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Serendipity.

L’écologie du coupable.

Ou : « combien de planètes ? ».

« Denn dass der Mensch erlöst werde von der Rache : das ist mir die Brücke zur höchsten Hoffnung und ein Regenbogen nach langen Unwettern. » [1]

Image1Nous l’aurions presque oublié, en fouillant parmi les fondations du rapport moral au monde de nos sociétés, nous trouverons encore bien en place deux piliers érigés au cours du processus de la chrétienté : celui de l’empathie et celui de la culpabilité.

[2].

Même dans ses symptômes moins graves, le deuxième pilier de notre morale soutient la pensée réactive et le sentiment de regret. Et lorsque même l’empathie se mue en culpabilité, elle ne se traduit plus en acte à l’égard de l’autre mais en une inféconde névrose — en ressentiment contre le temps et son « j’aurais dû ».

À son grand malheur, c’est justement le pilier de la culpabilité que la pensée écologique choisit souvent pour vecteur de sa diffusion. D’un doigt accusateur, voilà désigné l’irresponsable automobiliste, le voyageur en avion, celui qui n’a pas honte de manger de la viande face aux enfants affamés du monde… Tout cela pour un constat affligeant : malgré l’insistance de son regard, l’œil courroucé de la conscience écologique connaît un succès limité, généralement réduit à une éventuelle indigestion. Comment l’expliquer ? Le refoulement est-il une réaction naturelle à l’évidence du péché ?

Possiblement, mais, tout compte fait, peu importe. Ni la culpabilité, ni son explication ne sauraient offrir une issue au problème écologique. Ce qui importe est sa gestion. Ce qui importe est l’agir de tout un chacun. Comment l’influencer ? Comment le guider ? Ou comment, plutôt, lui donner les moyens de se guider, vers un monde habitable par son acteur ?

L’une des nombreuses réponses à cette question pourrait se trouver dans ce que l’on appelle aujourd’hui « agent-based models » [« modélisation basée agents »] : ces modèles qui permettent de simuler le devenir des systèmes complexes en ne déterminant que le comportement des individus dont ces systèmes sont composés. Appliqués au système « écoumène », ce type de modèles pourrait, à notre avis, faire preuve d’une forte aptitude à guider le comportement écologique des individus humains.

Pour comprendre de quelle manière, prenons pour exemple un calculateur de l’« empreinte écologique », tenu à disposition de tout internaute par les associés Earthday Network et Redefining Progress. Le calcul accompli par cet outil relève d’abord d’un simple exercice d’arithmétique : Sachant que la capacité biologique de la Terre compte 41 acres (16.6 hectares) par personne et sachant que mon taux d’utilisation est égal à x, de combien de planètes aurait besoin une société d’individus comme moi-même ? Encore faut-il définir x et c’est là que l’assistance informatique entre en scène — une série de réponses à des questions concernant le mode de vie de l’examiné mènent à un résultat sec et précis : « si tout le monde vivait comme vous, on aurait besoin de 2.8 planètes ».

On repèrera bien sûr une dimension tendancieuse dans la série de questions et dans les possibilités de réponses offertes moyennant, à chaque fois, un choix multiple. Ainsi, l’examiné ne pourra que répondre aux questions « Quelle est la consommation de votre voiture ? » et « Emmenez-vous des passagers ? », qu’il possède une voiture ou non : ceux ayant entièrement renoncé à la propriété d’un véhicule ne sauraient ainsi se réjouir d’une empreinte écologique diminuée…

Quoi qu’il en soit, une avancée considérable par rapport à la traditionnelle éco-culpabilisation est déjà accomplie dans la façon de tourner le problème : dans le calcul de l’empreinte écologique, il ne s’agit pas de savoir si les actes d’un acteur relèvent du « bien » ou du « mal » mais ce que ces actes signifient lorsqu’ils se voient inscrits dans un contexte plus vaste. La question n’est plus « Est-ce mal de vivre ainsi que je vis ? ». La question est : Voulons-nous vraiment habiter 2.8 planètes ? En avons-nous le projet ? En avons-nous les moyens ?

Si cela n’est pas le cas [3], d’autres solutions doivent être inventées et elles le sont, par exemple sur la page même du résultat de l’Ecological Footprint Quiz. Un click mène l’utilisateur vers une liste de « gestes simples que vous pouvez effectuer pour réduire votre empreinte écologique ». Un autre calculateur est mis à disposition pour fixer divers objectifs de réduction d’impact…

À se demander, donc, si à l’époque d’appareils et de concepts scientifiques capables de saisir et de simuler des réalités de plus en plus complexes, il est encore nécessaire de culpabiliser nos semblables pour les initier à une conscience globale ? Exposé à l’évidence des conséquences émergentes de ses actes directement nuisibles à lui-même, est-il si improbable qu’un individu humain ne se décide à adapter son agir à ses objectifs d’exister ?

Mesurez votre empreinte écologique : Ecological Footprint Quiz.

Earthday Network.

Redefining Progress.

Abstract

« Denn dass der Mensch erlöst werde von der Rache : das ist mir die Brücke zur höchsten Hoffnung und ein Regenbogen nach langen Unwettern. »1Nous l’aurions presque oublié, en fouillant parmi les fondations du rapport moral au monde de nos sociétés, nous trouverons encore bien en place deux piliers érigés au cours du processus ...

Bibliography

Notes

[1] « Que l’humain soit libéré du ressentiment, tel est pour moi le pont vers le plus haut espoir et un arc-en-ciel après de longs orages » [notre traduction]. Friedrich Nietzsche, « Von den Taranteln », Also sprach Zarathustra : Ein Buch für Alle und Keinen, 1885. [« Des tarentules », Ainsi parla Zarathoustra : Un livre pour tous et pour personne].

[2] Et nous pensons ici aussi bien aux théocraties de l’orient qu’à la terreur évangélique du Far West.

[3] Dire que cela est le cas reste possible, bien qu’une telle ambition semble pour l’instant quelque peu psychotique…

Authors

André Ourednik

Doctorant au laboratoire Chôros (École Polytechnique Fédérale de Lausanne) il a étudié la géographie, la philosophie et les méthodes mathématiques à la Faculté des Lettres de l’Université de Lausanne. Il a publié notamment les nouvelles « Après » (2003, Îles sur le toit du monde : Une anthologue romande de science-fiction, revue Archipel, en collaboration avec la Maison d’Ailleurs) et « Rapport d’herméneutique minérale » (2004, revue Arkhaï), ainsi que le recueil de poèmes Chants dilettantes d’un fainéant éduqué au rythme des saisons et des manies (2002, L’Âge d’Homme). Ses recherches actuelles portent sur l’application de modèles informatiques basés individu en géographie humaine.

Partnership

Serendipity.

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