« Vote or die ! » — C’est ce gigantesque panneau qui m’a accueilli sur Broadway avenue, non loin de Times Square, lorsque j’ai fait mes premiers pas à New-York, lundi 25 octobre 2004. Ainsi donc j’y étais ! J’allais, non sans une certaine excitation, prendre le pouls de l’élection-monde, celle qui renvoie toutes les autres au statut d’élections locales.
Effectivement, ce slogan lancé par l’association Citizen Change [1] a rythmé mon séjour à Manhattan. Je l’ai retrouvé tout au long de la semaine, décliné pour refléter la diversité de la population américaine — latinos, blacks, femmes… — et ciblant la jeunesse américaine, sur quelques affiches placardées sur des palissades, ornant des Tee-shirts ou bien encore sur des séries de cartes postales posées dans la vitrine de libraires. à tel point que faire voter semblait être la préoccupation majeure, comme si l’orientation du vote de ces néo-électeurs allait de soi. Au reste, c’est encore une invitation à voter et à se faire entendre qui a constitué le cœur du sermon du révèrent d’une église baptiste de Harlem dont j’ai suivi le service en quête de gospels.
« Vote or die ! », le slogan peut paraître excessif et bien radical… Il n’est pas pourtant sans résonner dans nos mémoires, la devise de la république française, avant que 1848 n’impose le triptyque « Liberté, égalité, fraternité », n’était-elle pas « La liberté ou la mort ! » ?. « Vote or die ! » parce que la démocratie a besoin de la participation des citoyens pour refonder à intervalle régulier sa légitimité. « Vote or die ! » aussi comme un espoir que, cette fois-ci, le résultat s’imposerait sans l’intervention de la justice. Un cri dont on a su, dès les premières heures du scrutin — dimanche pour les états ayant étalé le vote sur trois jours —, qu’il avait eu un large écho dont témoignaient les longues files d’attente devant les bureaux de vote.
Mais voter pour qui ? Coutumiers des élections européennes, je me suis d’abord étonné de l’absence de panneaux publicitaires — au demeurant inexistants quitté le secteur de Times Square — vantant les mérites des candidats ou leurs propositions comme de tout affichage sauvage et même du nombre très restreint d’autocollants… Rien à Manhattan, quelques rares panneaux agrafés aux poteaux des feux de signalisation à Harlem… Un show permanent à Democracy Piazza installé au bas des tours Rockfeller… mais là encore le civique l’emporte sur le partisan puisqu’il s’agit aussi d’inciter les électeurs à utiliser leur droit de vote en rappelant les principes de la démocratie américaine, exposition d’objets symboliques, écran géant présentant des images des élections précédentes et commentateurs à l’appui.
Pourtant cette impression de vide a très vite laissée la place à un autre sentiment : celui de voir des individus en campagne, d’assister à autant de « campagnes personnelles » que de passants croisés. Combien ai-je vu d’individus porteurs de badge(s) ou de Tee-shirts en faveur de Kerry ou, le plus souvent, simplement contre Bush — les seuls que j’ai croisés à Manhattan où l’unique signe distinctif des partisans de Bush était peut-être un discret pins frappé du drapeau américain identique à celui que le président, aujourd’hui réélu, porte au revers de sa veste aperçu à une ou deux reprises ? Impossible de les compter. Un nombre sans commune mesure en tout cas avec celui de toutes les élections françaises auxquelles il m’a été donné d’assister — hors l’enceinte des meetings électoraux et à l’exception peut-être de la mobilisation anti-Le Pen au deuxième tour des dernières présidentielles. Et encore… Jusqu’aux maisons dont les fenêtres affichaient les préférences partisanes des occupants du lieu (là encore, toujours à Manhattan, en faveur de Kerry). Course à l’inventivité et à l’originalité aussi, chacun exhibant son insigne et le comparant à celui exhibé par le voisin, comme ce très beau Tee-shirt frappé de « Bush again » encadrant une reproduction du « Cri » de Munch croisé au Metropolitan Museum of Art [2].
L’arbre peut cacher la forêt — nous le savons aujourd’hui — et Manhattan (qui a voté à 82% pour J.F. Kerry) n’est pas les états-Unis. Reste, néanmoins, le souvenir émouvant de ces individus engagés en politique sur un mode très existentiel et personnel qui fait plutôt penser à une autre façon de faire de la politique qu’à une absence de politisation, comme il est trop souvent question à propos des États-Unis.
Photos : ©Patrick Garcia. 1, Broadway avenue. 2, Chinatown.