Si quelque lecteur de cette chronique ne s’est jamais demandé comment de la philosophie pouvait être diffusée sur des antennes radiophoniques hors de notre territoire, donnons-lui l’occasion de se familiariser avec d’autres expériences que les nôtres, celles côtoyées par exemple auprès de France Culture, de fr 3, de France 5 ou d’arte, grâce à l’audition d’une prestation venue de la Radio Suisse Romande. Durant le mois de janvier 2005, la station helvétique Radio Espace 2 [1] a diffusé cinq émissions de philosophie. Sous le titre générique Les Temps qui courent, la station a donné la parole à neuf philosophes, rassemblés dans le Groupe de la Riponne, du nom de la bibliothèque du même nom, sise à Lausanne [2]. Ce groupe de parole dont les membres sont des philosophes — Hugues Poltier, Michel Vanni, Francesco Gregorio, Michel Herren, Lorenzo Bonoli, Zachée Betche, Emmanuel Mejia, Thierry Laus (soit essentiellement des philosophes universitaires, mais aussi un théologien, un non-philosophe, et apparemment pas de femmes, du moins ayant eu accès aux micros) — a exposé sur les ondes quelques idées centrales dont nous rendons compte dans cet article.
Voici d’abord les titres des émissions et la répartition des orateurs principaux dans chacune d’elles :
Politiques des voix, avec Hugues Poltier et Michel Vanni
L’Europe et ses sources, avec Francesco Gregorio et Michel Herren
L’Europe et ses autres, avec Lorenzo Bonoli et Zachée Betche
L’Europe entre histoire et avenir, avec Emmanuel Mejia et Michel Vanni
Les voix troublées, avec Michel Herren et Thierry Laus.
Un groupe philosophique en marge de l’université.
Rassemblé une fois par mois, ce groupe de parole et de publication se réunit d’abord par amitié, ensuite sur la base d’une thèse philosophique [3], enfin avec la volonté de créer un espace de parole qui sorte des cadres codés de l’institution universitaire. Forçant sans doute un peu le trait, le groupe, qui reconnaît bien volontiers être composé essentiellement d’universitaires, prétend se placer en dehors de toute parole habituelle, réglée par un excès de conformité (quelles qu’en soient les normes de référence : rythmes saccadés de la vie, courses sur le temps, rivalités, voix brisées par une voix dominante, labels imposés par les diplômes et les postes officiels), afin de retrouver autant que possible le sens de l’adresse à l’autre, brisé par ces normes. Tant que les paroles demeurent liées aux mécanismes institutionnels de légitimation, affirme le groupe, elles restent des paroles étouffées et au mieux juxtaposées. Chacun sait bien, effectivement, que le recours aux paroles expertes est d’autant plus pratiqué dans nos sociétés qu’il est nécessaire de brider la parole des non-experts.
Mais, ce qui est aussi caractéristique des attendus fondateurs de ce groupe, c’est ce sentiment de fatigue, cette sorte de souffrance — établie sur la reconnaissance de la blessure infligée à la voix par les institutions qui imposent des concurrences, des autorités et des dominations, voire des enfermements —, qui semblent résulter du constat du maintien des qualifications institutionnelles dans l’ordre de la parole. Aussi, le groupe se sent-il fondé, à partir de ce présupposé, à chercher à organiser un espace de parole qui tente de faire valoir une nécessaire délégitimation des rapports officiels et institutionnels, garantis par des labels et des diplômes, entre les personnes, afin de mieux laisser s’exprimer ce besoin d’adresse à l’autre, ce désir de discussion libérée dont la personne humaine est porteuse, dans la mesure du moins où elle apprend à ruser avec les assignations et les dominations. L’enjeu, en un mot, est de passer par-dessus ces rapports institutionnels pour retrouver une parole adressée.
Reste à savoir si un tel refus de la parole experte est ipso facto une manière de laisser prendre la parole par d’autres, et une manière d’écouter les autres ? Une parole universitaire, déliée de l’université, n’est pas pour autant immédiatement une parole « populaire », comme dirait Diderot. En un mot, ce groupe traite apparemment plus fermement le problème de la parole de groupe, dans le cadre de l’université, que celui de la distribution de la parole dans le champ social.
La politique des voix.
Cela étant, l’option commune, semble-t-il, renvoie à une trilogie conceptuelle tout à fait acceptable. Au point de départ de la parole, le vide. Il n’est pas de sens en soi, pas de vérité dernière, pas de fondement ultime. Il convient de prendre conscience — et les propos de Samuel Beckett sont rappelés d’entrée de jeu — du vide sur lequel reposent toutes choses, et de l’indétermination que nous, humains, sommes originellement. C’est sur ce socle que s’instaurent les identifications imaginaires indispensables à l’existence humaine, dont les principales sont les identifications construites par les institutions. Elles permettent de donner un nom aux individus. Elles favorisent leur identification. Et en conférant aux uns et aux autres des assignations, elles ouvrent une porte d’entrée sur un monde social et politique local et momentané. Cela étant, elles brisent du même coup, une autre possibilité, celle d’une parole qui se construirait dans le seul jeu de l’adresse à l’autre, en dehors ou en marge de ces assignations. C’est cette seconde voie que le groupe voudrait instaurer-déployer.
En quoi la question de la voix est certes décisive. Ce dont personne ne doute. Non qu’il s’agisse seulement de la question de l’émission sonore. Car, celle-ci peut dériver sans cesse de bavardage en délire verbal, ou de monologue en aboiement d’ordres. Il est plutôt question ici de cette voix et de la voix que l’on prend ou que l’on donne, que l’on peut aussi prendre, et qui nous appartient aussi par fait démocratique : le citoyen, en effet, donne sa voix, il vote.
Ce thème de la voix par lequel s’ouvrent ces émissions a le mérite de fort bien dessiner d’emblée un large spectre d’exploration des questions philosophiques suggérées par le monde contemporain. On comprend alors pourquoi ces philosophes, dès le commencement de ce cycle radiophonique, se sentent pris dans un mécanisme qu’ils récusent : celui d’avoir à présenter leurs titres d’emblée aux auditeurs. Car cela revient à avancer, avant même un contenu de parole adressé, les dispositifs normés de l’énonciation. C’est alors l’institution qui vient en avant, se portant immédiatement garante de la valeur de la parole. Elle coupe l’énonciation, en légitimant une voix non pour l’adresse qu’elle profère, mais pour lui conférer un statut d’expert, et empêcher les autres de parler. Les voix risquent donc toujours d’être jouées d’avance, d’être disposées, au point d’étouffer, outre l’université sans doute, la politique elle-même, dans la mesure où, habitués à ces légitimations, les citoyens ne prennent plus la parole en public s’ils ne s’y sentent pas autorisés ou attendent d’avoir à côtoyer des paroles autorisées en public.
On notera cependant, à ce propos, que la question de l’effraction de la parole (par exemple, dans l’espace public, mais aussi dans l’espace privé ou institutionnel) n’a guère été traitée, avec l’ampleur qu’elle mérite, dans le cadre de ces émissions. S’interrogeant sur la possibilité d’émettre la voix autrement, et probablement dans d’autres cadres, le groupe de la Riponne évoque un peu vite la question de la nécessité de transformer la société pour que la parole s’y distribue autrement, voire celle de l’émergence de la parole non autorisée dans le champ politique et social.
Sauf, à revenir plus spécifiquement sur le cas de la démocratie, et d’un point en elle, il est vrai, central. Qui est le « je » qui s’énonce dans le cadre démocratique, le « je » du citoyen, dans la mesure où il est censé relever d’un « nous », « nous, le peuple » pour rappeler la formule de la constitution américaine (We, the people). Certes, il ne s’agit plus du « je » du sujet cartésien, ce « je » qui est assuré de son identité par le Dieu garant. Dans le cadre démocratique, celui de l’autonomie du sujet, il n’est plus de transcendance qui vaille. En revanche, existe-t-il d’autres garanties, d’autres labels ? Qui est « nous » ? Un énonciateur sans consistance ? Une pure forme ? Oui, répond le groupe de la Riponne, du moins, tant qu’il n’existe pas de débats dans la société, de délibération véritablement commune, qui en tout cas sortirait le citoyen de la seule parole qui lui est autorisée : oui ou non (lors d’un vote, ou d’un référendum). Là joue pleinement le principe de la légitimation institutionnelle, celle de l’État, mais aussi celle des partis, des organisations, seule garantie, il est vrai, dans le cadre démocratique. Mais une garantie qui détermine son inverse : l’angoisse ressentie par certains de se retrouver abandonné, seul ou en marge, sans ordre de l’institution.
Où la parole est-elle construite dans une véritable confrontation ?
L’Europe et ses sources.
Passons à un exercice pratique. Quelle est donc cette Europe qui parle de nos jours pour nous ou à laquelle on fait parler un certain langage ? Et d’abord, l’Europe ou les Europes ? Belle question, qui ne se relie pas uniquement à l’ouvrage publié par le groupe (Groupe de la Riponne, 2006) [4], qui ne nous est pas seulement adressée du cœur de l’Europe (sans adhésion à l’Union du même nom, nous sommes en Suisse), mais qui est celle de chaque européen.
L’émission de référence (la deuxième) se tourne vers la question de l’héritage européen. Question à propos de laquelle les intervenants ne sont d’ailleurs pas tout à fait en accord. Convient-il de renvoyer l’Europe à un fondement et un héritage, comment convient-il de se rapporter à cet héritage s’il y en a un, faut-il au contraire renoncer à cette idée d’héritage et déclarer soit que l’héritage est multiple, soit que l’héritage se reconstruit sans cesse en fonction de la visée du futur que nous voulons nous donner ?
Ce qui est clair, en tout cas, dans les positions énoncées, c’est qu’il est essentiel de mettre en avant cette idée selon laquelle la perspective de l’héritage européen peut se constituer en machine de violence amnésique. Dès lors que l’on parle d’héritage européen, c’est la perspective grecque qui vient en avant, sous la forme d’une sorte de jeu archéologique, faisant transparaître ce socle géologique que serait la Grèce antique. Au demeurant, s’il est plusieurs manières de faire appel à la Grèce des philosophes, celle de Cornelius Castoriadis — autre grec, mais du 20e siècle, et qui s’est interrogé sur le sens à donner à l’idée de démocratie en Grèce ancienne —, celle qui est « officielle », « courante », dans les institutions européennes, est celle d’un recours à une source unique et originaire (le « miracle grec » inventé par Fustel de Coulanges que certains évoquent encore), que l’on peut cependant prendre à contre-voix, comme tous les mythes dangereux. Il est même urgent de nous défaire de cette idée d’une origine, ou d’une source de l’Europe, et de refuser cette idée d’une ligne généalogique dans laquelle s’inscrire.
À cet égard, il faut rappeler moins comment la Grèce a été inventée (comme source, comme socle, comme origine), ou la manière dont elle est redistribuée au cours de la scolarité (sous un imaginaire sélectif, l’Attique plutôt que le reste), que le travail des humanistes classiques, qui a consisté à exclure autant que possible la pensée arabe de la référence européenne. L’humanisme, en la personne de Pétrarque notamment, a opéré le geste d’écarter toute autre pensée, en inventant l’idée d’une unique source grecque de la pensée européenne. Il mobilise un dispositif d’exclusion, effaçant l’Orient et les arabes de la pensée « occidentale ». Et les historiens ne cessent d’avoir du mal à nous rappeler que le monde arabe appartient à l’histoire de l’Europe.
L’Europe et ses autres.
Ce n’est évidemment pas le seul problème posé à ceux qui souhaitent élaborer une pensée européenne, et à ceux qui en reconnaissent les enjeux. Car, derrière ces propos se profilent aussi les problèmes de l’altérité, disons les problèmes de la dialectique identité-altérité telle qu’elle est mise en œuvre en Europe. Quels sont les « autres » de l’Europe ? Les « autres » internes et les « autres » externes à l’Europe ? Les autres cultures par conséquent : « arabes », « juives », « africaines », « indiennes », « non-chrétiennes », « anti-religieuses » [5]… qui toutes ainsi posées en vrac, les unes à côté des autres, dessinent pour l’heure d’immenses difficultés de parole, des langages inclus ou exclus, externalisés parfois, problématiques sûrement, des énonciations multiples et qui se recouvrent souvent, et qui sont suspendues de présence dans le cadre de ladite définition d’une culture européenne prétendument une, unique et homogène, quand on ne cherche pas à faire croire que la culture européenne est tout uniment d’essence chrétienne.
Sur ce plan, les remarques, faites par les intervenants au cours de l’émission, et qui suivent cette entrée en matière, sont sans doute plus classiques que les précédentes. La question de savoir qui sont ceux que nous pouvons appeler les « autres » de l’Europe renvoie d’abord à toute l’histoire de ladite Europe (et à la manière de concevoir cette histoire), puis aux différentes figures de « l’Arabe », de « l’Africain », et autres (bis), construites en et par l’Europe, en fonction de cette histoire et de la dialectique des rapports de force mondiaux, telle qu’elle se déploie à telle ou telle époque. Disons que la part la plus originale de la parole du groupe de la Riponne, sur ce plan, tient moins à la place faite à l’autre dans le propos qu’à la reformulation de la question : « qui suis-je ? », « qui sommes-nous » ? Soit, en personnifiant l’Europe : qui est l’Europe ? Qui est l’Européen ? Loin de proroger l’esprit identitaire d’une Europe repliée sur l’homme blanc, centre du monde, le groupe valorise l’idée selon laquelle l’identité est affaire de construction et de devenir, donc aussi de confrontation. Non pas d’essence.
À ce sujet, les intervenants se focalisent plutôt sur un point. Reprenant de manière cursive la part de l’histoire culturelle qui a fait naître l’anthropologie culturelle en Europe, les intervenants montrent que cette anthropologie n’a cessé, durant deux siècles, d’être colonialiste et positiviste, réduisant la question de l’autre à celle d’un faire valoir du « je » européen. Que le colonialisme, d’ailleurs, ait prêté ses troupes aux anthropologues, auxquels la tâche de contrôler les populations indigènes était dévolue, est indéniable. La forme de la connaissance développée à cette occasion est marquée par ces faits, dans lesquels l’autre est d’abord soumis aux catégories de l’Européen. C’est désormais une affaire entendue. Le frayage de cette anthropologie avec le positivisme d’Auguste Comte est sans doute moins connu, et méritait d’être rappelé, puisque le positivisme a prêté un paradigme de pensée à l’anthropologie qui a eu des conséquences sur la définition du même et de l’autre. Ce paradigme est caractérisé par une séparation nette entre l’observateur et son objet, qui devient par là-même passif. En l’occurrence, s’agissant de peuples « autres », donc d’objets de savoir vivants et parlants, cela permet à l’anthropologue d’évaluer la présence de ses propres catégories dans son objet. Beau rappel !
Dans cette troisième émission, portant sur l’Europe et ses autres, l’accent est donc porté avant tout sur la discrimination épistémologique dont l’Europe a inventé les traits. Cet accent donne sa juste place au double développement européen de formes de connaissance et d’une échelle de rationalité « supérieure » qui a légitimé longtemps l’histoire coloniale. En contrepoint, mais le thème fut trop peu développé à notre goût au cours de l’émission, un des membres du groupe de la Riponne en appelle, de nos jours, à une ethnophilosophie, à un geste d’élaboration d’un discours de l’authenticité propre à chaque culture. Geste dont il souhaite faire une des originalités de l’Europe actuelle.
Mais, nous semble-t-il, la question de l’autre, relativement à la culture européenne, n’est encore qu’effleurée.
L’Europe entre histoire et avenir.
La quatrième émission nous emporte ailleurs, d’une certaine façon. Elle cherche à se pencher sur un des moments de l’héritage européen. C’est ainsi que le thème de la liberté et de la propriété devient le cœur des interventions, après que les orateurs aient souligné combien la quête des origines risque toujours de bloquer la possibilité d’un avenir et d’une transformation. Toute quête de ce type indique toujours que nous n’aurions affaire qu’à des contenus figés, qu’il conviendrait d’accepter et de refuser en bloc. Or, cette même question, autrement ou bien entendue, doit plus exactement nous conduire à comprendre que nous avons constamment tout à refaire, quitte à puiser dans le passé quelques amers à faire valoir en fonction des orientations que nous voulons donner au futur envisagé.
Or, justement, dans ce cadre, les thèmes de la liberté et de la propriété constituent des exemples pertinents de ce qu’il est possible d’envisager. Les orateurs constatent tout d’abord que ces deux termes, qui relèvent bien du corpus textuel européen, fonctionnent en conjonction permanente dans les textes de droit et les diverses déclarations de droit européen, au point que la liberté, de nos jours et dans les têtes des citoyens que nous sommes, s’identifie à la propriété. En somme, notre rapport à la liberté est conditionné par le rapport à la propriété, dont nous avons fait, à des titres divers, un caractère inviolable et sacré. Notre rapport à la liberté en est déterminé par là.
Dommage, toutefois, que nul n’ait songé, durant cette émission, à définir rigoureusement la propriété. Et à distinguer la question de la propriété de soi (Habeas corpus) de celle de la question de la propriété des choses et des moyens de production. Cela aurait eu le mérite d’éclairer le débat, et de ne pas faire l’impasse sur les controverses contemporaines portant sur « l’esclavage moderne » ou les fonctions des forces de l’ordre dans nos sociétés. S’agissant donc de la seule propriété des choses, les intervenants aboutissent à l’idée suivante, qui contribue néanmoins à faire aussi la critique du présent : la liberté est devenue un simple rapport à la consommation ; nous appelons désormais liberté notre capacité à nous approprier les richesses matérielles quel qu’en soit le prix, et quelles qu’en soient les conséquences (sur l’environnement, etc.).
La liberté, en Europe, est donc mise sous condition. Voilà qui n’étonnera pas les lecteurs ou auditeurs, dans la mesure où la critique des déterminations de la liberté est un vieux classique de la philosophie (Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Karl Marx, Alexis de Tocqueville, Hannah Arendt). Dans les cadres que nous nous impartissons ici, réduisons cette idée à celle-ci : la liberté devient privative, et repose sur la seule consommation. La question corollaire étant alors de savoir si nous, Européens, sommes capables d’envisager une déconnection de la liberté et de la propriété ? Question d’importance, on le voit. Question de notre avenir, sans aucun doute !
Les voix troublées.
Prenons prétexte du titre de la dernière de ces émissions pour conclure, sans pour autant insister spécifiquement sur elle.
Le mérite et l’intérêt des ces émissions, nous les devons sans doute moins à la politique des voix qu’elles distillent qu’à leur capacité à troubler des voix mécaniques, concernant l’Europe.
Parmi ces voix mécaniques, celle qui, répétons-le, ne voit de définition possible de la culture européenne qu’à partir d’un héritage, sous-entendant dans le même temps que cet héritage ne peut être autre que grec. Or, s’il est incontestable que nous parlons une langue philosophique traversée par les Grecs, ce n’est pas par toute la Grèce (un tri historiquement marqué à été imposé) et ce n’est pas sans avoir réduit la pensée grecque à une unité factice. De surcroît, cette référence grecque est, de nos jours, traversée par de multiples horizons (arabes, juifs, chrétiens, rationalistes, lumières, athées, …) dont nous avons non moins à répondre et que nous avons à faire fructifier. De toute manière, de la Grèce, nous nous éloignons sans cesse. Et loin qu’il s’agisse d’y retourner, nous avons à retisser constamment l’écart qui nous en sépare.
Parmi ces voix mécaniques, encore, celle qui enferme les uns ou les autres sous prétexte de folie, de sexualité anormale, de génie incontrôlable, et qui favorise simultanément les prisons, les asiles, les lieux d’enfermement. De cette voix-là, nous ne sommes pas sortis non plus, malgré les efforts de quelques-uns (parmi lesquels Michel Foucault n’est pas le moindre).
Parmi ces voix, encore, beaucoup d’autres qui instrumentalisent les idées, les personnes, les actions. Ce sont des voix qui radotent, mais elles sont puissantes. Et à leur encontre, nous avons encore à faire valoir chacune des voix qui dit quelque chose, qui dit autre chose, et qu’il faut soutenir dans son effort de parole. De prise de parole ?