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Serendipity.

Les sciences sociales au miroir des arts.

Image1Comment parler de la société, d’Howard Becker, est un ouvrage passionnant qui questionne les conditions de production et de réception des multiples représentations de la société, qu’elles soient scientifiques, littéraires, photographiques, artistiques… Par là même, il interroge l’approche des sciences sociales. À rebours d’une sociologie académique revendiquant le monopole de la production légitime de discours sur le social, Becker nous invite à découvrir toute la fertilité des modèles mathématiques, des dessins, de la photographie documentaire, du théâtre ou de la littérature romanesque.

J’ai toujours fréquenté les théâtres et les salles de cinéma, toujours été un infatigable lecteur de fiction. Il m’a toujours semblé que ces activités m’apprenaient des choses intéressantes sur la société. J’ai mis en pratique une règle que je m’étais donnée assez tôt dans mon existence : « Si cela me plaît, cela doit en valoir la peine » (p. 7).

Constitué de plusieurs articles pour la plupart inédits, l’ouvrage s’appuie sur la longue expérience de photographe, chercheur et enseignant de son auteur. Présentant successivement un cadre théorique et un corpus d’exemples, il remet en cause l’idée qu’il y aurait une manière de rendre compte du social qui soit « meilleure » que les autres. Ainsi, toutes les façons de faire seraient parfaites ; elles dépendent simplement du contexte et de la communauté interprétative, c’est-à-dire de la convention existant entre les fabricants et les utilisateurs. Partant de ce postulat, Becker souligne combien la sociologie, loin d’avoir le monopole de la description et de l’analyse de la vie sociale, gagnerait à s’ouvrir davantage aux diverses représentations de la société, qu’elles soient photographiques, littéraires ou artistiques… Déculpabilisant pour les étudiants, renvoyant à une conception à la fois modeste et exigeante du métier de chercheur en sciences sociales, l’ouvrage défend l’innovation contre la standardisation et constitue à cet égard un formidable appel à l’« imagination sociologique » [1].

Mettre en scène les sciences sociales.

Le projet de ce livre remonterait aux cours suivis aux Beaux-Arts en 1970, qui avaient familiarisé Becker à la littérature photographique et aux œuvres de Robert Frank et de Walker Evans. Selon lui, les photographes font des sciences sociales, même s’ils nient en faire par crainte de ne pas être reconnus en tant qu’artistes. Becker indique dans un entretien récent avoir alors, sur la base de ce raisonnement, commencé

à repérer des tas d’autres travaux de ce type. Au théâtre, par exemple, on pense à des œuvres comme celles d’Henrik Ibsen, ou de George Bernard Shaw, comme sa pièce […] Mrs Warren’s Profession (La Profession de Madame Warren) qui est une sorte d’analyse socio-fabianiste de la prostitution présentée de manière théâtrale. (Müller, 2009)

L’enseignement de la photographie dans un département de sociologie l’amène à s’impliquer dans des communautés de photographes et à donner de nombreux cours sur le thème. Le financement d’un projet intitulé « Modes de représentation de la société » donne lieu à quelques parutions, avant d’être suivi, au début des années 1990, d’un séminaire avec Conquergood intitulé « Mettre en scène les sciences sociales » [2]. Les étudiants venaient pour la moitié d’entre eux des sciences sociales, et pour l’autre moitié des départements de Performance Studies et de Théâtre, où ils suivaient une formation pour devenir acteurs ou metteurs en scène. L’idée était que chacun fasse une ou plusieurs « performance(s) de sciences sociales ». Il s’agissait d’« explorer les possibilités de communiquer les idées des sciences sociales au moyen de représentations théâtrales (autres que celle, ordinaire, d’une conférence universitaire) », la consigne donnée étant simplement de « jouer quelque chose qui pourrait, selon une interprétation très large du terme, relever des “sciences sociales” » (Becker, 2009, p. 120).

Dans le livre, Becker cite quelques exemples de ce qui s’est passé ensuite. Confronté à « l’inventivité des étudiants [qui] dépassa [ses] espérances » (p. 120) et à la diversité des idées proposées par ces derniers, il réalise avec Conquergood qu’ils tiennent « une mine d’or ». L’importance de la réalité des faits cités lors de ces performances constituait l’une des questions récurrentes débattues par les étudiants « car chacun se rendait compte que si ces performances relataient des faits réels, elles auraient une autre portée, un effet différent, que si elles étaient fictives » (Müller, 2009).

Becker précise ainsi, dans l’entretien précité, avoir

commencé à regarder un peu partout, essentiellement à la recherche de deux éléments : la science dans l’art et l’art dans la science. […] Donc la véritable genèse de ce livre, c’est d’avoir donné ce cours deux fois, et qu’il était toujours suivi de vives discussions. […] [L]orsque je rentrais chez moi, je pouvais écrire des pages entières de notes qui sont devenues le squelette du livre. (Müller, 2009)

Parmi les idées développées figure alors la question des usagers et des fabricants qui, loin de constituer deux catégories distinctes, occupent souvent les deux positionnements ; certaines représentations sont d’ailleurs exclusivement produites par leurs utilisateurs, comme en atteste l’exemple des modèles mathématiques, compréhensibles des seules personnes capables de les créer, de tels modèles supposant une excellente formation mathématique.

Représenter la réalité sociale est donc « généralement le fait d’une communauté interprétative » (Becker, 2009, p. 22).

Une communauté interprétative.

La communauté à laquelle fait référence l’auteur est « un ensemble organisé d’individus (les « fabricants ») qui produisent de manière courante des représentations standardisées d’un type particulier, pour d’autres personnes (les « usagers »), lesquelles s’en servent de façon courante pour des buts standardisés. Fabricants et usagers se sont adaptés réciproquement à leurs pratiques, de sorte que l’organisation de la production et de l’utilisation demeure, pendant un certain temps, une unité stable, un « monde » (Becker, 2009, p. 22), une « structure d’activité collective » (Becker, 1988, p. 27).

Cette collaboration est au cœur de l’ouvrage, qui interroge la manière dont « les besoins et les pratiques des organisations déterminent […] nos descriptions, nos analyses (appelons-les des représentations) de la réalité sociale » (Becker, 2009, p. 18).

Dans Les mondes de l’art, Becker soulignait combien l’œuvre résulte toujours d’une coopération entre de multiples acteurs et en porte la trace. Le « monde de l’art » est constitué du

réseau de tous ceux dont les activités, coordonnées grâce à une connaissance commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la production des œuvres qui font précisément la notoriété du monde de l’art. (Becker, 1988, p. 22)

Et dans ce monde

la désignation de ce qui peut être tenu pour de l’art obéit assurément à certaines conditions fixées par un consensus préalable sur les critères à appliquer et sur les personnes qui les appliqueront. (p. 168)

Ce consensus, souligne ici Becker, fonde la désignation de ce qui est acceptable, aussi bien en sciences sociales qu’en art.

Cette analyse de la fabrication des représentations sociales lui permet d’insister sur la force normalisatrice de l’organisation sociale ; les institutions responsables de la distribution des œuvres mettent « un frein à l’évolution […] en incitant les artistes à ne produire que ce qu’elles prennent en charge et dont elles tirent tous les profits » (p. 146). Et selon l’auteur,

les mêmes problèmes fondamentaux se rencontrent partout. Le poids du budget, le rôle de la spécialisation en professions, les connaissances nécessaires au public pour qu’une représentation soit efficace, ce qui est licite sur un plan éthique — tous ces aspects sont communs à chaque forme de représentation. La manière dont ces problèmes sont traités varie en fonction des ressources et des objectifs de l’organisation sociale. (Becker, 2009, p. 32)

Becker reprend les analyses de Bruno Latour sur le travail en laboratoire (Latour et Woolgar, 1996) pour interroger les multiples transformations des matériaux par les scientifiques mais également le poids des utilisateurs futurs sur la destinée d’une démonstration ou d’une découverte scientifique ; « ce sont eux qui décident de son rejet ou de son acceptation, puis de son incorporation dans le corpus de données universellement acceptées dans le domaine scientifique », les représentations visant à « communiquer uniquement ce dont les utilisateurs ont besoin pour faire ce qu’ils veulent faire. » (pp. 33-34). À cet égard, l’analyse de Shapin (1994)

explique comment les modes de représentation dépendent des modes de compréhension des destinataires, et comment, de ce fait, les fabricants sont amenés à changer la façon dont ils racontent leur histoire lorsqu’ils veulent toucher un public nouveau. (p. 75)

Si les représentations résultent d’une coopération entre fabricants et utilisateurs, quelles sont les modalités de cette coopération ? Comment les groupes coopèrent-ils ? Un chapitre souligne « la diversité des modes de division du travail de représentation entre fabricants et utilisateurs » (p. 45) en s’appuyant sur la comparaison de deux exemples très différents : celui, classique en sciences sociales, de la présentation de données statistiques, et l’ordre de présentation des photographies documentaires pour une exposition dans une galerie, un diaporama ou un ouvrage. Cette analyse, illustrée d’exemples suggestifs, dont American Photographs de Walker Evans (1938) [3], révèle les avantages de la méthode photographique sur celle des tableaux des statisticiens, en particulier la richesse des comparaisons possibles, inhérente à la myriade de détails contenus dans une photographie documentaire. Par ailleurs, si le lecteur de photographies procède, comme celui de tableaux statistiques, à une comparaison élément par élément jusqu’à avoir une vision d’ensemble de la signification des données recueillies, il doit mener le parallèle et construire lui-même le tableau ordonnant lesdites données en catégories. C’est dire tout l’intérêt de photographies pour les chercheurs à condition pour ces derniers d’interroger leurs façons de questionner [4].

Le chapitre suivant, en présentant le « travail des usagers », souligne tout l’intérêt des représentations artistiques ou littéraires de la vie sociale leur demandant de fournir un travail important. Si certaines images des rubriques sportives, illustrant des finales ou les grands sujets de photojournalisme d’actualité (guerre, famine, assassinats), sont soumises à une stylisation rigoureuse facilitant la consultation des habitués et constituent des « images vite lues », qui livrent immédiatement leur sens à ceux qui connaissent le code, d’autres, telles celles de Walker Evans,

tout aussi savamment produites, ont l’intention inverse : incorporer des détails dont le sens ne s’impose pas au premier regard, qui n’utilisent pas un langage visuel préétabli et connu d’avance, des détails qui récompensent une étude et une réflexion attentives. […] C’est ce qui rend si intéressants les artistes qui entreprennent un travail d’analyse sociale. (Becker, 2009, pp. 69-70)

Becker veut ainsi montrer combien « les artistes, qui ne sont pas soumis aux contraintes de la standardisation universitaire, ont des choses importantes à nous montrer » (p. 116).

L’apport des représentations littéraires et artistiques.

Le but de ces artistes n’est ni de présenter ce qui est déjà connu, stéréotypé, ni d’emprunter des codes familiers. Au contraire, souligne Becker

ce qu’ils veulent montrer à ceux qui regardent leurs images est quelque chose qu’ils n’ont jamais vu. Ou, s’ils utilisent un code visuel bien connu, c’est pour que le public y découvre de nouvelles significations. (p. 70)

L’artiste conceptuel Hans Haacke illustre ce point. Dans ses œuvres

la conclusion n’est pas donnée ; il faut savoir aller la chercher. Comme la plupart des spectateurs savent le faire, la conclusion vient du travail qu’ils font, qui est de disposer ces faits simples et indiscutables sous forme de syllogismes, et de tirer la conclusion de ces syllogismes, de manière apparemment inéluctable et naturelle. (p. 71)

Bien sûr, dire que les auteurs de fiction ou de théâtre font de l’analyse sociale ne signifie pas qu’ils ne font « que » cela, ou que ces œuvres ne seraient « que » de la sociologie déguisée en art.

Les auteurs ont en tête des propos qui vont au-delà de l’analyse sociale. Mais le critique le plus formaliste doit bien admettre qu’une partie de l’effet de ces chefs-d’œuvre dépend de leur contenu « sociologique » et du fait que le public estime que ce que ces œuvres disent sur la société est, d’une certaine manière, « vrai ». (p. 23)

Becker démontre par exemple la dimension sociologique du roman Orgueil et préjugés, dans lequel Austen décrit : « une petite communauté divisée en classes, en familles et en cliques, occupées à des actes complexes de mobilité sociale » (p. 261). Et il rappelle combien de nombreuses œuvres peuvent être perçues comme des descriptions littérales et vérifiables d’une organisation sociale donnée à un moment et dans un lieu donnés. La vérité présumée d’une représentation artistique d’un fait social serait même

un élément essentiel de notre appréciation de celle-ci en tant qu’œuvre d’art. Ainsi, l’art et la vérité ne se contredisent pas. […] Dans bien des cas […] la vérité de ce que l’œuvre dit sur la réalité sociale contribue à son effet esthétique. (p. 138)

L’auteur illustre son propos d’exemples, dont la critique, par Hochschild, de l’interprétation décontextualisée d’Au cœur des ténèbres, non dénuée de motivation politique chez des Européens et des Américains qui auraient longtemps répugné à considérer l’ampleur de la violence coloniale en Afrique.

C’est pourquoi l’on trouve plus confortable de voir dans la collection des têtes de Kurtz un « transfert macabre » et de localiser les sources de cette monstruosité dans l’imagination de Conrad. Nous nous sommes empressés de détacher Au cœur des ténèbres de son ancrage historique pour en faire une parabole universelle. (Hochschild, 1997, p. 46, cité in Becker, 2009, p. 138)

Si artistes, écrivains et sociologues se retrouvent dans un même souci de représenter la vie en société, la proximité se lit également dans la confrontation de leur langage pour écrire sur la vie sociale à « l’expression des jugements moraux, soit qu’on essaie de les éviter, soit qu’on les formule de manière déguisée » (Becker, 2009, p. 151). La neutralité permet en effet de communiquer plus efficacement ses convictions morales, en les présentant comme les résultats d’une démarche scientifique désintéressée. Elle peut, à l’inverse, être motivée par le souci d’éviter les jugements moraux.

La posture de Goffman, consistant à ne jamais utiliser un langage normatif et à procéder par comparaison de cas pour aboutir à la description du modèle de l’institution totale, est ainsi une réponse au problème classique en sciences sociales des « présupposés afférents à la pensée conventionnelle » (p. 246). Le recours à un langage clinique et distant chez Georges Pérec s’inscrit pour sa part dans une volonté de description de la société française ou de l’une de ses strates à un moment donné de son histoire. Par contraste, la distance est amenée par les gros plans et les regards détaillés chez Italo Calvino, dont Becker analyse l’intérêt, pour la sociologie urbaine, du format dialogique et des paraboles.

Ces œuvres sont donc particulièrement riches pour le chercheur sur le plan de l’analyse sociologique ou de la théorie sociale. Un chapitre démontre tout l’intérêt de trois types de « fictions », au sens d’analyses de la société dont on n’attend pas qu’elles soient vraies, à savoir les modèles mathématiques, l’idéal-type, qui permet d’aller à l’essentiel dans le cas étudié, et des paraboles, telle celle de David Antin sur la monnaie, qui offre « une analyse pénétrante et utile de l’organisation sociale, politique et économique » (p. 163) en mettant en lumière « les relations complexes entre croyance partagée, langue, structure de classe, conditions écologiques, relations interpersonnelles, et bien d’autres thèmes importants sur un plan théorique » (p. 167). Finalement, peu importe que ces histoires ne soient pas vraies, dès lors qu’elles nous apprennent quelque chose sur la société, applicable ensuite ailleurs, dans nos tentatives personnelles de compréhension des choses.

Le théâtre à voix plurielles de Shaw, Churchill et Shawn, est pour sa part suggestif quant à la question de savoir comment inclure des points de vue pluriels dans la représentation des situations étudiées. Certaines solutions conventionnelles plus ou moins satisfaisantes existent en sciences sociales, tel le piège consistant pour le chercheur à privilégier la voix des autorités. À contrario, les études de sociologie de la déviance, dont l’œuvre de Becker lui-même (Becker, 1985), ont pu se développer dès lors que les chercheurs ont pris en compte les points de vue des acteurs étiquetés comme déviants et de ceux qui leur attribuaient ces étiquettes. Le recours à l’effet dramatique constituerait une réponse à ce défi. Becker montre, à partir de la mise en scène par George Bernard Shaw de discussions sur la prostitution dans La profession de Madame Warren, l’intérêt d’un tel effet pour représenter la confrontation de plusieurs points de vue. L’analyse de la pièce de Caryl Churchill, Mad Forest, traitant des événements de décembre 1989 en Roumanie, lui permet pour sa part de démontrer les ressorts d’une histoire racontée par de multiples voix, tandis que l’œuvre de Wallace Shawn illustre une autre manière de faire : solliciter intentionnellement une seule voix, la mauvaise.

C’est dire combien « les descriptions littéraires échangent la clarté et l’unidimensionnalité contre l’aptitude à effectuer des analyses des multiples possibilités contenues dans une histoire » et invitent à « se libérer de la tyrannie des formes conventionnelles » (Becker, 2003, p. 89).

Une sociologie en liberté.

Le plus souvent, les représentations sociales sont produites d’une manière standardisée, compréhensible pour tous, bien qu’il puisse arriver qu’

à l’occasion, pour une raison ou une autre, quelqu’un dans un domaine particulier se met à procéder autrement, contrevenant ainsi à certains aspects de la norme établie, ce qui provoque désaccords et conflits. (Becker, 2009, p. 83)

La charge morale élevée des méthodes, y compris celles de la présentation des données, constituerait l’un des freins les plus importants à l’innovation. Remplacer ou mal utiliser des méthodes normalisées de représentation est perçu comme une remise en cause des utilisateurs et de leur manière de faire. La solution à ces conflits est alors soit l’affirmation d’une forme nouvelle supplantant complètement l’ancienne, soit l’érection de l’innovation en spécialité, soit l’absence, dans certains domaines, de résolution, le débat se poursuivant sans fin. Plutôt que de discuter de la meilleure façon de produire les représentations sociales voulues par les fabricants et les usagers, Becker propose de considérer que « chaque manière de faire est parfaite […] pour un usage donné » (p. 84).

Poursuivant la réflexion de Becker sur la pratique des sciences sociales [5], cet ouvrage stimulant ouvre donc de multiples pistes. Conforme à la volonté de son auteur de lutter contre les idées toutes faites en matière de méthodes scientifiques, il insiste sur leur multiplicité et ne propose pas de réponse définitive. Se décrivant lui-même comme un ancien pianiste de jazz professionnel qui pratiquerait la sociologie comme un « violon d’Ingres » (Bourmeau et Heurtin, 1997, p. 156), Becker défend depuis toujours une sociologie simple, directe, souple, ni sectaire, ni dogmatique, fuyant toute délimitation trop autoritaire des contours de la réalité sociale et préférant se rapprocher des acteurs pour rendre compte des pratiques. Insistant sur le conservatisme résultant en art comme en sciences sociales du poids des « formes conventionnelles » ou des « méthodes admises », ce livre s’inscrit ainsi dans ce souci de déconstruction systématique et dans la théorie empiriquement ancrée de son auteur [6]. À rebours d’une science sociale qui se serait, selon Becker, mutilée en s’imposant « des limites strictes sur les manières autorisées de parler des découvertes des chercheurs » (pp. 296-297), l’ouvrage est une invitation à innover en exploitant les nombreuses ressources qu’offrent les représentations littéraires et artistiques de la vie en société.

Abstract

Comment parler de la société, d’Howard Becker, est un ouvrage passionnant qui questionne les conditions de production et de réception des multiples représentations de la société, qu’elles soient scientifiques, littéraires, photographiques, artistiques… Par là même, il interroge l’approche des sciences sociales. À rebours d’une sociologie académique revendiquant le monopole de la production légitime de discours ...

Bibliography

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Notes

[1] Pour reprendre la formule de Wright Mills (1997).

[2] Dwight Conquergood (1949-2004), qui enseignait dans le Département de Performance Studies de l’Université de Northwestern, est un anthropologue connu, entre autres, pour son travail avec les Hmong d’Asie du Sud-Est, les gangs des rues de Chicago et les réfugiés de Thaïlande et de Gaza.

[3] D’autant plus intéressant que ce photographe avait l’ambition de faire ici un tableau de la culture américaine. Les photographies, comme le rappelle Becker, n’étaient par ailleurs accompagnées d’aucune légende ou élément qui aurait permis de guider leur interprétation. Concernant l’analyse par Becker de l’œuvre d’Evans et plus largement son approche de la photographie comme « méthode de recherche particulièrement adaptée », voir Becker, 1999 ; Becker, 2003 ; Peretz, 2004.

[4] Voir Becker, 1999 ; Becker, 2003 ; Peretz, 2004 ; Pessin, 2004.

[5] De précédents ouvrages (Becker, 1998 ; Becker 2004) présentaient un ensemble de « trucs du métiers ». Dans un ouvrage plus ancien, édité récemment en France (Becker, 2006), il tentait de systématiser les méthodes qualitatives utilisées au cours de ses nombreuses recherches.

[6] Voir Becker et Ragin, 1992 ; Becker, 1998.

Authors

Corinne Delmas

Docteur en science politique, Corinne Delmas est maître de conférences à l’Université Lille 2 et membre du Ceraps (umr 8026, Cnrs/Université Lille 2). Auteur de Instituer des savoirs d’État. L’Académie des sciences morales et politiques au XIXe siècle, Paris, Harmattan, 2006, elle a publié récemment « Un usage militant de l’expertise. Les organisations de cadres face à la souffrance au travail » in Yann Bérard et Renaud Crespin (dir.), Aux frontières de l’expertise. Dialogues entre savoirs et pouvoirs, Rennes, Pur, 2010. Ses recherches portent sur les usages sociaux des savoirs, la formation syndicale (projet Anr), le syndicalisme cadre et la souffrance au travail.

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Serendipity.

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