Président du conseil scientifique de l’Institut « Pour la ville en mouvement » et professeur à l’Institut français d’urbanisme (Paris 8), François Ascher résume dans cet ouvrage les thèses qu’il a défendues tout au long de ses précédentes publications [1] : la société dans laquelle nous vivons s’éloigne irrémédiablement de ce qu’elle fut pendant la révolution industrielle pour basculer dans une « nouvelle modernité ». Celle-ci conduit à repenser en profondeur l’organisation de notre espace urbain. L’ouvrage débute par un bref rappel historique des précédentes révolutions urbaines. La première correspond à la période qui s’étend de la Renaissance au 19e siècle ; c’est la « première modernité » qui voit disparaître la ville médiévale au profit de la ville « classique » rationnellement organisée par l’État et conçue pour des individus de plus en plus différenciés. La « deuxième modernité » s’étend de la Révolution industrielle à nos jours, la ville s’adaptant aux « exigences de la production, de la consommation et de l’échange marchand » notamment par un maillage serré de l’espace (voies de communication, réseaux d’assainissement des eaux, de transport de l’énergie – gaz, électricité, vapeur – et de transport de l’information – télégraphe, téléphone, pneumatique).
Un urbanisme « commutatif ».
Or, la société de la fin du 20e siècle n’est plus industrielle. Elle a laissé la place à une société dite « hypertexte » [2] au sein de laquelle l’individu entretient des liens sociaux beaucoup plus diversifiés qu’auparavant (il est « multiappartenant »), qui relèvent de champs distincts (relations nouées sur le lieu de travail aussi bien que lors d’un chat sur le net) mais reliés les uns avec les autres (en particulier grâce au développement des technologies de l’information et à la mobilité accrue des individus). Ce type de socialisation se retrouve également sur le plan économique, l’offre fordienne qui s’adressait à une clientèle de masse, s’étant transformée en une offre individualisée, sur-mesure (le « one-to-one », c’est-à-dire un produit pour un consommateur). Dans cette société hypertexte, les liens sociaux sont à la fois plus nombreux – il est plus facile d’établir des contacts avec autrui – et plus fragiles qu’auparavant – un lien social reposant sur un chat internet ne contient pas la même intensité que celui établi au sein d’une famille. Empruntant à l’analyse durkheimienne, François Ascher estime que le type de solidarité (ce qui fait lien social, c’est-à-dire ce qui permet à une société d’exister) actuel est « commutatif », dans la mesure où il relie des individus et des organisations appartenant à une multiplicité de réseaux interconnectés. Face à une telle évolution, la ville doit être repensée. Le « nouvel urbanisme » [3] que François Ascher appelle de ses vœux doit ainsi tenir compte de la « métapolisation » des villes, processus de croissance des ensembles urbains et de multiplication des réseaux de transport des individus, et de distribution des informations et des biens, qui, en réduisant le temps des déplacements, donne un sens différent au local, à la proximité. Pour être attractif, le local doit désormais être connecté à la métapole. Par ailleurs, l’individualisation de la vie urbaine exige des services publics organisés sur le modèle fordien qu’ils se rapprochent d’une prestation « one-to-one ». De même, cette individualisation, impose de redéfinir les relations entre intérêts individuels, collectifs et généraux, notamment au plan local, les individus ayant de moins en moins l’impression de partager les mêmes intérêts dans plusieurs domaines. Enfin, à ce que François Ascher qualifie de « risquisation de la société », c’est-à-dire la place grandissante prise par les préoccupations en termes de sécurité physique, économique, sociale et familiale doit répondre un « urbanisme précautionneux qui fait une place aux controverses, et qui se donne les moyens de prendre en compte les externalités et les exigences du développement durable».
L’un des grands mérites de François Ascher est d’envisager la problématique urbaine dans un cadre très large au sein duquel les concepts empruntés à la science politique, à la sociologie et à l’économie sont nombreux. On peut cependant regretter que la langue employée, très savante et fréquemment technique, rende l’ouvrage difficilement accessible. De même, il est dommage que le format choisi – un livre de 104 pages – empêche l’auteur de préciser les propositions qu’il émet dans la dernière partie de l’ouvrage, et ce, alors même qu’il a remarquablement analysé les défis auxquels la ville est aujourd’hui confrontée.