Michel de Certeau est né à Chambéry le 17 mai 1925. Après des études littéraires à Grenoble, il entre au Séminaire d’Issy-les-Moulineaux chez les Sulpiciens en 1944. Formé à la philosophie, il poursuit son cursus de théologie au Séminaire de Lyon. C’est là qu’à la fin des années quarante, il se lie d’amitié avec Henri de Lubac et entre dans la Compagnie de Jésus en 1950. Il effectue alors tout le parcours d’étude jésuite : après le noviciat et le juvénat de Laval, il part à Chantilly pour y suivre des cours de philosophie, puis rejoint Fourvière en 1955-56 pour recevoir une nouvelle formation en théologie. Ordonné prêtre en 1956 à Lyon, il prononce ses grands vœux et devient Profès de la Compagnie en 1963.
A partir de 1956, il participe, auprès de Maurice Giuliani et de François Roustang, aux débuts de la revue Christus et suit le séminaire sur le christianisme à l’époque moderne (16e –18e siècle) animé à l’Ephe, à partir de 1957-58, par Jean Orcibal. Travaillant sur les débuts de la Compagnie, il soutient son doctorat de science des religions à la Sorbonne qu’il publie en 1960. Il s’agit du Mémorial d’un des compagnons d’Ignace de Loyola, le savoyard Pierre Favre. Il entreprend, en outre, une thèse sous la direction d’Henri Gouhier sur l’édition des œuvres d’un jésuite mystique du 17e siècle, Jean-Joseph Surin auquel il consacre l’essentiel de ses recherches érudites. Il publie en 1963 la Guide spirituelle de Jean-Joseph Surin, puis en 1966 édite sa correspondance établie à partir de la prospection de quarante dépôts d’archives. En 1964, il est co-fondateur de l’École freudienne de Paris (l’École lacanienne) dont il reste membre jusqu’à sa dissolution par Lacan en 1980. En 1967, il quitte la rédaction de Christus pour devenir un collaborateur actif de la revue Études. Très marqué par la radicalisation des mouvements latino-américains dans les années 1966-67, il est un des premiers à dénoncer en 1969 l’usage de la torture par la dictature brésilienne.
En cette année 1967, il s’engage pleinement dans ce qu’il y a de plus moderne dans les sciences humaines : outre sa participation à l’École Freudienne, on le retrouve au séminaire de sémiotique de Julien Greimas et aux rencontres du Groupe de la Bussière où il renouvelle en profondeur l’histoire du religieux. 1967/1968 constitue pour lui une double « rupture instauratrice » : d’une part, sa mère meurt dans un terrible accident qui faillit aussi lui coûter la vie, et d’autre part il se sent totalement en phase avec le mouvement de mai 1968 dans lequel il reconnaît une « prise de parole ». A partir de cette période, il réoriente ses recherches dans deux directions : l’épistémologie de l’histoire et l’étude des pratiques culturelles contemporaines. Sa contribution au premier champ est, notamment, marquée par son fameux article « Faire de l’histoire » (1970) dont Pierre Nora et Jacques Le Goff reprennent le titre pour la publication de leur trilogie en 1974, ainsi que L’absent de l’histoire (1973) et L’écriture de l’histoire (1975). Ses travaux sur les pratiques culturelles contemporaines, donnent lieu, entre autres, à la publication de La culture au pluriel (1974) puis de L’invention du quotidien (1980). Mais l’unité de ses travaux trouve son site dans la prospection de l’univers et du langage des mystiques comme le révèle la publication de La fable mystique (1982).
Enseignant à l’Institut catholique de Paris depuis le milieu des années soixante, il participe aux débuts du Centre expérimental de Vincennes (Paris 8) où il enseigne dans le département de psychanalyse entre 1968 et 1971, date à laquelle il quitte Vincennes pour Paris 7 où il collabore jusqu’en 1978 au département d’ethnologie dirigé par Robert Jaulin. En 1978, il est élu professeur à l’université de Californie à San Diego où il retrouve, notamment, Louis Marin. Il est ensuite élu directeur d’études à l’Ehess en 1983 sur une chaire d’ « anthropologie historique des croyances 16e –17e siècle ». Entre-temps, il aura parcouru le monde en tous sens et notamment l’Amérique latine et les États-Unis. Cependant, il laisse son chantier de recherche inachevé. Atteint d’un cancer, il meurt le 9 janvier 1986. Il est alors célébré et les hommages sont multiples de ceux, nombreux, qui sont conscients d’avoir perdu en sa personne un franc-tireur dont l’apport reste encore trop méconnu.
EspacesTempsLes Cahiers n°80-81, septembre 2002, Michel de Certeau, histoire/psychanalyse. Mise à l’épreuve. pages 5-6.