À ce jour, la majeure partie des quotidiens et hebdomadaires d’information ont mis en place un dispositif éditorial sur Internet, proposant généralement leurs articles récents en libre accès. En l’espace de quelques années, la quantité d’informations publiés a pris de telles proportions, qu’il est impossible d’en percevoir l’ensemble. Si ce constat était déjà vrai pour l’édition papier, sa transposition à Internet doit être abordée avec prudence. Les capacités de calcul et d’automatisation sont telles, qu’il est techniquement possible de parcourir une quantité d’informations beaucoup plus importante en un temps plus court. Pour s’en convaincre, l’utilisation de Google News, le moteur d’agrégation de l’actualité de Google (cf. Incontournable et sans contenu), permet d’observer que ce dernier utilise plus de 4500 sources d’information pour les pays anglophones, 700 pour les pays germanophones ou hispanophones et 500 pour les pays francophones. Il n’est alors pas étonnant que ce soit le moteur de recherche le plus efficace à ce jour qui propose ce service.
L’agrégation proposée par Google s’inscrit dans un ensemble plus vaste de projets dont la vocation avouée est de permettre aux lecteurs d’avoir une perception plus « objective » de l’actualité. L’absence d’intervenant humain dans la sélection et la mise en valeur de l’information est présentée par Google comme une garantie d’absence de « parti pris politique » et « idéologique ». La solution proposée consiste alors à trouver de l’objectivité dans la confrontation de subjectivités, en mettant d’autant plus en valeur les informations qu’elles ne l’ont été lors de leur publication. L’idée n’est pas nouvelle, mais la voilà actualisée dans un dispositif fonctionnel au plus grand plaisir des tenants de l’utopie de la communication et de l’autorégulation des systèmes d’information. D’autres initiatives servant les mêmes objectifs mettent en oeuvre des solutions tout à fait différentes. C’est le cas d’Indymedia, crée en 1999 à l’occasion du sommet de Seattle, et plus récemment de Wikinews, un projet d’adaptation du principe des wikis au traitement de l’actualité (cf. L’encyclopédie collective). Ces deux projets proposent que l’information soit produite par tous ceux qui souhaitent faire part de leur point de vue sur l’actualité. Là aussi, il s’agit de chercher de l’objectivité dans la confrontation de subjectivités, mais par substitution et non par agrégation. Hypothétiquement, au point de vue de la presse répond le point de vue de « tout le monde ». Cette solution est aussi au cœur d’utopies contemporaines, qui suggèrent que l’absence de hiérarchie et la désintermédiation sont un moyen de faire circuler l’information plus efficacement. En fond, on perçoit clairement que ce type de projet n’est pas sans rapport avec la remise en cause du politique et avec la démocratie d’opinion. Le risque, alors évident, est de ne pas reconnaître la compétence singulière de personnes qui assurent des taches spécifiques afin d’être plus efficace, dont, présentement, les journalistes. L’individualisme, manifestement, va de pair avec le refus de déléguer une part de notre vie à des personnes jugées compétentes par la société. La caricature de cette démarche se traduit dans le développement de l’automédication ou de l’abstention politique.
Dire, comme James Surowiecki (The Wisdom of Crowds, 2004), que la foule est plus intelligente que l’individu ou, comme Pierre Lévy (L’intelligence collective, 1994), que les dispositifs de télécommunication que la société produit annoncent l’avènement d’une intelligence collective, ne revient pas à défendre l’idée selon laquelle un individu en vaut un autre sur un point spécifique. Si ces propos peuvent être discutables, ils le sont au sens propre du terme, et ils ne seraient alors qu’une réinvention de la démocratie. Cette dernière ne repose pas sur d’autres suppositions, que celle qui suggère que c’est au plus grand nombre de choisir les personnes qui décideront de leur avenir commun. En revanche, ces hypothèses sont radicalement opposées à celles qui croient en la capacité de l’individu à savoir seul ce qui est bon pour lui. Souvent, c’est pourtant ce que l’on en retient. Bien entendu, le débat se situe entre l’individu et la société et non au sein d’un de ces cas limites. Un projet tel que Wikipedia, s’il fonctionne, doit être perçu comme une innovation sociétale et non individuelle. Le nier consisterait à croire qu’une somme d’individus n’est pas supérieure à la somme des parties.
Est-il judicieux, alors, de douter de l’intérêt d’un dispositif tel que celui proposé par Google ? Avoir en une page une présentation des sujets les plus traités dans l’actualité, valorisant les informations les plus citées et permettant d’accéder à de multiples sources pour une information précise, présente des avantages évidents. On comprendra alors que l’idée ait été poussée plus loin encore. Marcos Weskamp et Dan Albritton, deux concepteurs d’interfaces vivant au Japon, ont crée un site permettant de structurer spatialement les informations collectées par Google en leur accordant une place d’autant plus importante qu’une information est redondante dans un nombre important de médias. En cela, ce projet, appelé Newsmap, simplifie grandement la consultation de Google News. La transformation d’une variable quantitative en attribut du titre de l’information, à savoir sa taille, permet au lecteur de hiérarchiser plus facilement l’actualité telle qu’elle est proposée.
En profitant de la richesse des informations agrégées par Google News, les concepteurs ont poussé la logique jusqu’au bout. Il est possible de choisir de ne voir que les informations proposées dans un des neufs pays retenus par le service de Google. Les États-Unis, le Canada anglophone, le Royaume-Uni, l’Inde, l’Autralie, et la Nouvelle-Zélande se partageant les sources anglophones ; la France, l’Allemagne et l’Italie se partageant les sources de leurs langues respectives. Il est aussi possible de limiter la présentation aux articles d’un des thèmes proposés eux aussi par Google News, à savoir l’actualité internationale, l’actualité nationale, l’économie, les sciences et techniques, le sport, la culture et la santé. La mise en valeur des informations est quant à elle spécifique à chaque pays, selon l’importance accordée aux différentes informations par les médias nationaux. Au premier abord, ce site est impressionnant tant il surprend par la présentation inhabituelle de l’information qu’il offre à notre regard. Il présente aussi un moyen insoupçonné de déprogrammation (cf. Serendipity), nous faisant (re)découvrir de multiples médias au gré de nos clics, la source n’étant pas affichée. Newsmap offre aussi un moyen inégalé de comparer les grands titres de l’actualité mondiale selon les pays.
En revanche, ce site présente aussi de nombreuses imperfections. Hormis de petits dysfonctionnements techniques dont certains sont inhérents à GoogleNews, comme l’existence de titres incongrus ou des problèmes d’accents, ce site peut surtout interroger par sa capacité à pousser à l’extrême la sélection automatisée de l’information. En ne proposant qu’un site par titre de l’actualité et en n’informant pas sur sa source, un des aspects les plus attrayants de Google News est ici absent. On retiendra alors, surtout, la stimulation visuelle d’un tel objet et son intérêt pour se faire une idée rapide des grands titres de l’actualité internationale. C’est déjà beaucoup pour ce qui semble être un exercice de style plus qu’un produit commercial ou institutionnel. Newsmap a en effet reçu en 2004 le prix de la catégorie Net Vision de l’Ars Electronica, un événement qui rassemble tous les ans, depuis 25 ans, les innovations multimédias les plus avant-gardistes. Ce rassemblement eut lieu à Linz, en Autriche, dans le cadre de l’Ars Electronica Center. Les auteurs de Newsmap ne sont d’ailleurs pas dupes. En présentant leur projet, ils reconnaisent que leur démarche force le trait de Google News. Aussi, n’ont-ils probablement pas été indifférents au fait que le Japon, la Chine et la majeure partie de l’Asie sont absents du dispositif.