Opérations plages urbaines, golfs urbains, pianos en libre accès dans la ville sur lesquels le passant est appelé à jouer pour créer du lien social, bombes à graines et jardins mobiles comme œuvres d’art, expositions muséales qui investissent l’espace urbain, manifestations sportives qui donnent un aspect de station balnéaire ou de montagne aux villes centres, chaises longues dans les parcs qui permettent aux usagers de se délasser dans le même temps que les jeunes personnes qui gèrent le dispositif sont réinsérés : l’événement et l’éphémère sont, depuis une quinzaine d’années, devenus des principes cardinaux de l’action urbaine. L’aménagement urbain se calque ainsi désormais sur ce que Montaigne disait de la personnalité, se faisant lui aussi “ondoyant et divers”. Un jour comme ceci, un jour comme cela. Un jour culturel (une exposition), un jour sportif (un tournoi de beach-volley), un jour festif (un concert), un jour méditatif (des chaises, rien que des chaises)…
D’aucuns se sont attachés à faire la généalogie de cette diversification des modes d’action sur la ville. On a montré l’incidence d’une nouvelle gouvernance urbaine, aspirant à plus de participation, dans le même temps que l’on cherche à mobiliser plus de parties prenantes et, éventuellement, assurer un cofinancement (public, privé) de la production territoriale. Dans ses aspects les plus généreux, la nouvelle gouvernance urbaine peut en effet apparaître comme une traduction des aspirations citoyennes à exercer plus de pouvoir sur la fabrique urbaine de manière à accroitre la qualité du cadre de vie. Les appels de la première écologie politique à une “société conviviale” y ont ainsi trouvé un écho parfois dévoyé. On s’y est par exemple beaucoup plus intéressé à l’animation de la participation, qu’aux produits de la participation. Parallèlement, le souci de favoriser un certain vivre ensemble, les principes du développement urbain durable ont occasionné un goût pour des actions adaptées à l’accroissement de la qualité de vie en ville, notamment du point de vue des aménités et des loisirs. Comprendre ici l’organisation d’events (golfs urbains, opérations plages urbaines, etc.) dont le but est de multiplier des “moments urbains heureux” qui ne sauraient pourtant être des politiques urbaines, mais qui s’inscrivent dans une politique assumée de l’événement. Ainsi, de même que l’événement a remplacé le monument dans le rapport des artistes à l’espace public, la new urban governance a fait de l’éphémère et de la dématérialisation des interventions un motif d’animation et de visibilisation de la ville en train de se faire, se défaire, se réinventer de manière continue. Le goût des pouvoirs publics pour la “durabilité” urbaine a ainsi transformé l’urbanisme – au sens d’action réflexive et coordonnée sur une réalité matérielle, le bâti – en outil de production d’un immatériel : le bien vivre en ville à destination des habitants – souvent fortement dotés en capital culturel – les plus férus de ce type d’animation relevant de l’événementiel. Ce goût pour l’événement et l’éphémère comme modalités d’action sur la ville a ses théoriciens (Charles Montgomery par exemple), qui en sont aussi les gourous, au sens où ils proposent des recettes aux collectivités publiques pour rendre les villes plus ludiques, plus heureuses et, in fine, plus attractives (voir, Peck & Theodore, 2012; McCann & Ward 2011; Söderström, 2014). Ces gourous ont, à leur tour, des adeptes, qui travaillent à développer l’idée d’un réenchantement des mondes urbains en l’adaptant à des contextes locaux. En somme, on a affaire à une doctrine en circulation — portée par des figures emblématiques — qui s’hybride localement.
Dans le même temps que l’action urbaine se diversifie, le spectre des acteurs de la fabrique urbaine s’élargit, les nouveaux faiseurs de ville étant appelés à être des techniciens de la planification, des producteurs de sens, des animateurs de processus participatifs, des communicateurs d’intentions, des médiateurs culturels.
Cette journée d’études aspire à penser ces transformations de la fabrique urbaine. Elle se propose, plus précisément, de faire dialoguer chercheurs et professionnels de la ville autour du rôle de l’événement dans la fabrique urbaine.