Petits parasites nocturnes de 5 à 8 mm de long, les punaises de lit seraient apparues il y a cent millions d’années et auraient vécu en même temps que les dinosaures. Elles sévissaient déjà sur les humains pendant l’antiquité, des spécimens ont d’ailleurs été retrouvés dans des tombes égyptiennes. Plus tard, ce phénomène parasitaire était vécu comme une fatalité tant les recettes de grand-mère pour les éradiquer échouaient. L’arrivée du chauffage central n’a fait qu’empirer le désastre. En Occident dans les années 1950 le DDT a permis de les éradiquer presque totalement. Mais elles reviennent en force depuis quelques années à la faveur de la démocratisation des voyages notamment venant de pays du Sud d’où elles n’ont jamais disparu. L’usage massif des locations temporaires type Airbnb et les nombreux échanges commerciaux ont fini d’enfoncer le clou. Et ces dernières années, les punaises font leur comeback partout et notamment en France. Selon une enquête Ipsos entre 2016 et 2020 plus de 4,7 millions de Français en ont été infestés, soit 7 % de la population. Sympa.
Dans le genre sympa aussi, en mars 2020, date du désormais historique « premier confinement », sans que personne ne le projette encore, nous – enfants, adultes, jeunes actifs, retraités, bien portants, dépressifs, mourants, adolescents en rut… bref tout le monde – nous apprêtons à vivre une chose inédite et insensée : tous logés à la même enseigne, enfermés séparément mais tous ensemble.
Mais quel est donc le rapport entre le Covid et les punaises de lit ?
Étant entendu que le Covid est une maladie potentiellement mortelle alors que les punaises de lit ne mettent en danger la santé de personne ; étant entendu par ailleurs que je ne suis pas médecin et encore moins épidémiologiste (contrairement au nombre incalculable de Français adeptes d’ultracrépidarianisme [1]), il est donc aussi entendu que dans cette démonstration, ne seront évoquées que les effrayantes similitudes des conséquences psychologiques du Covid et des punaises de lit sur les humains. Parce que sur ce plan : punaise et Covid, même combat.
Une épidémie.
Une épidémie (du grec epi « au-dessus », et demos « peuple ») est la propagation rapide d’une maladie infectieuse à un grand nombre de personnes, le plus souvent par contagion.
L’épidémie désigne aussi une recrudescence d’une maladie endémique ou l’apparition d’un grand nombre de malades là où la maladie était absente.
Le virus Sars-CoV-2 et les punaises fonctionnent de la même façon épidémique. Ils ont besoin d’un hôte. Tous deux ont une faculté phénoménale de transmission et d’adaptation à leur milieu. L’un mute (coucou les variants) ? Les autres aussi ! Si le virus s’adapte continuellement aux vaccins, les punaises, elles deviennent résistantes aux insecticides et sont même programmées pour rester plus de 18 mois sans se nourrir. Toutes ces qualités rendent le Covid et les punaises sacrément contagieux et invincibles.
Un ennemi invisible.
Une autre des « qualités » dont peut se vanter un virus est d’être microscopique et invisible à l’œil nu. C’est une force indéniable qui lui permet de se déposer partout et de se propager. La punaise, elle, n’a pas réussi au cours de ses mutations à devenir aussi petite. En revanche elle a développé de sacrés dons d’invisibilité. Les punaises savent se cacher dans les recoins les plus reculés (derrière les tapisseries, dans les prises, les plinthes et les moindres petites anfractuosités des literies et des murs). Elles pondent des œufs minuscules quasi transparents sur un matelas blanc et leurs larves savent déjà piquer dès la naissance. Et bien sûr elles ne sortent que la nuit quand vous dormez, ayant développé un radar à CO2 et un indicateur de mouvement jalousé par les meilleurs services d’espionnage.
Un mal asymptomatique… ou pas.
Au cours d’une hypothétique – mais très probable – assemblée secrète hautement complotiste visant à pourrir la vie des pauvres Terriens, les punaises de lit et le Sars-CoV-2 se sont mis d’accord pour corser un peu les choses en ajoutant un dernier petit piment à l’affaire : rendre très difficile de déterminer leur contamination/infestation.
Ainsi, de la même façon que l’on peut avoir contracté le Covid sans en développer aucun des symptômes, les piqûres de punaises de lit peuvent rester indécelables et ne provoquer aucune démangeaison. Super malin. Cette technique d’agression en mode furtif digne des plus grands stratèges de guerre offre un délai très précieux au Covid et aux punaises pour vaquer en toute impunité sans qu’on les soupçonne d’être là et, tranquillement mais sûrement, proliférer.
Les facteurs aggravants.
Dans le cas du Covid, on sait que les désormais bien connues comorbidités (ces autres affections qui fragilisent notre organisme en dehors de la maladie elle-même, comme le diabète ou la faiblesse cardiaque) sont des facteurs aggravants de risque, soit de contracter le virus, soit d’en développer une forme plus grave donc potentiellement létale. Rappelons que les punaises, quant à elles, ne tuent pas, mais qu’un endroit insalubre, humide et sale serait la cause d’un pullulement plus massif de ces parasites.
Cependant, il existe bel et bien un autre facteur aggravant dont on ne parle jamais et qui pourtant fait des ravages : les autres.
Cette collègue qui raconte les yeux exorbités à qui veut bien l’entendre que, quand elle a été infestée de punaises de lit, elle a jeté tous ses meubles. « Vraiment tous ? », « Oui, tous ».
Cet autre collègue dont la tante du beau-frère connait quelqu’un qui est mort du Covid alors qu’il était asymptomatique, « mais si, j’te jure, c’est dingue ».
Ce médecin-charlatan marseillais qui a vanté haut et fort le succès d’un remède miracle sans avoir fait le moindre essai.
Cette laborantine sadique qui fait des tests antigéniques douloureux.
Ces gens dans le métro qui portent leurs masques sous le nez, ou sous la bouche ou dans leur poche et qui en plus éternuent.
Cet employé de l’entreprise de désinfection qui évoque les divorces et les suicides provoqués par les infestations de punaises et vous laisse évaluer la grande probabilité que vous soyez le prochain sur la liste.
Cette amie en dépression depuis le confinement.
Cette ministre qui clame l’inutilité des masques à la télévision en prime time et son gouvernement qui, quelques mois plus tard, inflige des amendes à 135 euros aux contrevenants qui ne le porteraient pas dans les lieux publics.
Ces gens, dans le doute, qui voudraient bien attendre qu’on ait un tout petit peu de recul avant de se ruer sur leurs doses de vaccins.
Ces complotistes excités qui affirment que le vaccin est une ruse pour implanter des puces dans les bras de la population.
Cette application privée qui permet de prendre un rendez-vous médical, devenue le seul moyen de programmer son vaccin d’utilité publique, saturée à chaque nouvelle annonce du gouvernement.
Ces sites Internet qui divulguent à la chaine des photos d’endroits infestés de punaises depuis des années et clament que, sans l’aide d’un professionnel, il est impossible de venir à bout d’une infestation de punaises de lit.
Ces autres sites qui à l’inverse vantent des méthodes de grand-mère à base de vinaigre blanc et de poudres miracles.
Tous ces gens devenus épidémiologistes sur les réseaux sociaux.
Tous ces spécialistes des punaises alors qu’ils n’en ont jamais eu.
Bref, on le savait, l’enfer c’est les autres, et plus encore que chaque discours en soi, le véritable facteur aggravant c’est l’injonction contradictoire que la diffusion massive de toutes ces informations et surtout non-informations provoque en nous. Pour combattre des ennemis si difficiles à cerner, on a besoin de s’accrocher à des certitudes. Quoi de pire alors que de devoir en changer toutes les cinq minutes ?
Bon, mais alors, on fait quoi ?
On l’a compris, les piqûres ou la toux ne sont que les signes de la présence du Sars-CoV-2 a partie visible des symptômes du Covid et des punaises de lit. Il y a une face cachée à l’iceberg (je me comprends) : c’est le doute, l’incertitude, le grand questionnement. L’ai-je attrapé ? En ai-je chez moi en train de proliférer ? Dois-je me considérer comme sain puisque je ne ressens aucun symptôme ? Et si je contaminais malgré moi quelqu’un d’autre ? Dois-je alors à l’inverse me comporter comme contaminé alors que je suis peut-être sain ? Voilà ce qui, dans les deux cas, tape sur le système et correctement.
Et contre ça, cette folie qui nous prend quand on se laisse aller à la peur, le doliprane et l’insecticide ne suffisent pas. Ce genre de duel nécessite une arme que tout le monde ne détient pas naturellement, ou que certains ont perdue en cours de route : la confiance. Et pour vivre – même avec un masque et des gestes barrières – sans penser à chaque instant que des molécules de Sars-Cov-2 vont nous atteindre, pour se coucher chaque soir dans son lit sans imaginer que des bestioles vont venir boire notre sang plus ou moins discrètement, il en faut de la confiance. En soi, en le monde, en la science, en sa chance.
L’évidence est là, on nous le martèle, il nous faut apprendre à « vivre avec » le Covid, comme avec les punaises. Cette proposition fait sens, alors que l’on vient de quitter la dixième personne qui nous parle de ses punaises de lit et qu’une énième vague de coronavirus s’abat sur le Monde grâce à la mutation du fameux variant Omicron. Le Sars-CoV-2 ne fait pas de distinction de classe et s’invite dans tous les organismes qui se mettent sur son chemin. Il en va de même pour les punaises de lit qui sont attirées uniquement par le sang de leurs hôtes, propres ou sales, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, noirs ou blancs. Cela parait clair, malgré les différentes doses de vaccin, et toute la terre de diatomée saupoudrée, à un moment ou à un autre et malgré toutes nos précautions, on va en passer par là, attraper l’un ou les autres. « Vivre avec » ne signifie pas avoir le Covid ou des punaises de façon chronique, ça signifie simplement « Vivre avec l’idée qu’on y sera confronté un jour ».
Donc, on lave sa couette et on met son masque.
Ou on lave son masque et on se met sous la couette.