En marge de la notion de « mondialisation », la conscience publique a été atteinte par toute une palette de vocabulaire, orienté vers la célébration enchantée de tout ce qui est bigarré et coloré, lequel aborde par des biais différents les questions liées à l’interculturel, l’hybridation et le métissage. A quel titre, et dans quel dessein ?, telle est la question qu’il conviendrait de résoudre. Surtout lorsque ce vocabulaire est commenté sous le titre du « baroque ».
Ce numéro de revue en tente l’approche mais en centrant son objet sur l’architecture et l’urbanisme, éclaircissant à la fois le vocabulaire en question et les nouvelles théories de l’architecture. Certes, l’interculturel (qu’on y fasse référence sur le plan universitaire, depuis le 7e Congrès international de l’Association pour la recherche interculturelle, ou sur le plan des activités pratiques) renvoie à la sphère des échanges. Mais il veut privilégier les échanges anthropologiques sur les échanges marchands. Reste à savoir si tout ce qui est produit sous ce couvert relève bien de l’interculturel. Le fait que les Balinais construisent désormais la « maison balinaise » en fonction de ce que le touriste attend et non en fonction de l’histoire locale, le fait que le « compartiment » vietnamien (l’unité de base de l’urbanisme traditionnel) ait survécu à la colonisation — indique-t-il que cette dernière a suscité plus de résistances qu’on ne le croit ? —, le fait, enfin, que les maisons d’immigrés sont réinvesties en fonction de la culture première, ces faits relèvent-ils aussi simplement qu’on le croit d’ordinaire du métissage ? Ce n’est pas tout à fait certain.
Les articles des différents chercheurs (Jean-Pierre Garnier, François Laplantine, Alexis Nouss, Roselyne de Villanova, etc.) qui ont participé à la réalisation de cette livraison ne cessent de nous inviter à rester méfiants à l’égard des présupposés d’une interculturalité un peu vite affirmée. Il est clair, du moins, que le vocabulaire de l’hybridation et du métissage, utilisé en général pour parler d’irruption de la diversité, pour ne pas dire de l’altérité, sert aussi à dénoncer les identités indexées sur l’homogénéité (c’est aussi la thèse de Mike Davis montrant comment et pourquoi la « latinisation » en cours de plusieurs grandes villes des Etats-Unis régénère, en le « tropicalisant », l’espace urbain tombé en déshérence de nombreuses aires métropolitaines). Mais, de tels usages peuvent aussi être abusifs. Du moins oublie-t-on trop souvent que l’interculturel se réalise en situation inégalitaire (les Anglo-Saxons, d’ailleurs, préfèrent souvent le terme « transculturel »), et que l’interculturel est une pratique d’instrumentalisation (à des fins d’assimilation) des cultures minoritaires. Ainsi en va-t-il aussi du multiculturel qui, quant à lui, n’indique pas plus la réciprocité dans l’interaction, puisqu’il renvoie plutôt à la juxtaposition contrôlée sur le territoire urbain de communautés culturellement et ethniquement homogènes.
Raffinant les perspectives, ce numéro de la revue Espaces et Sociétés montre qu’il ne faut pas confondre métissage et éclectisme. Si « pour beaucoup, le métissage [était] la dissolution des éléments dans une totalité unifiée, la résolution euphorique des contradictions dans un ensemble homogène, une expression pour ainsi dire presque unanimiste », les auteurs préfèrent affirmer que le métissage est affaire d’exil ou de résistance, de dessaisissement et de renoncement. Le métissage est une « pensée et d’abord une expérience de la désappropriation, de l’absence de ce que l’on a quitté et de l’incertitude de ce qui va jaillir de la rencontre ». La condition métisse est évidemment le plus souvent douloureuse. Les analyses proposées se ferment sur un constat assez précis : il convient d’assortir toute réflexion sur l’interculturel d’une analytique des modes d’acculturation, ce qui revient à inscrire la question de l’interculturel dans le cadre des rapports inégaux, plutôt que dans le cadre d’un monde fantasmé.
Le sommaire de la revue et les résumés des articles.