En 2005 s’est tenu à Lyon un colloque traitant du choix du lieu d’habitation. L’ouvrage présenté ici en découle et a pour grand mérite d’aborder de façon très travaillée et très construite cet objet encore trop peu traité dans la sociologie francophone. Dirigé par le sociologue Jean-Yves Authier, la démographe Catherine Bonvalet et le géographe Jean-Pierre Lévy, il s’intitule Élire domicile – La construction sociale des choix résidentiels et a été publié en 2010 par les Presses Universitaires de Lyon. La réflexion menée s’inscrit résolument dans les approches de sociologie urgaine développées par Yves Grafmeyer (1994), s’attchant à envisager plusieurs variables explicatives dans leur interdépendance. Cet ouvrage rassemble les travaux de chercheurs de plusieurs disciplines, telles que la sociologie, la démographie et les études urbaines essentiellement, mais également des économistes, architectes ou statisticiens. Cette diversité en fait un ouvrage très riche, notamment sur le plan méthodologique, car chaque auteur s’attèle à décrire précisément sa méthode de recherche et d’analyse.
Un fil rouge fort pertinent.
S’articulant autour de la notion de choix, la structure de l’ouvrage a été très mûrement réfléchie. Au fil de la lecture, la notion de choix résidentiel est ainsi explicitée — selon un cheminement où la complexité émerge de manière graduelle — de façon de plus en plus détaillée et construite. Arrivé au terme du livre, le lecteur a pu appréhender toutes les dimensions de la notion, à savoir l’ensemble des caractéristiques sociales auxquelles elle renvoie, sans pour autant avoir été confronté dès les premiers articles à une complexité rebutante. En ce point, le but recherché et annoncé dès l’introduction par les trois directeurs de l’ouvrage — à savoir « apporter des éléments de connaissance au sens de la notion de “choix résidentiel”, à ses modes de construction sociale et à ses effets socioéconomiques et territoriaux » (p. 9) — est amplement atteint.
Aborder le choix résidentiel : des méthodologies.
Concrètement, l’ouvrage en question s’ouvre sur une première partie dite théorique et méthodologique. Elle s’articule autour de la confrontation de deux approches du choix résidentiel, différentes mais complémentaires. Dans le premier article, Didier Cornuel expose la méthodologie de recherche des économistes sur ce sujet. Cette discipline cherche à appréhender la réalité par un travail de modélisation, visant à formuler un schéma d’adéquation entre la localisation des ménages et leurs caractéristiques sociales (taille, revenu). Ce travail nécessite la prise en considération de certains déterminants, tels que le statut d’occupation (propriétaire ou locataire) ou les calculs financiers (apport initial ou pas, prêt, taux, etc.). Mais, de l’aveu de l’auteur lui-même, cette approche reste problématique, car elle ne traite pas du choix résidentiel dans sa globalité. Elle considère en effet chacune des différentes dimensions constitutives du choix résidentiel comme une question séparée et la traite indépendamment des autres aspects ; elle néglige ainsi des dimensions importantes, telles que le facteur temps ou le domaine de l’action publique.
Reprenant l’argumentaire de l’économiste, Yves Grafmeyer répond par une approche sociologique de la notion de choix résidentiel. Il appuie sur l’importance de la prise en compte des interdépendances subjectives et objectives qui lient les divers éléments dans ce type de travaux, précisant qu’il existe deux registres d’analyse : un premier s’intéresse aux conditions et causes qui s’exercent objectivement sur les acteurs ; un second s’attache aux motifs et circonstances des choix opérés par ces mêmes acteurs, de l’ordre donc de la subjectivité. Pour que le choix résidentiel puisse être défini comme objet à part entière, il est ainsi nécessaire de le contextualiser et donc d’avoir une approche individualisée et compréhensive.
L’importance du contexte.
Fort de ce point méthodologique et théorique, l’ouvrage se poursuit avec trois présentations de cas d’étude, respectivement en Ile-de-France, en Grande-Bretagne et en Italie. Ces trois articles mettent en exergue le contexte politique, économique et historique indispensable à la compréhension du phénomène de mobilité résidentielle. Catherine Bonvalet, par un travail sur « les logiques de choix résidentiels des franciliens », met l’accent sur la trajectoire résidentielle au cours de la vie de la personne. Elle évoque ainsi l’existence de deux types de logiques : celles qui correspondent à une marge de manœuvre économique, impliquant une certaine négociation entre stratégies scolaires et professionnelles, et celles qui correspondent plutôt à une multiplicité de déterminants : profession, famille, institution, etc.
À sa suite, Jim Ogg souligne de manière accentuée l’importance de la multiplicité des facteurs qui influencent la mobilité résidentielle, ces derniers dépendant « du contexte institutionnel et culturel de chaque pays » (p. 77). Ainsi, en Grande-Bretagne, la politique d’accession à la propriété a connu un net revirement à partir de 1980. Cette politique étatique, qui considérait la propriété comme un indicateur de réussite, a mis en place des primes et programmes incitant tout un chacun à l’achat. L’accession à la propriété avant 1980 représentait un risque pour les ménages (endettements dus aux prêts immobiliers), ce qui favorisa le développement du parc locatif ; aujourd’hui, suite aux mesures politiques de 1980 et face à la précarité de l’emploi, au chômage et à la baisse des niveaux de retraite, les ménages se tournent de plus en plus vers la propriété au détriment de la location. Ainsi, malgré les difficultés à devenir propriétaires, l’acquisition d’un logement est devenu le fait d’une consommation, motivée par une valeur de prestige associée à ce type de bien. Ce processus d’acquisition privilégie certains critères, tels que la composition familiale, le lieu de travail, l’environnement et la population locale, phénomène dit de « fuite urbaine » (gentrification or urban flight). Cependant, face à une crise de l’immobilier, la politique d’incitation à la propriété révèle toutes ses limites.
Enfin, Marco Bottai et Nicola Salvati évoquent le contexte italien, celui d’un pays à faible mobilité en raison d’une stabilité importante de l’emploi et d’un taux élevé de propriétaires. Dans ce contexte de quasi-immobilité, leur analyse sur plusieurs générations (afin de prendre en compte les évolutions du modèle familial) confirme un processus de périurbanisation en place depuis une trentaine d’années. Ce faisant, les auteurs insistent sur l’importance des trois dimensions constitutives de la relation entre l’habitant et le territoire, à savoir son enracinement au lieu, l’espace de vie qu’il recherche et les éléments migratoires de son histoire résidentielle.
Au-delà de leur intérêt particulier, ces trois articles permettent, dans le fil directeur de l’ouvrage, de mettre en exergue l’importance des différents facteurs qui entrent en jeu dans le choix résidentiel, ce qui ouvre la voie à la partie suivante intitulée « arbitrages ».
De quelques déterminants du choix résidentiel.
La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à l’étude de certains déterminants du choix résidentiel, afin de démontrer leur complexité au-delà d’un contexte socio-culturel spécifique. Jean-Yves Authier et Jean-Pierre Lévy s’interrogent sur ce qui motive le fait de rester ou partir de son logement, à partir de trois enquêtes différées dans le temps (1997, 2022 et 2003) menées dans des anciens quartiers de certaines grandes villes françaises. Dans cet article, les auteurs révèlent l’importance et le rôle de plusieurs facteurs explicatifs : l’ancienneté d’habitat dans le lieu de résidence, le fait d’être ou non propriétaire, l’existence d’enfants ou non dans le ménage, mais également l’âge, le statut social et professionnel des résidents. Ils précisent que le quartier de résidence et son évolution sont également des facteurs d’analyse non négligeables, influençant le choix des acteurs.
L’article suivant s’intéresse au facteur scolaire, comme élément à part entière du choix résidentiel. Agnès Van Zanten y décrypte la place de la stratégie scolaire, à visées individuelles (émancipatrices, instrumentales et expressives) ou collectives. Le croisement de ces aspirations engendre deux types de stratégies, le bonding ou création d’un entre-soi par le biais du lieu de scolarisation et le bridging qui correspond plutôt à un brassage ethnique et culturel, un modèle d’ouverture. Les politiques éducatives prônées, le capital temps et le capital social, l’accès aux ressources culturelles font totalement partie des modes de construction de ces stratégies éducatives.
S’attachant pour sa part à la mobilité, Vincent Kaufmann offre un regard sur deux phénomènes en augmentation en Suisse : la bi-résidence et la pendularité. Il décrit là deux types de stratégies résidentielles : lorsque le lieu de résidence n’est pas celui du travail, certains optent pour une double résidence, d’autres pour une mobilité quotidienne. Ces deux stratégies ont pour intérêt de représenter deux types d’ancrage au territoire opposés, les pendulaires résidentiels étant très attachés au lieu de résidence (familles, amis, lieu) tandis que les bi-résidentiels sont plus mobiles, se construisant autour de réseaux sociaux et territoriaux multiples. Il s’agit là de deux logiques de l’espace : l’une dite de « réversibilité », caractérisée par le maintien d’un ancrage local, l’autre dite de « récursivité » qui correspond à un enrichissement de la diversité des ancrages.
Cécile Vignal aborde à son tour la mobilité mais dans le contexte familial, s’intéressant à la gestion par le couple d’une mobilité professionnelle. Cette approche permet de mettre l’accent sur la place des femmes dans le couple et dans le travail, par rapport aux hommes (rôle domestique, salaire inférieur par exemple). Au cours de son analyse, elle décrit quatre types de cas. Les deux premiers types sont qualifiés de cas d’ajustements, sans tensions, de la réalité résidentielle face à la mobilité ; les deux autres types, majoritaires, correspondent à des états de tensions importantes dans le couple, combinant pressions de l’entourage familial, impact psychologique de la migration professionnelle éventuelle, et conséquences sur les enfants. Ainsi, le premier type est celui d’une migration de carrière qui correspond à un ajustement entre toutes les dimensions du couple et de la famille ; le second est un refus de la mutation, favorisant donc l’ancrage territorial et résidentiel. Dans le troisième type, la mutation est acceptée, avec un compromis par rapport à la résidence familiale : la maison est conservée et soit seul le mari est mobile, soit toute la famille déménage mais revient régulièrement dans la résidence d’origine, engendrant de fait un mode de double résidence. Enfin, le quatrième type est également un refus de mobilité qui engendre cette fois-ci un licenciement. Ce dernier type se distingue du second, dans la mesure où le type deux est une négociation d’équilibre, engendrant des projets de reconversion, des préférences par rapport à la mutation mais sans tensions particulières ; dans le type quatre, il y a prise de risque avec le licenciement et des tensions familiales importantes.
Ces quatre articles décrivent donc les influences de certains déterminants dans une situation de choix résidentiel. Il s’agit ici de cas dans lesquels la famille est présentée comme relativement « classique » (parents, enfants) sans qu’il soit donné plus de place à d’éventuelles caractéristiques particulières, éléments auxquels s’intéressent les articles du chapitre suivant.
Caractéristiques familiales et choix résidentiel.
La composition familiale est une donnée importante de la réflexion sur le choix résidentiel ; le fait d’être seul ou en couple, avec ou sans enfants, jeune ou âgé, joue un rôle dans la mobilité résidentielle, dans le type d’habitat et de lieu choisi.
Le premier article de ce chapitre place ainsi le fait de vivre seul au centre du questionnement. Damaris Rose décrit divers types de cheminement d’accession à la propriété pour des ménages solos — c’est-à-dire composés d’une seule personne —, dans lesquels les étapes de vie de chacun, l’histoire personnelle, jouent un rôle essentiel. Elle dégage ainsi trois schémas d’accession à la propriété pour ces personnes : le résultat d’un projet planifié, une conséquence rapide d’un changement dans la vie personnelle, ou encore une réponse impulsive à un contexte socio-politique (marché de l’immobilier favorable).
Annick Germain, Cécile Poirier et Martin Alain mènent une réflexion sur les contraintes et les conséquences liées à ce statut solo, en fonction de sa place dans le parcours de vie. Cet article complète le précédent. Le fait d’avoir toujours été ou d’être redevenu solo a une importance dans ce schéma résidentiel : les ruptures dans un couple engendrent souvent un « déclassement résidentiel » (p. 240), le temps, l’argent, la taille, la localisation représentant des contraintes lourdes pour un ménage solo. Les auteurs précisent par exemple que le « rapport au quartier apparaît donc central dans la manière dont les solos décrivent leur mode d’habiter » (p. 245).
Sébastien Lord traite pour sa part d’une autre caractéristique du ménage, l’âge. Il constate que la plupart des résidents en banlieue pavillonnaire du Québec sont aujourd’hui des personnes vieillissantes et que cet âge croissant a un impact sur la façon d’habiter et les contraintes qui peuvent être liées à un lieu ou type d’habitation. Avec le temps, les ménages nouent des relations particulières à leur quartier, le chez-soi est donc tout à la fois lieu de relation, lieu de mobilité quotidienne, indicateur de statut, espace d’activités, espace familier, milieu de vie en sécurité, lieu d’attachement et de mémoire. Malgré la perte d’autonomie, il n’y a pourtant guère de différences entre les différentes classes d’âge des ménages de banlieue ; les logiques et stratégies d’adaptation répondent toutes à un fort attachement au quartier.
Enfin, André Fortin et Carole Després s’intéressent eux aussi aux personnes âgées, en milieu rurbain. Cet article atteste non pas d’une désertification des banlieues avec l’avancée en âge des ménages, mais au contraire d’un maintien de ces populations dans ces zones d’habitation. Ces aînés sont soit des personnes ayant grandi ou étant nées dans ces zones rurbaines, soit des personnes ayant quitté une autre campagne pour se rapprocher de Québec, lieu de l’étude. Dans les deux cas, les éléments de choix résidentiels sont sensiblement les mêmes : attachement à la campagne, attachement au lieu en question, lien à une maison particulière. Les motivations sont donc de l’ordre d’un enracinement dans un lieu spécifique et d’un rapport à la nature.
Ces quatre articles présentent l’intérêt de se compléter et d’explorer la composition des ménages. Malheureusement, le cas québécois est exclusif, les quatre articles traitant de Québec ou Montréal. Nul doute que ces villes connaissent des évolutions urbaines intéressantes, ce que démontrent bien les auteurs, mais il est fortement regrettable de ne pas avoir d’analyse de cas portant sur les Usa, des villes d’Amérique latine, voire des villes européennes, asiatiques ou africaines. Cette prédominance restreint de manière importante le regard et annihile toute possibilité de comparatisme.
L’espace territorial.
Dans la dernière partie de l’ouvrage, la réflexion est axée sur l’élément territorial du choix résidentiel. Le premier article se concentre sur les choix résidentiels des habitants de l’Ile-de-France. Martine Berger y démontre le lien entre classes sociales et choix résidentiels, explicitant la contrainte que les moyens financiers représentent dans la distance du lieu de résidence à Paris. Elle parle ainsi de « gradient social en fonction de la distance » (p. 300). Par une étude combinant classes sociales, composition familiale et lieu de résidence, l’auteur révèle la persistance d’inégalités sociales dans le choix résidentiel, malgré un modèle commun : celui de l’acquisition d’une propriété en proche banlieue parisienne pour une famille avec enfants.
Le cas décrit par Jesus Leal met en exergue la spécificité du schéma espagnol, celui d’une très forte demande en matière de logements et de très nombreuses accessions à la propriété lors de la décohabitation familiale, lié à un mode d’État providence qui investit énormément dans le logement. La mobilité géographique reste faible en raison d’un très fort ancrage familial, non contrecarré par un facteur professionnel. Dans ce modèle, les jeunes résident longtemps chez leurs parents puis accèdent à la propriété, dans un achat proche de la famille, à un âge déjà avancé.
Évoquant à leur tour un cas assez spécifique, Magda Garcia et Francine Dansereau exposent la situation résidentielle des immigrants latino-américains à Montréal. Contrairement à de nombreux autres groupes ethniques et à de nombreux autres pays, les latino-américains de Montréal ne se regroupent pas dans des espaces résidentiels ethniques. Ils sont donc dans une situation de cohabitation résidentielle avec d’autres groupes ethniques, dont quelques éléments d’explication résident dans leurs trajectoires : temps d’établissement, réseaux d’enracinement, parcours familiaux, autres séjours résidentiels, etc. Le lien communautaire n’est pas pour autant rompu, s’exprimant dans d’autres domaines.
Enfin, Carlos Teixeira s’intéresse au phénomène de suburbanisation [1] des Portugais de Toronto. Cette population connaît une forte concentration communautaire. Bien que cette immigration ne date que des années cinquante, elle se distingue par une très nette propension à la propriété, qui engendre une forte mobilité résidentielle et une forte suburbanisation. Devenir propriétaire est synonyme d’intégration, et un réseau immobilier portugais s’est construit en ce sens, favorisant une structuration résidentielle ségrégative.
Comme l’indiquent les directeurs de l’ouvrage en conclusion, tous ces articles mettent en lumière la complexité de la notion de choix résidentiel. En vertu du grand nombre de facteurs impliqués, il semble donc impossible de modéliser les processus de choix résidentiel, ce que les différents articles ont démontré par la négative en insistant sur les ajustements, contraintes et négociations qui caractérisent tous les cas d’étude.
Questionnements et élargissements.
Cet ouvrage est d’une richesse indéniable. Pourtant, au terme de sa lecture, quelques interrogations et quelques regrets demeurent. Tout d’abord, la prédominance de deux pays est un peu regrettable : un tiers des articles traite de cas français, un deuxième tiers de cas canadiens. Les rares articles consacrés à d’autres pays suggèrent pourtant que les villes européennes — mais sans doute est-ce aussi le cas de villes américaines — présentent un intérêt tout aussi important pour l’étude et l’analyse des choix résidentiels, de par leur histoire et les traces de cette dernière dans le paysage urbain.
Cette lacune de diversité dans les contextes historiques et d’urbanisation minimise de fait l’importance de l’histoire urbaine et nationale dans les choix individuels. Dans des villes comme Berlin, par exemple, dans laquelle existe de nombreux nouveaux quartiers mais également de plus anciens, voire très anciens, comment choisit-on d’habiter ? Quelle part fait-on à la charge historique de certains lieux, quartiers ou rues ? Comment gère-t-on la confrontation quotidienne à des lieux de mémoire ou des traces douloureuses du passé (vestiges de guerre, dégradations, etc.) ? De même, dans des villes blessées de façon visible sur leurs murs, telles que Beyrouth ou Sarajevo, qu’en est-il de ces traces de l’histoire dans le choix résidentiel ?
Ensuite, un lourd regret demeure dans le peu de place fait à la diversité ethnique dans cet ouvrage, malgré quelques études de cas dans le dernier chapitre. Les populations immigrées, quelle que soit leur génération d’installation ou d’arrivée sur le territoire, font l’objet de discriminations fortes en ce qui concerne l’accès au logement. Ce frein existe également pour des populations autochtones « marquées » (« noirs », descendants de Maghrébins, asiatiques, etc.). Toujours dans ce cadre, la diversité des modes d’habitation est également peu évoquée par rapport à la diversité ethnique : les Tsiganes sédentaires, semi-sédentaires ou nomades, ou encore les forains par exemple. Il semble évident que ce dernier point aurait nécessité de prendre en compte d’autres dimensions du choix résidentiel complexifiant encore la notion. Cependant, l’approche anthropologique aurait sans doute pu enrichir encore le propos, car cette discipline analyse les pratiques en fonction de données socio-culturelles, telles que les codes religieux, les normes de parenté, les modèles économiques. Dans certaines cultures, l’éloignement familial est peu admis ; pour d’autres, des considérations d’ordre religieux peuvent générer des négociations dans la localisation de la résidence. Dans ce cadre, la prise en considération de ces données culturelles aurait permis d’élargir le regard et de rendre compte de la complexité du choix résidentiel dans une perspective plus large et plus aboutie.
Ainsi, il semble quelque peu réducteur de n’aborder la question théorique et méthodologique du choix résidentiel que sous l’angle de deux disciplines : l’économie et la sociologie. La discipline anthropologique aurait certes pu apporter sa contribution, abordant le type d’habitat comme mode culturel répondant à certaines contraintes sociales et géographiques. De même, le domaine de la psychologie aurait certainement ouvert la perspective avec un regard plus centré sur l’individu, ses préoccupations et conflits, explicatifs ou illustratifs de certaines logiques de distanciation ou rapprochement de groupes familiaux, professionnels, etc.
Il est étonnant également que la focale d’observation ait omis certaines formes de structures familiales. Dans leur article, Annick Germain, Cécile Poirier et Martin Alain évoquent des formes familiales totalement absentes des analyses présentées : les ménages multifamiliaux, les ménages non familiaux, ou encore les couples non cohabitants. En effet, les phénomènes de cohabitation, désignés ici comme non familiaux, sont très largement répandus de par le monde, notamment chez les jeunes. Ils ne sont nullement pris en compte dans cet ouvrage, dans quelque approche que ce soit. De même, de plus en plus de couples ne vivent plus sous le même toit, pour des raisons professionnelles, sociales ou autres. Ils n’apparaissent pas plus que les ménages non familiaux dans cet ouvrage, relevant pourtant de logiques du monde moderne importantes à prendre en compte dans la mesure et l’appréhension du choix résidentiel.
Pour autant, ces regrets restent de l’ordre des enrichissements à apporter à un ouvrage déjà fort intéressant.
Jean-Yves Authier, Catherine Bonvalet, Jean-Pierre Lévy (dirs), Élire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Lyon, Pul, 2010.