Si chacun se désole de voir les hommes politiques de la République se consacrer à leurs ambitions personnelles, éclairant un peu plus chaque jour le vide sidéral du discours politique contemporain, il n’est pas certain qu’en se tournant vers les essais politiques, plus ou moins philosophiques [1], dont parlent les médias aujourd’hui, on puisse être rassuré. En revanche, quelques ouvrages, publiés plus discrètement, ont le mérite de rappeler que la pensée politique, outre qu’elle doit être activée par les citoyennes et les citoyens, a besoin d’être sans cesse réveillée et doit constamment rebondir sur les actions entreprises par ces derniers [2]. Et au milieu de ces derniers ouvrages, nous trouvons encore de petits exercices pédagogiques destinés à favoriser chez les jeunes générations la constitution d’amers de réflexion à partir desquels elles pourraient par la suite naviguer dans un cours de l’histoire qu’elles se seront appropriées. Telle apparaît cette collection d’essais et conférences créée par un éditeur, avec le soutien de la Région des Pays de la Loire [3].
De cette collection, à vocation pédagogique, nous avons plusieurs raisons de parler dans le cadre d’EspacesTemps.net.
Tout d’abord, elle offre, en marge de celles qui concernent les étudiants ou citoyens, des pistes de réflexion conceptuelles à tous les chercheurs dont l’objet est la politique ou le champ politique. Les notions envisagées et explorées dans les deux volumes publiés (totalitarisme, servitude, ordre politique, illusion, révolution, etc.) ne sauraient laisser indifférent. Les significations figées dans les dictionnaires sont par trop bornées. Toute notion doit pouvoir être travaillée en extension et en compréhension, afin que la pensée puisse multiplier les lignes de force d’une appropriation transformatrice du monde. A fortiori dans le cadre de la recherche.
Ensuite, cette collection propose aux sociologues et aux sémiologues du visuel un bel objet d’analyse : la visualisation de conférences publiques, et par conséquent la possibilité d’exercer son regard sur des habitudes, des rhétoriques, des choix mimétiques, etc., qui sont ceux des conférenciers. Les cd vidéo qui accompagnent chaque volume, et qui consistent en une visualisation sèche du conférencier (prise de vue de face, aucun mouvement de caméra, statisme de l’ensemble), peuvent faciliter une étude sémiotique du discours philosophique public : une sorte de tout petit monde avec ses habitus ?
Enfin, cette collection donne matière à interrogation portant sur la question de la vidéo devenue véhicule de réflexion et de culture, tout autant que de comportements devant le concept. Ainsi se renforce sans doute le passage de témoin des générations « lecture » aux générations « audio ».
En fait, nous nous trouvons devant un essai de (double) publication d’une série d’exposés donnés par des auteurs (ici, quatre) à Nantes, dans le cadre des Escales philosophiques, en 2003. Ces conférences, fort suivies à l’époque, ne se satisfont jamais de propos trop convenus, de ceux qui réitèrent en public tel ou tel cours universitaire. Elles donnent matière à penser à partir des textes de philosophes classiques (Étienne de La Boétie, Jean-Jacques Rousseau, Karl Marx, Hannah Arendt, Ernst Cassirer), mais matière à penser le présent, fût-il euphémisé (ou seulement repris dans les notes de bas de page de la version lisible). Après tout, le terme « totalitaire » passe désormais pour une telle évidence qu’une remise en chantier ne peut nuire à personne ; l’idée de « révolution » est suffisamment condamnée pour qu’on la reprenne à contre-emploi ; celle de d’« ordre établi » valait bien aussi une remise en tension, comme celle de « servitude ».
Mais surtout, on l’aura compris, cette édition est accompagnée d’un cd vidéo, poussant au passage l’auditeur à entreprendre une liaison avec le site de l’éditeur :www.m-editer.com . Ce primat accordé à l’audition et au visuel-image dans le cadre de la réflexion philosophique doit être souligné. Le marché du livre théorique, qui à une certaine époque a fait l’objet d’une tentative de publication en cassettes audio (Jean-Jacques Rousseau, Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, etc.), est de plus en plus redoublé par le marché du cd (cas des cours de Gilles Deleuze), par celui de la vidéo (cas de Derrida et encore de Deleuze), par le marché bientôt du dvd. Outre quelques thèmes proposés ci-dessus, ajoutons une interrogation comparative. Si en matière d’art, le cd rom permet la visite chez soi des œuvres uniques situées ailleurs, et donc peut s’inscrire, pourquoi pas ?, dans la perspective critique de la reproductibilité des œuvres d’art (déployée, par exemple, à la manière de Walter Benjamin), dessinant à cette occasion un monde virtuel, il n’en est finalement pas de même pour toutes les industries du multiple, et notamment pour la pensée traduite depuis longtemps en objet-livre, qui est par définition un multiple voulu comme tel. Alors le rôle du cd (rom ou vidéo) n’est probablement pas différent de celui du livre. En revanche, il induit d’autres habitus devant le concept que ceux de la lecture.
15 minutes pour Comprendre La Politique, Volumes 1 et 2. Auteurs des conférences : Joël Gaubert, Michel Malherbe, Jean-Marie Frey, Yvon Quiniou. Version papier et Vidéo cd, M-Editer, 2004. 50 pages. 15 euros. (pour chaque volume)