Alors que la plage est devenue un lieu touristique emblématique, elle a pu susciter ironie et condescendance chez des scientifiques, voire chez certains auteurs de guides touristiques, condensées dans la formule du « bronzer idiot » et de la « foule grégaire ». Derrière cette disqualification et l’assimilation de la plage à l’espace d’une anomie, pointent les représentations sociales dominantes voire la paresse intellectuelle. Ce n’est qu’à la fin des années 1980, avec le « tournant culturel » et les travaux d’Alain Corbin (1988), suivis de ceux de Jean-Didier Urbain (1994), que la plage devient un objet dans le champ des sciences sociales. De fait, la reconnaissance de l’intérêt scientifique d’un « territoire du vide » de plus en plus fréquenté, investi de sens et révélateur de cultures, montre ainsi un retard de plus de deux à trois siècles par rapport à son « invention » comme théâtre social par les élites européennes. En géographie, la plage a d’abord été abordée en tant qu’objet biophysique, élément d’une géodynamique des littoraux, et tardivement en tant qu’espace des sociétés. Dans la géographie française, le numéro 67 de la revue Géographie et Cultures, « La plage: un territoire atypique » (2008) fait figure d’intéressante exception.
Espace construit, approprié et révélateur des représentations des groupes sociaux et des individus, la plage constitue un vrai laboratoire pour aborder les relations entre territorialités et corporéités. Médium assurant la relation entre l’individu d’une part, l’espace et les autres d’autre part (Duncan, 1996), le corps détermine l’expérience géographique de chacun. Son apparence et sa posture sont révélatrices des manières de vivre d’un individu et de sa façon de se placer dans le jeu social (Ory, 2008). Au-delà, le corps est un marqueur de l’appropriation de l’espace et un vecteur d’affirmation d’une identité aussi bien sociale, qu’ethnique ou de genre. Les interventions de la journée, faites par un historien et quatre géographes, développeront le rôle du corps dans l’émergence de la plage comme territoire touristique et dans la construction d’identités dans divers contextes spatiaux et culturels.
Illustration : Parker Michael Knight « Beach », 08.05.2010, Flickr, (licence Creative Commons).