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Figures de la mobilité.

Pierre Lannoy et Thierry Ramadier (dir.), La mobilité généralisée. Formes et valeurs de la mobilité quotidienne, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2007.

Image1À l’heure de la multiplication des déplacements de personnes, biens, capitaux et connaissances, la question de la mobilité au sein des sociétés modernes est plus que jamais d’actualité. L’ouvrage collectif intitulé La mobilité généralisée. Formes et valeurs de la mobilité quotidienne, et publié sous la direction de Pierre Lannoy et de Thierry Ramadier, vient apporter un éclairage pluridisciplinaire sur la mobilité quotidienne. Recueil de huit communications présentées au colloque « Auto-néo-éco-mobilités » organisé à Louvain-la-Neuve en 2005 et réparties en trois chapitres (i. La mobilité qui change le monde ; ii. Les individus aux prises avec la mobilité généralisée ; iii. Mobilités et mobilisations), l’ouvrage aborde la mobilité quotidienne en mobilisant différentes disciplines des sciences sociales pour comprendre ses manifestations contemporaines.

L’ensemble des contributions est précédé d’une intéressante introduction des coordinateurs, le sociologue Pierre Lannoy et le psychologue Thierry Ramadier. D’emblée, ils mettent l’accent sur la notion complexe et discutée (Allemand, Ascher et Lévy, 2004) de « mobilité généralisée » qui caractériserait les sociétés modernes. Une telle expression mérite bien une explication. Tout en refusant l’idée d’un monde totalement mobile, les auteurs précisent que « […] la mobilité peut être analysée comme un phénomène généralisé, et plus précisément encore que l’on peut parler aujourd’hui de mobilité généralisée » (p. 12). L’intention des directeurs de l’ouvrage, en sus d’une volonté d’avancée dans la théorisation de la mobilité, est de saisir les représentations, les formes et les enjeux de la mobilité dans un contexte de mise en mouvement généralisé de la société. L’ouvrage ambitionne dès lors de révéler en filigrane « […] les tensions et les pressions que la mobilité généralisée opère tant au niveau de l’individu que de la société ou de l’espace physique » (p. 19). Au regard de cette ambition, que retenir de cette lecture des différents travaux ?

L’évolution de la mobilité quotidienne.

D’abord, les contributions ― en particulier celles de Vincent Kaufmann et Marie-Hélène Vandersmissen ― rappellent de façon récurrente les évolutions contemporaines de la mobilité quotidienne. On retiendra, en synthèse, plusieurs faits marquants. D’abord, plus que par l’interaction sociale ou le budget-temps de transport, relativement constants, c’est par l’allongement des distances parcourues que les changements de mobilité urbaine se singularisent. Cette apparente stabilité des comportements dissimule cependant des évolutions différenciées. La structure des motifs s’est clairement modifiée, la baisse des motifs obligés (travail) étant compensée par la hausse des motifs privés (loisirs, affaires personnelles). Ensuite, les lieux de la mobilité quotidienne sont de plus en plus souvent périphériques au centre. Cette nouvelle géographie des flux, plus diversifiée mais aussi plus éclatée dans le temps, favorise l’utilisation de la voiture au détriment du transport public et de la marche. Derrière ces transformations de la mobilité quotidienne oeuvrent de profondes transformations de la société, comme le rappellent les différents chercheurs, qu’elles soient territoriales (étalement urbain), économiques (démocratisation de l’automobile), techniques (vitesse), politiques (investissement routier), structurelles (féminisation du travail, montée du chômage, allongement de la scolarité), psychologiques (accompagnement des enfants face aux divers « risques ») ou encore symboliques (représentation de la voiture dans l’imaginaire collectif). À ce titre, le sociologue Jean Rémy rappelle qu’il s’agit de bien comprendre les logiques à l’œuvre afin d’orienter efficacement les politiques publiques.

L’évolution récente de la mobilité est dans le même temps marquée, comme le rappellent conjointement Gabriel Dupuy et Vincent Kaufmann, par le développement des technologies de l’information et des télécommunications (tic). Cette nouvelle forme de mobilité ― virtuelle ― permet un élargissement des possibilités, un renforcement des échanges ainsi que le maintien de liens sociaux. En revanche, comme l’explique Gabriel Dupuy dans Les nouveaux travaux d’Hercule, il n’y a pas substitution mais complémentarité entre les déplacements et les télécommunications (téléphone, internet, e-mail…). La multiplication des échanges immatériels ne se traduit donc pas par une réduction des déplacements physiques ― le face-à-face reste indispensable ― mais contribue au contraire à leur croissance.

Mobilité généralisée et pratiques effectives quotidiennes.

Ensuite, il ressort des écrits de Jean Rémy, Marie-Hélène Vandersmissen ou encore Sandrine Depeau que l’entrée dans l’ère de la mobilité généralisée, aussi structurante soit-elle, n’est pas plus synonyme d’une forte explosion, au quotidien, des déplacements physiques des individus, que de la « fin des territoires » ou encore de la disparition de certaines routines (se rendre au travail, accompagner ses enfants à l’école…). Autrement dit, l’idée reçue selon laquelle le monde moderne serait totalement mobile doit être relativisée à la lecture des contributions de l’ouvrage. Elles révèlent en effet que des contraintes fortes (économique, culturelle, sociale, physique…) continuent d’agir, malgré tout, au quotidien sur les comportements de déplacements. Ainsi, les auteurs mettent en lumière davantage une restructuration des conditions et des formes de la mobilité quotidienne, en termes géographique, technique, économique, psychologique… qu’un accroissement continu des déplacements physiques des individus qui s’affranchiraient totalement des territoires et des temps sociaux. Dans sa réflexion intitulée De l’automobilisme à l’automobilité, Jean Rémy rappelle que la mobilité quotidienne s’organise d’abord à partir du logement, « lieu fédérateur » (p. 34), vers des lieux de plus ou moins grande proximité aboutissant à une pratique en archipel des territoires. L’ancrage territorial des individus existe toujours. De la sorte, la mobilité journalière ne se libère pas complètement des distances, comme le révèle également l’étude sur la distance domicile-travail dans l’aire métropolitaine de Québec de Marie-Hélène Vandersmissen. Ainsi, si l’amélioration des conditions de la mobilité individuelle offre de plus larges opportunités (pour trouver un logement, accéder à un emploi, s’insérer socialement…), elle ne saurait signifier l’effacement des distances et donc des territoires.

Si l’entrée dans l’ère de la mobilité généralisée n’aboutit pas à une déterritorialisation des individus, la lecture de la recherche De l’immobilisme à l’automobilisme : les enfants face à la mobilité de Sandrine Depeau révèle qu’elle n’est pas non plus synonyme au quotidien d’une « hypermobilité » spatiale pour tous. La psychologue fait le constat non seulement d’un immobilisme croissant des enfants mais aussi d’un accompagnement ― essentiellement en voiture ― plus systématique par les parents pendant les déplacements. Résultat, la mobilité quotidienne autonome des enfants ― appelée « auto-mobilité » ― se restreint alors qu’elle représente pour ceux-ci une expérience indispensable sur le plan cognitif (espace, environnement), social, émotionnel ou encore sanitaire.

En outre, ce qui retient également l’attention à la lecture des travaux est la question des inégalités de mobilité qui perdurent, voire se renforcent. Alors qu’être mobile est aujourd’hui indispensable ― Vincent Kaufmann évoque à juste titre un « impératif de mobilité » (p. 84) ― les capacités, les aptitudes, et donc les pratiques, entre individus restent « socialement discriminantes » (Amélie Daems, p. 103). Ainsi, le coût de transport, les compétences de mobilité ou encore les obligations d’activités restent, au quotidien, suffisamment discriminants pour différencier les mobilités. Les opportunités offertes par la vitesse et permises par les systèmes de transport rapides (voiture, télécommunications…) constituent un frein rédhibitoire à la socialisation de ceux qui ne peuvent y avoir accès. Cette réalité est soulignée par Gabriel Dupuy (p. 43) : « Au plan social, la fracture numérique comme la dépendance automobile fabriquent leurs lots de laissés pour compte. Dans les deux cas, transport et ntic, les mêmes logiques sont à l’œuvre facilitant à la fois la mobilité et créant la contrainte, donnant le choix et distillant la dépendance, proposant la commodité en même temps que le risque, engendrant tout à la fois l’universalité et l’exclusion ». Souvent souhaitée et valorisée, l’ouvrage rappelle que la mobilité peut être encore parfois aujourd’hui astreinte et problématique.

Les polémiques sur l’automobile.

En ambitionnant de problématiser les formes et les valeurs de la mobilité quotidienne dans ses manifestations contemporaines, l’ouvrage ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les pratiques, les représentations et les controverses autour de l’automobile. Et ce sont Jean Remy, Guillaume Courty et Benoît Lambert qui s’en chargent. Alors que l’essentiel des déplacements de la vie courante se fait en voiture, l’automobile se trouve aujourd’hui « […] au centre de nouvelles luttes politiques et sociales » (Courty, p. 95). Le paradoxe au cœur duquel se trouve l’automobile en ce début de 21e siècle est que, d’un côté, l’injonction à la mobilité rend son utilisation régulière (ou au moins sa possession) presque indispensable ― Gabriel Dupuy (re)parle de « dépendance automobile » (p. 41 ; Dupuy, 1999) ― de l’autre côté, elle est de plus en plus souvent montrée du doigt en raison des inconvénients (congestion, pollution…) qu’elle engendre. Si la politique du « tout automobile » a aujourd’hui fait long feu, l’organisation de la société moderne ― en particulier son individuation et ses territoires ― continue à dépendre d’une mobilité automobile, capable de fournir la capacité à être autonome. En outre, comme le rappelle Guillaume Courty dans L’automobilisme et l’État, « l’automobilisme est une croyance, encore largement intériorisé par des agents, en leur liberté individuelle d’aller et de venir alors qu’ils ne perçoivent pas à quel point elle est […] « conditionnée » […] et « conditionnelle » […] (p. 99). Plus loin, en anthropologue, Amélie Daems revient sur la représentation sous-jacente à l’utilisation de l’automobile par les individus : « Les choix en matière de modes de transport sont sous-tendus par des logiques porteuses de représentations. Le poids social et symbolique lié à l’utilisation d’un mode de transport en particulier, au-delà de la morphologie des territoires, oriente les décisions individuelles en la matière » (p. 108). Devant le rôle de l’automobile dans les sociétés contemporaines, Benoît Lambert tente d’éclairer le débat en termes de politique de transports. Dans la lignée de la thèse (radicale) d’Ivan Illich relative à la contre-productivité de l’automobile, le politologue va plus loin en affirmant que la voiture n’est plus systématiquement synonyme de rentabilité ou de croissance économique. Dès lors, dans un contexte de montée en puissance du concept de développement durable, quelles politiques de transports mettre en œuvre pour mettre fin à l’hégémonie automobile ? Si Gabriel Dupuy note trois défis ― « maîtriser les mobilités », « circonscrire les territoires », « gouverner les sociétés » (p. 42) ― Benoît Lambert est plus pragmatique ou moins ambitieux, c’est selon. Il propose, comme beaucoup d’autres avant lui, d’articuler les politiques de transport et d’urbanisme (densité, mixité…) mais également, à plus court terme, des solutions plus simples et peu coûteuses (vélo, autopartage), à l’image de ce qui se fait déjà dans d’autres pays européens (Suisse, Allemagne, Danemark).

Au final, plus qu’il ne propose un renouvellement des problématiques et des approches ― les questions soulevées ont déjà été abordées par d’autres chercheurs (Ascher 1995, Bourdin 2007, Orfeuil 2001, Orfeuil 2000, Urry 2005) ― le livre apporte une stimulante contribution à la connaissance des nouvelles formes et des enjeux actuels de la mobilité quotidienne. On pourra cependant regretter un décalage entre l’ambition théorique introductive et le contenu des contributions qui, aussi intéressant soit-il, n’a pas toujours vocation à répondre aux multiples questions soulevées dans le chapitre liminaire. Finalement, l’ouvrage s’adresse en priorité, voire même exclusivement, aux chercheurs, enseignants et étudiants en sciences sociales plutôt qu’aux décideurs et citoyens qui ne trouveraient pas dans les contributions, pas toujours faciles d’accès, réponses aux questions qu’ils peuvent se poser sur leur mobilité quotidienne.

Pierre Lannoy et Thierry Ramadier (dir.), La mobilité généralisée. Formes et valeurs de la mobilité quotidienne, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2007.

Abstract

À l’heure de la multiplication des déplacements de personnes, biens, capitaux et connaissances, la question de la mobilité au sein des sociétés modernes est plus que jamais d’actualité. L’ouvrage collectif intitulé La mobilité généralisée. Formes et valeurs de la mobilité quotidienne, et publié sous la direction de Pierre Lannoy et de Thierry Ramadier, vient apporter ...

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