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Qui ?

Image1Dans une conférence donnée le 1er avril 2005 à Subiaco, le futur pape Josef Ratzinger a déclaré : « En Europe, une culture s’est développée dans l’opposition la plus radicale qui soit, non seulement avec le christianisme, mais avec les traditions religieuses et morales de toute l’humanité. » [« In Europa si è sviluppata una cultura che costituisce la contraddizione in assoluto più radicale non solo del cristianesimo, ma delle tradizioni religiose e morali dell’intera umanità. »]

On ne peut que se déclarer en parfait accord avec ce constat. Il s’agit d’un énoncé proprement cognitif, qui peut avoir un sens acceptable pour différentes personnes divergeant sur d’autres points, tels que, par exemple, les enseignements à tirer de cette affirmation. Ce n’est pas parce que l’on peut, éventuellement, ne pas suivre Ratzinger dans ses conclusions pratiques qu’il ne faut pas prendre au sérieux son analyse.

La transformation que signale cet observateur attentif est effectivement de grande portée. On peut la résumer comme le passage de la morale à l’éthique. Elle consiste en ce que l’on est passé dans la sphère affective-objective, celle des valeurs et des normes, d’une configuration à une autre. En Occident, nous sommes partis d’un ensemble de principes dont on affirmait qu’ils découlaient d’une transcendance extérieure, qu’ils échappaient à l’histoire et qu’ils s’imposaient à tous. En fait, ils étaient mis en œuvre de manière inconséquente et seulement dans certaines configurations. Nous entrons dans un univers d’autotranscendances, qui s’assument comme historiquement situées et réflexives, mais qui tendent à s’actualiser partout, sans exception. À une généralité proclamée, planant au-dessus des hommes et constamment bafouée dans la pratique, succède une universalité construite grâce au ressort des individualités singulières et dont la dynamique suppose un échange permanent et organisé dans la sphère publique. Cela change tout. Par exemple, dans la gestion de la sexualité, qui obsède les Églises, la revendication du droit à l’avortement conduit à une définition, nouvelle et évolutive, de la vie humaine. Cette conception est contradictoire, à la fois dans son contenu et dans sa construction, avec celle de la « vie », défendue par la plupart des religions. De même, la lutte contre le sida conduit à délégitimer, sous peine d’aporie ingérable, toute prétention à édicter une norme absolue en matière d’orientations et de pratiques sexuelles. En s’attelant pragmatiquement, c’est-à-dire entre acteurs, aux problèmes effectivement posés hic et nunc à l’humanité, nos contemporains inventent des dispositifs modestes et puissants. Modestes, parce qu’ils s’élaborent pas à pas, de manière incrémentale, sans que les réorganisations plus globales qu’ils appellent soient énoncées à l’avance. Puissants, parce que, pour cette raison même, ils progressent lentement mais sûrement et contiennent des cliquets qui rendent les retours en arrière improbables. Cette éthique engagée dans l’histoire humaine, et qui l’assume, mais qui n’est pour autant ni désinvolte ni arbitraire, se révèle en fin de compte moins « relative », autrement dit moins contingente, que l’action produite au nom de la morale, telle que nous avons pu l’observer jusqu’ici.

Ce n’est pas une révolte, sire Benoît, c’est une révolution, et vous en avez saisi, vous, toute l’ampleur.

Notre sympathique ex-futur pape traite ainsi aujourd’hui les questions éthiques non seulement comme un sujet de « philosophie morale », c’est-à-dire comme un enjeu de discussion (par ailleurs légitime) sur les valeurs et les normes à adopter, mais aussi (à sa façon) comme un objet de connaissance. Mais au fait, qui au sein des sciences sociales aborde l’éthique comme un objet partie prenante de l’historicité des sociétés, comme un objet d’étude de plein exercice pour les sciences sociales ? Oui, qui ?

Abstract

Dans une conférence donnée le 1er avril 2005 à Subiaco, le futur pape Josef Ratzinger a déclaré : « En Europe, une culture s’est développée dans l’opposition la plus radicale qui soit, non seulement avec le christianisme, mais avec les traditions religieuses et morales de toute l’humanité. » [« In Europa si è sviluppata una ...

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Jacques Lévy

Professeur de géographie et d’aménagement de l’espace à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, directeur du laboratoire Chôros. Il travaille sur la ville et l’urbanité, la géographie politique, l’Europe et la mondialisation, les théories de l’espace des sociétés, l’épistémologie de la géographie et des sciences sociales. Il a notamment publié Géographies du politique (dir.), 1991 ; Le monde : espaces et systèmes, 1992, avec Marie-Françoise Durand et Denis Retaillé; L’espace légitime, 1994 ; Egogéographies, 1995 ; Le monde pour Cité, 1996 ; Europe : une géographie, 1997 ; Le tournant géographique, 1999 ; Logiques de l’espace, esprit des lieux (dir.), 2000, avec Michel Lussault ; From Geopolitics to Global Politics (ed.), 2001 ; Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (dir.), 2003, avec Michel Lussault. Il est le coordinateur des rédactions d’EspacesTemps.

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