Il s’agit d’éviter dans la mesure du possible d’imposer un référentiel extérieur de jugement ou de classement (par le biais de critères prédéfinis de catégorisation, par exemple). Cette absence de direction préalable s’est également traduite par une relance minimale face aux hésitations, aux silences ou aux questionnements des enquêtés. Lorsque cette première catégorisation est effectuée, l’enquêteur a demandé à l’enquêté de préciser ses critères d’analyse et de choisir la photographie la plus représentative de chaque catégorie. L’enquêté construit ainsi ses propres catégories d’analyse urbaine qui seront mobilisées pour une approche plus distanciée et critique de la seconde série de photographies (T2). Face à la série T2 (composée exclusivement de photographies de la station étudiée), l’enquêté doit effectuer la même opération de catégorisation (en respectant toutefois les critères de classement adoptés lors de la phase précédente) et expliciter à nouveau ses choix en proposant une photographie représentative de chaque catégorie. Ce faisant, l’enquêté situe les images de sa station dans l’univers qu’il avait lui-même structuré préalablement. En ce sens, la série T2 favorise ainsi l’identification des « marqueurs microterritoriaux » propres aux terrains d’étude (Seignosse-Océan et Gourette). La série T1 permet donc aux touristes enquêtés d’objectiver leurs « représentations microterritoriales » des stations, en mettant en forme des images a priori abstraites, par le biais d’une construction sélective et d’une schématisation structurante fournissant les contours de leurs représentations (Pierre Moscovici cité in Mannoni, 2006, p. 48). La série T2 permet l’ancrage de ces représentations dans le territoire d’étude en assurant l’enracinement spatial et local de ces représentations. À la suite de l’enquête photographique, un questionnaire succinct est soumis au touriste afin de déterminer son profil (âge, sexe, profession, origine, pratique de la station, etc.).

Modalités du dispositif d’enquête par double classement libre de photographies (Hatt, 2011).

Modalités du dispositif d’enquête par double classement libre de photographies (Hatt, 2011).

Les données ainsi produites et recueillies ont été intégralement retranscrites (sous le logiciel Sphinx-Lexica) afin de permettre un traitement quantitatif de ces données qualitatives et favoriser la compréhension des représentations touristiques microterritoriales en identifiant ce qui, dans les stations, suscite l’attachement et l’émotion ou, au contraire, le regret et le rejet.

De la collecte au traitement des données.

L’intérêt de la méthode développée tient également à la nature de l’analyse dont elle peut faire l’objet. L’analyse des données récoltées lors de ces enquêtes permet d’effectuer un traitement à la fois qualitatif (analyse des contenus) et quantitatif (analyse statistique). Le nombre élevé de photographies présentées (134 au total pour Seignosse-Océan et 135 pour Gourette), tout comme l’objectif de l’enquête (identifier les espaces publics d’enjeux dans ces destinations) imposaient d’opérer un traitement statistique des données. Chacune des photos présentées a été positionnée par chacun des enquêtés dans des groupes différents. Ayant identifié que la majorité des photos était classée selon les goûts et les préférences des enquêtés [14], l’équipe de recherche a élaboré des descripteurs synthétiques visant à retranscrire le plus simplement possible le discours des enquêtés au regard de leur attrait/rejet pour les photos considérées. Les groupes ont donc été recodés au regard de descripteurs qualitatifs [15], ce qui a permis d’identifier la tendance qualitative de chaque photo prise indépendamment. Le recours à des analyses bi-variées (dans ce cas, un test du Khi-deux) ont été nécessaires pour vérifier s’il existait une relation entre deux variables ou modalités (ici, une photo et un descripteur qualitatif). Ce test a également autorisé, grâce à l’analyse des résultats modalité par modalité, la caractérisation des relations qui lient les variables entre elles. Sur cette base, l’équipe a pu réaliser une analyse factorielle des correspondances (Afc), analyse multivariée la plus adaptée pour traiter les données qualitatives. Les photographies (leur numéro) et les descripteurs qualitatifs synthétiques sont projetés sur le même graphique, ce qui a fourni une représentation plus évocatrice (Chadule, 1987, p. 142). À l’aide du graphique, on a repéré les groupes d’images homogènes à caractériser. L’Afc a suggéré des regroupements selon deux grands ensembles distribués sur l’axe horizontal (abscisse) : images attractives / images répulsives. Au sein de ces deux grands ensembles, des sous-groupes sont identifiables au regard du degré d’attractivité et du degré de consensus/divergence des commentaires effectués [16] (voir « l’exemple de répartition des images » en documents annexes).

On a pu ainsi étudier les recoupements opérés entre les images afin d’analyser les univers de référence dans lesquels les touristes les ont situées (les « nuages de représentations », voir en document annexe), s’étalant schématiquement sur un continuum attractivité – rejet [17]. L’objectif, à travers ce traitement statistique, est de donner une représentation imagée des informations récoltées, de les synthétiser afin d’établir une typologie des photos selon leur degré d’attractivité et d’identifier des lieux d’intervention prioritaires de requalification urbaine et paysagère.

Retour sur une démarche expérimentale.

« Jouer le jeu » : le touriste à l’épreuve de l’enquête photographique.

Les enquêtes photographiques ainsi conçues ont été menées auprès de soixante individus présents dans la station de Seignosse-Océan durant l’été 2009 (parmi lesquels cinquante-six touristes) et de cinquante personnes à Gourette durant l’hiver 2010 (parmi lesquelles quarante-cinq touristes). Toutes les enquêtes littorales se sont déroulées en un lieu central de la station : la plage du Penon. Elles ont donné la parole à un type de touriste fréquemment raillé, véhiculant tous les stéréotypes négatifs du « bronzeur idiot ». De plus, ce choix obéissait également à des exigences pratiques. La mise en œuvre d’un tel dispositif d’enquête exige en effet de disposer de place (pour effectuer le classement des 134 ou 135 photographies) et de trouver des enquêtés désœuvrés, susceptibles de passer en moyenne une heure à effectuer l’enquête ; la plage était de ce point de vue un endroit stratégique. Les enquêtés ont été choisis au hasard, selon un mode d’échantillonnage sur site (Lanquar, 1990), en tâchant d’ouvrir le panel à un large public (âge, sexe, origine géographique, etc.).

L’enquêté en action : classement photographique à Seignosse-Océan (Hatt, 2009).

L’enquêté en action : classement photographique à Seignosse-Océan (Hatt, 2009).

À Gourette, les enquêtes ont été principalement menées en front de neige, sur la place Sarrière et sur l’Esplanade du Valentin. Les enquêtés ont là aussi été choisis au hasard, en veillant à approcher des individus aux profils variés. Rencontrées dans l’espace public, les personnes qui acceptaient de participer étaient conviées à effectuer l’enquête dans un bar afin de disposer d’un espace (chauffé) pour élaborer le classement des photographies.

Cette méthode d’enquête, à base de photographies, a été bien acceptée, notamment en station balnéaire où les touristes, sur la plage, disposent de temps. Le nombre de refus s’est avéré assez faible à Seignosse-Océan. Surprises de prime abord, les personnes sollicitées sur la plage se sont vite révélées prêtes à collaborer (notamment les femmes). En montagne, ce type d’enquête a été plus délicat à mener. Les touristes présents dans les stations de sports d’hiver ont fait preuve de moins patience. Leur séjour est souvent motivé non par la détente, mais par la pratique d’une activité relativement coûteuse : en raison de son coût, le skieur tient « à rentabiliser » son forfait ; son temps est donc beaucoup plus contraint. Les touristes adoptent ici un rythme de vie au temps compté. Les mauvais jours aux conditions climatiques peu clémentes (brouillards, neige, vent) ont toutefois permis de mener à bien les enquêtes. « Jouer le jeu » est une expression tout à fait appropriée pour ceux qui ont accepté de participer. Les enquêtés ont conçu l’enquête comme un jeu qui comble un moment de désœuvrement au soleil sur la plage du Penon ou dans le froid, à Gourette, les jours de mauvais temps. Ainsi, un touriste enquêté, ravi de participer à cette activité « ludique », s’exclame en se retournant vers sa compagne assoupie : « Tu vois, j’ai trouvé une occupation, je vais te laisser un peu tranquille ! » De même, un autre reconnaît que : « C’est sympa ! Ça fait un peu comme un jeu ». Examiner des photographies, de lieux de villégiature qui plus est, semble moins fastidieux de prime abord que de répondre à un long questionnaire (beaucoup font référence aux enquêtes téléphoniques auxquelles ils ne peuvent échapper durant l’année). L’esprit assez ludique de l’enquête photographique correspond mieux à l’imaginaire des vacances qu’un questionnaire classique. Ceci explique sans doute que dans l’ensemble, les enquêtés aient joué le jeu et respecté les consignes : 80% d’entre eux ont constitué, comme il leur était demandé, au moins cinq groupes pour les deux séries de photographies, T1 et T2.

Cette technique d’enquête par double classement libre de photographies a finalement été riche, tant pour le chercheur qui a pu identifier des « marqueurs microterritoriaux », que pour l’enquêté, qui se voit confronté à l’obligation d’expliciter des préférences ou des rejets demeurés jusque-là de l’ordre du non-dit, de l’implicite. Elle joue un rôle de révélateur en favorisant une prise de distance de l’enquêté par rapport à son lieu de vacances, parfois idéalisé, rarement observé en détail, très peu confronté à l’altérité. Elle induit une posture réflexive chez l’enquêté propice à un renouvellement de son regard sur l’espace de la station. Elle le conduit à se détacher d’une représentation parfois idéalisée en l’amenant à considérer la station dans sa complexité. Cette prise de distance est plus difficile dans le cas de la station connue et fréquentée (T2) que dans le cas des stations plus lointaines, pour la plupart inconnues des enquêtés (T1). Une touriste enquêtée à Seignosse-Océan souligne ainsi que « le deuxième paquet c’est Seignosse, ça va être plus dur car avant je ne connaissais pas les stations donc c’était plus facile de critiquer ! », tandis qu’un autre, enquêté à Gourette, remarque que « c’est beaucoup plus difficile avec le second paquet car maintenant je sais où c’est ». Plus généralement, la série T1 permet d’appréhender les représentations globales associées aux stations (balnéaires ou de sports d’hiver), en identifiant les images et imaginaires constitutifs de la plus ou moins grande attractivité urbaine de celles-ci, tandis que la série T2 rend possible l’approfondissement de l’analyse des représentations que les touristes se font de la station dans laquelle ils se trouvent. Elle favorise ainsi l’identification des « marqueurs microterritoriaux » propres aux terrains d’étude (Seignosse-Océan et Gourette) et pouvant nourrir les projets de requalification qui les concernent.

Des enquêtes photographiques aux projets de station.

Si ce dispositif méthodologique a été un outil adapté aux objectifs de recherche de l’équipe, on ne saurait ignorer cependant les limites induites par le choix méthodologique lui-même. Le recours à l’intermédiaire photographique pose en effet question. Le medium photographique a longtemps été discrédité en tant qu’instrument de recherche en sciences sociales du fait de son défaut d’objectivité (Terrenoire, 1985, p. 509). La photographie n’est jamais le reflet de la réalité, elle n’offre que l’illusion de la réalité : « lors même que la production de l’image est entièrement dévolue à l’automatisme de l’appareil, la prise de vue reste un choix qui engage des valeurs esthétiques et éthiques » (Bourdieu, 1965, p. 24). Afin d’éviter ce biais introduit par le choix du photographe, certaines démarches laissent le soin aux enquêtés de prendre eux-mêmes les photographies (Michelin, 1998 ; Bigando, 2006). Le parti pris a été, ici, au contraire, d’assumer pleinement cette subjectivité en réalisant et en sélectionnant les photographies à partir des pré-hypothèses qui ont pu émerger lors de la phase d’observation in situ et d’entretiens préalables. Ce choix résultait d’ailleurs du double objectif donné à cette enquête : identifier les enjeux de la requalification des stations contemporaines et aborder en premier lieu le regard des touristes [18]. Le choix des photos constitutives du corpus a fait l’objet d’une analyse minutieuse, concernant à la fois la prise de vue sur le terrain (il s’agit alors d’éviter de trop grandes distorsions liées à la variété des auteurs des clichés, des stations, des conditions climatiques, etc.), mais également la sélection ultérieure des photos, avant d’être soumis au regard des enquêtés (Hatt, 2010).

Exemples de photographies incorporées à la série des photographies de stations littorales : A5 : Cambrils ; A27 : Saint Jean de Monts (Clichés S. Clarimont et V. Vlès).

Exemples de photographies incorporées à la série des photographies de stations littorales : A5 : Cambrils ; A27 : Saint Jean de Monts (Clichés S. Clarimont et V. Vlès).

Si la photographie trahit inévitablement le point de vue du photographe, de l’Operator, elle permet également de révéler celui du Spectator, le touriste :

Le studium est une sorte d’éducation (savoir et politesse) qui me permet de retrouver l’Operator, de vivre les visées qui fondent et animent ses pratiques, mais de les vivre en quelque sorte à l’envers, selon mon vouloir de Spectator (Barthes, 1980, p. 810).

Le chercheur-photographe s’expose alors au regard de l’autre dans une relation enquêteur/enquêté renouvelée (Papinot, 2007 ; Collier, 1967). Confronté aux deux séries de photographies, le touriste s’est parfois livré à une analyse fouillée des vues qui lui étaient soumises voire à leur critique acérée.

Cette enquête photographique a été mise à l’épreuve de l’interlocuteur touriste sur un autre point particulier : celui du traitement des données. Le fait de s’adresser à un interlocuteur éphémère (le touriste) a rendu la récolte d’un maximum d’informations nécessaire durant un laps de temps limité et non reproductible. La multiplicité des photos présentées complexifie d’autant leur analyse. Les choix opérés pour assurer le traitement des données ont conduit à se concentrer sur certains aspects au détriment d’autres. Le fait d’avoir laissé les enquêtés choisir leur façon de classer (et de formuler l’intitulé des groupements formés), a obligé à recoder les données initiales. Ce travail a été étudié en fonction du type de catégorisations réalisées par les enquêtés et des objectifs de la recherche. Par ailleurs, la réalisation de l’Afc (présentée précédemment) pose également question. Les individus placés au centre du graphique correspondent à un ensemble de photographies qui ont fait l’objet de commentaires très divergents (aucune tendance forte ne se dégage, les images sont jugées attractives, neutres ou répulsives selon les cas). En général, ces individus au centre du graphique ne sont pas analysables dans une Afc, toutefois ces images représentent ici paradoxalement, du point de vue pratique et opérationnel, des espaces à forts enjeux pour les stations. Les images identifiées comme « divergentes », comme d’ailleurs les images « neutres », sont des images susceptibles de passer du côté attractif (par des interventions qualitatives) comme du côté répulsif (dégradation) ce qui a donc conduit l’équipe à les considérer comme des vues d’espaces stratégiques. Il a ainsi été possible d’identifier des « marqueurs microterritoriaux » susceptibles de nourrir les projets de requalification. On peut évoquer par exemple — sans toutefois prétendre à une quelconque exhaustivité dans le cadre de cet article — trois espaces d’enjeux identifiés à Seignosse-Océan : la porte d’entrée en station, l’espace commercial de la place Castille et les espaces de déambulation piétonne. Les trois photos proposées pour illustrer l’entrée principale en station ne font en effet pas l’objet de représentations homogènes selon les touristes enquêtés. Ces images paraissent finalement faiblement attractives. Il s’agit pourtant d’un espace clef en station, son entrée, sa porte d’accès grâce à laquelle on découvre son nouveau lieu de séjour, un lieu attractif, invitant le visiteur à la découverte du reste de la destination. Cette « porte d’entrée » constitue un « nœud » (Lynch, [1960], 1976) essentiel en station qui ne semble pas être identifié comme tel par les enquêtés.

Des représentations divergentes de l’entrée dans la station de Seignosse-Océan. B29 : identifiée comme « répulsive » par 44% des enquêtés, comme « neutre » par 26% et comme « attractive » par 30% ; B4 : identifiée comme « répulsive par 33% des enquêtés, comme « neutre » par 27% et comme « attractive » par 40%.

Des représentations divergentes de l’entrée dans la station de Seignosse-Océan. B29 : identifiée comme « répulsive » par 44% des enquêtés, comme « neutre » par 26% et comme « attractive » par 30% ; B4 : identifiée comme « répulsive par 33% des enquêtés, comme « neutre » par 27% et comme « attractive » par 40%.

Autre situation paradoxale de cette station touristique, la place Castille, en position centrale, n’apparaît pas pour autant comme un espace fortement attractif dans la station. Le traitement de surface (faux pavés, balustrades) qui y a été entrepris récemment ne contribuerait finalement que marginalement à l’attractivité de la destination malgré les lourds investissements qu’il a induits.

Représentations divergentes d’un espace récemment réaménagé, Seignosse-Océan. B44 : identifiée comme « répulsive » par 29% des enquêtés, comme « neutre » par 35% et comme « attractive » par 36% ; B31 : identifiée comme « répulsive » par 20% des enquêtés, comme « neutre » par 30% et comme « attractive » par 50%.

Représentations divergentes d’un espace récemment réaménagé, Seignosse-Océan. B44 : identifiée comme « répulsive » par 29% des enquêtés, comme « neutre » par 35% et comme « attractive » par 36% ; B31 : identifiée comme « répulsive » par 20% des enquêtés, comme « neutre » par 30% et comme « attractive » par 50%.

On citera enfin, l’identification des espaces de déambulation et de rencontre ayant également fait l’objet de commentaires divergents selon les enquêtés. La promenade le long du parc aquatique est ainsi identifiée par à peine 30% des destinataires enquêtés comme « attractive », alors que les promenades en stations balnéaires (analyse du corpus T1) étaient quasiment toujours considérées comme des vecteurs d’urbanité concourant à l’attractivité des stations.

Représentations divergentes des espaces de déambulation, Seignosse-Océan. B36 : identifiée comme « répulsive » par 44% des enquêtés, comme « neutre » par 26% et comme « attractive » par 30% ; B22 : identifiée comme « répulsive » par 52% des enquêtés, comme « neutre » par 26% et comme « attractive » par 22%.

Représentations divergentes des espaces de déambulation, Seignosse-Océan. B36 : identifiée comme « répulsive » par 44% des enquêtés, comme « neutre » par 26% et comme « attractive » par 30% ; B22 : identifiée comme « répulsive » par 52% des enquêtés, comme « neutre » par 26% et comme « attractive » par 22%.

Partant du principe que les espaces publics sont des espaces libres et accessibles à tous, donc conçus pour le plus grand nombre, on s’est prioritairement intéressé à l’image « collective » des destinations. Ce faisant, l’ensemble des touristes enquêtés ont été abordés comme une catégorie qui se voudrait unifiante, ce qui mérite évidemment d’être questionné dans une approche complémentaire. Dans une moindre mesure, la dimension plus « individuelle » des représentations a été analysée en fonction des variations possibles des modalités de classement selon le profil des enquêtés (genre, génération ou encore, statut de l’enquêté — c’est-à-dire s’il s’agit d’un excursionniste venu à la journée, d’un touriste en séjour ou d’un résident secondaire [19]). L’analyse statistique centrée sur des tests du khi-deux croisant les appréciations (descriptifs qualitatifs mobilisés) avec les différentes variables explicatives (profil de l’enquêté [20]) a montré qu’effectivement la variabilité du profil des enquêtés introduit des façons différentes de classer l’ensemble des photographies. Par exemple, les femmes rencontrées réalisent un classement comparativement plus tranché (j’aime/je n’aime pas), sur le mode d’un jugement « affectif », alors que celui des hommes se veut plus modéré (ils recourent à un classement de type fonctionnel, constituant leurs groupes selon le type d’espaces considérés : les hébergements, les espaces de promenades, les commerces, etc.). De même, on pouvait également questionner ici la façon dont les enquêtés classaient la seconde série de photographies (relative à la station dans laquelle ils se trouvent), en comparaison avec la première série (stations variées). Il s’agissait, en d’autres termes, d’étudier l’existence ou non de différences significatives au niveau des modalités de classement entre les deux séries photographiques du corpus. Le statut des enquêtés joue donc sur la façon dont ils classent les photos qui leur sont soumises. Excursionnistes et touristes en séjour sont comparativement plus négatifs concernant la seconde série d’images (relatives à la station de Seignosse-Océan ou de Gourette) que les résidents permanents (en proie à la réalité du terrain qu’ils pratiquent quotidiennement), qui se révèlent relativement modérés et que les résidents secondaires (qui ont investi dans ce lieu) qui sont, eux, relativement plus positifs. Pour une prochaine enquête, si l’on souhaite mieux explorer la variété des représentations touristiques et observer plus finement les points de convergence et/ou de divergence entre les représentations des différentes catégories de touristes [21], il conviendrait d’enrichir le questionnaire de clôture portant sur le profil des enquêtés, en s’attachant à la complexité des acteurs touristes [22]. On portera également une attention accrue aux images ayant fait l’objet de commentaires divergents en étudiant les raisons possibles de cette divergence (est-elle liée à une différence de genre, de génération, de catégorie sociale, etc… ?).

L’image photographique présente un grand intérêt pour les chercheurs en urbanisme touristique. En premier lieu, elle est un témoin précieux, utilisé de longue date, qui « enregistre » sur un support plan de nombreux détails que l’œil seul ne saurait retenir. Elle fait office de mémoire additionnelle, construite par et pour le chercheur, attentif au choix de l’angle de prise de vue, du cadrage, de la focale, de la composition, etc. Dans le cadre de l’expérimentation ici relatée, cette fonction illustrative de la photographie a été combinée avec une fonction « expressive ». La proposition d’un corpus aux regards des touristes s’est avérée très riche. On est loin de l’idée, souvent communément véhiculée, d’un public touristique uniforme. L’entretien a libéré la parole de l’enquêté, il lui a dévoilé des aspects des stations et de « sa » station jusque-là ignorés, il l’a entraîné dans un processus réflexif sur son rapport au lieu. Si le touriste a été mis à l’épreuve de l’enquête photographique, en retour, l’enquête photographique a été mise à l’épreuve de cet usager particulier des espaces publics qu’est le touriste, obligeant l’enquêteur à développer souplesse et adaptation dans la mise en œuvre d’une approche méthodologique encore peu utilisée dans la conduite des projets urbains des stations. Ce dispositif méthodologique expérimental a ainsi permis d’associer indirectement les touristes aux réflexions préalables aux projets d’aménagement en stations « archipels ». L’identification des marqueurs microterritoriaux éprouvés par ces destinataires particuliers constitue en effet un support aux échanges relatifs à leur re-conception. La recherche semble ici pouvoir nourrir l’exercice programmatique par une approche réflexive sur l’espace microterritorial des destinations, en amont de la conception des projets de requalification. Reste que l’expérimentation d’un tel dispositif d’enquête demande encore à être consolidée (sur la base d’un corpus photographique peut-être moins large, limité aux espaces urbains au sens strict) et étendue à d’autres lieux (les villes touristiques par exemple) pour mieux prendre en compte la pluralité des populations et des espaces touristiques.

Abstract

Face au constat du vieillissement des stations touristiques « archipels », créées ex nihilo dans les années 1960-1970, des recherches en urbanisme, portant sur leur requalification et menées par l’Umr 5603 du Cnrs, ont posé la question de l’image urbaine et de sa représentation. Dans ce champ disciplinaire et professionnel, l’analyse de l’image des destinations touristiques n’a guère été traitée. Dans ces stations coupées de l’habitat traditionnel existant, la faible proportion d’habitants permanents a conduit à donner la parole à des interlocuteurs qui en sont les « destinataires » essentiels : les « touristes », généralement tenus écartés de l’exercice de concertation et de conception lors des choix d’urbanisme fondateurs. À la croisée des recherches en urbanisme et en tourisme, on a tenté, par une enquête photographique, de révéler comment des marqueurs microterritoriaux pouvaient contribuer à mieux saisir les enjeux de la restructuration des espaces publics. Axées sur la « libre » catégorisation de plus de cent trente images (par double classement libre de photographies), ces enquêtes ont été menées à titre expérimental dans une station littorale (Seignosse-Océan dans les Landes) et une station de montagne (Gourette dans les Pyrénées-Atlantiques). Si les perceptions des touristes ont été au cœur de ce dispositif d’analyse urbaine et paysagère, ils ont en retour permis de mettre à l’épreuve les méthodes d’enquêtes habituellement utilisées en urbanisme. Cet article rappelle les fondements de la méthode d’enquête retenue, en identifiant, au regard des résultats, ses apports et ses limites.

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Notes

[1] Par « stations contemporaines », nous faisons référence aux stations touristiques créées ex nihilo durant les années 1960-1970, selon un modèle « taylo-fordo-keynésio-corbusien » (Ascher, 2001). Ces stations sont également qualifiées ici « d’archipel » dans la mesure où elles ont été construites de toutes pièces dans un territoire vierge et sont, de fait, coupées de l’habitat traditionnel existant.

[2] Les Padd ont été institués par la loi Solidarité et renouvellement urbain (Sru) du 13 décembre 2000 qui marque le passage de la simple réglementation de l’usage des sols des anciens Plans d’Occupation des Sols (Pos) au projet urbain des Plans Locaux d’Urbanisme (Plu).

[3] Les espaces publics sont ici abordés dans leur acception fonctionnelle, en tant qu’espaces concrets, régis par le droit public et aménagés pour des usages variés. Ces espaces sont en principe libres de constructions, ouverts à tous et permettent la rencontre et l’échange (Merlin et Choay, 2009). On évoquera également dans cet article la notion d’espace urbain, en référence à celle de « lieu urbain » proposée par Thierry Paquot, 2009.

[4] La notion de marqueur microterritorial est ici employée en référence au concept de « microterritoire » développé par Markus Zepf (2004, pp. 144-145). Selon lui, en effet, l’espace urbain s’organise selon trois niveaux territoriaux : microterritorial, mésoterritorial et macroterritorial. La dimension microterritoriale « comprend à la fois les éléments architecturaux […] et les éléments qui caractérisent la forme urbanistique au niveau du quartier […]. Ce niveau constitue l’échelle d’appréhension du sens commun, tant sur le plan social que sur le plan spatial ».

[5] Nous employons dans cet article le terme évocateur de «destinataires » pour qualifier cet ensemble souple et évolutif constitué de tous les individus qui utilisent d’une manière ou d’une autre un espace produit, qu’il s’agisse notamment des habitants permanents ou des visiteurs plus ou moins temporaires (Zepf, 2004, p. 141). Il faut préciser ici que, si nous identifions la catégorie particulière de « destinataire » pour la clarté de l’analyse, nous restons conscients qu’il ne s’agit là que d’un type idéal (au sens wébérien).

[6] En pleine saison touristique, les stations se trouvent confrontées à des problématiques urbaines similaires liées à la multiplication des flux de circulation de biens et de personnes. On pense notamment aux désagréments engendrés par les embouteillages, les stationnements « sauvages », les dégradations voire l’insécurité.

[7] Si l’on utilise régulièrement dans cet article le terme générique de « touristes » (afin ici de les distinguer des résidents permanents), on reste toutefois conscient que les individus auxquels renvoie cette catégorie — faussement unifiante — sont éminemment variés au regard de leur histoire personnelle, leur origine géographique, leur genre, leur âge, leur catégorie socio-professionnelle, leur statut (excursionnistes venus à la journée, touristes en séjours ou encore résidents secondaires), etc. Cette question n’étant pas au centre de notre analyse, on se limite toutefois ici à cette manière simplificatrice, si ce n’est caricaturale, d’appréhension des touristes.

[8] La notion d’habitant permanent en station est d’ailleurs en elle-même déjà toute relative (Hatt, 2010). Nous retenons ici le terme d’habitant permanent en station selon une acception volontairement restreinte, en l’appliquant à toute personne vivant sur le territoire spécifique de la station plus de neuf mois dans l’année (donc au-delà de la stricte saison touristique).

[9] L’un des objectifs de cette recherche-action est en effet d’offrir une base de dialogue et d’échange avec et entre les acteurs locaux sur les modalités de la requalification qu’ils souhaitent mettre en œuvre.

[10] Il s’agit des stations françaises de La Grande Motte, Le Crouesty, Saint Jean de Monts, Saint Malo, Ouistreham-Rivabella, Port-Barcarès, Anglet, Saint Jean de Luz, Biarritz et des stations espagnoles de Cambrils, Sant Antoni de Calonge, Rosas, Palamos.

[11] Il s’agit des stations françaises de La Clusaz, Les Sept-Laux, Les Ménuires, Val Thorens, Valmorel, Les Arcs, Sainte Foy Tarentaise, Avoriaz, Les Gets, Saint-Lary, La Pierre-Saint-Martin, Cauterets, Peyragudes ; des stations suisses de Crans-Montana, Vermala, Zermatt, Champéry, Anzère, Nendaz, Grimentz ; et des stations espagnoles de Formigal et Baqueira

[12] Des enquêtes exploratoires ont été mises en œuvre durant l’hiver 2009 à Gourette, Saint-Lary et La Pierre Saint-Martin. Elles ont permis de tester la méthodologie comme le choix du corpus photographique afin d’ajuster et d’affiner la démarche avant sa mise en œuvre systématique, l’hiver suivant.

[13] Il est à noter que les photographies, qui avaient été auparavant numérotées (de A1 à A75 ou A78 pour le premier corpus T1 ; de B1 à B56 ou B59 pour le second corpus T2), ont été présentées dans le même ordre à chacun des enquêtés (elles étaient reclassées avant chaque entretien).

[14] Via un traitement sous Sphinx-Lexica des intitulés des groupements formés et des discours émis sur les différentes photographies..

[15] Les six descripteurs utilisés sont : attractif, plutôt attractif, neutre, plutôt répulsif, répulsif et « sans déterminant » (lorsque le classement est de type fonctionnel, sans appréciation sur le degré qualitatif du groupe considéré).

[16] Six groupes ont ainsi pu être mis en évidence : les images « attractives » et « répulsives » (photos placées dans « tendance attractive/répulsive » par 60-100% des enquêtés), les images « plutôt attractives » et « plutôt répulsives » (photos placées dans « tendance attractive/répulsive » par 50-60% des enquêtés), les images « neutres » (photos qui sont considérées comme neutres par 25-30% des enquêtés et qui ne sont pas fortement marquées par une autre tendance — attractive ou répulsive, ce qui tend par ailleurs à les assimiler au groupe des images divergentes) et les images « divergentes » (photos étant identifiées de façon très différentes selon les enquêtés : les commentaires sont variés, aucune tendance forte ne se dégage qu’elle soit attractive, répulsive ou neutre).

[17] Il a également été possible d’identifier l’image forte (la photo jugées la plus représentative de chacun des groupes d’après les touristes enquêtés) de chacune de ces tendances.

[18] D’une part, la présentation d’une gamme variée d’espaces urbains susceptibles de susciter des réactions de la part des touristes exigeait de retenir des vues d’espaces publics spécifiques au terrain d’étude mais également extérieurs afin de favoriser le double phénomène d’objectivation (T1) et d’ancrage (T2). D’autre part, les cibles de l’enquête, les touristes, ne sont présents que temporairement dans la station, il n’était donc guère envisageable de leur demander de prendre leurs propres vues et de les rencontrer à plusieurs reprises comme on peut le faire avec des habitants permanents ou du personnel politico-administratif.

[19] Jean-Didier Urbain (2002, p. 517) questionne d’ailleurs le statut de « touriste » généralement conféré au résident secondaire qui vit « entre ville et campagne, circulant et transplanté, il est comme pris entre des usages contraires de l’espace rural : le traverser ou y demeurer. En fait, il fait les deux. Polysédentaire, c’est un nomade ». Il s’interroge alors sur le vécu de ce séjour intermédiaire et sur l’imaginaire de l’habiter et de la mobilité qu’il sous-tend, entre distanciation touristique et implication citoyenne.

[20] On s’intéresse ici aux modalités de classement variables selon le genre, l’âge, l’origine géographique, le statut (excursionniste, touriste en séjour, résident secondaire), la durée du séjour et le fait que l’enquêté vienne ou non pour la première fois dans la station.

[21] Il serait plus largement envisageable de tester les similarités et divergences de représentations entre les destinateurs et les destinataires des espaces urbains ainsi qu’entre les habitants permanents et les habitants temporaires.

[22] On pourrait par exemple, à la suite des travaux de Georges Cazes (1992), évaluer le profil des touristes selon une échelle binaire : sédentaires ou itinérants, touristes-loisir « passifs » ou au contraire « actifs », écotouristes ou technotouristes, etc. On passerait alors d’une analyse en termes de catégories socioprofessionnelles à une analyse en termes de « styles de vie » (Lanquar, 1990).

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