Well, I’m livin’ in a foreign country but I’m bound to cross the line
Beauty walks a razor’s edge, someday I’ll make it mine
If I could only turn back the clock to when God and her were born
“Come in,” she said, “I’ll give you shelter from the storm”
Dylan Nobel ? Pas possible ?
Comment est-il possible qu’un rocker sur le déclin, un rocker qui a alterné entre le politiquement incorrect et la religiosité la plus confite, un rocker qui ne fait jamais un bis dans ses concerts… puisse se voir attribuer la même récompense que Thomas Mann, Doris Lessing ou Gabriel García Márquez ? Les jurés du Nobel sont ils devenus rock’n roll friendly ?
Trump président ? Pas possible ?
Comment est-il possible qu’un personnage inculte, vulgaire, macho, méprisant, vaguement truand quant à ses impôts, religieusement hypocrite avec son vice-président, Mike Pence… gagne les voix d’une majorité d’Américains ?
Et si c’était l’inverse ?
Dylan Nobel ? Enfin !
Enfin, selon le bon mot de Gainsbourg, « les arts mineurs enc… les arts majeurs ». Enfin le rock, la musique la plus universellement populaire au monde, est reconnue en tant qu’objet culturel digne de respect ! Enfin la poésie existe comme phénomène oral, toujours modifiée, en son et en sens, d’un concert à l’autre…
Les jurés du prix Nobel sont enfin devenus culturo-compatibles. Est-ce radicalement différent que de donner, autrefois, un prix Nobel à Selma Lagerlöf ou à Fréderic Mistral ?
Trump président ? Enfin !
Enfin, selon les vers tristes de Dylan, un président va redonner à l’Amérique la fierté d’être elle-même, indépendante des perversions étrangères et résolue à se battre au mieux sur le front du monde entier pour redonner à ses courageux entrepreneurs les récompenses que leur tâche ardue et continue mérite… Les électeurs américains sont devenus xénophobes et bigots. Est-ce une radicale nouveauté ? Qui avait élu Bush (es) ?
There’s an evenin’ haze settlin’ over town
Starlight by the edge of the creek
The buyin’ power of the proletariat’s gone down
Money’s gettin’ shallow and weak
Well, the place I love best is a sweet memory
It’s a new path that we trod
They say low wages are a reality
If we want to compete abroad
Meet me at the bottom, don’t lag behind
Bring me my boots and shoes
You can hang back or fight your best on the front line
Sing a little bit of these workingman’s blues
Dylan Nobel, c’est avant tout un événement clivant. Le monde de la littérature (à savoir la faible fraction de l’humanité qui lit plusieurs livres par an et se donne le droit de les juger en public) s’enchante ou s’indigne. Depuis le point de vue, plus large, des sciences de la société, ce clivage interne à un groupe social savant et restreint (les spécialistes de la littérature) pose un enjeu très intéressant. Dylan, en effet, n’a quasiment jamais écrit de livre (sinon quelque chose qui n’est pas inoubliable, Tarentula) et au sens propre du terme il n‘est pas un écrivain. Le prix Nobel de littérature peut-il être attribué à quelqu’un qui ne fait pas de littérature ? On pourrait aussi considérer que la littérature ne se réduit pas aux livres.
L’élection de Trump est un événement de séparation, comme si l’Amérique faisait sécession de la culture occidentale pour s’enfermer dans son grognement propre, à peine articulé, pas davantage pensé mais affirmé avec grandeur : Think Big. Tout est dit quand le gros est la norme absolue. La présidence peut-elle être occupée par un imbécile riche ? On pourrait aussi penser que la politique ne se réduit pas aux élections.
Autrefois, Dylan critiquait l’Amérique et ses certitudes divines (With God On Our Side), puis il a jugé utile d’encenser la religion (Every Grain Of Sand). Il a ensuite parlé des catastrophes climatiques (The Levee’s Gonna Break), puis il a annoncé qu’il sentait que tout allait changer (I Feel A Change Going On), et finalement il annonce clairement qu’il s’en fout complètement :
Big politician telling lies
Restaurant kitchen, all full of flies
Don’t make a bit of difference, don’t see why it should
But it’s all right, ’cause it’s all good
It’s all good
It’s all good
Prenons Dylan au sérieux pour comprendre l’élection de Trump. Osons penser que Trump est semblable à une mouche attirée par une pestilence quelconque, une ignominie liée à l’exercice du pouvoir, à l’autorité. Et demandons-nous : qui parmi les politiciens n’est pas, plus ou moins, une telle mouche ?
Effectivement, certaines mouches valent mieux que d’autres. Il reste que, comme dans la chanson qui parle de la tempête, comme dans l’allusion à ceux qui, depuis un autre pays, sont poussés à franchir la ligne, la politique n’est pas qu’une affaire de président, c’est aussi une affaire de citoyens. Peut-être, à cet égard, ne faut-il pas totalement désespérer de l’ensemble des citoyens américains et chanter avec eux :
“There must be some kind of way outta here”, said the joker to the thief
“There’s too much confusion, I can’t get no relief
Businessmen, they drink my wine, plowmen dig my earth
None of them along the line know what any of it is worth”
“No reason to get excited” the thief he kindly spoke
“There are many here among us who feel that life is but a joke
But you and I we’ve been through that, and this is not our fate
So let us not talk falsely now, the hour is getting late”