La migration est un thème diversement traité dans les traditions orales du Wagadou, ancienne appellation de l’empire du Ghana, premier grand empire du Sahel occidental, et de son ancienne zone d’influence. Ce phénomène a pris dans le temps et l’espace des dimensions nationale et internationale. Ainsi, selon la Commission mondiale sur les migrations internationales (Cmmi, 2005, p. 1), il y avait sur la planète près de 200 millions de migrants en 2005 soit 3% de la population mondiale et leur nombre a été doublé depuis 25 ans. Ces statistiques sont à mettre en relation avec le rendement économique et le rôle que ce phénomène joue dans la vie des pays en développement. En effet, les migrants interviennent dans la vie socio-économique de leurs pays d’origine en y réinvestissant ou transférant une bonne partie du pécule gagné à l’étranger. Déjà en 2004, la Banque mondiale estimait à 126 milliards de dollars américains les versements formels vers les pays pauvres réalisés par les migrants travaillant dans les pays riches (World Bank Report, in Doucet, Favreau, 2003, p. 5).
Notre réflexion ici s’attachera principalement à un cas de migration internationale : la migration transfrontalière entre le Mali et la Côte d’Ivoire. La persistance des difficultés économiques, les inégalités sociales dans la redistribution de la richesse nationale et les effets des grandes famines de 1970 et 1980 ont contribué à installer le Mali dans une situation de crise socioéconomique particulière, qui a engendré le renforcement des flux migratoires vers la Côte d’Ivoire alors pays prospère et stable. Ce pays avait alors besoin de bras valides dans ses plantations de café et de cacao, dans les activités maritimes et l’exploitation des ressources halieutiques, tout comme dans le secteur des transports. Intervenant dans ces secteurs vitaux de l’économie ivoirienne, les immigrés maliens pouvaient constituer une importante rente économique, dont le rapatriement au Mali servait à amorcer le développement local des communautés, notamment rurales. Cependant, suite à la crise politico-militaire de 2002 en Côte d’Ivoire, plusieurs de ces migrants ont décidé de retourner dans leur pays, par le biais d’un programme de rapatriement volontaire. Des sous-préfectures comme Sikasso, Kadiolo, Kolondieba, Bougouni, Yanfolila, etc., et la ville de Bamako ont été alors prises d’assaut par des milliers de rapatriés maliens et de réfugiés de diverses nationalités (ivoiriens, guinéens, burkinabés et, dans une moindre mesure, sénégalais et mauritaniens) pour servir de nouvelles terres d’asile. Avec le concours de l’État malien et des organisations caritatives, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et des populations locales, le rapatriement a été organisé et des cars réquisitionnés pour aider les victimes de cette crise à rejoindre le Mali. Fin novembre 2002, plus de 2000 Maliens avaient pu rejoindre leurs régions d’origine sur 10’000 volontaires inscrits. Dans le sud du Mali, zone agricole et minière par excellence, une vague de migrants allochtones s’est alors ajoutée aux populations et résidents locaux, occasionnant une explosion démographique qui s’est répercutée sur la gestion des ressources naturelles, l’emploi, l’éducation et la santé. Ce rapatriement massif et brusque a causé d’énormes problèmes tant sur le plan national que local, notamment en termes de réinsertion socio-économique.
Migration : de la théorie à la pratique.
Plusieurs écoles de pensée animent la littérature sur la migration. La théorie néolibérale des migrations est basée sur l’étude des déséquilibres qui existent entre les économies nationales. L’école néomarxiste critique celle néolibérale et considère la migration comme un aspect de l’exploitation du Sud par le Nord. Elle s’inscrit en somme dans une sorte de théorie de la dépendance du pauvre par rapport au riche. L’analyse institutionnelle essaye pour sa part, de concilier la théorie néoclassique et la théorie néomarxiste. « L’approche néo-classique développée initialement par Lewis [1954] et Harris et Todaro [1970], se rapproche du sens commun spontané : les travailleurs migrent parce qu’ils sont pauvres chez eux et qu’ils préféreraient l’être moins dans un pays développé » [1]. Le déplacement du lieu de vie d’un individu à un autre à l’intérieur d’un même territoire est appelé migration interne, mais, lorsqu’il dépasse les frontières établies entre États souverains, il est appelé migration internationale. Pour Van Der Meer (2007) citant Van Dijk et al. (2001), il y a six critères pour faire une typologie de la migration : l’administration géographique, le point de destination, la durée, le choix, la légalité et les caractéristiques des migrants relatives à leurs motivations. Au sujet du critère d’administration géographique, la distinction est faite entre « l’intranational » et « l’international », ou au sein des régions géographiques ou entre elles. Camara et al. (2007), analyse les phénomènes de migration et de mobilité entre le Mali et la Côte d’Ivoire après l’éclatement de la crise ivoirienne en septembre 2002, et la problématique de la réinsertion des Maliens rapatriés de la Côte d’Ivoire.
Quant à la crise, elle est un moment d’extrême tension, de paroxysme, de conflits et de changements intervenant lorsque les régulations et rétroactions des systèmes politiques ou géopolitiques ne suffisent plus ou ne jouent plus leur rôle. Une migration massive, comme dans le cas du rapatriement des Maliens de Côte d’Ivoire, peut être perçue comme une crise en ce sens qu’une fois retournés au pays, les migrants de retour doivent interagir sur les ressources locales pour assurer leur réinsertion. Il peut alors se développer de nouvelles situations contradictoires entre ceux qui sont demeurés et ceux qui reviennent. La dynamique migratoire englobe à notre sens tous les mouvements migratoires qu’animent les communautés maliennes, entre les deux pays que nous étudions ici, le Mali et la Côte d’Ivoire. Arowolo (2000) part d’un postulat programmatif pour la réintégration sociale et économique de toutes les catégories de migrants retournant dans leur pays d’origine, alors que l’approche de De Hann (2000) se focalise sur la contribution de la migration comme facteur qui réduit la pauvreté. Selon lui, les politiques ont tendance à ignorer l’apport de la migration dans le jeu économique local et national. La réinsertion apparaît dans ce sens comme étant l’ensemble des mécanismes qui favorisent l’accès des rapatriés aux ressources locales, leur appropriation dans leur milieu d’accueil.
La démarche méthodologique est focalisée essentiellement sur l’analyse documentaire et consiste à confronter et analyser plusieurs sources liées à la dynamique migratoire des populations maliennes. Dans une première phase, nous traitons de l’origine de la migration ; dans un second temps, nous analysons la crise politico-militaire de Côte d’Ivoire, avant de nous intéresser au rapatriement et à la réinsertion socio-économique des rapatriés maliens. Une étude, qui a servi de base à cette réflexion, a été réalisée conjointement par le programme Cdp (Consortium pour le développement du partenariat Asc Leiden, Codesria, Point Sud) en 2007.
Migration : origine, développement entre le Mali et la Côte d’Ivoire.
Les migrations maliennes ont une longue histoire dont on peut retrouver des traces dans la légende du Ouagadou-Bida qui serait à l’origine de la migration au Mali :
Les traditions orales racontent que le Ouagadou-Bida était un grand serpent qui vivait dans une grotte de la forêt sacrée ; ce serpent était le génie protecteur des Sarakollé ; chaque année on devait sacrifier au génie la plus belle fille de Koumbi. Mais une année, le choix des Ancêtres tomba sur la belle Sia qui était déjà fiancée ; Amadou Séfédokotè c’est-à-dire “Amadou qui parle peu” devint inconsolable à l’idée que sa fiancée Sia devrait être la proie du Ouagagdou-Bida. Il aimait beaucoup Sia. Il refusa de se soumettre au choix des Anciens ; le jour du sacrifice, il se cacha derrière un arbre et au moment où Bida sortait de sa caverne, d’un coup de sabre, il lui trancha net la tête. Mais aussitôt une autre tête repoussa, tandis que la première, sifflant dans les airs, alla tomber au Bouré (c’est pourquoi ce pays est riche en or), “Amadou qui parle peu” trancha successivement les sept têtes du Ouagadou-Bida ; chacune d’elles tomba dans une région devenue depuis une région aurifère (l’une d’elles tomba dans le Bambouk, une autre dans la Falémé, etc.). Quand la septième et dernière tête fut tranchée, le Ouagadou-Bida s’effondra. Amadou au galop de son grand cheval blanc, emporta en croupe la belle Sia, tandis que tout le peuple de Koumbi, en larmes maudissait le criminel. Après la mort du Ouagadou-Bida, la sécheresse s’abattit sur le pays, les grains semés ne poussèrent plus, les troupeaux furent décimés par la soif ; les Sarakollés, épouvantés, se dispersèrent, c’est depuis lors qu’ils sont devenus nomades. Toujours, poussant devant eux leurs caravanes d’ânes, les Sarakollés, allant de pays en pays gardent encore soigneusement le souvenir de la grande prospérité du Ouagadou-Bida d’autrefois (Niane, Suret-Canale, 2001, p. 10).
Diawara (2003, p. 17) soutient également que les jeunes filles de la savane et du Sahel malien entonnent encore cette chanson en langue bamanan et intitulée « Naanale » [2]:
naanale karantela kono,
m’a t’i faso bilagnani ye
n’i y’i fasobilagnani ye
faden jugulu na yel’i la
n’i y’i faso bilagnani ye
senkoro jugulu na yel’i la
faden jugulu na yel’i la
ô naanale, oiseau au plumage noir,
on n’abandonne pas son pays à cause de la misère ;
si tu abandonnes ton pays à cause de la misère
tes ennemis déclarés te riront au nez.
si tu abandonnes ton pays à cause de la misère,
les ennemis cachés riront de toi jusqu’au nez
tes ennemis déclarés te riront au nez.
Elles scandent et dansent à son rythme, le soir, en claquant des mains ; jeunes fiancées en attente de leur promis, absent ou en passe de quitter le pays, elles la lancent comme un avertissement aux intéressés. Quand Ouagadou fut ruiné, ses habitants migrèrent, à la recherche du bonheur perdu (Monteil, 1953 ; Dieterlen, 1992). En analysant la portée symbolique de ces chansons, on notera qu’elles sonnent comme une leçon de sagesse adressée aux migrants et aux candidats au départ. De même, en se fiant aux récits historiographiques de cette aire culturelle, il est à noter que l’empire du Ghana a dominé l’espace géographique de l’actuelle République du Mali, à partir du 5e siècle, puis a été relayé tour à tour par le royaume Songhay, l’empire du Mali, le royaume de Ségou et le royaume du Macina (Gendreau, 2007, p. 7). Par suite, les limites mouvantes de ces différents régimes politiques ont engendré de grands mouvements de populations, soit par les activités de commerce qu’elles ont développées, soit par les multiples guerres menées.
Mettant un accent sur la fortune, un adage Bambara conforte cette analyse: duguolo bogna kunyé nin sigui gueleyara imaa yoromina i katagayorowèrèla, ce qui signifie que « si on se sent en difficulté dans une partie du monde, on se déplace pour chercher le bonheur ailleurs ; c’est ce qui fait la grandeur du firmament ». Cette référence faite à l’ « ailleurs » évoque naturellement le déplacement d’une personne d’un point du globe à un autre symbolisant, donnant un fondement historique et allant de soi, au déplacement, à la mobilité humaine. Un autre adage Bambara établit en ces termes : taama diyaye seguisoye, c’est-à-dire « le voyage n’est utile que lorsqu’il y a un retour », ce qui établit une relation entre le départ et le retour dans le lieu d’origine. Plusieurs chansons populaires le reprennent lorsque le garçon s’engage à aller chercher fortune sous d’autres cieux. Puisant aux sources anciennes, la chanteuse Oumou Sangaré reprend d’ailleurs cet adage dans son album Mussolow (les femmes). Au-delà de ces considérations culturelles, on retiendra que les migrations internationales des populations maliennes ont pris une autre orientation. En premier lieu, elles étaient dirigées vers le Sénégal avant la Seconde Guerre mondiale, puis la Côte d’Ivoire. Samaké, dans son investigation sur le refoulement des Maliens du Sénégal (1998), met en avant la détérioration des relations diplomatiques entre le Sénégal et le Soudan français (actuel Mali) au lendemain des indépendances : l’émigration avait changé de direction. Cette migration en masse, auparavant liée à la promotion de la culture de l’arachide pivot de l’économie, avait changé a profit de la Côte d’Ivoire. Selon MBodji, le type de culture commerciale par excellence introduit en Sénégambie au cours du 16e siècle, a été le véhicule de la dépendance au 20e siècle (Mbodj, 1992, p. 2). Quant à Coll et al. (1982), ils ont examinées les conditions ayant favorisé les migrations internationales sud-nord (cas des migrants maliens, mauritaniens et sénégalais). Abordant la migration sous un autre angle, Vidrovitch (2003), à l’opposé des approches sud-nord, s’est proposé d’étudier les facteurs endogènes d’insertion des migrants dans les centres urbains d’Afrique. Parmi ces facteurs endogènes qui ont complexifié le phénomène, elle a insisté sur l’altérité, la notion de l’étranger mais aussi sa fabrication, les « bricolages » et ancrages identitaires qui remettent en cause la portée des valeurs morales ou philosophiques africaines, telle que l’hospitalité. À cela, il faut rappeler toute la portée significative des travaux relativement récents de Quiminal (1991) et de Daum (1993) sur les rapports entre migration et développement dans la vallée du fleuve Sénégal. Ainsi, face à la faiblesse de l’économie nationale, au caractère dualiste du système productif qui superpose une agriculture de subsistance à une agriculture de rente, le tout ajouté aux méthodes rudimentaires et au manque de professionnalisme des acteurs locaux, la migration devenait une solution palliative. Le secteur agricole, en butte aux exigences d’une économie libérale, voit les bras valides prendre le chemin des centres urbains et déserter les campagnes. L’exode rural renforce de fait le déficit agricole en terre malienne, pendant que les jeunes négocient entre migrations saisonnières plus rentables en direction de la Côte d’Ivoire et appréhension de l’avenir s’ils demeuraient au Mali. En jetant un regard rétrospectif sur l’émigration malienne en Côte d’Ivoire, on s’aperçoit que le processus s’est ancré sur des fondements économiques majeurs. Cependant, l’atteinte des objectifs économiques des migrants ne saurait être pérenne sans une relecture du phénomène migratoire et de l’hospitalité du milieu d’accueil comme le montre Boutillier (1971, p. 1). Selon lui, ce fut un phénomène historiquement ancien pour la Côte d’Ivoire. Par exemple, les Dioulas [3] originaires du Mandé, aire culturelle à cheval entre le Mali, la Guinée Conakry et le Sénégal ont monopolisé le commerce de bétail, la presque totalité du commerce de la viande et du poisson séché. Pourtant, ces populations originaires principalement du Mali et de la Guinée ne représentaient démographiquement qu’une faible proportion dans les années 1920. Avec le développement des cultures de cacao, de café et de banane au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale (Boutillier, 1971, p. 1), les migrations ont connu un véritable boom. Toutefois, la fin de la guerre de 1939-1945 a entraîné de véritables changements dans les relations franco-africaines à travers les mouvements nationalistes. Quand vinrent les indépendances, chaque État souverain a adopté une politique de développement qui s’est traduit par des initiatives politiques permettant le décollage économique afin de rompre avec le système colonial. Dans la mouvance de la lutte d’indépendance, la fédération du Mali qui regroupait le Mali et le Sénégal après le retrait de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et du Dahomey (actuel Bénin), avait vu le jour pour préparer la post-colonie. L’échec du fédéralisme, la détérioration des relations diplomatiques entre le Mali et le Sénégal ont occasionné la fermeture des voies ferroviaires Dakar-Bamako, ce qui a permis l’ouverture d’un nouvel axe routier Bamako-Abidjan. Dans le même temps, le Mali a connu une montée en puissance du socialisme, sous la houlette du président Modibo Keita. L’ambition socialiste a été la promotion d’un développement autocentré avec comme priorité l’autosuffisance alimentaire. Faute de moyens adéquats, le régime de la première république a été vite confronté à des difficultés majeures qui se sont manifesté par une croissance timide de la production industrielle, économique et des exportations. Toutefois, la fragilité économique et l’essoufflement des politiques agricoles ont eu des répercussions sur les transactions économiques internes au Mali et ont induit des flux migratoires vers d’autres pays de la zone Cfa, surtout la Côte d’Ivoire qui, avec son accès à la mer, servait de pays de transit pour les marchandises maliennes. Au-delà de ces aspects économiques, avec la sécheresse des années 1974 et 1984, les mouvements de populations, nomades ou agricultrices se sont intensifié vers le nord de la Côte d’Ivoire, région favorable à l’agriculture et à l’élevage.
Ces émigrés maliens, saisonniers et commerçants, installés en Côte d’Ivoire jouissaient du taux de change en franc malien extrêmement favorable. Par ailleurs, l’adhésion du Mali à la zone Cfa en 1984 porte un coup de frein à ce phénomène qui a fonctionné depuis vingt-deux ans. Pendant que les difficultés écologiques, notamment les sécheresses de 1973 et de 1984 se sont exacerbées, des agriculteurs, éleveurs et commerçants maliens se sont dirigés vers l’Afrique centrale en transitant par la Côte d’Ivoire. Tandis que les commerçants ont subi des difficultés dans leurs transactions à cause de la dévaluation du franc malien, les paysans rêvaient d’une zone de production libre pour échapper au bénévolat et aux exigences du socialisme triomphant. De même, la politique d’autosuffisance alimentaire qui a été prônée par le principal parti l’Us-Rda (Union soudanaise pour le rassemblement démocratique africain) au lendemain de l’indépendance du Mali, s’est traduite par l’instauration dans les villages, du Mali Foro [4]. Les produits issus de cette masse laborieuse servaient à alimenter l’Office des produits agricoles du mali (Opam). C’est dans cette atmosphère de crise, assez difficile pour le peuple, qu’est intervenu le coup d’État du mardi 19 novembre 1968 qui a marqué un tournant important dans la lutte démocratique au Mali. Ce coup d’État a porté une rude estocade à l’Us-Rda, puisqu’il a conduit à la tentative de liquidation de toutes les forces politiques et syndicales sur le plan national. Dès le début des années 1970, le Parti malien pour le travail (Pmt) avait placé la lutte politique en termes de défense des libertés démocratiques dont l’objectif était de constituer un large front pour la conquête des libertés et l’instauration d’une démocratie réelle. La lutte politique dès lors devait être menée sur tous les fronts et à diverses formes, parce que, entre 1969, 1979 et 1980, les régimes n’avaient que le monopartisme comme option politique. Le général Moussa Traoré, ayant dirigé l’Udpm (Union démocratique du peuple malien), a libéralisé le commerce au détriment des fonctionnaires, ce qui a occasionné des contestations et des revendications estudiantines interminables. En février 1977, l’Uneem (Union nationale des élèves et étudiants du Mali) a déclenché une grève sectorielle d’avertissement pour demander l’abrogation du décret gouvernemental instituant les concours d’entrée dans les établissements supérieurs. À partir du 25 avril 1977, le pouvoir a accentuée la répression policière et a procédé à la fermeture de tous les établissements secondaires et supérieurs du pays. Des arrestations massives d’intellectuels qui l’ont suivi (Seydou, 1996, p. 28) ont poussé plusieurs enseignants et étudiants à déserter les écoles maliennes pour prendre rallier la Côte d’Ivoire. En voici une illustration :
Selon un rapatrié résidant à Zégoua, ils étaient cent vingt enseignants contractuels maliens dans la seule ville de Bouaké. Ce diplômé de l’Institut polytechnique rural de Katibougou (Ipr/Isfra) était parti de Bougouni après avoir déserté son poste. Secrétaire général du Snec de Bougouni (Syndicat national de l’éducation et de la culture), ayant servi à Bouaké, San Pedro, Dabou, en qualité de professeur de mathématiques, il affirmait avoir été contraint de migrer pour des raisons d’injustices (Bakary Camara et al., 2007). Daouda Gary (2003) décrit la trajectoire des migrations soudanaises entre le pays du sel et la basse côte qu’il nomme worodougou c’est-à-dire le pays de la cola, ancienne appellation de la Côte-d’Ivoire. Ce pays a connu quatre périodes de migration (qu’il qualifie de périodes d’infiltration) des Soudanais maliens. Selon lui, les modes d’infiltration des ressortissants soudanais en Côte d’Ivoire, de la période des empires à celle postcoloniale, se sont amplifiés dans les empires soudanais du Mali et du Songhaï. En quête de débouchés, les dioulas se sont dispersés vers le sud, dès le 12e siècle. Ils se sont implantés sur le long des routes commerciales menant du fleuve Niger au littoral atlantique au cœur des métropoles marchandes. La période 1908-1915 a été caractérisée par la résistance armée des guerriers de Samory Touré pendant la période de résistance coloniale. Certains déserteurs de l’armée de résistance se sont installés dans la partie septentrionale de la Côte d’Ivoire. La période 1946-1950 a été marquée par l’abolition du travail forcé en Afrique. Entre 1951 et 1960, l’évolution politico-économique dans l’espace ouest-africain a marqué un tournant décisif dans les relations franco-africaines. Ainsi, à la mesure de l’attraction économique en Aof (Afrique occidentale française), on constate un redéploiement des migrations soudanaises du Sénégal vers la Côte d’Ivoire. Enfin, la décennie 1971-1980, a coïncidé avec le déclin du miracle ivoirien et surtout l’intensification de l’exploitation des zones forestières et l’ouverture des marchés nationaux aux capitaux étrangers.
Pôle d’attraction en raison de ses potentialités économiques (café, cacao, etc.), la Côte d’Ivoire a exercé une véritable fascination sur une grande partie des États d’Afrique noire et plus particulièrement sur les États qualifiés de réservoirs de main-d’œuvre par le colonisateur (Mali, Burkina Faso). Ce phénomène occasionnait des vagues de migration des pays de l’Afrique occidentale appuyées par la politique de valorisation de la terre, prononcée et mise en application par le président Félix Houphouët Boigny qui annonçait que « la terre appartient à celui qui l’a mise en valeur ». Cet état de fait encourageait les paysans du Sahel affectés par la sécheresse à affluer vers la Côte d’Ivoire. L’axe Bamako-Dakar n’étant plus opérationnel au lendemain de l’éclatement de la fédération et qui a été longtemps emprunté par les Soudanais en majorité les Soninkés [5] à la recherche du chemin de l’Europe, se sont dirigé vers la Côte d’Ivoire et l’Afrique centrale. Ces candidats à l’émigration sud-nord, en raison de la détérioration des relations diplomatiques entre le Mali et le Sénégal, voulant rejoindre l’Afrique centrale, ont transité majoritairement par la Côte d’Ivoire où ils ont travaillé dans les concessions diamantifères, aurifères ainsi que dans les plantations. Globalement, on constate que l’échec de l’expérience socialiste n’a guère amélioré la situation de l’emploi au Mali, et cette situation poussait les migrants à aller à la recherche d’un travail salarié disponible en Côte d’Ivoire.
Avec la mort du président Félix Houphouët Boigny et le vent de la démocratisation des années 1990, la Côte d’Ivoire connaît sur fond de xénophobie, des affrontements ethniques douloureux et sanglants au niveau macro et au niveau micro.
Migration et crise politico-militaire en Côte d’Ivoire : une histoire mouvementée.
L’analyse de la crise politico-militaire ivoirienne peut se faire selon plusieurs approches, y compris en remontant jusqu’aux programmes d’ajustement structurel des années 1980, où le miracle ivoirien a commencé à s’estomper. Si des questions foncières ont prévalu à plus d’un titre, celles économiques et démographiques méritent également une attention particulière en raison de leur interdépendance. Sur le plan politique, la lutte pour l’alternance politique a contribué à mettre le tissu économique en lambeaux, et cultivé l’incivisme et la corruption dans tous les ordres de l’administration. De même, la crise politico-militaire est à relier avec les revendications territoriales et identitaires occasionnées par l’affirmation de l’autochtonie clairement exprimée à la fois à travers les questions du foncier et les batailles électorales.
L’économie ivoirienne des années 1980 sous la pression des institutions financières internationales (Fonds Monétaire International et Banque Mondiale) a continué à se fragiliser, du fait de la chute des cours mondiaux du café et du cacao. Avec une telle situation renforcée par la méfiance des investisseurs extérieurs, la Côte d’Ivoire s’est trouvée dans une impasse marquée par des crises conjoncturelles (économiques, sociales, politiques) qui ont alors commencé à se cristalliser progressivement. L’instauration de la carte de séjour est apparue en 1991 sous le gouvernement d’Alassane Dramane Ouattara comme un moyen pour renflouer les caisses de l’État et tenter de maîtriser la dynamique démographique en Côte d’Ivoire. Le taux de migration est passé de 22% en 1975 à 28% en 1988, après une légère baisse en 1993 (25%) (Babo, 2006, p. 5). Ogunmola et Badmus (2005) identifient comme facteur essentiel de la crise politico-militaire, le marasme économique qui a suivi une période de prospérité économique et occasionné la contraction du système patrimonial, occasionnant une fracture de la société ivoirienne.
Si la Côte d’Ivoire devait s’acquitter en 2000 de 756,8 milliards de francs Cfa au titre de sa dette extérieure (Campbell, 2000), au même moment, les principaux bailleurs de fonds (États-Unis, France, Canada, Union européenne) avaient décidé de suspendre leur aide, en pleine situation de récession économique. Dans l’impasse économique, la Côte d’Ivoire devait également composer avec l’aspect sacré du foncier. Dans les sociétés agraires, le foncier a joué en effet un rôle central dans les rapports interethniques entre allochtones et autochtones pour le contrôle des ressources naturelles. Sous le règne d’Houphouët Boigny, des tensions foncières ont toujours existé à l’état latent entre autochtones et allochtones dans les plantations. Après la disparition de Boigny, les discours politiques se sont accaparés des clivages politico-ethniques et ont créé de nouveaux enjeux, au-delà de l’aspect migration proprement dit. La crise politico-militaire en Côte d’Ivoire est intrinsèquement liée à une crise sociale et a eu des répercussions sur l’économie et la société au Mali.
Les pratiques d’exclusion sous le régime d’Henri Konan Bédié [6]ont stimulé des insurrections et revitalisé un discours non seulement nationaliste mais aussi et surtout ethnique. Son challenger, Alassane Dramane Ouattara, ancien Premier ministre, qui a envisagé un État unitaire en privilégiant les intérêts des Ivoiriens sans distinction de sexes ni d’ethnies. Cette position du Rdr se voit vite étouffée par les discours nationalistes et les revendications identitaires de certains leaders politiques qui se manifestèrent au niveau local par des affrontements physiques et des tensions sociales pour des intérêts fonciers entre différents groupes ethniques (Babo, 2006). Lorsque les luttes pour la conquête du pouvoir ont atteint
leur paroxysme, les antagonismes des deux principales formations politiques de l’époque (Pdci et Rdr, toutes deux issues du parti unique Pdci-Rda), avaient déjà fait le lit à l’éclosion d’une crise de plus grande ampleur. À titre de rappel, la candidature d’Alassane Dramane Ouattara aux présidentielles de 1995 avait été fortement dénoncée, et même écartée à cause de présomption sur son origine ethnique. Ces spéculations sur l’identité d’Alassane Dramane Ouattara ont largement influencé l’espace politique ivoirien du fait de sa cote de popularité. Avec la politique d’autochtonisation de l’État, les lois sur la propriété foncière, l’emploi et l’ivoirisation apparaissent comme étant des politiques xénophobes concourant de manière très soutenue à la politisation du foncier à l’échelle nationale (Chauveau, 2000).
Les questions d’autochtonie longtemps étouffées sous le règne du parti unique de 1960 à 1993 ont commencé à refaire surface, principalement dans les zones agraires, fortement consommatrices de travailleurs immigrés (maliens et autres) dans les plantations. Avec le concept d’« ivoirité », ficelé pour captiver un certain électorat dit autochtone, le numéro un du Pdci (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire), le président Bédié, a certainement allumé la mèche qui allait déclencher une poudrière déjà constituée par une accumulation de micro-situations à la limite du pathologique. Devenue une idéologie nationale, l’ivoirité a profondément détérioré les relations sociales notamment entre les Ivoiriens et les ressortissants de la sous-région, en particulier les dioulas originaires du Mali et du Burkina Faso, ou tout simplement ceux qui en avaient le patronyme et qui résidaient dans ce pays depuis longtemps. Depuis la décennie 1980-1990 et les réformes foncières de 1998, la Côte d’Ivoire n’a cessé de s’enfoncer dans les crises financières et sociales.
Les conflits de terroir, la compétition pour le contrôle de ressources naturelles, ou encore les questions foncières dans les sociétés agraires, ont continué à caractériser les rapports sociaux entre autochtones et migrants. En Côte d’Ivoire, les premiers affrontements entre Ivoiriens et étrangers ont eu lieu à Saioua en 1999 entre Bétés et Burkinabé. En novembre de la même année, de graves heurts ont opposé les Kroumen aux Dagari, aux Lobi et aux Mossi originaires du Burkina Faso, suite à une spéculation foncière pour une portion de terre de 120 hectares dans le village de Bésséréké, un fief de la tribu Hompo, à 25 km de Tabou (Babo, 2006, p. 13). Pour cause, longtemps considérée comme propriété collective durant le règne d’Houphouët Boigny, la terre est devenue rapidement un fondement de richesse engageant des acteurs (acteurs politiques, exploitants agricoles, propriétaires terriens) dans une compétition individuelle et collective pour son contrôle. Suite à la politique d’autochtonisation, les maîtres de terre ont commencé à faire valoir leur titre de propriété. Doevenspenk (2004) rappelle que, comme en Côte d’Ivoire, dans le sud du Bénin, le foncier a été fortement politisé. Généralement, la société d’accueil a été caractérisée par un pluralisme institutionnel et normatif, et intervenait dans la mise en place de sous-systèmes politiques locaux dans les lieux d’implantation des immigrés. Selon cet auteur, le pluralisme institutionnel a contribué à l’explosion des conflits latents entre différents habitants. Le contrôle des ressources domaniales qui s’inscrivait dans une politique paysanne, a induit une transformation dans les rapports sociaux entre migrants et autochtones, avant de devenir une politique nationale en défaveur de la communauté allochtone. Ce phénomène a été aussi constaté au début de l’instauration du multipartisme au Kenya, mais à des degrés divers. Pour Médard (1996), les conflits qui surviennent dans ces conditions correspondent sur le plan idéologique aux discours xénophobes ou pro-majimbo [7] de certains leaders de la Kanu (Kenya African National Union) qui réclament la province de la Rift Valley, domaine réservé des populations Massaï et Kalenjin. Examinant les conflits locaux à la frontière Nigeria-Cameroun jusqu’au verdict de la Cour internationale de Justice en 1995, Weis (1996) pense que ces conflits locaux sont à mettre en relation avec la politique de partage du Cameroun allemand entre la Grande-Bretagne et la France, avec la promotion économique des migrants nigérians qui ont largement dominé le secteur commercial, et influencé le système politique local.
Plus que les tensions sociales liées aux réserves foncières, le paradoxe de l’immixtion des forces armées et de sécurité dans le combat politique peut paraître surprenant en raison des fonctions qui leur sont dévolues (la sécurité des personnes et de leurs biens, la vie dans les casernes).
Rapatriement et réinsertion socio-économique des rapatriés maliens.
Le jeudi 19 septembre 2002, une crise politico-militaire a éclaté en Côte d’Ivoire au cours de laquelle des assaillants armés ont attaqué de façon simultanée Abidjan, Bouaké, Korhogo, mais surtout, Danane et Daloa, entraînant une panique générale et des tueries. Les insurrections ont occasionné une forte montée de l’insécurité dans les villes frontalières du Mali, mais surtout le rapatriement de trois cent mille personnes, dont deux cent mille Maliens sur les deux millions de résidents estimés en Côte d’Ivoire [8]. Ce déplacement massif de personnes a été fait selon un plan de secours et d’évacuation, Serm [9], dans le cadre d’une opération décidée et conduite par le ministère des Affaires étrangères et des Maliens de l’extérieur. Au cours de cette opération, les services impliqués dans les missions de protection civile [10], les pouvoirs publics et les populations locales ont accordé une importance particulière à ce programme de rapatriement et de réinsertion pour offrir leur hospitalité aux rapatriés. Selon M. Makan Magassa [11] le rapatriement des Maliens a été amorcé suite à sa demande adressée à l’ambassadeur du Mali à Abidjan car, selon lui, 69 Maliens avaient été assassinés. En se prononçant sur la réinsertion socio-économique des rapatriés, Mme Sy Kotiary Bah [12] dira qu’elle ne saurait être une réussite sans un regroupement en association pour faciliter le courtage entre partenaires techniques et financiers et cesdites associations. La réussite du rapatriement tient du fait de la bonne collaboration des communautés rurales qui ont témoigné de leur engagement avec l’affectation de ressources domaniales disponibles, et la promotion de la politique de logements sociaux, entre autres. Plus que ces initiatives locales, des mesures ont été prises par les pouvoirs publics pour une meilleure réinsertion dans la vie socioprofessionnelle comme l’avait envisagé la politique nationale.
Au niveau des préfectures, une commission de crise a été mise en place dont un volet consistait à recenser les personnes déplacées, dans le cadre de la redistribution des vivres, exécutée entièrement par les collectivités décentralisées. Elle a été une réussite grâce au dévouement des agents municipaux des différentes collectivités locales décentralisées d’une part et d’autre part les rapatriés eux-mêmes. Lorsque la crise a pris une dimension inquiétante, certains rapatriés ont repris courage en s’engageant dans des projets sociaux soutenus par les organismes internationaux comme le Hcr (Haut Commissariat pour les Réfugiés), Fao (Fonds des Nations Unies pour le développement de l’Agriculture). Ces initiatives leur semblaient être une opportunité pour faciliter leur réinsertion. De même, au nom de l’hospitalité malienne, les membres de l’Afrci (Association des Femmes Rapatriées de Côte d’Ivoire) et de l’Amrci (Association des Maliens Rapatriés de la Côte d’Ivoire) de Sikasso entreprennent aujourd’hui des activités génératrices de revenus, soutenus par des partenaires au développement, la société civile, les municipalités et les autorités coutumières.
La réinsertion socio-économique des rapatriés et leur accès aux ressources locales.
La commune rurale de Diomatené est située au nord-est de la ville de Sikasso. Elle a vocation agro-silvo-pastorale. Dans sa mission de sensibilisation et d’initiative participative des acteurs à la base, la municipalité a, dès l’annonce du rapatriement, pris des mesures au niveau des villages pour leur prise en charge avant l’aide gouvernementale. Pratiquement dans tous les villages de la commune de Diomatené, la réinsertion socio-économique des rapatriés a suivi la même dynamique. À Natié, commune rurale située au nord de la ville de Sikasso, essentiellement habitée par les Senoufo, et composée de huit villages, quarante-six rapatriés ont été officiellement accueillis et réinsérés dans l’économie locale. Dans cette société essentiellement paysanne, la cohésion sociale est pensée comme une nécessité pour perpétuer les traditions d’accueil et d’harmonie prônées par les règles ancestrales. Touchés par la souffrance des rapatriés et ce qu’ils ont dû vivre, abandonnant tout ce qu’ils avaient en Côte d’Ivoire, les autochtones ont fait montre d’une exceptionnelle solidarité pour planifier la réinsertion socio-économique des rapatriés. En interrogeant la structure sociale locale, on se rend compte que les ménages produisent et mobilisent les ressources, se soutiennent mutuellement et gèrent leurs contradictions et dissensions par le dialogue, dans le but de prévenir les conflits ouverts, notamment ceux liés au foncier. Nous insistons ici sur le foncier, car les rapatriés étaient dans leur grande majorité des planteurs en Côte d’Ivoire. Par la suite, les collectivités décentralisées et le gouvernement malien n’ont eu qu’à appuyer une initiative de réinsertion et d’intégration déjà mise sur les rails. À y regarder de plus près, la réinsertion socio-économique marque le début d’une nouvelle citoyenneté qui nécessite une cohabitation entre autochtones et allochtones c’est-à-dire entre résidents habituels et rapatriés. Agriculteurs pour la plupart, les populations de la commune rurale de Diomatené, ont dû cependant faire face à un problème de sous-alimentation, face à l’afflux massif des rapatriés. La réponse a été de promouvoir de nouvelles cultures, comme celle du poids sucré.
La vie associative semble être une solution idoine pour une meilleure réinsertion socio-économique des rapatriés maliens de Côte d’Ivoire. En témoigne la floraison d’associations œuvrant dans ce domaine ou constituées pour ce faire, sous la houlette de la Coordination des Associations des Maliens rapatriés de la Côte d’Ivoire (Camrci). La Camrci compte plusieurs associations : Association pour la réussite au Mali (Arm), Association des femmes rapatriées de la Côte d’Ivoire (Afrci), Djiguiyaton (en français, Association pour l’espoir), Association pour la réinsertion des Maliens de l’extérieur (Apremex), Association des Maliens rapatriés de la Côte d’Ivoire (Amarci), etc. La vocation primordiale exprimée par cette coordination à l’échelle nationale se résume en la recherche de l’emploi et l’amélioration des conditions de vie des victimes de la guerre. En fonction des tâches qui lui sont dévolues, la présidente de la Camrci apparaît aux yeux de ces communautés comme un courtier, et un médiateur entre les autorités compétentes et les associations à travers le pays.
L’une des toutes premières interventions de cette structure a eu lieu à Koutiala lorsque pour la première fois la délégation a participé à la négociation de l’association des rapatriés à Koutiala avec les autorités communales, ceci en vue de l’attribution des parcelles à titre d’habitation, aux rapatriés. Comme consigné dans l’objectif global de la Camrci, son but est de permettre aux rapatriés d’avoir une bonne assise économique et confirmer davantage leur réinsertion. Un nouveau lobby en somme, puisque, de façon concrète, les membres de l’Arm ont pu obtenir dans le village de Koumana des terres pour la riziculture et la promotion de la culture du manioc. Au-delà de cette valorisation de terres, il faut noter aussi que plusieurs autres projets ont été initiés après la mise en place d’une banque de céréales aux fins de contribuer à la politique d’autosuffisance alimentaire. Le projet d’appui de réinsertion socio-économique des membres de l’Arm (Paise-Arm) visant à développer les filières manioc, pourghère et les produits maraîchers à travers l’aménagement et l’exploitation de douze hectares à Tinkolé dans la commune rurale de Benko. Au-delà de ces activités d’exploitation et d’aménagement d’espaces de culture, la politique d’installation des membres a occasionné la création d’une coopérative d’habitat.
La redynamisation de la vieille route commerciale entre le Worodougou (région de l’actuelle République de Côte d’Ivoire) et le pays du sel (l’actuel Mali) a permis la constitution d’une colonie importante et de main-d’œuvre dans cet espace ouest-africain. Pôle d’attraction en raison des ses potentialités économiques (plantations de café, cacao, etc. ; politique de promotion et de valorisation de la terre du régime en place), la Côte d’Ivoire a exercé une véritable fascination sur une grande partie des États d’Afrique de l’Ouest. Ce phénomène a occasionné des vagues de migrations en provenance des pays frontaliers comme le Burkina Faso, la Guinée Conakry ou le Mali [13]. Mais, la démocratisation a créé d’autres situations et tensions liées à l’accès et au partage des ressources naturelles et éventuellement de nouvelles crises identitaires latentes. Elle a changé de forme à chaque fois, empruntant les voies de la question économique, puis de la guerre et de l’ethnocentrisme, et enfin de la négociation des ressources naturelles.
La réinsertion socio-économique des rapatriés doit passer par trois phases principales, à savoir la phase d’urgence (rapatriement), la phase de transition (organisation) et la phase de développement. Ainsi, dans le but de prévenir les risques d’exclusion sociale, l’insertion socioprofessionnelle, la participation au développement et l’assistance ont été une politique manifeste du gouvernement malien. Certes, autant au Mali qu’au Burkina Faso, des structures d’accueil ont été mises en place par les gouvernements respectifs. Mais, en terme de comparaison, nous pouvons retenir que les rapatriés du Burkina Faso avaient investi dans leur famille de départ ce qui a rendu facile leur réinsertion socio-économique à leur retour. Alors qu’au Mali, l’arrivée des rapatriés a occasionné beaucoup de difficultés au niveau des familles réceptrices, surtout sur le plan alimentaire, car les greniers étaient pratiquement vides et la consommation était en hausse. Cette situation s’explique par le fait que, contrairement aux rapatriés Burkinabè, les Maliens n’avaient pas envisagé d’investir dans leur localité d’origine ce qui a rendu difficile leur réinsertion au niveau des villages.
La fin du miracle ivoirien et le nouveau contexte géopolitique ont considérablement affaibli cette représentation jusque-là entretenue par les populations maliennes. Malgré la crise, on retiendra que certaines catégories continuent à entreprendre cette trajectoire après l’accalmie. En effet, la première catégorie est celle des migrants des années récentes (milieu 1980) qui travaillaient et vivaient avec des cartes de séjour et qui étaient donc considérés comme des étrangers et se comportaient comme tels. La deuxième catégorie est celle des migrants des années 1960-1970 qui, grâce à un long séjour, ont pu obtenir la nationalité ivoirienne. Ils ne se considèrent pas comme des étrangers, mais, au contraire, se comportent comme des Ivoiriens à part entière ; ils ont signé leur retour après l’accalmie. Au-delà, la troisième catégorie, caractérisée par sa pauvreté, a regagné son pays d’origine et n’envisage pas un éventuel retour en Côte d’Ivoire. Depuis la crise de 2002, la migration malienne a changé de direction et s’est considérablement tournée vers l’Europe, principalement l’Espagne ; parmi ces migrants, on pourrait identifier des rapatriés de Côte d’Ivoire.
Illustration : geezaweezer, « The Long Road to Mali », 24.02.2011, Flickr (licence Creative Commons).