La deuxième édition de l’ouvrage monumental du professeur Jürgen Schwarze de l’université de Fribourg en Brisgau « Europäisches Verwaltungsrecht » (Droit administratif européen), pour le moment disponible seulement en langue allemande, s’adresse à tous les juristes intéressés par le processus d’émergence d’un système de droit administratif rapprochant les droits administratifs des États membres de l’Union européenne et le droit administratif communautaire.
La première édition de cet ouvrage, qui a été publiée dans sa version originale, c’est-à-dire en allemand, en 1988, avant d’être publiée en anglais en 1992 et en français en 1994, a connu un retentissement remarquable au plan européen. Dans cet ouvrage, Jürgen Schwarze vérifiait l’hypothèse qu’un droit administratif européen était en voie d’émergence, constitué, d’une part, par un droit communautaire fortement influencé par les traditions nationales et d’autre part par une évolution convergente des droits administratifs nationaux sous l’influence de ce droit communautaire. Au cœur de ce mouvement, Jürgen Schwarze a identifié un certain nombre de principes fondamentaux qui se retrouvent aussi bien dans les droits nationaux des États membres que dans le droit communautaire : le principe de légalité et de contrôle du pouvoir discrétionnaire, le principe d’égalité et de prohibition des discriminations injustifiées, le principe de proportionnalité, le principe de la sécurité juridique et du respect de la « confiance légitime », complété par des principes de procédure administrative : droits de la défense, obligation d’une instruction complète, motivation. Ces éléments ont été étudiés par l’ouvrage du professeur Schwarze aussi bien en ce qui concerne le droit de chacun des États membres qu’en droit communautaire.
La nouvelle édition, parue en 2005, est constituée par la republication de l’édition ancienne précédée par une présentation très fournie (160 pages) des tendances récentes intervenues depuis la première édition. Dans cette mise à jour, l’auteur examine non seulement le devenir des grands principes qu’il a dégagés mais il prend également position sur divers aspects complémentaires : les rôles respectifs du droit écrit et non écrit dans le droit administratif européen et la perspective d’un mouvement de codification du droit communautaire (tel que déjà réalisé en matière de douanes), l’émergence de mécanismes de coopération entre organes communautaires et institutions nationales dans la mise en œuvre du droit communautaire, l’influence de l’élargissement de la Communauté vers l’Est sur le droit administratif européen.
Un rééquilibrage des « influences ».
L’ouvrage met particulièrement en lumière les nouvelles formes d’influences croisées entre droit communautaire et droits administratifs, ce qui favorise l’émergence sinon d’un « droit commun européen », pour reprendre l’expression de Jean Rivero, du moins d’un modèle commun. S’agissant des influences nationales sur le droit communautaire, il apparaît que si les apports français ont été prédominants à l’origine, les influences allemandes (principe de proportionnalité, confiance légitime), anglaises (procédure équitable, droits de la défense) puis scandinaves (transparence, ombudsman) se sont fait par la suite fortement sentir. Réciproquement, et bien au-delà de l’application au plan national du droit communautaire dérivé, on constate une influence des principes généraux du droit communautaire sur le développement des droits administratifs nationaux. On peut notamment évoquer le renforcement des procédures d’urgence dans la foulée de l’affaire Factortame le rôle croissant du principe de proportionnalité, ou l’influence sur les règles de retrait des actes administratifs.
La préoccupation de garantir des conditions équivalentes de transposition du droit communautaire a joué un rôle déterminant dans le processus d’ouverture et de rapprochement des systèmes nationaux de droit administratifs, autrefois peu sensibles aux influences extérieures. Mais, au-delà, l’intégration européenne a favorisé des travaux de droit administratif comparé sous les formes les plus diverses dont l’ouvrage du professeur Schwarze est une illustration impressionnante par sa richesse. Dans le contexte d’ouverture et de renouveau suscité par ces travaux, les contacts entre juges et les réceptions réciproques d’influences doctrinales ou de solutions jurisprudentielles, il est bien sûr difficile d’évaluer exactement quelle est la part du droit communautaire et quel est l’effet d’un processus de globalisation plus vaste. Il en est ainsi notamment de ce qu’à la suite de Michel Froment on peut appeler une tendance à la « subjectivation croissante » du droit administratif français, jusqu’ici dominé par des éléments objectifs.
Le Professeur Schwarze termine son nouveau commentaire par un plaidoyer en faveur d’une codification au plan communautaire des règles de procédures applicables au niveau des administrations nationales pour la mise en œuvre du droit communautaire. Certes, ces règles ont, de manière efficace, été développées jusqu’à présent par la jurisprudence. Mais pour garantir une transposition égale et effective dans une Communauté de plus en plus hétérogène, la reconnaissance aux autorités communautaires de la compétence de fixer directement les règles d’exécution du droit communautaire pourrait accélérer, selon le professeur Schwarze, le développement du droit administratif européen. Il faudra attendre d’avoir surmonté les effets négatifs du rejet du référendum sur la Constitution européenne pour s’engager dans une telle voie.
Jürgen Schwarze, Europäisches Verwaltungsrecht [Droit administratif européen], 2. erweiterte Auflage, Nomos, Baden-Baden, 2005. 1670 pages. 158 euros.