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Serendipity.

Les ratés du développement accéléré.

Yersu Kim & Claude Albagli, Corée du Sud : Le modèle et la crise, 2004.

Image1L’ouvrage, promu par le réseau mondial de centres d’études sur le développement qu’est l’institut Cedimes, reprend en fait cinq gros articles d’économie parus entre 1991 et 1999 dans le Korea Journal, que publie la Commission nationale coréenne pour l’Unesco, auxquels vient s’ajouter une longue conclusion de Claude Albagli, de Paris-ii, sur les « Structures comparatives du modèle entrepreneurial coréen ». Pour ceux qui pourraient en douter, les cinq études, toutes rédigées par des Sud-Coréens, montrent la compétence de ces derniers à analyser précisément, et de manière critique, leur modèle de développement.

Un des intérêts du recueil est la relative profondeur historique dans laquelle sont placées les questions étudiées. Cela résulte mécaniquement de l’échelonnement des contributions sur une décennie, mais aussi de la conscience qu’ont les auteurs de la rapidité fulgurante des évolutions que leur pays a connues. Ho Keun Song, dans « Qui profite de la restructuration industrielle ? Réflexions sur l’expérience sud-coréenne des années quatre-vingt », dénonce le retard des réformes sociales, le développement de l’inflation et du mal-logement, sur fond de répression politique. L’écart relativement faible entre revenus masque de très fortes inégalités patrimoniales, liées principalement à la spéculation immobilière. Les tensions s’accroissent, entre tendance au démantèlement du capitalisme d’État, survie d’un confucianisme autoritaire et montée rapide des luttes sociales. On aimerait savoir comment l’auteur tiendrait compte des transformations démocratiques et sociales de la décennie suivante…

Jwa Sung-Hee, analysant « Le rôle du gouvernement dans la gestion économique : les leçons à tirer de l’expérience coréenne », prend plutôt le contre-pied de l’éloge généralement tressé à l’« État développeur » qui aurait présidé à la croissance rapide, depuis le début des années soixante. Sans nier son utilité transitoire, l’auteur insiste sur l’inefficacité croissante des structures publiques, et sur la nécessité de faire davantage confiance aux entrepreneurs et au marché. Enfin Kim Yong-Woong, dans « Industrialisation et urbanisation en Corée », après un intéressant historique d’un processus là encore époustouflant de rapidité, dresse un tableau sévère de sa résultante : hyperconcentration, mauvaise qualité des logements et des infrastructures, conduisant à une dégradation des conditions de transport et de l’environnement. Bref on a « un développement urbain inefficace », sans doute parce qu’il a trop exclusivement été considéré comme un « moyen de promotion de la croissance économique et industrielle » (p. 99). Il s’agit de rien moins que de « construire un nouveau paradigme pour faire face aux questions urbaines » (p. 98), ce qui devrait passer par « un mécanisme de démocratie directe » (p. 100).

Les deux derniers articles sont consacrés aux premiers effets de la crise asiatique — qui fut en particulier coréenne — amorcée en 1997. On peut regretter que ne leur ait pas été adjointe une étude plus distanciée, le volume n’étant paru qu’en 2004… Dans « La crise monétaire coréenne de 1997 – Causes et implications », Jwa Sung-Hee et Huh Chan Guk montrent les diverses composantes économiques de la crise, ses causes conjoncturelles et ses racines structurelles, la principale selon eux étant la paralysie de la réforme de l’État depuis le début des années quatre-vingt-dix. Les entreprises (y compris les banques, souvent décriées) et le marché s’en sortent mieux — c’est leur résilience qui a empêché « des dommages structurels trop sévères » (p. 136). Il faudrait leur faire davantage confiance, et c’est pourquoi, en fin de compte, le passage contraint et forcé sous la coupe du Fmi, qui a tant fait hurler de Coréens, peut se révéler l’occasion de « changements institutionnels importants qui n’auraient jamais pu être mis en place en l’absence d’une crise d’une telle ampleur » (p. 137). Kim Byong-Seob va aussi dans le sens du libéralisme dans « Les réformes gouvernementales en Corée : gouvernement-entrepreneur ou gouvernement démocratique ? ». Il s’agit d’accroître la productivité d’un secteur public hypertrophié, au travers de « l’approche de l’entrepreneuriat gouvernemental » (p. 140), promue aux États-Unis par Al Gore. Cela prend la forme de réductions d’effectifs, de déréglementation, de débureaucratisation, d’ouverture des responsabilités y compris à des étrangers, d’évaluation des performances, de concentration sur le service rendu à la clientèle… Peut-on cependant, en Asie de tradition confucéenne, passer à un système où « la poursuite du succès individuel (serait) un facteur plus crucial que la dévotion ou la loyauté à l’égard de l’entreprise » (p. 166) ? Il conviendrait en tout cas au préalable de consolider la démocratisation de l’État.

Quant à l’article conclusif d’Albagli, il serait peut-être plus à sa place en guise d’introduction. En effet il fournit un honnête récit d’ensemble d’un demi-siècle de développement sud-coréen, sans pour autant aller au-delà d’une présentation pédagogique. Les causes profondes du succès comme des échecs restent dans l’ombre. On attend les autres volumes promis d’une « série Corée » pour mieux saisir comment s’y insérera ce volume quelque peu disparate.

Yersu Kim & Claude Albagli, Corée du Sud : Le modèle et la crise, Paris, Institut Cedimes/L’Harmattan, 2004. 210 pages. 19 euros.

Abstract

L’ouvrage, promu par le réseau mondial de centres d’études sur le développement qu’est l’institut Cedimes, reprend en fait cinq gros articles d’économie parus entre 1991 et 1999 dans le Korea Journal, que publie la Commission nationale coréenne pour l’Unesco, auxquels vient s’ajouter une longue conclusion de Claude Albagli, de Paris-ii, sur les « Structures comparatives ...

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Notes

Authors

Jean-Louis Margolin

Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Provence (Aix-Marseille 1) et chercheur titulaire à l’Institut de Recherche sur le Sud-Est Asiatique (Irsea/Cnrs), à Marseille. Membre du comité de rédaction de la revue d’études asiatiques Moussons. Il a notamment publié Singapour 1959-87 : Genèse d’un nouveau pays industriel, L’Harmattan, 1989. Il a collaboré à l’ouvrage collectif du Gemdev Mondialisation : Les mots et les choses, Karthala, 1999, à L’Histoire inhumaine : massacres et génocides des origines à nos jours (Guy Richard dir., Armand Colin, 1992) et au Livre noir du communisme (Stéphane Courtois et al., Robert Laffont, 1997).

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