Jean-Marie Krumb est diplômé en sciences économiques et en philosophie. Il est professeur agrégé de philosophie. Il est responsable, au sein des Éditions Pleins Feux, situées à Nantes, de la collection « Variations ».
La collection « Variations ».
Jean-Marie Krumb, vous êtes le responsable de la collection « Variations », aux Éditions Pleins Feux. Pourriez-vous d’abord nous présenter cette maison d’édition, installée à Nantes ?
La structure Pleins Feux (association loi 1901) existe d’abord et avant tout par la volonté de son responsable éditorial, Didier Périgois, qui l’a créée en 1997. Située dans un premier temps à Saint Sébastien sur Loire, en périphérie de Nantes, elle est maintenant installée au cœur de la ville, 14 Place du Commerce. La direction du bureau est assurée par Cécile Defaut, assistante éditoriale. Un accord passé avec les Presses Universitaires de France permet d’assurer la diffusion des ouvrages en France et à l’étranger.
Les Éditions Pleins Feux sont spécialisées dans la publication, à destination du plus large public possible, d’ouvrages concernant les sciences humaines, les arts, la littérature, et bien sûr, au premier chef, la philosophie. Le projet de Didier Périgois, à l’origine, était de rendre accessibles au grand public les réflexions de personnalités de premier plan – philosophes, historiens, scientifiques, écrivains, artistes… – à travers l’organisation d’un certain nombre de conférences, que les Éditions Pleins Feux s’engageraient par la suite à publier. Pari tenu : un programme de conférences, imaginé par Didier Périgois, est organisé tous les ans, depuis quatre années maintenant, en collaboration avec Gérard Allard, directeur du Piano’cktail de Bouguenais, en Loire-Atlantique, dans une grande salle accueillant tous les premiers lundis de chaque mois plus de sept cents personnes. L’« esprit » d’un tel projet, selon Didier Périgois, peut être résumé comme suit : « La concision du propos, l’oralité de la réflexion, l’adresse directe à un public interrogateur sont autant de critères qui répondent aux exigences du siècle à venir, parce que le temps devient de plus en plus compté, parce que l’oralité est aussi affaire de transmission et non pas seulement de communication, et que l’épreuve datée, en un lieu donné, devant un public, ajoute à la rigueur des propos l’originalité d’un moment vécu et partagé ».
Parallèlement à la collection « Lundis Philo », qui reprend ces conférences, d’autres collections ont progressivement été créées, dont la collection « Version originale », la collection « Auteurs en question », la collection « Étude(s) »…, ainsi que la dernière-née, la collection « Variations ». J’ajoute, pour terminer cette présentation sommaire, que les Éditions Pleins Feux, en collaboration avec l’Université de Nantes et avec l’aide de la Mairie de Nantes, ainsi que d’autres partenaires institutionnels, organisent depuis deux ans maintenant une manifestation d’envergure, intitulée « Escales philosophiques » , qui a pour but, à partir d’un thème donné, de donner la parole à un certain nombre d’intervenants (philosophes bien sûr, mais aussi romanciers, artistes, cinéastes…). Cette manifestation, ayant lieu sur plusieurs jours, a permis de réunir, sur l’ensemble des conférences, des ateliers ou des tables-rondes organisés, plus de trois mille personnes à chaque fois. Pour information, les deux thèmes retenus pour 2000 et 2001 furent respectivement : la sagesse et la sensibilité ; le thème choisi pour cette année est : le pouvoir.
Votre collection s’intitule « Variations », et la citation de Diderot qui ouvre désormais les ouvrages de la collection fait référence aux variations en musique. Comment faites-vous la liaison entre ces deux éléments ?
Chacun de nous, au cours de sa formation ou de ses lectures, a un jour été interpellé par la pensée d’un auteur, qui l’a ému, bouleversé, fait voir le monde autrement. C’est de ce choc intellectuel et affectif que les auteurs de « Variations » sont appelés à porter témoignage. Autrement dit, on se méprendrait complètement sur le sens de notre projet si l’on y voyait seulement l’exigence de commenter de façon neutre ou objective la citation d’un philosophe, d’un poète, d’un romancier, etc. Certes, la première partie – très courte – de ce qui est en vérité un exercice de style ou un essai, se présente effectivement sous la forme d’un commentaire scolaire de la citation. Mais il faut y voir davantage une espèce d’introduction, destinée à resituer cette citation dans son contexte, et à en préciser le sens approximatif au lecteur. L’essentiel, en un itinéraire dont l’auteur seul possède la clef, commence ensuite. On pourrait dire, en un sens premier, qu’il s’agit pour l’auteur de montrer l’actualité de la citation. C’est dire que la partie « Variations » – partie principale de l’ouvrage par la taille et le projet – ne consiste pas, en principe, en un commentaire d’histoire de la philosophie, mais bien en une réflexion personnelle, originale, où l’auteur s’implique, prend parti, défend des thèses, exprime des convictions.
Or c’est de cette subjectivité de réflexion que la notion de variation, en musique, nous a paru justement constituer le symbole le plus éloquent. J’ai cherché pendant un temps assez long une définition de cette notion, susceptible d’exprimer métaphoriquement le sens et l’« esprit » de la collection. Je crois l’avoir trouvée dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, où l’on peut lire sur ce sujet :
« Variations, en Musique, sont différentes manieres de jouer ou de chanter un même air, en y ajoutant plusieurs notes pour orner ou figurer le chant. De quelque maniere qu’on puisse charger les variations, il faut toujours qu’au-travers de toutes ces broderies on reconnoisse le fond de l’air, qu’on appelle le simple ; & il faut en même tems, que le caractere de chaque couplet soit marqué par des différences qui soutiennent l’attention, & préviennent l’ennui. »
Il s’agit donc, semblablement à ce qui se passe en musique, de composer un ensemble de variations à partir de ce « simple », par analogie, que constitue la citation. Ces variations concernent bien évidemment, au premier chef, le contenu. Ainsi Jean-Marie Frey, dans son ouvrage, a-t-il développé, à partir de la citation suivante de Rousseau : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », deux variations sur les thèmes respectifs de l’école de la République et de la Nation. Mais ces variations peuvent aussi s’appliquer, de façon peut-être moins évidente pour des auteurs-philosophes (sauf s’ils sont musiciens) à la forme elle-même. C’est du reste ce qui a lieu en musique, où le « fond de l’air », pour reprendre les termes de l’Encyclopédie, doit rester le même malgré les différentes interprétations qui le font varier. Il est donc tout à fait légitime, si l’on veut respecter l’esprit de la collection – même s’il est vrai que toutes les citations ne s’y prêtent peut-être pas – de développer des variations où la forme d’expression choisie, elle-même, varie. S’il fallait citer un ouvrage de la collection qui fût le proche de cette exigence, je citerais sans hésiter celui de Dominique Doucet, consacré à la réflexion suivante de saint Augustin : « Aime et fais ce que tu veux. » On y trouve en effet conjugués avec talent des modes d’exposition a priori hétérogènes et fort différents : argumentation, style romanesque, récit mythique… S’il est un moyen, faisant partie d’un authentique art d’écrire, susceptible de « soutenir l’attention » et de « prévenir l’ennui » , peut-être s’agit-il alors d’un moyen comme celui-là !
A qui s’adresse cette collection ? Quelle en est l’origine ? Et ne craignez-vous pas un effet « classes prépas », une utilisation détournée de vos ouvrages vers la citation de dissertation de Lettres sup ?
C’est encore une fois Didier Périgois – la paternité du projet lui revenant ainsi de plein droit – qui a eu l’idée de cette collection, et qui lui a trouvé un nom. Nous l’avons conçue comme pouvant s’adresser, en principe, au plus large public possible : lycéens, étudiants, mais aussi grand public. Que chaque auteur s’implique lui-même dans la réflexion, que les citations choisies ne soient pas forcément des citations canoniques – certaines sont très peu connues ! – cela devrait éviter l’effet « classes prépas » dont vous parlez.
Quelles contraintes éditoriales imposez-vous aux auteurs ? Et dans quels buts ?
Il y a tout d’abord une contrainte liée au nombre de caractères. Il s’agit d’ouvrages au format de poche, qui ne doivent pas excéder 40 000 caractères (plus ou moins 2 à 3%), espaces compris. Les propos développés, ensuite, doivent être clairs, compréhensibles par des lecteurs non philosophes. Les auteurs, si possible, doivent donc s’abstenir de tout jargon technique. Si des termes techniques se révèlent néanmoins nécessaires, les auteurs sont dans l’obligation de les expliciter soigneusement. Les renvois à des notes situées en bas de page, dans le cadre de la collection, sauf cas exceptionnels, sont proscrits. Les références (noms d’auteurs, titres d’œuvres, citations, etc.), si besoin est, doivent être produites dans le corps du texte, sans précision supplémentaire. Ces diverses contraintes ont pour buts, du côté du lecteur, de rendre la lecture plus précise, plus aisée aussi. Elles obligent l’auteur, de son côté, à se remettre peut-être en question, car il est évidemment beaucoup plus difficile de produire ce type de texte qu’un texte répondant à des critères spécifiquement universitaires.
De l’art de la citation.
Dix ouvrages sont imprimés aujourd’hui. Lesquels ?
N 1 / Jean-Marie Frey : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » (Rousseau)
N 2 / Pierre-Yves Bourdil : « L’homme est une passion inutile » (Sartre)
N 3 / Christian Godin : « Nul n’est méchant volontairement » (Platon)
N 4 / Étienne Naveau : « L’enfer, c’est les Autres » (Sartre)
N 5 / Pierre Magnard : « Il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme » (Montaigne)
N 6 / Dominique Doucet : « Aime et fais ce que tu veux » (Saint Augustin)
N 7 / Alain Lagarde : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » (Pascal)
N 8 / Michel Élie Martin : « La nature est un livre écrit en langage mathématique » (Galilée)
N 9 / Gilles Lazuech : « Toute confiance est d’une certaine manière confiance aveugle » (Anthony Giddens)
N 10 / Étienne Naveau : « La foule, c’est le mensonge » (Kierkegaard)
Pourquoi avoir commencé par ces citations-là ?
La réponse, en conséquence des indications données plus haut, est très simple. Ce sont les auteurs qui, à l’origine, nous proposent de travailler sur une citation, qu’ils ont eux-mêmes choisie, et non pas nous qui leur proposons une liste de citations prédéterminées, à partir de laquelle ils auraient ensuite à faire leur choix. Notre principe, c’est que les auteurs restent entièrement libres dans la détermination et par suite dans la réalisation de leur projet.
Quelles sont les prochaines publications prévues ?
Certaines contributions ont été réceptionnées, lues avec attention, modifiées sur certains points par leurs auteurs, et attendent par conséquent d’être mises en page. Je dois en recevoir au moins quatre ou cinq autres, très prochainement. Les prochaines publications prévues sont les suivantes :
Pierre Billouet : « Comment se peut-il qu’un enfant soit bien élevé par qui n’a pas été bien élevé lui-même ? » (Rousseau)
Denis Moreau : « Je pense, donc je suis » (Descartes)
Jean-Marie Frey : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison » (Freud)
Marc-Vincent Howlett : « La sensualité géniale est l’objet absolu de la musique » (Kierkegaard)
Nathalie Monnin : « L’histoire justifie ce qu’on veut » (Valéry)
Nathalie Monnin : « On ne naît pas libre : on le devient » (Simone de Beauvoir)
Guillaume Bonzom : « Connais-toi toi-même » (Socrate-Platon)
Bernard Andrieu : « Le seul crime réel de l’homme serait de troubler l’ordre de la nature » (Sade)
Dominique Doucet : « Et ne cesse de sculpter toi-même ta propre statue » (Plotin)
Jean-Jacques Wunenburger : « Le conflit est père de toutes choses » (Héraclite)
David Christoffel : « La nouvelle économie est une forme avancée de démocratie sociale » (Richard Barbrook)
Jérôme Porée : « Il y a tant de sortes de défauts en la vieillesse, tant d’impuissance ! » (Montaigne)
Yvon Quiniou : « La morale, une anti-nature » (Nietzsche)
Sur quels critères choisissez-vous et valorisez-vous ces citations et ces variations (et pas d’autres) ?
Le premier critère, c’est très certainement la variété et l’hétérogénéité des thèmes choisis. Il ne faut pas que, dans un délai de publication trop bref, deux citations concernent le même thème. Ainsi avons-nous par exemple émis un avis défavorable sur un projet concernant une citation de Baudelaire, sur le thème de la douleur, parce qu’un autre auteur travaillait déjà sur une citation de Hegel, ayant pour objet le même thème. A l’origine, nous souhaitions également que les citations traitées fussent le plus courtes possibles. Cela reste un de nos critères, même s’il n’est pas toujours envisageable de l’appliquer aussi rigoureusement que nous le voudrions. Dans ce domaine, les auteurs ont aussi certains arguments à faire valoir – arguments qui, dans le cas de citations plus longues, sont susceptibles d’emporter notre décision. Reste bien sûr l’originalité des citations elles-mêmes, pour l’acceptation du projet. Les travaux une fois achevés, quant à eux, doivent satisfaire aux exigences énoncées plus haut, principalement l’exigence de clarté et donc de lisibilité. Pour l’instant, aucune contribution n’a définitivement été refusée, mais certains auteurs – rares il est vrai – ont dû procéder à des ajustements importants, voire, dans deux cas au moins, accepter de récrire l’ensemble de leur texte.
A plus long terme, quels sont les autres projets déjà retenus ?
Charles Coutel : « Il faut qu’en aimant les lois on sache les juger » (Condorcet)
Charles Coutel : « Tout commence en mystique et finit en politique » (Péguy)
Dominique Doucet : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Genèse)
Jean-Marie Frey : « Rien de grand ne s’est fait dans le monde sans passion » (Hegel)
Marie Gaille-Nikodimov : « Il m’a paru plus convenable d’aller droit à la vérité effective de la chose » (Machiavel)
Mikaël Garandeau : « L’homme est un loup pour l’homme » (Hobbes)
Jean-Marie Krumb : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » (Dostoïevski)
Julien Molard : « Le passé est comme le beau, inviolable » (Simone Weil)
Étienne Naveau : « La mort n’est rien pour nous » (Épicure)
Étienne Naveau : « La vie est un songe » (Calderón)
Michel Magnant : « Deviens ce que tu es » (Nietzsche)
Jean-Luc Nativelle : « La beauté n’a de valeur que pour les hommes » (Kant)
Jean-Claude Pinson : « La vraie vie est absente » (Rimbaud)
Jean-Claude Pinson : « La beauté n’est que la promesse du bonheur » (Stendhal)
Guy Rousseau : « J’aimerais mieux pas… » (Melville)
Fiche technique de la collection « Variations ».
Collection « Variations ».
Éditions Pleins Feux, 14 Place du Commerce, 44000 – Nantes Tél./Fax. : 02.40.35.21.46 Courriel : pleins-feux@wanadoo.fr
Date de création Octobre 2000
Directeur de la collection Jean-Marie Krumb. 6, Avenue de Bretagne. Tél. : 02.28.01.46.89 Port. : 06.64.95.16.53 Courriel : jm.krumb@tiscali.fr
Principe général de la collection Essai à partir d’une citation.
Présentation des ouvrages Format de poche Tirage : 2000 à 3000 exemplaires Imprimeur : La Manutention – Mayenne Distribution : Presses Universitaires de France
Titres Publiés.
Octobre 2001.
Jean-Marie Frey : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » (Rousseau)
Pierre-Yves Bourdil : « L’homme est une passion inutile » (Sartre)
Janvier 2002.
Christian Godin : « Nul n’est méchant volontairement » (Platon)
Etienne Naveau : « L’enfer, c’est les Autres » (Sartre)
Mars 2002.
Pierre Magnard : « Il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme » (Montaigne)
Dominique Doucet : « Aime et fais ce que tu veux » (Saint-Augustin)
Juin 2002.
Alain Lagarde : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » (Pascal)
Michel Élie Martin : « La nature est un livre écrit en langage mathématique » (Galilée)
Octobre 2002.
Gilles Lazuech : « Toute confiance est d’une certaine manière confiance aveugle » (Anthony Giddens)
Etienne Naveau : « La foule, c’est le mensonge » (Kierkegaard)
Décembre 2002.
Pierre Billouet : « Comment se peut-il qu’un enfant soit bien élevé par qui n’a pas été bien élevé lui-même ? » (Rousseau)
Denis Moreau : « Je pense, donc je suis » (Descartes)