En brésilien-portugais, lugares veut dire lieux. Le terme est employé ici, parce que ce livre sur les espaces publics est le produit de rencontres entre deux équipes : celle brésilienne et celle française de sociologues urbains, d’urbanistes et d’architectes. D’où un ouvrage à multiples facettes, voulant, comme le dit Sylvia Ostrowetsky, « exprimer le caractère dialogique de notre approche ». Il est impossible de rappeler ici ces multiples facettes qui se rejoignent bien dans une approche commune : concevoir l’espace public dans sa relation aux rapports sociaux, mais qui peuvent diverger entre elles selon les méthodes et les problématiques des auteurs.
Leur diversité locale est particulièrement marquée. Nous allons du Brésil aux pays arabes en passant par l’Europe (Bâle notamment) et par la France dans son rapport avec l’Afrique (avec le spectacle du Royal de Luxe). Mais c’est cette diversité des lieux, si l’on peut dire, qui fait surgir les interrogations, celles des auteurs et celles des lecteurs. À part le texte synthétique de Sylvia Ostrowetsky, qui tente de nous montrer les transformations de l’espace public et y réussit largement, nous sommes en quelque sorte à chaque fois dans des cas d’espèce (et d’espace) : Pourquoi Sao Paulo refuse-t-il son fleuve ? Quel est le sens de deux bâtiments modernes élevés dans la ville ? Pourquoi l’impossibilité de rues au sens ancien du terme ? On retrouve d’autres interrogations et objections pour Brasilia : la vraie ville, celle des habitants venus d’ailleurs, semble s’être développée hors de la ville. Brasilia en elle-même demeure un centre politique et administratif coupé de sa population qui vit sur ses abords.
Lorsqu’on aborde l’Europe, les interprétations sont quelque peu différentes, sans doute parce que les contextes spatiaux varient par rapport à l’Amérique du Sud. Le cas de Bâle est particulièrement intéressant à ce titre : deux bâtiments, des musées, celui de la Fondation Beyeler et celui consacré au peintre Tinguely ont dû trouver leur place dans la ville. Pour le premier, il se situe plutôt à la périphérie, presque à la campagne, dans une banlieue de Bâle. L’auteur du chapitre montre comment l’architecte, Renzo Piano, a su se servir d’une maison particulière avec parc pour y faire tout autre chose : un bâtiment qui se prolonge dans le parc et qui est en quelque sorte pénétré par ce parc lui-même. Or ce dispositif est mis en place pour donner aux peintures qui y sont exposées – qui vont de la Renaissance italienne à la peinture moderne – la luminosité qui leur convient le mieux. Le musée Tinguely, oeuvre de Mario Botta, est plus ramassé sur lui-même et l’on voit à travers les vitres les énormes machines du peintre.
Ce recueil d’articles fait une place à part, en fin de partie et en fin de livre, à deux phénomènes d’espace : le Royal de Luxe et la Grande Mosquée de Paris. Le Royal de Luxe est un spectacle de géants présenté par des Africains (du Burkina-Fasso) dans quelques villes de France. L’effet de ce spectacle extraordinaire – des marionnettes géantes qui se déplacent dans la ville, mais aussi, pour certaines, mugissent, braient – est de rassembler des foules disparates qui finissent par se confondre. Il est ainsi d’introduire de l’insolite, de l’insu, dans des villes calmes comme Le Havre ou Calais. Par exemple, on a aperçu un géant couché sur une terrasse. Il est enfin de rappeler l’histoire de l’oppression en Afrique. Au fond, Royal de Luxe crée un moment, un temps de festivité et de transmission qui mobilise différemment les populations de la ville.
Dernier chapitre : celui sur la Grande Mosquée, texte qui est au fond un article critique. La Grande Mosquée est un lieu d’unité, d’unification. Elle draine vers elle non seulement le religieux, mais le social. Elle est, si l’on entend bien l’auteur, un lieu anti-démocratique.
Un livre attrayant où l’on apprend beaucoup.