Romain Pasquier, en proposant une « comparaison France-Espagne », fondée sur l’analyse de la « capacité politique » de certaines régions s’est avancé sur un terrain périlleux : celui de la « politique comparée ». On peut dire d’emblée que son travail réhabilite la discipline auprès des spécialistes comme des non-spécialistes. Aux premiers, il fournit un travail dont la rigueur méthodologique servira de cas d’école, — évitant à la fois la simple juxtaposition d’études monographiques et la construction de modèles d’analyse oublieux de la « réalité » des objets comparés. Aux seconds, il livre un ouvrage portant sur des régions encore peu étudiées (Bretagne, Centre, Galice, Rioja), dont on découvre à chaque page la capacité — ou l’incapacité — à fédérer autour d’elles les acteurs locaux ou à produire elles-mêmes des politiques publiques. Sa conclusion à cet égard est limpide : « Seules quelques régions sont capables de produire des coalitions durables de défense des intérêts régionaux ». Ce serait le cas en France de la Bretagne, mais pas de la région Centre. C’est le cas en Espagne de la Galice, autre « Finistère atlantique », mais pas totalement de la Rioja.
C’est en se fondant sur une analyse historique, que l’auteur est amené à distinguer ces différentes régions entre elles, dans la mesure où « un ensemble de pratiques et de représentations sédimentées dans le temps façonnent les structures institutionnelles régionales et orientent leurs actions », notamment parce qu’elles sont intégrées par les acteurs locaux. Ces derniers deviennent alors « entrepreneurs politiques » au bénéfice de la région.
Des régions « porte-paroles » des intérêts régionaux.
À ce titre, on perçoit bien comment la Galice, en se saisissant de l’opportunité offerte en Espagne par la Constitution de 1978, parvient à constituer rapidement une « communauté autonome » et offre ainsi un débouché politique à son particularisme identitaire, tout aussi affirmé que celui de la Catalogne ou du Pays Basque, mais peu valorisé politiquement en raison de son « sous-développement économique et social ». On voit bien aussi, à propos de la Bretagne, que sans s’appuyer sur une rhétorique nationalitaire, une tradition de coalition d’intérêts locaux s’est institutionnalisée précocement au travers de la création dès 1950 du Comité d’études et de liaison des intérêts bretons (Celib). Celui-ci est la base d’un travail coopératif régional entre titulaires de mandats politiques ou sociaux, capitalisé aujourd’hui par le conseil régional, érigé en porte-parole des « intérêts bretons », à la fois vis-à-vis de l’Etat et vis-à-vis de l’Europe communautaire. Rien de tel en région Centre. Celle-ci demeure le cadre d’un « régionalisme fonctionnel », que les élites locales n’investissent pas ou peu, à leur détriment d’ailleurs, compte tenu de la part prise par la région en matière d’aménagement du territoire au niveau national et européen. C’est ici que l’analyse politique de Romain Pasquier remet en cause quelques idées reçues, comme celle suivant laquelle seule une identité forte peut engendrer une région forte, et inversement. Le cas de la Rioja, en Espagne, nuance singulièrement cette analyse. En effet, l’auteur montre bien que la situation de départ est comparable à celle de la région Centre, celle d’une « communauté imaginaire », ce qui légitime la comparaison. La seule question posée est en effet de savoir à qu’elle autre région limitrophe rattacher la Rioja, tant celle-ci apparaît dépourvue de toute spécificité, un peu comme la région Centre en France. Mais c’est précisément une « concurrence inter-régionale » entre le Pays Basque et la Castille notamment pour la captation de la Rioja, qui participe de la fabrication d’une « authentique » identité régionale, pour éviter de n’être qu’une province de plus dans une région plus grande, pas nécessairement soucieuse de ses intérêts propres. C’est ainsi que la Rioja devient une « communauté autonome » en 1982, que nul ne songe à remettre en cause depuis, précisément parce que sa capacité politique n’a depuis lors cessé de s’accroître. On est alors loin, à ce stade, de la région Centre.
Au-delà des ressemblances, le comparatisme se doit aussi de souligner les différences. À l’évidence, elles sont nombreuses entre la France et l’Espagne concernant le statut des régions et leur rapport avec l’État central, tout comme elles sont nombreuses entre chaque région. Romain Pasquier ne manque pas de les souligner, mais en les replaçant dans leur contexte à la fois local et européen. À cet égard la mise en évidence des différences de « capacité politique des régions » entre États et à l’intérieur de chaque État peut conduire à bien des remises en cause. C’est tout l’intérêt pratique de la comparaison et une raison supplémentaire de ne pas manquer cet ouvrage, compte tenu notamment des transformations en cours dans les régions françaises.
Romain Pasquier, La capacité politique des régions : une comparaison France-Espagne, Presses universitaires de Rennes collec. Res Publica (Pur), 2004. 228 pages. 16 euros.