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Serendipity.

Globalisation et politiques d’environnement : le cas du Protocole de Kyoto.

Le développement durable constitue l’un des enjeux majeurs du siècle qui s’ouvre. La nécessité de réduire les coûts environnementaux liés aux activités humaines tout en permettant la production et la redistribution de richesses est devenue au cours des dix dernières années un véritable impératif. Ce dernier nous oblige à reconsidérer nos habitudes de consommation individuelle et collective, notre mode de production, notre rapport à l’environnement mais aussi le cadre politique dans lequel s’est construit l’État-nation. L’objectif de cet article est d’analyser cette dernière dimension en montrant qu’à terme, les métropoles devront avoir davantage de responsabilités et être pleinement associées aux politiques publiques visant à mettre en œuvre « Kyoto ». Cette montée en puissance des métropoles s’explique par le simple fait qu’elles concentrent une bonne part des transports, qui constituent le secteur contribuant largement à l’émission des gaz à effet de serre (ges). Pour répondre par des politiques efficaces au défi posé par l’usage de la voiture particulière, il faudra envisager d’autres solutions que techniques, comme le fut en son temps la généralisation du pot catalytique. Il conviendra certainement de réformer les institutions métropolitaines en vue de rendre compatible et cohérent les choix faits en matière de politique de transport et d’urbanisme. En ce sens, le protocole de Kyoto, très technique, aura des impacts majeurs sur la gouvernance de nos sociétés.

Le protocole de Kyoto ou la gouvernance globale en actes.

En décembre 2002, le Canada a ratifié, non sans douleur, le protocole de Kyoto. Il s’agit d’un pas important en vue de la mise en œuvre de cet accord international qui vise à réduire d’ici 10 ans la production totale de ges, considérés comme responsables des changements climatiques. Le protocole de Kyoto est issu de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (ccnucc) adoptée à l’issue du Sommet de la Terre, qui s’est tenu en juin 1992 à Rio de Janeiro. Les délégués de 160 pays se sont réunis en décembre 1997 à Kyoto pour discuter des mesures à prendre pour contrer le réchauffement planétaire. Les négociations ont été difficiles, mais les participants se sont entendus pour réduire les émissions de six gesde 5,2% entre 2008 et 2012, par rapport aux niveaux de 1990. Les trois gaz les plus importants (gaz carbonique, méthane et protoxyde d’azote) sont mesurés par rapport aux niveaux de 1990, tandis que les gaz ayant une durée de vie plus longue (hydrofluocarbures, perfluocarbones et hexafluorures de soufre) sont calculés par rapport aux niveaux de 1990 ou de 1995. Les États-Unis devraient ainsi réduire leurs émissions de 7%, le Canada de 6%, et l’Union européenne de 8%. La Chine, deuxième pollueur du monde, a obtenu une exemption. L’accord doit entrer en vigueur après avoir été ratifié par au moins 55 pays, dont les émissions combinées représentent 55% du total des émissions de 1990 par les pays développés. A ce titre, la ratification de « Kyoto » par le Canada est un pas important même si l’on sait que les États-Unis ont fait connaître leur hostilité à toute ratification. Le Président Bush, dont l’élection a été largement financée par le lobby pétrolier dont il a fait partie, a déclaré qu’il n’était pas pensable que les Américains « négocient leur mode de vie ». Pour atteindre le seuil des 55%, il faudra donc se tourner vers la Russie qui produit 17,4% des ges, grande puissance en pleine restructuration, qui négociera très certainement son accord en échange de concessions commerciales, économiques et politiques de la part des Européens et des Canadiens, qui soutiennent le protocole.

Depuis le début des négociations, la question de la réduction des ges à l’échelle internationale est donc une « affaire » mettant aux prises les grandes puissances et s’intègre dans l’ensemble des dossiers qui structurent les échanges entre les nouveaux blocs géopolitiques (Asie, Europe, Amérique). Selon un schéma très classique, et respectant en cela un des principes du droit international, les États sont les seuls acteurs présents sur la scène. Ce sont eux qui s’engagent ou non dans la ratification donnant ainsi l’impression que l’un des principes cardinaux de l’ordre politique mondial est respecté (l’ordre mondial reste le monopole des États-nations), même après la disparition de l’Empire soviétique et l’accélération de la globalisation dans les années 1990.

Lorsque l’on se penche sur la phase de mise en œuvre de « Kyoto », on se rend compte cependant que la réalité est bien plus complexe. Cette image d’un ordre international dans lequel les États sont des acteurs omniprésents et omnipotents est en décalage par rapport à la réalité. En effet, pour mettre en œuvre « Kyoto », les États doivent négocier avec d’autres acteurs (politiques, économiques, associatifs). Et c’est ici que l’on s’aperçoit que l’ordre politique global (incarné par le protocole de Kyoto) a changé. Sans pour autant affirmer que les États n’ont plus les moyens de leurs ambitions, on ne peut que constater l’existence de relations d’interdépendance entre les États et ces acteurs agissant à une échelle géographique en deçà de l’État-nation. La controverse autour de Kyoto au Canada est parfaitement illustrative de ce nouveau phénomène. Elle se développe certes dans un cadre institutionnel qui la favorise : le Canada est un État fédéral qui, à ce titre, donne un poids politique évident aux États fédérés, les Provinces en l’occurrence. On peut néanmoins affirmer, sans crainte de se tromper beaucoup, que même dans les États unitaires comme la France, elle prendrait une ampleur comparable. Elle serait certainement moins médiatisée mais, à n’en pas douter, les régions, les villes qui sont les plus fortes productrices de ges – comme c’est le cas de l’Alberta (Canada), dont la richesse économique dépend de l’exploitation pétrolière – manifesteraient leur hostilité à la ratification du protocole et demanderaient des contreparties, des aménagements de la part des États.

Dans les États comme le Canada, l’Allemagne, la Suisse, la dépendance des États fédéraux par rapport aux États fédérés est la plus marquée car ces derniers, du fait de la répartition des compétences juridiques entre les différents paliers de gouvernement, sont de fait impliqués dans la mise en œuvre de « Kyoto ». Cela a été très clair au Canada où le débat a opposé le Premier Ministre de l’Alberta, largement appuyé par le lobby pétrolier, et le Premier Ministre Fédéral de l’époque, Jean Chrétien, qui avait pris l’initiative, sans véritablement consulter les Provinces, d’engager le pays dans la voie de la ratification. Pour faire taire cette grogne, il a donc fallu que le niveau fédéral limite ses ambitions par rapport à la réduction des émissions des ges en Alberta et reporte sur les autres Provinces, qui n’ont guère apprécié, une partie de l’effort « national ». Cela a été notamment le cas au Québec, qui s’est défendu d’avoir depuis longtemps opté pour une politique énergétique non polluante reposant sur l’hydro-électricité. On le voit donc, « Kyoto » n’est pas un accord international comme les autres car il touche au développement durable, qui, par définition, n’est pas l’apanage d’un niveau de gouvernement particulier. Pour être efficaces, les politiques sectorielles – comme celles qui touchent l’industrie pétrolière – devront donc impliquer l’ensemble des acteurs, nécessiteront des négociations, des compromis qui risquent fort de dénaturer l’ambition initiale, de la faire dévier de son objectif. Ces mécanismes de négociation sur la phase de mise en œuvre attestent de la nécessité d’un suivi très rigoureux de la part de la société civile et notamment des associations environnementales, sans lesquelles « Kyoto » n’existerait pas. Ils mettent également en valeur l’importance qu’a prise la gouvernance dans la régulation des sociétés modernes. Terme très à la mode ces derniers temps, il sert à désigner une situation dans laquelle la responsabilité politique n’est plus impartie, comme dans le passé, à un seul niveau de gouvernement, à un seul type d’acteur étatique. La gouvernance, c’est l’ensemble des activités de médiation et de domination entre acteurs aux statuts et aux ressources très divers en vue de mettre en place des politiques efficaces et cohérentes et dont les enjeux transcendent les limites administratives et l’organisation verticale de l’État. C’est le cas du développement durable et donc de « Kyoto ». Aucun des acteurs en présence n’a le monopole de l’intérêt général en la matière. Tous (État, Provinces, Régions, lobbies, associations environnementales, …) disposent de ressources budgétaires, politiques, médiatiques, législatives pouvant être utilisées pour faciliter ou, au contraire, rendre délicate la mise en œuvre de ce protocole. Contrairement à ceux qui font de la gouvernance le remède-miracle de sociétés politiques en crise, la gouvernance ne rime pas forcément avec efficacité. La coopération entre acteurs est obligatoire mais nul ne connaît d’avance le résultat des négociations. L’exemple de la ratification de Kyoto par le Canada en est la preuve. Une fois signé, le protocole demande la mise en œuvre de politiques partenariales, négociées. C’est bien ce qui a été reproché à Jean Chrétien par différents partis politiques au Parlement fédéral : d’avoir engagé le pays sans plan, sans avoir élaboré à l’avance de politique de mise en œuvre. C’est cela aussi la globalisation, parfaitement illustrée par « Kyoto » et le développement durable : un ordre politique dans lequel les notions de responsabilité politique, d’imputabilité des décisions sont en pleine recomposition car le niveau national n’est plus à même de tout centraliser et perd de sa capacité, malgré les apparences, à être le seul acteur légitime à l’échelle internationale.

Gouvernance métropolitaine et relations intergouvernementales.

Il faut donc des politiques innovantes, partenariales, incluant une pluralité d’acteurs et d’institutions. Pourtant, tel qu’il se structure actuellement, le débat politique passe sous silence un niveau territorial essentiel : les métropoles. Cet « oubli » est d’autant plus surprenant que, dans les pays développés, c’est au sein de ces espaces que se développent l’essentiel des activités qui concourent directement à la production de GES (secteur industriel, transport, …).

Or, on se rend compte que, d’une manière générale et si l’on compare entre eux les différents secteurs concernés, l’émission de GES par le secteur industriel tend à diminuer alors que la part des transports augmente très fortement : au sein de l’Union européenne, par exemple, la part des émissions totales de gaz carbonique liées aux transports est passée de 19% en 1985 à 26 % en 1995. De plus, les émissions de gaz carbonique produites par les transports dans l’Union représentent actuellement environ 3,5 % des émissions totales de gaz carbonique. Toute action de réduction des émissions de ce gaz implique donc une intervention sur les émissions liées aux transports.

Image1On peut aborder cette question sous différents angles et avancer différents types de solutions techniques comme le ferroutage, par exemple, qui connaît un succès important dans des pays comme la Suisse. Il faut également se poser la question du lien entre l’urbanisme et les politiques de transports. Si l’on aborde la question de la mise en œuvre de « Kyoto » sous cet angle, on voit alors apparaître « mécaniquement » dans le paysage la question de la place des métropoles, en tant que niveaux de gouvernement, dans le système de décision. En effet, on se doute bien qu’il existe un rapport entre, d’une part, les choix politiques – ou les non-choix mais cela revient au même – en matière d’urbanisation, de maîtrise de l’étalement urbain, et d’autre part, le taux de motorisation des ménages et les choix modaux de déplacements des ménages. Vouloir réduire la part du secteur des transports dans l’émission des ges passe donc par des actions cohérentes et coordonnées entre les politiques d’urbanisme et de déplacements. Or, de ce point de vue, les innovations ne sont pas encore souvent au rendez-vous. Certains travaux récents sur les villes européennes montrent que l’on reste dans des logiques très cloisonnées, très sectorielles dans lesquelles les institutions publiques, les administrations et les gouvernements locaux en charge de ces deux domaines coopèrent peu, voire pas du tout. Si l’on observe une relance des politiques de transports publics dans les métropoles européennes, pour autant, rares sont les dispositifs qui tentent de lier ces mesures avec les politiques d’urbanisme (Jouve, 2003).

En l’occurrence, les métropoles européennes, mais ce constat est valable pour l’ensemble des grandes villes, restent confrontées à des problèmes de fragmentation politique et institutionnelle qui conduisent les institutions en place à agir dans des secteurs interdépendants (transports et urbanisme) mais sur des territoires dont les limites ne se recoupent pas, selon des temporalités différentes. Les logiques et les cultures professionnelles diffèrent également, ce qui ne facilite pas la recherche de cohérence. Si l’on adopte un point de vue strictement fonctionnel, la configuration institutionnelle des métropoles rend des plus délicates la mise en œuvre de politiques cohérentes entre le secteur des transports et de l’urbanisme. Il conviendrait donc de reconfigurer la scène politique métropolitaine pour la doter d’institution faîtière capable de générer des synergies, de caler les temporalités, de produire des politiques cohérentes sur des espaces pertinents dont les limites coïncident avec les flux de déplacements des ménages.

Image2C’est par exemple une tendance que l’on observe à Montréal avec la création récente de la Communauté Métropolitaine de Montréal (cmm), créée en 2001 et qui intègre dans ses champs de compétence les déplacements urbains. En l’occurrence, une politique d’envergure visant à mieux intégrer les logiques de l’urbanisme et des déplacements urbains devrait conduire à une meilleure intégration des actions menées par cette nouvelle institution qui couvre 64 municipalités pour 2,6 millions d’habitants et l’Agence Métropolitaine des Transports instaurée par le gouvernement provincial en 1995. Jusqu’à présent, l’urbanisme et les politiques de déplacements urbains étaient élaborés à Montréal par des institutions différentes, s’ignorant. Résultat, un étalement urbain que plus personne ne maîtrise et qui a des effets directs sur l’augmentation des flux de déplacements. En intégrant les transports et l’urbanisme dans ses domaines de compétences juridiques, la cmm pourrait innover, choisir certaines options limitant l’usage de la voiture particulière et les flux pendulaires vers le centre-ville de Montréal qui très classiquement, et comme dans de très nombreuses métropoles, sont des déplacements de type domicile/travail. Cela pourrait passer par exemple par une politique de densification des banlieues et de relocalisation des activités économiques dans des pôles suburbains voire périurbains. Se pose alors la question du choix de la forme urbaine à privilégier pour répondre aux objectifs de « Kyoto ». Le modèle des Edge Cities (Joel Garreau, 1991) tel qu’il s’est développé initialement aux États-Unis, c’est-à-dire des villes-centre qui perdent de leur centralité au profit de pôles urbains très puissants et attractifs situés en lointaine banlieue, n’est pas sans soulever certaines contradictions. D’une part, ce modèle ville peut être envisagé comme réducteur des déplacements pendulaires en rapprochant les espaces de résidence des lieux d’emploi. Cependant, les densités très faibles qui accompagnent ce type de morphologie urbaine favorisent l’usage de la voiture particulière et donc la production de ges. Tout cela reste néanmoins très intuitif. Les études sur la question manquent et on ne peut que souhaiter que dans un proche avenir des travaux apportent des éléments de réponse permettant d’analyser le lien entre forme urbaine, déplacements en voiture particulière et émission de ges. Il faut en tout cas poser la question de la régulation politique au niveau métropolitain de ce type de problématique.

Image3On se rend compte que la mise en œuvre du protocole de Kyoto va bien au-delà de mesures uniquement techniques mais qu’elle touche à la réorganisation même de la puissance publique et à la place des métropoles dans l’ordre politique interne des États. En effet, sans se risquer à un exercice de prospective trop hasardeux, on peut facilement avancer que, si l’on adopte le point de vue suggéré ici, c’est l’ensemble des relations entre les différents niveaux de gouvernement qui seraient affectées par une telle réorganisation. Les gouvernements locaux (communes, municipalités, …) accepteraient-ils l’émergence d’un échelon politique métropolitain puissant, leur imposant des politiques au nom de l’intérêt général et des objectifs fixés par « Kyoto » ? Les gouvernements régionaux (régions, Provinces, Cantons, Länder, …) supporteraient-ils de voir se constituer des métropoles politiquement fortes et potentiellement concurrentes ? Même question pour les États et ce, d’autant plus en Europe, car historiquement les États européens se sont construits à partir de la période moderne contre le pouvoir des villes qui à l’époque étaient politiquement indépendantes.

D’autres questions se posent également, notamment celles touchant à la démocratie locale. La construction d’un niveau de gouvernement métropolitain puissant, doté de nouvelles compétences permettant une meilleure intégration des politiques sectorielles, donc répondant potentiellement aux objectifs de « Kyoto », conduit à s’interroger sur les risques de technocratisation, de limitation de la participation des citoyens aux choix collectifs alors que l’on sait déjà que la démocratie locale pose problème. Là aussi, se pose de nouveau la problématique de la gouvernance et de la nécessaire transparence des politiques publiques (Jouve et Booth, 2004).

Image4Lorsque l’on commence à développer toutes les questions induites par « Kyoto », on est donc interpellé par la multiplicité des questions qui se pose à nos sociétés, habituées à s’en remettre un peu trop facilement à la technique pour solutionner leurs problèmes. L’existence même de cet accord international atteste de l’essoufflement d’un mode de résolution des problèmes passant uniquement par des solutions techniques. Il est donc temps d’innover, d’inventer à la fois au niveau global et au niveau métropolitain pour mettre en place des institutions, des procédures, des mécanismes d’articulation entre ces deux espaces interdépendants. Il en est ainsi car l’un des principaux effets de la globalisation est précisément de renforcer la métropolisation, c’est-à-dire la constitution de vastes aires urbaines interconnectées entre elles à l’échelle globale et qui sont les lieux essentiels de production d’activités économiques, donc de richesses, mais aussi de nuisances environnementales (Allen Scott, 2001). C’est pourtant en agissant sur l’interface entre le niveau global et le niveau métropolitain que l’on peut espérer pouvoir maîtriser, en partie, le développement durable. C’est un des enjeux, et pas des moindres, de « Kyoto » car c’est l’ordre politique centré jusqu’à présent sur l’État-nation et le type de politique publique à mener à l’interface de l’urbanisme et des transports qui se trouve de fait au cœur de la problématique.

Abstract

Le développement durable constitue l’un des enjeux majeurs du siècle qui s’ouvre. La nécessité de réduire les coûts environnementaux liés aux activités humaines tout en permettant la production et la redistribution de richesses est devenue au cours des dix dernières années un véritable impératif. Ce dernier nous oblige à reconsidérer nos habitudes de consommation individuelle ...

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