Au premier tour de l’élection présidentielle, l’intérêt s’est focalisé sur deux candidats, Pécresse pour sa chute vertigineuse, la droite passant des 20,5 % de Fillon à 4,8 %, et Zemmour qui a récolté un décevant (pour lui) 7,1 %. Mais un troisième larron dont l’ascension tardive avait échappé aux sondeurs a aussi causé une surprise, Mélenchon qui frise les 22 %. Presque tout a été dit avant et après le premier tour sur la dégringolade de la droite car Macron l’a recherchée, reprenant ses slogans tandis que Pécresse se cornérisait en tentant de séduire des électeurs d’extrême droite. En revanche, il faut regarder de plus près les résultats de Zemmour et de Mélenchon car ils peuvent présager un avenir peu souhaitable où une extrême droite pur jus s’opposerait à une extrême gauche bien charpentée.
Zemmour.
A priori, la candidature de Zemmour semblait vouée au succès. Dans les pays voisins de la France, les leaders d’extrême droite qui avaient tenté de se rapprocher de la droite avaient été renversés par plus extrême qu’eux, les électeurs ne supportant pas ce qu’ils considéraient comme une trahison. La dédiabolisation pratiquée par Marine Le Pen aurait pu avoir le même résultat. En Italie, Salvini qui avait remplacé Bossi à la tête de la Ligue est maintenant menacé par Fratelli d’Italia, parti fondé sur les ruines du néofascisme (le MSI de Giorgio Almirante). En Allemagne, les transfuges du parti libéral qui avaient fondé l’AfD ont été chassés par Frauke Petry plus extrémiste, elle-même poussée sur la touche par Alexander Gaulach, au passé néo-nazi. En Autriche, Jorgen Haider, assagi, avait participé au gouvernement. Il a été chassé de son parti, le FPÖ, par un admirateur des nazis, Christian Strache. En Angleterre, Nigel Farage fondateur du parti du Brexit a été obligé de le quitter, remplacé par un ancien du National Front, pour ne donner que quelques exemples [1].
Mais l’histoire n’a pas suivi le même cours en France. Le rejet de l’immigration et la menace du « grand remplacement » qui constituaient le fer de lance de Zemmour ont été relégués au second plan par la question du pouvoir d’achat, puis par la concentration des troupes russes aux frontières de l’Ukraine et finalement par l’invasion de ce pays. Zemmour n’a pas pu ou n’a pas su modifier son argumentaire. Il s’est empêtré dans des considérations géostratégiques favorables à Poutine et est allé jusqu’à refuser de recevoir des réfugiés ukrainiens en France. Après avoir presque fait jeu égal avec Marine Le Pen, il est tombé à 7 % des suffrages. La répartition de ses scores conserve cependant la trace de son projet de conquête du RN.
À première vue, la géographie des scores de Zemmour ressemble en effet beaucoup à celle des scores de Le Pen (carte a/ de la figure 1). Il a labouré le terrain du RN jusque dans ses déplacements durant la campagne électorale. Ses scores les plus élevés se situent donc logiquement dans les départements méditerranéens, dans le Nord-est et dans la vallée moyenne de la Garonne, ses scores les plus faibles dans le grand Ouest et dans le Centre-Sud-ouest. Puisqu’il entrait en compétition avec la candidate du RN, cette dernière a plus souffert de la concurrence là où son électorat était le plus important. Effectivement, la répartition des gains (et quelques pertes) de Marine Le Pen est l’exact opposé ou le complémentaire de celle des scores de Zemmour (carte b/ de la figure 1). La précision du partage entre Zemmour et la progression de Le Pen se vérifie souvent au canton près [2]. Par exemple, en Alsace, Le Pen progresse à peine tandis que Zemmour enregistre de gros scores alors que dans les Vosges voisines il tombe au-dessous de sa moyenne tandis que Le Pen progresse nettement. Il suffit de comparer les deux cartes pour trouver de nombreux cas analogues. Dès lors, la somme des scores de Zemmour et des gains de Le Pen depuis le premier tour de 2017 est pratiquement constante autour de 9 points. Ils se sont partagé la montée de l’extrême droite, Zemmour s’en attribuant la plus belle part.
Le vote pour Zemmour présente cependant une particularité par rapport au vote Le Pen. Sa fréquence est à peu près la même, quels que soient la catégorie sociale, le niveau d’études, l’âge et même le nombre d’habitants de la commune ou du canton, alors que le vote Le Pen est au contraire très contrasté pour tous ces critères, particulièrement pour la concentration de la population. 6,8 % des suffrages se sont portés sur Zemmour dans les communes de moins de 10 000 habitants, 7,3 % dans les villes moyennes (10 à 100 000 habitants), 7,8 % dans les grandes villes, alors qu’au contraire, Marine Le Pen a enregistré ses plus forts gains (+3 %) dans les communes de moins de 10 000 habitants et de légères pertes dans les grandes villes (-0,4 %). Zemmour a donc capté une clientèle différente de celle du RN, ce qui vient renforcer l’extrême droite. Comment caractériser ces nouveaux adeptes puisque les sondages n’en donnent pas une vision claire ?
Jean Marie Le Pen et Éric Zemmour.
À première vue, la répartition des votes pour Zemmour est semblable à celle, traditionnelle, des votes pour le RN. Mais à première vue seulement. À y regarder de plus près, il réussit beaucoup moins bien à l’extrême nord en Picardie, dans le Pas-de-Calais, dans le département du Nord et dans celui de Seine-Maritime. Inversement, il dépasse largement sa moyenne nationale en Provence et en Languedoc. On peut y reconnaitre la différence entre un RN du nord plus social et du sud plus identitaire. Mais il y a plus. La géographie des résultats de Zemmour est étrangement semblable à celle du FN à l’élection européenne de 1984 qui signa le premier succès du mouvement. Sur la figure 2, on a comparé les résultats du FN en 1984 à ceux de Zemmour en 2022. À l’exception d’un léger déficit à la frontière nord-est, les deux cartes sont remarquablement semblables, plus qu’avec la carte actuelle des votes pour Marine Le Pen. Par exemple, en 2022, comme le FN en 1984, Zemmour est très faible dans le Pas-de-Calais (particulièrement dans le sillon houiller). Les deux obtiennent des suffrages importants en région parisienne, lyonnaise ou toulousaine au contraire de Marine Le Pen qui y recueille actuellement ses plus faibles scores.
Autre ressemblance : en 1984 pour le FN comme pour Zemmour en 2022, les résultats croissent légèrement avec le nombre d’habitants des communes, alors que c’est radicalement l’inverse pour Marine Le Pen. En outre, certains détails du vote FN de 1984 se retrouvent exactement dans le vote Zemmour, en particulier les forts pourcentages obtenus dans les stations balnéaires comparés à ceux des villes voisines comme le montre la liste suivante :
L’écart est en moyenne du simple au double. Il s’explique vraisemblablement par une clientèle sociale particulière, celle des travailleurs indépendants, commerçants, artisans, petits entrepreneurs ou hôteliers, particulièrement bien représentés dans les communes de villégiature (on retrouve aussi un vote élevé pour Zemmour à Megève, 13 %, à Vichy, 10,1 %, et 12,1 % à Fontainebleau). En 1984, les résultats de Le Pen devaient déjà beaucoup à ces milieux sociaux qui n’avaient pas pris ensuite le tournant social de Marine Le Pen. La coexistence des travailleurs indépendants et des ouvriers n’est pas évidente. À mesure que les premiers sont revenus voter à l’extrême droite, les seconds ont commencé à se tourner vers Mélenchon dans les grandes agglomérations.Mélenchon.Au premier abord, Mélenchon a conservé son assise régionale de 2017 avec ses zones de force dans le Sud-ouest, dans l’Ouest, particulièrement en Bretagne, ainsi qu’en Île-de-France. Le grand changement vient de la montée en puissance de ses scores dans les grandes villes et les communes suburbaines. Les performances des trois candidats de tête diffèrent en effet radicalement selon le nombre d’habitants des communes comme on peut le constater sur la figure 3.
Les trois candidats semblent s’être partagé les trois profils possibles. En moyenne, les scores de Mélenchon s’envolent à mesure que la taille des villes augmente tandis que ceux de Le Pen plongent, le score de Macron étant presque le même à la ville qu’à la campagne. Alors que le leader de la France insoumise perd 1 % de son score de 2017 dans les communes de moins de 10 000 habitants, il gagne 4 % dans celles comptant entre 10 et 100 000 habitants et 7 % dans celles de plus de 100 000 habitants.
Sur la carte de la figure 4, on a indiqué la hausse du pourcentage de Mélenchon dans la plus importante ville de chaque département. Le résultat est clair. Les hausses les plus fortes se produisent dans les plus grandes villes [3] et dans les départements voisins ainsi que sur les axes les joignant. L’Île-de-France semble une pieuvre étendant ses tentacules vers Nantes, Bordeaux, Lyon, Lille, Caen. Toulouse s’oriente vers l’ouest de la côte de la Méditerranée jusqu’à Marseille. Lyon étend son influence vers Clermont et vers la Savoie. Dans deux autres groupes de départements, la croissance du vote Mélenchon a été rapide dans les grandes villes : Alsace-Lorraine et Bretagne. Au total, aussi paradoxal que cela puisse paraitre de prime abord, le vote pour Mélenchon a beaucoup augmenté dans les espaces les plus dynamiques et aussi les plus riches. Il a stagné ou régressé dans les départements les plus ruraux. Il ne s’agit pas d’opposer métropoles et périphérie, mais territoires économiquement dynamiques et territoires ruraux interstitiels.
On pourrait penser que les zones dynamiques favorisent un vote libéral et centriste. Au contraire, un vote à tonalité anticapitaliste y prospère. Tous les quartiers et toutes les banlieues des grandes villes n’ont cependant pas plébiscité Mélenchon. Il a surtout réussi dans les moins aisés. Le contraste avec le vote pour Zemmour est plus saisissant qu’avec celui pour Macron. Le fondateur de reconquête a surtout reconquis les quartiers les plus bourgeois : 18,8 % à Neuilly contre 3,1 % à Saint Denis alors que Mélenchon atteint respectivement 5,8 % et 61,1 % dans ces deux banlieues. Les scores des deux candidats se partagent les arrondissements parisiens, l’Ouest pour Zemmour, le Nord-est pour Mélenchon (cartes de la figure 5). Zemmour passe de 17,5 % dans le 16e arrondissement, parangon de la bourgeoisie à 4,7 % dans le 18e plus populaire. Dans ces deux arrondissements, Mélenchon obtient respectivement 9 % et 41,7 %, soit moins que Zemmour dans le 16e, neuf fois plus dans le 18e.
Bien que ces deux candidats ne totalisent que 29 % des voix contre 50 % pour le couple Macron-Le Pen, on peut y voir l’amorce d’un nouveau bouleversement. Zemmour injecte à l’extrême droite un profil de classes moyennes urbaines souvent éduquées moins représentées parmi les électeurs habituels de Le Pen. Ce peut être l’indication d’une extension du vote d’extrême droite avec les possibilités de financement que cet apport suppose et aussi avec un potentiel permettant de franchir le plafond de verre qui lui bloquait jusqu’alors l’accès au pouvoir. Mélenchon, de son côté, séduit des classes moyennes et populaires jeunes, éduquées. Il est nettement plus crédible que le RN sur le plan social. Ainsi le tandem Gauche-Droite que l’antagonisme entre l’extrême droite et En marche avait éliminé ne lui laissant que 9 % des suffrages (si l’on y inclut Roussel) reviendrait par la fenêtre sous une forme extrême, la gauche de la gauche contre la droite de l’extrême droite.
Le deuxième tour.
L’opposition qui semblait s’amorcer au premier tour entre Reconquête, le parti de Zemmour et la France insoumise, celui de Mélenchon, est sans doute différée et même compromise par les reports de leurs électorats entre les deux tours. Ne pas accéder au second tour est un handicap sérieux qui compromet l’avenir d’un parti. La Gauche et la Droite en font l’expérience actuellement. Leur électorat s’est dispersé dans des directions différentes et parfois contraires. Elisabeth Guigou a rejoint Macron mais Ségolène Royal a opté pour Mélenchon. Éric Woerth s’est rangé aux côtés du Président tandis qu’Éric Ciotti alignait ses propositions sur celles du RN. Les électeurs de Mélenchon et de Zemmour se sont aussi égayés dans plusieurs directions, abstention, votes blancs, votes pour l’un ou l’autre des deux finalistes.
Cela est inévitable à cause d’un phénomène quasiment mécanique, l’alignement des résultats du second tour sur ceux du premier tour. Dit autrement, le rapport des scores de Macron à ceux de Le Pen au second tour suit exactement le même ordre que le rapport de leurs scores au premier tour. Sur la figure 6, on a cartographié ces rapports au premier et au second tour. On constate que les deux cartes sont identiques à quelques très rares exceptions près où un département passe d’une couleur à sa voisine [4]. Un tel résultat signifie que les reports, quels que soient les électorats concernés, se produisent exactement en proportion des scores des deux finalistes au premier tour. Une telle coïncidence n’est pas nouvelle. Elle a été observée pour toutes les élections présidentielles depuis celle de Sarkozy contre Royal en 2007. Pour le lecteur qui aurait quelque doute, on a ajouté sur la figure 6 la répartition du rapport de l’augmentation du vote pour Macron entre les deux tours à l’augmentation du vote pour Le Pen entre les deux tours, donc de l’ensemble des reports pour chacun des deux candidats. La carte est encore pratiquement identique aux deux précédentes, ce qui est inévitable mathématiquement [5].
Quelle est l’explication d’un phénomène aussi étrange et contraire aux nombreuses spéculations sur les transferts de voix entre les deux tours ? Le vote du premier tour est principalement un vote d’adhésion tandis que celui du second tour est plus stratégique. Les électeurs qui ont voté pour un candidat éliminé au premier tour ont en général un penchant plus faible pour les deux candidats restés en lice sinon ils auraient voté pour l’un d’eux. Leur choix va alors être influencé par leur entourage dont, en moyenne, les opinions correspondent aux scores du premier tour : dans une localité où Macron a obtenu une forte proportion des suffrages, les électeurs de Zemmour et de Mélenchon seront en contact avec une forte proportion de partisans de Macron et l’inverse là où Le Pen a obtenu un score élevé. Les électeurs dont le candidat a été écarté du second tour ont à choisir un « second best » qui ne leur convient qu’imparfaitement. Ils sont ainsi mieux disposés à écouter leur entourage puisqu’ils ne peuvent plus défendre leur choix initial.
Éparpillement des électeurs de Zemmour et de Mélenchon.
Dès lors, les reports des électeurs des candidats éliminés varient selon les résultats du premier tour dans leur commune. Il est bien sûr impossible de connaitre ces reports à l’échelon local car cela demanderait d’énormes enquêtes par sondage, mais la comparaison des gains des deux candidats entre les deux tours avec leurs résultats au premier tour permet de percevoir l’ampleur des différences d’attitude des électeurs de Zemmour et de Mélenchon selon le lieu où ils ont voté. Deux exemples extrêmes illustrent la diversité des reports, celui de la Guadeloupe et celui de Paris.
Pour que Le Pen gagne plus de 50 points au second tour sur le premier, à la Guadeloupe, il a fallu qu’elle bénéficie d’une large fraction du vote Mélenchon du premier tour. Inversement, la faible progression de Le Pen entre les deux tours à Paris (9,4 %), sachant que Zemmour avait obtenu 8,2 % et Dupont-Aignan, 0,9 % au premier tour montre qu’elle n’a pu obtenir qu’un très faible renfort des électeurs de Mélenchon qui se sont en revanche reportés massivement sur Macron dont le score a augmenté de 55 points.
Plus généralement, le score de Le Pen a plus augmenté dans les communes rurales où il atteignait déjà près de 30 % des voix au premier tour que dans les grandes villes où, au contraire Macron a plus que doublé son score du premier tour tandis que ses progrès sont plus modérés dans les petites communes.
Il existe cependant de nettes différences entre les grandes villes (ici plus de 100 000 habitants) selon qu’elles se situent dans une région où le RN a obtenu ses meilleurs résultats ou dans une région dominée par Macron. Le tableau suivant en donne quelques exemples remarquables.
Lorsque Le Pen a fait un gros score au premier tour, ses gains entre les deux tours sont du même ordre de grandeur que ceux de Macron. Mais quand son score a été faible comme à Rennes, Lille ou Toulouse, les gains de Macron sont cinq fois supérieurs aux siens. Même en tenant compte des reports des électeurs de Zemmour et de Dupont-Aignan, à Perpignan, Nice ou Toulon, nombre d’électeurs de Mélenchon ont dû glisser un bulletin en faveur de Le Pen dans ces villes au second tour.
Bien que cela soit plus difficile à détecter, les électeurs de Zemmour se sont aussi dispersés, ou pour le moins n’ont pas tous voté pour Le Pen au second tour. Un bon indice en est fourni par les résultats des deux tours dans les arrondissements parisiens. Dans les arrondissements aisés (6, 7, 8, 9, 16, 17), la somme des pourcentages de voix obtenues par Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan au premier tour est supérieure au score de Le Pen au second tour (5,2 % de plus dans le 16e et 3,9 % dans le 8e). Les électeurs de Dupont-Aignan représentant un nombre négligeable (0,9 % du total à Paris), on doit en conclure que Le Pen n’a pas récupéré tous les suffrages de Zemmour. Sans oublier que certains électeurs de Pécresse qui a obtenu 13,8 % des voix dans le 16e ont choisi la candidate du RN au second tour.
Les résultats des deux tours à Versailles vont dans la même direction. Au premier tour, Le Pen avait engrangé 16,7 % des voix, Zemmour, 18,5 %, Dupont-Aignan, 1,7 % et Pécresse, 14 %. Au second tour, Le Pen n’a progressé que de 14 %, moins que le score de Zemmour. Inversement, Macron a progressé de 30,4 % vraisemblablement grâce à une partie des voix de Mélenchon (24,1 % au premier tour). On a rappelé plus haut que les électeurs de Zemmour appartenaient aux classes moyennes, sans doute peu pressées, quand elles habitent dans les beaux quartiers, de voter pour une candidate qui flatte les milieux populaires.
Le premier tour avait donné l’impression qu’une opposition entre Zemmour et Mélenchon, donc entre les deux extrêmes, était en train de se constituer. Les reports au second tour montrent qu’elle n’est pas encore stabilisée, ne serait-ce que parce que les électeurs n’ont pas suivi les mots d’ordre de leur leader, ne pas voter Le Pen pour Mélenchon, voter Le Pen pour Zemmour.
De Mélenchon à Macron.
Le mécanisme des reports en fonction des résultats des deux finalistes au premier tour a une conséquence inattendue qui est souvent prise pour une cause : là où le vote pour Macron a été bien plus important que le vote pour Le Pen, les électeurs des autres candidats du premier tour, mathématiquement, si l’on peut dire, votent bien plus pour Macron que pour Le Pen et particulièrement ceux qui avaient choisi un candidat de gauche. L’inverse se produit quand Le Pen distance Macron. Dès lors, les reports de la Gauche en faveur de Macron varient à peu près comme les gains de Macron entre les deux tours. On le constate sur la figure 7 avec à gauche les gains de Macron entre les deux tours et à droite le total de la Gauche au premier tour [6]. On peut penser que la campagne de Macron, soudainement tournée vers la Gauche entre les deux tours, a eu un effet, mais deux arguments vont dans le sens d’une causalité opposée. L’avance de Macron au premier tour sur Le Pen a mécaniquement entrainé un vote de gauche en sa faveur au second tour.
Le premier argument est statistique : la relation entre le rapport des votes de Macron à ceux de Le Pen aux deux tours est beaucoup plus strict (graphique 8a/) que la relation entre les gains de Macron entre les deux tours et le niveau du vote de gauche au premier tour (graphique 8b/). Sur le premier graphique, l’alignement est parfait avec une seule exception, la Seine-Saint-Denis (93). Sur le second, la relation est forte mais moins stricte.
Le second argument repose sur une comparaison directe entre le score de la gauche au premier tour et les gains de Macron. La carte de la figure 9 indique la différence entre les deux avec une couleur foncée quand les gains sont supérieurs à l’ensemble des pourcentages de la Gauche au premier tour et en clair lorsqu’ils sont inférieurs. La géographie qui apparait est proche de celle de la pratique religieuse qui est aussi celle de la droite modérée depuis le MRP jusqu’aux centristes et plus tard au modem : le grand Ouest, le sud du Massif central, le sud de l’Aquitaine, en particulier le Pays basque, la Savoie, le Lyonnais et l’Alsace. Il est vraisemblable que cet apport provient d’électeurs de Pécresse au premier tour. On y retrouve d’ailleurs les régions parmi lesquelles Macron a le plus progressé entre 2017 et 2022. Là où le stock de voix de gauche ne suffisait pas à maintenir le rapport de son score à celui de Le Pen au premier tour, Macron a attiré des voix qui étaient restées à droite au premier tour. C’est donc bien le score de Macron au premier tour qui a commandé les reports au second tour. Les affinités politiques n’ont joué que pour la sélection des électeurs du premier tour, non pour leur volume. On peut le résumer de la manière suivante : dans chaque département, le rapport du score de Macron à celui de Le Pen au premier tour définit le niveau global des reports. Ceux-ci se composent par ordre décroissant de l’affinité des électeurs avec Macron et de leur hostilité à Le Pen : en général, d’abord ceux de la Gauche, sans doute d’Hidalgo et de Jadot avant Mélenchon, puis s’il faut un supplément, ceux de la Droite, Pécresse avant Lassalle et ce qui semble possible à Paris, parfois quelques-uns de Zemmour.