Le desserrement de l’étau des simples rapports institutionnels au profit de la globalité des enjeux socio-économiques semble caractériser en parallèle le rebaptême de la Datar en Diact — avec l’effacement de l’« action régionale » — et le développement métropolitain. Mais le changement n’est pas qu’économique. Les ajustements ne sont jamais linéaires. « Rechercher la juste mesure de la dimension politique de la question territoriale », démontrer au sens fort l’« épreuve des changements d’échelle », expliquer sereinement en quoi les réformes échouent plutôt que réussissent ou en quoi la réussite et le pouvoir se négocient, c’est la discipline que s’est fixée un coureur de fonds de la science politique, Emmanuel Négrier, chercheur au Cnrs, dans son nouvel ouvrage — s’obligeant avec sportivité à prendre appui sur des recherches collectives (monographies, comparaisons géopolitiques) et des références (les travaux de Norbert Elias), mais également, non sans témérité, à déconstruire les expertises « dominantes » (des juristes, urbanistes, sociologues et économistes, plus récemment), à décentrer son regard par l’international et les comparaisons infra-nationales et à déloger les fausses évidences par une analyse systématique des variables et sous-variables du déploiement de la coopération intercommunale, au travers d’un va-et-vient scrupuleux entre les configurations locales, la production législative « générique » et l’examen d’une politique publique en particulier, l’action culturelle.
Endurance multi-terrain.
Loin d’obéir à de pures considérations d’optima dimensionnels ou fonctionnels, les refontes territoriales entretiennent avec le politique des rapports étroits et changent les politiques publiques en termes générationnels, professionnels et socio-économiques. De ce point de vue, ce parcours du combattant-chercheur, de Grèce en France, de Barcelone à Montpellier, constitue un probant antidote aux récentes attaques en règle contre l’intercommunalité et ses dérives (manque de lisibilité, déficit démocratique, inflation des coûts), en France.
Il ne s’agit rien moins, pour l’auteur, que de soumettre les théories de l’action publique — les unes peinant à ne plus considérer le territoire comme réceptacle et les coopérations comme champs de manœuvre, les autres pariant sur la vertu intrinsèque des « instruments » et leur adaptation —, à la « pluralisation des territoires », en proposant une relecture des changements d’échelle territoriale, à la fois diachronique et synchronique, et en mettant ce faisant en lumière les incertitudes et ambiguïtés de l’État dans son rapport aux territoires. La « gouverne métropolitaine » et sa dialectique particulière entre intérêts économiques et coalitions politiques sont au moins aussi responsables de la tectonique des plaques qui affecte les États que la fameuse globalisation…
Polemos, art grec. L’exemple de la réforme Capodistrias, choisi à dessein en premier, illustre bien le jeu contraint, à la fois historique, itératif et erratique, auquel est soumis l’État grec, mis à l’épreuve dans sa capacité transitive et translative à cartographier et à planifier, en évitant la concurrence régionale et en faisant le jeu de tel niveau plutôt que de tel autre, en vertu de configurations territoriales (non localistes) et d’échanges politiques (non politiciens).
L’étude de cas de la métropolisation de Barcelone offre une exploration dialectique des temporalités fordiste et post-fordiste de l’organisation urbaine et de cet inachèvement politique qui concerne tant d’agglomérations aujourd’hui. Les interprétations disponibles, soit économiciste de l’ajustement des politiques urbaines à un modèle économique soit institutionnelle d’une dépendance au gouvernement des villes par l’État par le biais de la planification, ne suffisent pas à rendre compte ni de la fragmentation politique de l’agglomération ni de la diffraction de la légitimité politique sur plusieurs scènes locales gérées par différentes coalitions public-privé, selon qu’il s’agisse de services de proximité ou de stratégie de développement, du long ou du court terme.
La coopération intercommunale se diffuse largement en deçà et au-delà des frontières administratives et nationales. Les régressions municipalistes et le contentieux métropolitain peuvent certes être observés çà et là dans tous les pays. Mais il n’y a pas de « bon modèle » ni de bonne échelle de résolution des problèmes, insiste Emmanuel Négrier qui parie sur l’analyse des interdépendances collectives multi-niveaux mais également sur des effets de connaissance inter-individuels. Il n’existe pas non plus d’authenticité communale d’un côté et de faux-monnayage intercommunal de l’autre. La métropolisation ne relève pas du deale clandestin, mais plus sérieusement, selon la variété des territoires, de choix publics et de choix d’acteurs, scientifiquement et politiquement discutables, de transformations du leadership territorial, d’apprentissages institutionnels et de différenciation politiques des politiques publiques.
La question métropolitaine est une performance remarquable d’endurance multi-terrain et de convocation scientifique de la réalité des contraintes, pour appréhender, en particulier, ce que cet épuisant système français communalisant comporte paradoxalement de novateur, d’inventivité polycentrique mais également d’échecs, par delà les justifications fonctionnelles, les bonnes raisons et les mauvaises (un « retour de l’État » ?) militant pour un pouvoir d’agglomération.
Emmanuel Négrier, La question métropolitaine-Les politiques à l’épreuve du changement d’échelle territoriale, Presses Universitaires de Grenoble, collection Symposium, 2005. 270 pages. 25 euros.