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Serendipity.

Dialogue des cultures ?

Image1En avril, Paris affichait l’exposition commerciale Africa Instinct sur ses arrêts de bus. Au même moment, on pouvait découvrir dans les stations du métro parisien le deuxième volet de la campagne de promotion du futur Musée du Quai Branly, le MQB pour les initiés : les photomontages de deux célèbres places parisiennes – la place Vendôme et la place de la République – , avec en lieu et place de la Colonne, et de la République, deux monumentales sculptures dont la provenance n’est pas précisée, mais qui relèvent assurément de ce que les médias nomment, en fonction de leurs inclinations politiques, idéologiques, ou de leur naïveté, « les chefs d’œuvres » d’arts « premiers », « primitifs », des « civilisations autres », des « cultures du monde », etc. La première campagne, conçue sur le même principe, montrait déjà sur la place Vendôme, une oeuvre d’origine péruvienne, un gantelet de culture Chimu en guise de colonne, et la place de la Concorde avec une statue de l’île de Pâques cachant l’obélisque. Cette fois-ci, les œuvres sont d’origine africaine et asiatique, mais il n’y a aucune indication sur la provenance des objets, ni sur l’affiche ni sur le site du musée. En harcelant le service de presse, on finit par apprendre qu’il s’agit d’une cloche têtière provenant d’un temple thaïlandais et d’un masque de chasse du Cameroun. Plus de détails et quelques indications sur l’âge des œuvres est vraiment trop demander.

Peu ou pas d’informations sur les objets et leurs producteurs [1] donc mais le dossier de presse affirme tout de même : « à travers cette campagne, Paris se transforme en écrin accueillant les cultures non occidentales, symbolisant ainsi la mission du musée du quai Branly, lieu de rencontre et de dialogue entre les cultures ». Effectivement, en ce sens, on peut dire que la campagne publicitaire est réussie : le voyageur du métropolitain ne se souvient pas de l’œuvre ou de l’objet ainsi mis en scène mais du caractère incongru de son installation dans un lieu familier. On peut rapprocher cette campagne de celle qui annonçait, en 2002, l’arrivée au Louvre des 100 chefs-d’œuvre de « l’art premier » : quelques objets sur fond neutre avec cette légende : « Je suis au Louvre ». A première vue, les campagnes s’opposent – fond neutre versus Paris historique – ; en fait, on trouve exactement la même volonté d’attirer le regard (c’est le métier du publicitaire) en installant dans un lieu légitime de la grande culture un objet qui ne l’est pas. Simplement, le Louvre n’a pas besoin d’image, son nom suffit.

Le MQB cherche pourtant à se démarquer du Louvre en affirmant vouloir une mise en scène susceptible de permettre à la fois d’accéder à la complexité des sociétés et des cultures autres, d’en comprendre le sens et d’en apprécier la beauté. Il ne faut pas préjuger de ce que sera ce nouveau musée, mais l’on ne peut que relever le problème des musées d’ethnographie, qui, conçus pour être des laboratoires, sont devenus de poussiéreuses vitrines de l’autre et du rapport que l’on entretient avec lui. L’alternative a été le musée d’art, où les formes sont figées dans un discours sur l’esthétique et l’art universel qui permet de se passer de tout élément de compréhension. C’est le côté chefs-d’œuvre du Louvre (Pavillon des Sessions). L’identité de l’autre devient lacunaire, l’objet n’est plus un élément d’une culture que l’on veut approcher, mais le témoin reflet d’une globalité avec laquelle il faudrait dialoguer.

Le sens de la campagne publicitaire est donné par l’astérisque blanc qui renvoie à cette assertion slogan : « les cultures sont faites pour dialoguer ». Mais que veut dire dialoguer ? Dialogue-t-on avec l’objet, les personnes, les idées sous-jacentes ? L’objet peut-il être une représentation d’une personne ou d’un groupe ? Le dossier de presse élaboré pour la première campagne, en décembre 2005, indiquait : « les prochaines phases mettront en scène des oeuvres d’autres continents et de nouveaux lieux parisiens. Ainsi les quatre continents seront à l’honneur et largement associés à l’ouverture, au mois de juin prochain, du musée du Quai Branly, musée des arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amériques. » On imagine que les quatre continents sont fiers d’avoir été associés à cette ouverture … Liesse sur la terre !!

« Les cultures sont faites pour dialoguer » ? L’objet présenté ici est un masque du continent africain, un masque plutôt terrifiant que l’on a dû choisir entre des milliers d’objets – il y en a plus de 350 000 au nouveau musée. Sans doute ceci témoignait-il de la volonté de conserver/valoriser une altérité qui apparaît radicale dans le cadre d’une architecture haussmannienne. Mais cela ne peut que renforcer un imaginaire du « primitif » et le caractère antagoniste de sa culture de production et de celle de son exposition. L’assertion se trouve donc en opposition avec ce que l’image donne à voir. Surtout, cette invitation au dialogue, que signifie-t-elle ? L’objet est-il représentatif d’une culture, dialogue-t-on avec les cultures ? Ou est l’individu dans tout ça ? Qui impose les règles du dialogue ? Si l’on veut un dialogue entre objets, entre cultures matérielles, il faudrait que ce soit au sein d’un même musée. Or le MQB ne concerne pas l’Europe. C’est donc un musée non-occidental ? Non puisque la Chine et le Japon « civilisé » sont à Guimet, comme l’Afrique de l’Égypte des pharaons reste au Louvre. Qu’est alors le MQB, sinon un musée primitif déguisé ? On peut alors comprendre les difficultés à nommer ce musée, tout en admettant qu’il est le fruit de nos histoires, celle de la colonisation, celle de l’ethnographie et celle de l’histoire de l’art. Car lorsque l’on plante place de la Concorde une statue de l’Ile de paques, cela nous parle aussi de notre histoire coloniale, celle de l’obélisque rapportée pendant les campagnes napoléoniennes, qui parce qu’effacée, redevient visible.

Soit. Mais un dialogue sans les hommes, qu’est-ce à dire ? Les cultures peuvent-elles se réduirent aux cultures matérielles, les représentations de l’autre à des objets de musée ? Et même si l’on ne s’intéresse qu’aux objets – le dialogue étant un prétexte – , peut-on oublier qu’un objet ne fait sens qu’à l’intérieur des relations qui l’unissent aux personnes qui le produisent et l’utilisent, par rapport aux autres objets et dans un certain contexte ? Là encore, il faudra bien laisser une place aux humains, non pas seulement aux badauds arrêtés que l’on distingue sur la photo ! Ou alors la campagne publicitaire prend acte du fait que le MQB ne sera en rien un musée sur les cultures autres, mais bien plutôt une galerie d’art éminemment influente sur le marché de « l’art primitif ».

Est-ce que l’on ne pourrait pas enfin imaginer un dialogue avec les habitants des pays concernés, avec leurs ressortissants installés en France ? Et si cela avait lieu, est-ce qu’il serait possible que cela devienne dicible, même dans une campagne publicitaire ? Malheureusement, l’actualité ne laisse pas présager une telle utopie. En effet, peut-on encore parler de dialogue des cultures dans un pays où l’on considère que des enfants qui parlent leur langue d’origine en sus du français n’ont rien à faire dans la République ?

Cependant, avant d’être dicible et discursif un musée est à voir, à visiter, les objets à regarder. Espérons alors que le 23 juin 2006, lors de l’ouverture du MQB, ce qui sera offert aux regards suscitera la parole de chacun en vue d’un dialogue.

NB : Que faire avec ce musée ? Aller saluer nos objets préférés si longtemps restés loin des yeux. Et puis créer le réseau du MQB pour parrainer des personnes sans papiers. Une personne par objet par exemple, cela fait 350 000 personnes…

Photo : Blandine Ripert, 2006.

Abstract

En avril, Paris affichait l’exposition commerciale Africa Instinct sur ses arrêts de bus. Au même moment, on pouvait découvrir dans les stations du métro parisien le deuxième volet de la campagne de promotion du futur Musée du Quai Branly, le MQB pour les initiés : les photomontages de deux célèbres places parisiennes – la place ...

Bibliography

Notes

[1] De ce point de vue, la page qui s’adresse à la presse est un modèle du genre : les personnalités du musée (toutes occidentales) ont leurs noms sous une photo, on trouve également une photo de rideaux contemporains légendée : « Rideaux du musée, concept de Naoki Takizawa pour Issey Miyake ». Pour les autres photos, pas de d’indications sur les individus présents ou absents à l’image : la photo d’une main en train de dessiner est légendée « art aborigène », la photo de l’installation d’un poteau central de maison Paiwan (Taiwan) « œuvre Paiwan », et, surtout, on a omis de légender la photo d’un groupe d’indiens (d’Amazonie). La seule mention est le copyright « Musée du quai Branly, 2005 ».

Authors

Saskia Cousin

Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université François-Rabelais (Iut de Tours), où elle enseigne l’épistémologie, l’anthropologie des sciences et la sociologie de la culture. Docteure en Anthropologie sociale, membre du Laios (Paris) et membre associée de Citeres (Tours), elle développe une anthropologie du tourisme centrée sur l’analyse des institutions et des politiques de tourisme culturel. Elle a enquêté sur plusieurs terrains et corpus en s’intéressant à l’articulation des discours et des actions touristiques à plusieurs échelles : village, petite ville, ministère français, Conseil de l’Europe et Unesco. Actuellement, elle met en place un groupe de recherche sur le tourisme et prépare une enquête sur les institutions touristiques franciliennes. Dernier article scientifique paru : « Le tourisme culturel exposé au Salon », Ethnologie française, 2005, 1, pp. 55-62.

Galia Tapiero

Doctorante en anthropologie à l’Ehess sous la direction de Jean-Loup Amselle, elle travaille dans le cadre d’une anthropologie de l’objet, plus particulièrement les objets qui sont donnés à voir, et d’une réflexion sur la muséographie et la fabrication de « l’objet de musée » comme objet de savoir. Diplômée en histoire de l’art, elle a également été responsable d’une galerie d’art contemporain à Paris et poursuit actuellement une activité éditoriale destinée aux enfants.

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