Plusieurs numéros de Livres Hebdo et du Monde des Livres des mois de janvier-février 2002 permettent de proposer un rapide survol des grandes ventes de l’année 2001 et de quelques tendances éditoriales de l’année 2002. Quelques points ressortent particulièrement de la lecture des articles de ces deux sources : l’intérêt de la nouvelle méthode d’estimation des ventes proposée par l’institut Ipsos et Livres Hebdo, le tableau des grandes ventes en 2001 (et particulièrement des ventes en poche), une future année 2002 marquée par l’importance du sexe, de la fantasy et des psys.
Et les sciences sociales dans tout ça ? A quelques exceptions près les chiffres de vente ne leur permettent pas d’apparaître dans les tableaux des principales ventes établis par Livres Hebdo.
Une nouvelle méthode d’estimation des ventes.
Dans son édition du 8 février 2002, Livres Hebdo revient sur la méthode d’estimation des ventes qui est désormais utilisée. Constatant depuis plusieurs années que les chiffres de ventes fournis par les éditeurs « étaient dans bien des cas exagérés au-delà du décemment acceptable », l’édito de la revue explicite ensuite la nouvelle formule d’estimation. La revue, avec l’aide de l’institut Ipsos, évalue les ventes réelles, du 1 janvier au 31 décembre, dans un panel représentatif de cent vingt points de vente (librairies, hypermarchés, etc…). Commentant les résultats obtenus, Le Monde des Livres indiquait (15 février 2002) que « la marge d’erreur statistique existe, mais elle est moins importante que quand les chiffres sont fournis par les éditeurs qui mêlent allègrement les tirages, les exemplaires réellement vendus et ceux envoyés aux libraires ». Et le rédacteur en chef de Livres Hebdo, Pierre-Louis Rozynès, de rajouter : « Lentement le message passe selon lequel des chiffres fiables sont préférables à des chiffres gonflés ». Car, depuis les années 1960, plusieurs baromètres se sont succédés ou ont cohabité. D’abord le classement du Bulletin du Livre (l’ancêtre de Livres Hebdo) fondé sur quelques libraires interrogés directement par la revue ; puis dans les années 80, la liste de L’Express. « Cette liste perdure, mais suscite quelques interrogations quant à […] la teneur réelle de son panel » souligne Pierre Louis Rozynès. Le Point publie la liste des meilleures ventes de la Fnac, Le Nouvel Observateur s’appuie sur Electre et « son panel informatisé des libraires de premier niveau ».
Présentant le nouvel indicateur de Livres Hebdo Pierre Louis Rozynès termine ainsi son éditorial : « Le panel Ipsos/Livres Hebdo, qui comprend tous les circuits de ventes, recueille ses données à la source, c’est-à-dire aux caisses enregistreuses. C’est le recueil de ces ventes qui est transmis et traité ». Quant à l’objectif ultime, il est affirmé clairement : aboutir « un jour ou l’autre à la disparition des listes arbitraires ou manipulées »
Les ventes en 2001.
Sans surprise ce sont les bandes dessinées et Harry Potter qui forment les plus grosses ventes de l’année 2001. Astérix et la Traviata s’est vendu à 1,8 million d’exemplaires, le dernier Blake et Mortimer à 459 000, les neuf albums de Titeuf à 1,6 million. Les quatre tomes confondus, Harry Potter s’est vendu à 3,3 millions d’exemplaires en poche, et à 600 000 en grand format.
Les romans atteignent également des chiffres impressionnants : Rouge Brésil de Jean-Christophe Ruffin (Gallimard), prix Goncourt 2001, s’est vendu à 300 000 exemplaires l’année dernière et les ventes semblent se poursuivre en 2002. La vie sexuelle de Catherine M., au Seuil, atteint 286 000, juste devant Plateforme de Michel Houellebecq (Flammarion), avec 240 000 exemplaires vendus. En bas du tableau, si on peut dire, Apprendre à finir, Prix du livre Inter (Minuit) s’est vendu à 100 000 exemplaires.
Les ouvrages de sciences sociales ne combattent pas dans la même catégorie. Sauf si on considère que les deux livres de Bernadette Chirac et de Bernard-Henry Lévy font partie des sciences sociales. Conversation (avec Patrick de Carolis) s’est vendu à 312 000 exemplaires et Réflexions sur la guerre, le mal et la fin de l’histoire à 132 000 (122 000 en 2001 et 10 000 dans les deux premières semaines de janvier 2002). La guerre en Afghanistan a tiré les ventes de plusieurs titres : Massoud l’Afghan de Christophe de Ponfilly est le titre le plus vendu (69 000 exemplaires, 12e position des meilleures ventes 2001 des « essais et documents), devant Ben Laden, la vérité interdite de Jean-Charles Brisard (39 000 exemplaires, 34e position) qui va bientôt être publié en poche dans « Folio Documents » la nouvelle collection de poche commune des éditions Gallimard et Denoël.
Les tableaux publiés par Livres Hebdo ne descendent pas au-dessous de 16 000 exemplaires (pour le 102e livre – Les rebelles de Jean-François Kahn – classé dans « Essais et documents ») : on ne peut donc avoir les ventes de la quasi-totalité des publications en sciences sociales dont les ventes, même importantes pour le secteur, n’atteignent pas, et de loin, de tels chiffres. A titre d’exemple, le premier tirage des Furies d’Arno Mayer – une analyse comparée de la terreur politique pendant les Révolutions française et russe – un livre capable de drainer un lectorat relativement large, d’autant plus qu’Arno Mayer était l’invité de Première Edition sur France Culture à la fin du mois de février, ce premier tirage est de 4 500 exemplaires (source : Livres Hebdo, 8 février 2002, page 31).
Enfin, le numéro de Livres Hebdo du 18 janvier 2002 donne les classements des ventes par Internet d’Amazon.fr (France), .de (Allemagne) et .uk (Royaume-Uni). Surprise ! Aucun des dix premiers titres vendus sur Amazon dans l’un des trois pays ne se retrouve dans les deux autres. Sur Amazon.fr on achète Le grand Robert de la langue française (1), La Terre vue du ciel (2) et La Bible (nouvelle traduction) (10) ; sur Amazon.de on achète Das Lächeln der Fortuna (1), Harry Potter and The Goblet of Fire (2) et The Universe in a Nutshell (10) ; et sur Amazon.co.uk, Nigella Bites (1), White Teeth (2) et Extra Virgin (10).
Les ventes 2001 en poche.
« Les meilleures ventes des livres de poche sont rarement surprenantes car on y trouve, bien sûr, au premier chef, les auteurs les plus connus, les mieux médiatisés, les plus grand public, ceux aussi qui font l’objet de prescriptions par les enseignants, suivant les programmes du ministère de l’éducation nationale ». Le Monde des Livres de Poche du 1er mars 2002 revient sur les grands succès de l’année 2001 dans un long article de Martine Silber. Effectivement, les plus grosses ventes (hors édition de poche jeunesse où les ventes du Seigneur des anneaux et d’Harry Potter atteignent ou dépassent les 500 000 exemplaires), ne sont pas vraiment surprenantes : Le Journal de Bridget Jones (331 000 exemplaires, en première position), Stupeur et tremblement de Amélie Nothomb (322 000 exemplaires, en deuxième position) ou encore Les rivières pourpres de Jean-Christophe Grangé (206 000 exemplaires, en cinquième position). Très peu d’essais se situent dans les ventes importantes ; et à part quelques exceptions, ce sont des essais très éloignés des recherches en sciences sociales : Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus de John Gray (283 000 exemplaires, 4e position des ventes) et Le courage d’être soi de Jacques Salomé (157 000 exemplaires, 10e position des ventes en poche), en sont de bons exemples. Si l’on regarde enfin du côté des lectures scolaires, on peut repérer l’importance des ventes de Si c’est un homme de Primo Levi (130 000 exemplaires), Antigone de Jean Anouilh, 130 000 exemplaires qui permettent « à un petit éditeur comme La Table Ronde de se mesurer à de grosses maisons », Le joueur d’échec de Stephan Zweig (127 000 exemplaires), Le vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda (82 500 exemplaires) et Le parfum de Patrick Süskind (82 000 exemplaires).
Du sexe, de la fantasy et des psys : quelques tendances éditoriales 2002.
« L’érotisme et la pornographie ont quitté les arrières boutiques. Le sexe fait vendre ». Et l’article collectif de Livres Hebdo du 18 janvier intitulé « Les tendances éditoriales de 2002 » de reprendre le dossier des ventes du sexe. L’année 2001 a été marquée bien sûr par le succès considérable de La vie sexuelle de Catherine M ., mais aussi par Putain de Nelly Arcan deux livres publiés par les éditions du Seuil. Pour 2002 on nous annonce donc que « le sexe fera vendre » (une grande nouvelle…). La liste publiée par Livres Hebdo fait deux colonnes pleines ; citons entre autres : chez Albin Michel, La gourgandine de Françoise Rey, La valse dans le noir de Robert Piccamiglio ; chez Phébus, Les filles de l’ombre, une série de nouvelles hard signées Mathieu Térence ; « deux livres du sulfureux Dennis Cooper [ont été publiés en février], Try chez Pol […] et Wrong, un recueil de textes dans la nouvelle collection « Désordres » du Serpent à plumes ».
La fantasy avait tellement envahi les programmes des éditeurs en 2001, que de nombreux lecteurs s’en étaient plaints. Mais 2002 continue sur la même lancée. On nous annonce des titres, des collections et des opérations d’éditeurs en pagaille : « Folio-sf Gallimard consacrera le mois d’octobre à la fantasy avec le cycle de David Gemmel, Le Lion de Macédoine ». Le succès de Terry Prachet ne se dément pas, et d’après André-François Ruaud dans Cartographie du merveilleux (Gallimard, 2001), la série des Annales du disque monde représente 1% des ventes totales des libraires au Royaume-Uni.
Des psys partout : « autrefois réservés à quelques spécialistes ou amateurs avertis, les livres écrits par des psys […] figurent de plus en plus souvent sur les listes des meilleurs ventes ». On sait le succès d’Aldo Naori dont Des filles et des mères semblent avoir créé une nouvelle branche de la littérature consacrée à analyser le jeu de massacre entre mère et fille (dernier en date : Mères-filles : une relation à trois de Caroline Eliacheff). Boris Cyrulnik a signé deux des gros succès de l’année 2001, Le merveilleux malheur et Les vilains petits canards. La plus intéressante des sorties de février 2002 est sans doute celle de Jacques-Alain Miller, gendre de Lacan et (grand) frère de Gérard d’Europe 1, Qui sont vos psychanalystes ? La bd s’y met aussi : « la série “Les psys” se poursuit chez Dupuis, et Dargaud annonce pour Avril une Aventure Rocambolesque de Sigmund Freud signé Manu et Patrice Larcenet ».