Partant d’une interrogation commune visant à évaluer les recompositions du politique et les nouvelles pratiques de gouvernance liées aux processus de métropolisation, ces deux ouvrages collectifs proposent une série de réflexions théoriques appuyées sur des exemples variés pris dans les cas de métropoles canadiennes et européennes.
Trois axes de recherche y sont privilégiés : l’évolution du cadre opératoire des politiques urbaines (du pilotage centralisé au réseau de politiques publiques), des relations intergouvernementales (verticales, entre États et métropoles) et intragouvernementales (horizontales, articulations du champ politique métropolitain à la société civile) qu’aborde davantage Démocraties Métropolitaines sous l’angle de la concertation et de la participation. Permettent-elles d’identifier un modèle de gouvernance, de trouver un « air de famille » dans le style des politiques urbaines, dans les formes d’exercice de la citoyenneté ? Les bases plus générales de l’ordre politique s’y trouvent-elles modifiées, renouvelées ?
Au-delà d’une certaine hétérogénéité liée à la diversité des approches et de statut des auteurs, l’ensemble des contributions converge pour relativiser des évolutions considérées comme acquises. Il en ressort un bilan en demi-teinte des processus comparés pour certains sur une trentaine d’années (1970-2004) qui souligne l’inachèvement de l’autonomie politique des gouvernements urbains, les problèmes posés par la sophistication des formes de partenariat et les départs manqués de la démocratie participative. Derrière une tonalité, certes, un peu pessimiste (fragmentation, décalages…), se profilent clairement les chantiers en cours de la construction politique des espaces métropolitains.
Une recomposition des types de dépendance.
Le dépassement d’un type de démocratie stato-centré lié à la mutation des formes de territorialité, de régulation politique et de citoyenneté, se traduit dans l’organisation des territoires métropolitains par un mouvement de supra-nationalisation (par le haut), d’inter-régionalisation (latéral) et de fragmentation locale (par le bas). Ce modèle assez théorique (Jules Duchastel et Raphaël Canet) permet d’expliquer les nouvelles implications des pouvoirs locaux dans des systèmes de relations verticaux (cantons, État, régions globales) et horizontaux (villes centres- périphériques). C’est dans cette évolution des relations intra et inter-gouvernementales que se joue la délicate autonomie politique des espaces métropolitains. En effet, la dé-verticalisation (retrait des niveaux étatiques) n’a pas pour conséquence logique l’augmentation des marges de manœuvre financières et directionnelles des métropoles, ainsi que la constitution de pouvoirs urbains cohérents.
L’intervention et le pilotage de l’État ou d’une instance supra-métropolitaine restent parfois prégnants, influençant la construction des partenariats dans les opérations urbaines à Lyon (Bernard Jouve, David Guéranger) ou dans la métropole marseillaise (Rachel Linossier), limitant l’autonomie des villes dans le cadre de la métropole Zurichoise (Daniel Kübler) dont le leadership est davantage assuré par le canton. Le problème n’est d’ailleurs pas si simple : si le « Club des Promoteurs privés » accepte le montage financier d’Euroméditerranée à Marseille, c’est aussi parce qu’il est nettement plus rassuré par les garanties offertes par l’État… que par celles de la sem locale.
Ad intra, l’émergence de nouvelles configurations institutionnelles ne s’accompagne pas toujours d’une réelle unité ni d’un vrai renouvellement ou enrichissement des personnels politiques. Les difficultés de constitution d’un gouvernement métropolitain peuvent tenir au poids de la ville-centre ou à des résistances. La fusion municipale à Toronto (Julie-Anne Boudreau) voit surgir une forte opposition de la ville-centre, liée à une méfiance vis-à-vis des communes de banlieues, à la perte d’une culture de la démocratie locale, ainsi qu’à Montréal (Anne Latendresse) où la contestation vient, à l’inverse, des communes périphériques craignant une centralisation. Ces réformes institutionnelles aboutissent à de nouvelles donnes qui rendent plus complexes les formes de coopération. Ainsi, lors de la mise en place des conseils d’arrondissement les anciens maires tentent de récupérer leurs prérogatives, l’apparition des mairies de quartier à Lyon et Paris (Melody Houk) étant suivie, quant à elle, de nouvelles relations de concurrence.
Leadership, maïeutique et adhocratisme.
La recomposition du gouvernement des villes révèle par ailleurs une sophistication liée aux partenariats réalisés à l’occasion de grandes opérations métropolitaines, l’implication croissante du secteur privé les confrontant à des enjeux de maîtrise, de transparence et de lisibilité. En ce sens, l’adaptation des nouveaux territoires à la globalisation serait l’aspect le plus abouti de la métropolisation avec la construction de gouvernances économiques intégrant les dimensions sociales. Le bilan du cas montréalais (Jean-Marc Fortan, Juan-Luis Klein, Benoît Lévèque) en fait un quasi-modèle en matière de reconversion économique par la société civile, l’élaboration des stratégies ayant donné lieu à de fructueux débats entre institutions publiques, organisations sociales et partenaires économiques.
Toutefois, la production de leadership territoriaux peut masquer une complexification problématique voire une maîtrise difficile des processus. À Londres (Peter Newman, Andy Thornley), le rôle de Ken Livingstone, maire-entrepreneur dans un contexte institutionnel ultra-fragmenté disposant d’un fort pouvoir exécutif mais de marges de manœuvre financières restreintes, s’est cantonné à assurer la mise en place d’une coalition d’intérêts privés coupée des sociétés locales. À Sheffield (Philippe Booth), le passage d’un socialisme municipal vers une forme de concertation public-privé est suivi d’une perte de contrôle de la municipalité sur les structures de participation, affectant le système de représentation de la société civile.
La fragmentation des politiques publiques s’exprimerait aussi dans une tendance à « l’adhocratisme », avec le transfert des prises de décision vers des instances ad hoc jouant un rôle important de régulation mais pas toujours accompagnées de vraies pratiques de transparence. Dans certain cas, les « bricolages institutionnels et organisationnels » (maïeutique) dominent au détriment d’instances unifiées de régulation, par exemple à Lyon (Bernard Jouve et David Guéranger), amoindrissant fortement la lisibilité des politiques, des pratiques du bricolage qui, faut-il bien le préciser au moins en France, s’expliquent aussi par une grande frilosité vis-à-vis des partenariats publics privés (ppp).
Quel renouvellement de la démocratie ?
Ce fonctionnement a des répercussions sur l’exercice de la citoyenneté : la faible prise en compte des principes d’ouverture et d’intégration de la société civile aux processus politiques ne crédibilise pas la démocratie délibérative comme alternative à la démocratie représentative et risque de déconnecter les gouvernements métropolitains de leurs sociétés locales. L’augmentation de la diversité des groupes sociaux et du pluralisme politique suscitée par la métropolisation ne se répercute pas toujours dans les formes de représentation. Les enjeux sont pourtant mobilisateurs, les clivages idéologiques et politiques demeurant présents, comme le montrent à l’occasion de fortes mobilisations partisanes.
L’appartenance et le référentiel métropolitain apparaissent ainsi encore assez faibles, la construction des alliances et des solidarités, enjeu d’une réarticulation de la citoyenneté urbaine aux nouvelles réalités sociales, culturelles et territoriales des métropoles (Pierre Hamel), risque deux écueils. L’étouffement des dispositifs participatifs, tout d’abord, qui restent encore trop élitistes, sélectifs, quand ils ne se transforment pas en façade de marketing (Toronto) masquant une centralisation du pouvoir. Les concertations produites sont alors fades, sans réels enjeux, expurgées de questions sensibles, par exemple à Lyon (Jean-Yves Toussaint, Sophie Vareilles, Marcus Zepf, Monique Zimmermann), donnant lieu à des exercices lissés, très technologiques et bien peu politiques.
Second risque : une « dés-intégration » par les procédures. C’est le paradoxe de la proximité qui, réactivant des fonctionnement administratifs légalistes avec des réseaux embrouillés, crée des logiques contraires : les dispositifs de médiation sélectionnent les publics et poussent à la défection (Philippe Warin). A Vaux-en-Velin (Didier Chabanet), la communautarisation d’une association, liée à une prise en compte décevante de son souci d’intervention dans les espaces de débat, souligne ce hiatus persistant et difficile à résoudre entre une participation inscrite sur tous les agendas et la mise en place de réelle formes de coopération.
Lisibilité, cohérence, autonomie, transparence, ouverture, intégration… Le programme de la démocratie métropolitaine paraît sans doute excessivement chargé, mais c’est aussi parce que se joue dans ces territoires l’avenir des sociétés de demain.
Si les deux ouvrages constituent un apport essentiel et un précieux matériau d’illustration de ces enjeux, ils restent toutefois assez discrets sur les moyens d’engager et de construire la durabilité des politiques mises en œuvre par les métropoles et pas uniquement d’en résoudre des dysfonctionnements occasionnels. En ce sens, l’évocation rapide du modèle catégoriel (Canada) comme possible horizon politique aurait gagné à être davantage étayée pour être véritablement convaincante. On aurait également souhaité que l’ensemble prenne plus de distance vis-à-vis d’une vision technologique des relations sociales et du politique : une interrogation sur l’organisation des sociétés métropolitaines n’est pas seulement une réflexion d’ingénierie mais aussi celle d’une philosophie de l’être-ensemble, du politique.
Bernard Jouve et Philippe Booth (dir.), Démocraties métropolitaines, Presses universitaires du Québec, 2004. 334pages. 48 euros. Bernard Jouve et Christian Lefèvre, Horizons métropolitains, coll. Recherches urbaines, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2004. 274 pages. 45 euros.