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Serendipity.

Des trottoirs à Manille.

Image1Image2On pourrait bien sûr montrer d’abord cette photographie, et si on ne le faisait pas, on nous le reprocherait, en partie à raison. Cela existe et c’est un bidonville comme on l’imagine. Des constructions précaires en matériaux de récupération, il y en a à Manille, mais ce n’est pas la majorité des quartiers informels. L’essentiel du quartier de Tondo, le plus grand et le plus connu des slums de la capitale des Philippines ressemble plutôt à cette deuxième photo. Il s’agit d’autoconstructions composites, ouvrant des possibilités d’amélioration progressives, que des politiques publiques urbaines ont d’ailleurs encouragées depuis plusieurs années.

Image3Lorsque je m’y trouvais, en juillet 2006, j’ai été impressionné par la qualité de la vie urbaine et notamment des espaces publics, fonctionnant en partie comme extension semi-privative des minuscules logis des résidants, mais aussi comme lieux de sociabilité actifs, dans lesquels l’arrivée d’un étranger au quartier est, pour les habitants, bien plus une bonne surprise gentiment fêtée qu’une gêne. Les bidonvilles stricto sensu, on les trouve plutôt sur les marges de ces quartiers, ou carrément en dehors, le long des rivières ou des voies ferrées. Je découvris celui de la première photo à la tombée de la nuit, vaguement inquiété par les réminiscences d’avertissements lus ou entendus sur le niveau de violence à Manille, tout particulièrement dans ce quartier. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me fis aborder par des lycéennes joyeuses et déterminées, parlant un bon anglais, et qui voulaient absolument me filmer (elles avaient une caméra vidéo) en m’interrogeant sur les problèmes de la société philippine, dans le cadre de la préparation d’un exposé pour leur cours de social studies. Je balbutiai quelques généralités sur le développement, l’importance du projet, la place des acteurs, la force du partage et de la solidarité… Les lycéennes ne semblaient pas spécialement surprises ni impressionnées. Sur le trottoir, face à la rivière et à son bidonville, elles étaient tout simplement en train de faire des sciences sociales.

Image4Après les avoir quittées, je tombais sur un magasin d’apparence modeste qui portait le titre, à double sens, pensai-je, de Screw Kingdom. J’y fus accueilli par de très jeunes employés qui me sortirent d’un mauvais pas. Dès le début de mon voyage, j’avais constaté que le sac à dos que j’avais acheté en Europe, juste avant mon départ, avait perdu les deux vis qui fixaient l’une des bretelles. Et comment arpenter les rues du Monde avec un sac à dos inutilisable ? À Tahiti, j’avais trouvé une clé Allen qui avait rendu possible un bricolage fragile : il y avait désormais une seule vis à chaque bretelle. Je n’avais trouvé de solution durable ni à Rapa Nui, ni à Manihi, ni à Rarotonga, ce qui pouvait se comprendre, mais pas non plus dans les opulentes Taipeh et Séoul, où la serendipity n’avait pas suffi à me faire pénétrer dans les antennes locales du Royaume de la Vis. …Et voilà que la pauvre Manille m’offrait le concours de ces adolescents experts qui s’affairaient dans leur réserve pour finalement trouver les deux vis libératrices. Comme je n’avais pas de monnaie, on m’en fit cadeau.

Du strict point de vue de l’urbanité, ce fut, en somme, une journée réussie.

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On pourrait bien sûr montrer d’abord cette photographie, et si on ne le faisait pas, on nous le reprocherait, en partie à raison. Cela existe et c’est un bidonville comme on l’imagine. Des constructions précaires en matériaux de récupération, il y en a à Manille, mais ce n’est pas la majorité des quartiers informels. L’essentiel ...

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Jacques Lévy

Professeur de géographie et d’aménagement de l’espace à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, directeur du laboratoire Chôros et de l’Institut du développement territorial (Inter), il est aussi professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il travaille sur la ville et l’urbanité, la géographie politique, l’Europe et la mondialisation, les théories de l’espace des sociétés, l’épistémologie de la géographie et des sciences sociales. Il a notamment publié Géographies du politique (dir.), 1991 ; Le monde : espaces et systèmes, 1992, avec Marie-Françoise Durand et Denis Retaillé ; L’espace légitime, 1994 ; Egogéographies, 1995 ; Le monde pour Cité, 1996 ; Europe : une géographie, 1997 ; Le tournant géographique, 1999 ; Logiques de l’espace, esprit des lieux (dir.), 2000, avec Michel Lussault ; From Geopolitics to Global Politics (ed.), 2001 ; Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (dir.), 2003, avec Michel Lussault ; Les sens du mouvement (dir.), 2005, avec Sylvain Allemand et François Ascher. Il est le coordinateur des rédactions d’EspacesTemps.

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