Messieurs,
[…]
Faut-il donc réduire le rôle de l’histoire à celui d’une simple discipline ? Doit-elle se borner à être un instrument de culture intellectuelle ? Il est certain qu’il n’en existe pas de plus efficace pour guérir les hommes de la crédulité, pour montrer que la crainte des transformations est un sentiment à la fois déraisonnable et vain, par conséquent dangereux, pour apprendre à discerner les différences réelles dans les similitudes trompeuses, comme aussi l’identité profonde des phénomènes les plus divers en apparence. Ennemie des préjugés, l’histoire a sa place marquée dans toute bonne hygiène de l’esprit. […] L’histoire est donc merveilleusement propre à exorciser une multitude d’esprits malins. En ce sens, elle est, comme la tragédie selon Aristote, une purification, une « katharsis ». Et c’est tout ? Oui, Bien des historiens aujourd’hui admettent que c’est tout.
Eh bien ! Il faut avoir le courage de l’avouer : si l’histoire ne devait avoir qu’une vertu éducative, elle ne vaudrait pas toute la peine qu’elle donne. On ne veut pas que l’histoire soit un genre littéraire, c’est-à-dire un art, et je n’y vois aucun inconvénient ; mais on ne veut pas non plus qu’elle soit une science ; et qu’est ce qu’on en fait ? Un je ne sais quoi d’informe et d’innommable. Que la grande dame des temps jadis renonce à ses belles manières, rien de mieux ; mais il y aurait encore moyen de lui assurer une situation sortable, et on la ravale à une position infime : on la condamne à devenir l’humble servante de la pédagogie. Mais remarquez qu’en lui infligeant cette flétrissure, on va jusqu’à une espèce de contradiction. Car, d’une part on reconnaît le vice radical de l’histoire telle qu’elle était comprise jusqu’à notre époque, de l’histoire édifiante et moralisatrice, dont les récits étaient des sermons à peine dissimulés qui faisait du bon Rollin un Berquin universitaire et dont la quintessence a laissé son parfum vieillot à chaque page du De viris. D’autre part, on proclame que le principal mérite de l’histoire est de contribuer à l’éducation des enfants et des jeunes gens, mettons encore des grandes personnes qui sentent le besoin d’augmenter ou de contrôler leur acquis en aérant leur intelligence. Oh ! je sais bien que l’idéal de l’éducation a changé, qu’on demande à l’histoire de contribuer au développement de la raison et de fortifier l’amour de la vérité. Je vois bien encore que l’histoire à l’ancienne mode était un peu arrangée en vue de l’effet à produire, tandis qu’on laisse aujourd’hui la vérité, quelle qu’elle soit, agir d’elle même. N’empêche que, si l’histoire vaut surtout comme moyen de perfectionnement intellectuel et moral, elle dépendra toujours du but variable que les générations successives assigneront à l’éducation. Certes, je n’entends pas dire de mal de la pédagogie. Mais, s’il est légitime qu’il se constitue une science de l’enseignement et de l’éducation, elle a le droit d’accommoder à ses fins tout ce qui est susceptible d’être enseigné, de donner sa forme à tous les résultats acquis, mais non pas d’imposer sa forme et fins propres à tout ce qui est matière de recherches. L’histoire rentre dans la pédagogie comme toutes les autres disciplines ; elle ne s’y absorbe pas. Elle sert à cela ; mais elle ne doit pas se proposer cela comme objet exclusif ou suprême. Sinon, elle courrait les plus grands dangers. On aurait vite fait d’observer qu’elle ne saurait apprendre la liberté d’esprit, si elle commence par s’asservir. […]
Soit, dira-t-on, l’histoire n’a besoin de convenir à aucune application, ni politique, ni pédagogique. Elle se suffit à elle-même ; elle trouve en elle-même sa raison d’être et sa récompense. Et, en effet, depuis qu’on a renoncé définitivement à écrire l’histoire à la manière des anciens, beaucoup d’historiens ont pris cette attitude, de rechercher la vérité sur les choses humaines par pur amour de la vérité. Pourquoi, cependant, ne pousse-t-on pas la théorie jusqu’à ses dernières conséquences ? Pourquoi les plus déterminés de ses partisans refuseraient-ils de reconnaître une valeur égale à des conclusions également vraies, mais qui porteraient sur des questions inégalement importantes ? Pourquoi n’ose-t-on pas préférer une monographie sur un sujet infiniment petit, où il est aisé d’atteindre à la vérité absolue, à une belle oeuvre d’ensemble, où la vérité ne saurait être qu’approximative ? […] Puisque la vérité est la réalité transposée dans l’ordre de la pensée et que toutes les réalités sont réelles au même titre, ce n’est pas au nom de la seule vérité que peut s’établir une hiérarchie des sujets. Un instinct nous avertit qu’il y a des vérités fécondes et supérieures, et d’autres qui sont stériles et rampent terre à terre. Il ne faut pas les dédaigner, celles-ci ; car on ne sait jamais si quelqu’un ne viendra pas les relever et leur insuffler une vie nouvelle. Mais précisément alors elles ne font que passer d’une catégorie à l’autre, non parce qu’elles sont devenues plus vraies, mais parce qu’on leur a donné une portée qu’elles n’avaient pas. En somme, à quelque matière qu’elle s’applique, la théorie de l’art pour l’art est toujours fausse.
[…]
La philosophie de l’histoire […] n’a produit jusqu’à présent que des systèmes déplorablement vides et fragiles ; elle n’a construit que des châteaux destinés à crouler les uns sur les autres. […] Pourtant, nous l’avons vu, la philosophie de l’histoire répond à un besoin réel de l’homme social et intervient inconsciemment dans le travail de l’historien. On a beau composer pour elle des épitaphes peu gracieuses ; elle continue de vivre d’une vie latente. On lui dénie tout droit à l’existence ; e pur si ! Elle est seulement très fort en retard. Elle n’est pas arrivée au terme où les connaissances humaines prennent le titre de science, parce qu’elle a fait fausse route. Si elle languit dans l’abandon, si elle croupit dans le dédain, c’est qu’elle a toujours été maîtresse d’erreur. Oui, elle expie sa passion ambitieuse pour l’a-priori, et la hauteur de ses prétentions mesurait d’avance la profondeur de sa chute. Elle volait à travers le temps et l’espace, se fiant à des hypothèses qui se dégonflaient vite et retombaient lourdement. Ce qu’elle prenait pour des principes résistants aurait pu être tout au plus une série de conclusions élaborées par des générations de travailleurs.
Mais, si nous consultons l’histoire des sciences aujourd’hui classées, nous voyons qu’elles passèrent généralement par la même étape, ce qui ne les empêcha pas d’aller plus loin. […] Jusqu’à présent la philosophie de l’histoire n’a été que de la métaphysique. Elle n’a pas dépassé la période qui, pour les sciences positives, commence avec les sept sages et ne finit qu’avec Bacon. Bossuet et Voltaire, Vico et Herder, je dirai même Auguste Comte et Karl Marx, n’en ont pas usé d’autre sorte, avec des matériaux différents, que Pythagore ou Héraclite : je ne vois pas, par exemple, que dans la théorie du progrès continu et indéfini l’écart soit moindre des prémisses à la conclusion que dans la théorie du clinamen. Mais, s’il en est ainsi, l’exemple même de la science positive n’est-il pas encourageant pour la science historique ?
Et ne croyez pas que l’assimilation que nous avons établie entre la philosophie de l’histoire et l’astrologie, l’alchimie ou la métaphysique condamne toute philosophie de l’histoire. Il s’agit de s’entendre. Nous employons cette expression « philosophie de l’histoire », parce qu’il n’en n’existe pas d’autres. Ce que nous voulons dire au fond, c’est que la conception dominante de l’histoire nous semble trop étroite. Il faut l’élargir de façon à y faire entrer tout ce qu’il y avait de légitime après tout et de vraiment philosophique dans la fausse philosophie de l’histoire. Revenons à notre comparaison avec les sciences physiques et naturelles. Elles ne se bornent pas à l’observation des phénomènes ; elles les confrontent et les font servir à déterminer ces rapports constants qu’on appelle des lois. C’est l’induction qui fait leur force, leur solidité, leur grandeur. Pourquoi serait-il interdit de féconder l’histoire par l’induction ? L’idée n’est pas nouvelle : le créateur même de la méthode scientifique lui attribuait « une portée universelle ». Rechercher les rapports qui doivent exister entre les diverses formes de l’activité humaine à chaque stade de la civilisation, , démêler les lois qui peuvent régler l’évolution des sociétés et les changements perpétuels des institutions, tâcher ainsi de fixer les principes de ce que l’on nommera la statique et la dynamique sociales : n’y a-t-il pas là pour les historiens un fier programme, une oeuvre de longue haleine et de bel avenir ? Évidemment, ce n’est plus de l’histoire, si l’on entend par ce mot la description pure et simple des faits isolés. Ce n’est plus de la philosophie de l’histoire, si l’on cherche la définition de ce vocable dans la littérature démodée qui s’en affublait pompeusement. Mais, qu’on se serve de l’un ou de l’autre terme, ou même qu’on préfère celui de sociologie, en fait, il y a là de quoi vivifier l’histoire, en lui ouvrant un jour plus large encore sur la vie humaine, ou de quoi ressusciter la philosophie de l’histoire, en lui donnant une raison d’être scientifique.
Le fossé infranchissable qui séparait jadis l’histoire et la philosophie de l’histoire était creusé par la méthode. Poser un principe et le voir se dérouler au cours des siècles d’une teneur majestueuse, c’était si commode ! Et puis cela donnait si facilement à un auteur l’apparence toujours flatteuse du démiurge, ou tout au moins le geste auguste du métaphysicien qui lance le monde dans l’espace ! Dès lors, pourquoi s’astreindre à des investigations minutieuses dans la poussière des in-folio ? Au contraire, la philosophie de l’histoire ne pourra se légitimer sous une forme nouvelle, qu’à la condition expresse de prolonger l’histoire, sans jamais renoncer à la rigueur de ses exigences en matière de preuve. Et elle y aura d’autant plus d’intérêt que, pour arriver à ses fins, pour établir une loi quelconque, elle devra n’employer que des faits d’une certitude absolue et d’un contrôle aisé. Elle avancera pas à pas ; elle refusera toujours de mettre le pied sur un terrain qui ne paraîtra pas d’une solidité à toute épreuve. Il se peut que l’étude des mêmes phénomènes dans des sociétés diverses révèle assez rapidement quelques unes des lois cherchées ; il se peut aussi qu’un travail acharné, voire même bien combiné, ne fournisse que des bribes de vérité, des notions fragmentaires, des lueurs vacillantes. […] Les lois ne sont définitives que pour le nombre limité de faits qu’elles résument et représentent ; pour tous les autres faits, elles ne sont que des hypothèses probables. Mais il en est de même dans toutes les sciences. Il suffit que les lois aient une certitude provisoire.
Si la recherche des lois doit se faire, comme la constatation des faits, en conformité avec les règle de la méthode historique, elle exige cependant qu’on laisse prendre une extension inattendue à un procédé, qu’on admettait bien comme légitime, mais dont on usait rarement : la comparaison. La méthode comparative a permis à toutes sortes de sciences de réaliser en moins d’un siècle des progrès qui tiennent du miracle ; pourquoi ne procurerait-elle pas les mêmes bienfaits à l’histoire ? Seulement, qu’on y prenne garde. Cet instrument si puissant est d’un maniement délicat et dangereux : un ouvrier malhabile aurait tôt fait de s’y blesser en l’émoussant. La plus grande circonspection est donc nécessaire à qui veut s’en servir. Il lui faut, pour se prémunir contre des erreurs fatales, avoir toujours présentes à l’esprit des règles essentielles.
Il convient de savoir d’abord sous quelle forme et dans quels cas la comparaison peut être utile. Chez bien des historiens, par exemple, elle procède par allusion. Pour parler de choses passées, on emploie des mots qui désignent proprement des choses contemporaines ; on donne à des personnages de l’antiquité des noms modernes. Quand ces comparaisons à fleur de peau ne sont que finesse de style ou saillies de pensée, elles peuvent bien, de loin en loin, éveiller l’attention et amuser l’esprit, à condition toutefois de ne pas revenir trop souvent ; car l’affectation du ton alerte et piquant est fatiguante comme la répétition d’une même pirouette. Mais quand un auteur prétend nous faire croire à des analogies ou à des identités par le simple choix de termes anachroniques, c’est alors surtout qu’il faut se méfier. Les Allemands nous ont complètement faussé l’histoire intérieure d’Athènes, à nous parler constamment de parti radical : se sont-ils jamais demandé comment ils traduiraient le mot en grec ? L’histoire économique des siècles lointains a été obscurcie par l’abus de mots tels que capitalisme et socialisme. On a commencé par donner à la classe ouvrière et non- possédante de nos sociétés industrielles le nom des prolétaires romains ; on a continué en représentant les prolétaires de Rome comme des prolétaires au sens moderne, si bien qu’il s’écrit aujourd’hui de gros ouvrages sur la question de savoir si les prolétaires étaient des prolétaires ou s’ils n’en étaient pas. Tout le monde aujourd’hui trouve ridicules les auteurs du « grand » siècle qui mettaient des perruques aux rois mérovingiens et leur prêtaient le langage de Versailles. On fait bien de se moquer de ces mascarades ; mais il ne faudrait pas les renouveler. Les littérateurs veulent de la couleur locale ; ce n’est pas pour que les historiens, gens sérieux , fassent tout juste le contraire.
Certains ouvrages, il est vrai, sous-entendent ce principe, que les même causes produisent les mêmes effets, pour nous expliquer toute une série d’évènements par des rapprochements continuels avec une autre époque, la nôtre en général. Cela s’appelle mettre à profit les leçons de l’expérience. Le plus souvent c’est, au fond, accomoder l’histoire au goût du jour, ou transporter dans le passé les passions contemporaines. Ce procédé peut avoir des avantages pratiques. Sous des régimes qui entravent la liberté de parler et d’écrire, il est de bonne guerre de fronder le gouvernement sous le couvert de l’érudition. Ainsi, en France, sous le second empire, en un temps où les Propos de Labiénus faisaient les délices de l’opposition, une étude sur Tibère pouvait sembler un manifeste politique. Mais il ne s’agit pas pour nous de fourbir des armes pour la bataille des partis. Où est l’historien qui ait antidaté des idées et des faits sans rendre plus nébuleux les points sur lesquels il devait porter la lumière ? A supposer l’existence d’une loi historique lorsqu’on est incapable de la démontrer, on nuit à la véritable compréhension de son sujet, et du même coup on compromet la recherche ultérieure de cette loi. Le grand tort de ceux qui se laissent entraîner à ce genre d’imprudence est de croire que l’on peut s’élever par intuition à la connaissance immédiate des lois générales dont ils ont le vague pressentiment. De ces lois ils ignorent le plus simple, et ils vont d’emblée aux plus cmplexes : ils expliquent la tempête sans savoir seulement ce qu’est la densité de l’air. Ils veulent commencer par où l’on finira peut-être un jour.
Non, ce n’est pas l’observation des grands évènements, où se déchaînent trop de forces diverses, qui pemettra d’ici longtemps les comparaisons fructueuses. C’est seulement dans les sociétés au repos qu’on aura chance, du point où nous en sommes, de discerner quelques-unes des lois qui règlent la voie et l’évolution des sociétés. Les institutions, les us et coutumes, le droit, voilà ce qui doit fournir à l’historien sociologue son terrain de prédilection. […] Donnez à ce mot, le droit, le sens le plus large qu’il puisse prendre ; comprenez-y, avec le droit public, le droit civil, le droit criminel et, surtout pour les groupes primitifs, le droit religieux ; voyez-y un terme commode pour désigner toutes les manifestations de la conscience sociale ; et dites- vous que, si le juriste a tout à gagner à faire de l’histoire, l’historien qui ne se déclare pas satisfait par la reconstitution exacte de phénomènes contingents doit avant tout faire du droit. […]
Tel est le travail d’ensemble qui paraît se proposer tout d’abord aux efforts des historiens. Les étudiants sont en état d’en prendre leur part. Il n’est pas possible, évidemment, que le très grand nombre contribue à ces recherches, tout de même un peu spéciales. Ce n’est pas souhaitable ; car il faut respecter la diversité des goûts et ne pas brusquer les intelligences. Mais il en est peut-être qui se sentent portés par leurs connaissances acquises, par leur caractère, vers l’objet d’étude que j’indique ; il en est d’autres peut-être qui se rendent compte qu’une multitude de tentatives isolées et indépendantes ne va pas sans une énorme déperdition de forces : tous ceux-là pourront, chacun selon ses moyens, aider à la réalisation de l’oeuvre collective. L’observation bien combinée d’une institution, d’une coutume, d’un principe juridique dans des sociétés diverses et aux différents stades de leur évolution, suffirait à poser uns de ces faits qui sont nécessaires à l’établissement des lois.
C’est dans la constatation de ces faits particuliers et, plus encore, dans l’ascension vers ces lois générales que la méthode comparative rendra les services qu’elle promet. Mais même dans les cas où elle s’applique légitimement, elle demande les plus grandes précautions. Il faut, autant que possible, l’empêcher d’intervenir tant que nous n’avons pas achevé l’étude unilatérale de nos documents ; car des idées arrêtées ou de simples réminiscences altéreraient facilement la sincérité de notre interprétation. Il faut, autant que possible, instituer les comparaisons entre des peuples apparentés ou entre des sociétés parvenues au même degré de développement. Il faut éviter de suivre l’évolution d’une institution en passant d’un peuple à un autre. Ces préceptes sont bien simples, et le travailleur dressé à la méthode historique les trouverait bientôt de lui-même. Une question plus difficile à résoudre est celle de savoir à quelles conditions on est fondé à user de l’induction, pour combler une lacune dans l’histoire d’une société à l’aide des résultats acquis dans l’histoire d’une autre. Si la courbe de l’évolution est très nette dans l’ensemble et qu’il existe seulement une légère interruption entre deux points parfaitement déterminés, on peut relier ces deux points sur le modèle d’autres courbes où l’interruption n’existe pas et qui sont identiques quant au reste. C’est ainsi qu’en physique on recourt au procédé de l’« interpolation », qui consiste à intercaler par le calcul des termes entre des suites de nombres ou d’observations. Mais il n’est pas légitime de prolonger la courbe jusqu’à ses extrémités, de supposer les origines connues ou de prédire l’avenir, parce que là nous n’avons, pour tracer le pointillé qui figure l’hypothèse, qu’un point de départ sans autre donnée : l’ »extrapolation » nous est interdite. Voilà quelques-unes des règles qui permettront d’achever l’histoire par ce qui doit en être le couronnement et comme la consécration. Aucune de ces règles n’est en contradiction avec celles qu’ont toujours édictées les législateurs de l’histoire et qui sont, pour ainsi dire, affichées à l’entrée de son domaine.
Tenons ferme à la méthode historique ; appliquons-la dans toute sa sévérité ; ne nous laissons aller à aucune conclusion qui ne soit démontrée, autant que la démonstration est possible dans l’ordre des faits humains. Mais il ne faut pas que cette rigueur de méthode nous décourage, nous paralyse et nous enchaîne dans les liens d’un scepticisme définitif ; il ne faut pas nous immobiliser dans cette incertitude à la fois douloureuse et altière que Bacon flétrissait au nom de la science à venir et qu’il appelait avec la philosophie ancienne, l’acatalepsie. Il faut, au contraire, que les historiens aient conscience de la grande oeuvre à laquelle ils peuvent tous et doivent apporter leur pierre, grande ou petite. Osons avoir assez confiance dans la solidité de la méthode historique et de ses résultats, pour appuyer sur elle la méthode comparative et tirer de ses résultats tout ce qu’ils contiennent de vérité substantielle. Nous savons broyer le blé, nous entassons de belle et bonne farine dans nos greniers : faisons du pain. […]