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Serendipity.

Des rythmes et des chronotopes

Illustration : Bassin de la Villette, Paris, Ă©tĂ© 2018 (ph. Piero Zanini)

Nous proposons ici de discuter la question du rythme en gĂ©nĂ©ral, et des rythmes urbains et mĂ©tropolitains en particulier, Ă  partir d’une approche anthropologique de l’expĂ©rience du temps qui, c’est notre thĂšse, dans son aspect existentiel (Adam 1990) se rĂ©vĂšle ĂȘtre chronotopique.

Ce dĂ©tour par l’approche conjointe de l’espace et du temps de la question du/des rythme/s, que nous appelons chronotopique, nous paraĂźt nĂ©cessaire pour diffĂ©rentes raisons. D’abord, pour assumer l’indissolubilitĂ© du lien entre spatialitĂ©s et temporalitĂ©s dans nos expĂ©riences et pratiques de vie (Guez Biase de, Gatta, Zanini 2018 ; Guez 2019). Ensuite, parce que la question des rythmes de vie et de ville Ă©merge par le terrain, sur le plan de l’assise urbaine et territoriale et sur celui des expĂ©riences et pratiques habitantes, comme une des dimensions temporelles de l’habiter mĂ©tropolitain, sans pour autant s’y rĂ©duire. Ainsi, la dimension rythmique, ne serait qu’une composante d’une plus complexe articulation de temporalitĂ©s, allant de la vie quotidienne Ă  l’histoire collective en passant par les biographies individuelles, et c’est dans cette perspective qu’il nous semble intĂ©ressant de l’explorer. En ce sens, la lisibilitĂ© de la dimension rythmique d’un phĂ©nomĂšne dĂ©pendrait Ă  la fois de l’étendue de celui-ci et de la position temporelle Ă  partir de laquelle nous l’observons, sans pour autant que la signification qu’on lui donne soit forcĂ©ment de nature exclusivement rythmique. Il y a donc une question d’étendue, de position d’observation et d’échelle, Ă  prendre en compte dans l’apprĂ©hension des rythmes de ville et de l’habiter.

Cette rĂ©flexion naĂźt et s’élabore Ă  l’intĂ©rieur d’un contexte prĂ©cis, celui d’une recherche intitulĂ©e Exploration chronotopique d’un territoire parisien (Ectp) [1] financĂ©e par la Ville de Paris (programme Paris 2030), au cours de laquelle l’équipe du Laboratoire Architecture Anthropologie (Laa/UMR LAVUE 7218 CNRS), s’est aussi engagĂ©e dans une rĂ©interprĂ©tation temporelle d’autres enquĂȘtes ethnographiques que le Laa a rĂ©alisĂ©es depuis 2005 sur la mĂ©tropole parisienne. La recherche Ectp avait pour objectif de prĂ©ciser comment se dĂ©ploient les temporalitĂ©s propres Ă  l’expĂ©rience habitante. À travers une dĂ©marche anthropologique et un travail cartographique menĂ©s sur une « tranche » de territoire de l’est parisien, il s’agissait de s’affranchir de catĂ©gories temporelles a priori, pour mieux dĂ©couvrir comment celles-ci sont construites par les diffĂ©rents acteurs et habitants dans leurs pratiques et expĂ©riences. L’ambition Ă©tait Ă©galement de prĂ©ciser les contours d’une approche chronotopique, tant d’un point de vue conceptuel que descriptif.

Construire une position d’observation.

Lors de l’élaboration de ce projet de recherche, nous avons proposĂ© d’aborder la question des temps urbains, non pas en isolant des moments particuliers, comme cela a pu ĂȘtre fait dans de prĂ©cĂ©dentes Ă©tudes et recherches, [2] mais plutĂŽt en l’assumant comme une totalitĂ© Ă  l’intĂ©rieur de laquelle des « lieux/moments Â» particuliers peuvent Ă©merger et prendre une consistance, tant sur le plan individuel que collectif, par et en fonction aussi des parcours de vie, des Ăąges, ou encore des pratiques professionnelles, de diffĂ©rents profils d’habitants. L’hypothĂšse avancĂ©e Ă©tait que dans le passage d’une approche par « moments Â», ou par pĂ©riodes, Ă  une approche centrĂ©e sur la pratique et l’expĂ©rience des « lieux Â» saisis sur plusieurs moments, s’ouvrait la possibilitĂ© d’explorer simultanĂ©ment la tension existant entre les structures chronotopiques stables et les configurations momentanĂ©es, les deux participant ensemble Ă  modeler l’existence dans tout lieu habitĂ©. En ce sens, l’objectif n’a pas Ă©tĂ© seulement d’explorer la complexitĂ© des agencements spatio-temporels (Bonfiglioli, Mareggi, 1997; Bossi, Moroni, Poli, 2010 ; Drevon, Gwiazdzinski, Klein, 2017) des espaces publics parisiens, en comprenant et en explicitant leurs articulations et variations journaliĂšres, hebdomadaires et saisonniĂšres, mais aussi celui d’essayer d’interprĂ©ter la ville comme un espace-temps, ou un ensemble d’espace-temps, qui, dans leurs formes urbaines aussi, engendrent une complexe articulation de diffĂ©rents modes de vie urbains et de leurs possibles cohabitations (en termes de compromis, potentiels conflits, rĂ©gulations horaires et calendaires, ruses habitantes, savoir-faire, etc.).

L’exigence de saisir, exprimer et travailler les significations associĂ©es aux diffĂ©rents agencements chronotopiques, soient-elles individuelles et/ou collectives, nous a poussĂ© Ă  interroger plus particuliĂšrement les formes par lesquelles se constituerait aujourd’hui l’expĂ©rience du temps dans une mĂ©tropole comme Paris. De ce point de vue, la capitale française nous semble constituer – au quotidien, ainsi que par les signes, les permanences, et les projets qui en anticipent et dessinent l’avenir – un espace d’expĂ©rience du temps intĂ©ressant et singulier, tant du point de vue symbolique, que fonctionnel ou encore sensible.

Articuler espace et temps.

Si une approche des temps s’inscrit depuis plusieurs dĂ©cennies dans diffĂ©rentes traditions disciplinaires, que ce soit en science politique, gĂ©ographie, anthropologie, sociologie, histoire, philosophie, ou encore en prospective, l’articulation entre spatialitĂ© et temporalitĂ©, en contexte urbain comme extra-urbain, est moins explorĂ©e et plusieurs questions restent ouvertes : comment apprĂ©hender les dimensions temporelles des lieux habitĂ©s ? Comment articuler, et reprĂ©senter conjointement, les dimensions temporelles et spatiales ? À quelle Ă©chelle, ou ensemble d’échelles, les travailler ?

Dans l’Exploration chronotopique d’un territoire parisien, nous avons commencĂ© Ă  travailler ces questions sur un transect nord-sud traversant l’est parisien, et plus particuliĂšrement en termes d’ethnographie, le secteur compris entre la Porte de la Villette et Belleville. Le transect mĂ©tropolitain sĂ©lectionnĂ©, de 13 km sur de 1,3 km de large, se dĂ©veloppe de la porte d’Aubervilliers au Nord, Ă  Ivry-sur-Seine au Sud. Il correspond Ă  un secteur qui a connu des transformations urbaines majeures au cours de ces vingt derniĂšres annĂ©es.

Les caractĂ©ristiques spatio-temporelles des secteurs traversĂ©s sont intimement liĂ©es aux activitĂ©s et pratiques qu’ils accueillent, sans pour autant s’y rĂ©duire. Ces activitĂ©s participent Ă  construire des rythmes d’usage des espaces bĂątis et des espaces publics dont les configurations et usages varient entre le jour et la nuit, la semaine et le week-end et au cours des saisons. À ces rythmes rĂ©guliers s’ajoutent des moments singuliers comme ceux structurĂ©s par des pĂŽles Ă©vĂ©nementiels tel le Palais Omnisports de Paris-Bercy dont le calendrier construit de fortes intensitĂ©s momentanĂ©es en contraste avec sa quotidiennetĂ©.

Les opĂ©rations de transformations urbaines en cours ajoutent Ă  ces rythmes et Ă  ces moments d’usages d’autres cadences et Ă©tendues temporelles. Entre les projets rĂ©cemment achevĂ©s, ceux en cours et ceux Ă  venir, ces espaces reprĂ©sentent un Ă©chantillon des diffĂ©rentes transformations dans la capitale depuis les annĂ©es quatre-vingt. Des secteurs en mutation comme le Grand projet de renouvellement urbain Paris Nord Est et Paris Rive Gauche, influencent la perception temporelle des espaces en les projetant vers un futur plus ou moins lointain et en crĂ©ant des temps de suspension qui persistent aussi aprĂšs l’achĂšvement d’un projet. Les projets urbains imposent donc un horizon singulier qui s’articule pour autant, en termes d’expĂ©rience habitante, avec le quotidien. Le choix d’un transect, relativement abstrait, a Ă©tĂ© fait afin d’éviter une dĂ©limitation a priori et permettre de faire Ă©merger de l’enquĂȘte des indicateurs significatifs en termes d’expĂ©riences et de pratiques, Ă  partir desquels identifier potentiellement des aires mĂ©tropolitaines distinctes.

L’hypothĂšse avancĂ©e dans l’enquĂȘte ethnographique, est que questionner les modalitĂ©s par lesquelles les habitants qualifient, d’un point de vue temporel, leur vĂ©cu, permettrait de faire apparaĂźtre un ensemble d’articulations spatio-temporelles significatives. Ces articulations peuvent nous aider Ă  mieux comprendre non seulement la relation existante entre les dynamiques temporelles du territoire Ă©tudiĂ© et leur influence sur la vie de ceux qui le pratiquent, mais aussi les « ruses Â» temporelles et le rĂŽle qu’elles jouent dans ce qui fait la constitution d’une expĂ©rience urbaine individuelle et/ou collective.

DĂ©ployer le quotidien.

L’approche anthropologique Ă  la base de cette recherche a permis de saisir, d’interroger et de mettre en avant la dimension du quotidien comme « un mode de temporalisation Â» qui « n’est pas sĂ©parĂ© de la formation spatiale et causale Â» (BĂ©gout 2005, p. 451-452) dans lequel il s’inscrit et qui participe Ă  le structurer, sans pour autant s’y rĂ©duire. Par sa rĂ©pĂ©tition mĂȘme, mais une rĂ©pĂ©tition qui s’ouvre constamment Ă  la variation (Adam 1990), le quotidien consolide au jour le jour l’expĂ©rience du lieu que l’on habite. Tout en faisant en mĂȘme temps ressortir, par contraste, ce qui, Ă  un certain moment, relĂšve, ou peut ĂȘtre perçu comme de l’ordre de l’extraordinaire.

Ce que nous dĂ©finissons ici Ă  travers le terme d’« expĂ©rience Â» est apprĂ©hendĂ© Ă  travers le rĂ©cit capable de rendre compte de la trame chronotopique du vĂ©cu de quelqu’un, rĂ©sident ou habitant temporaire, Ă  travers le dĂ©ploiement de ses reprĂ©sentations et pratiques signifiantes. En ce sens, l’expĂ©rience ne se constitue pas seulement par les actions, mais aussi Ă  travers les sentiments et les attentes dont on peut avoir conscience et qui sont Ă©galement vĂ©cus Ă  travers des images et des impressions (Turner et Bruner, 1986).

A travers nos enquĂȘtes, le quotidien s’est dĂ©ployĂ© non seulement en termes d’organisations, de rituels et de routines rythmant la vie Ă  l’échelle du jour, de la semaine ou de l’annĂ©e, mais aussi en intĂ©grant, au prĂ©sent, les horizons passĂ©s et futurs participant Ă  façonner l’expĂ©rience et les pratiques de l’espace.

Comment se constitue, alors, l’expĂ©rience du temps dans une ville comme Paris ? À travers quels lieux/moments prend-t-elle consistance dans, et s’articule-t-elle avec, le quotidien des habitants? Comment pourrait-elle ĂȘtre qualifiĂ©e ? Et, encore, de quelle maniĂšre questionne-t-elle l’idĂ©e d’espace public et sa pratique ?

Approcher la dimension temporelle de l’habiter Ă  partir de la connaissance et de la pratique que nos interlocuteurs ont du « quartier Â» (en tant qu’unitĂ© non prĂ©dĂ©finie a priori) qu’ils frĂ©quentent parce qu’ils y habitent ou parce qu’ils y travaillent, s’est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre un cheminement intĂ©ressant. Si d’une part, cette approche a laissĂ© Ă  chaque interlocuteur la libertĂ© de choisir le registre d’interprĂ©tation de son expĂ©rience d’habitant qui lui convenait, d’autre part elle l’a souvent poussĂ© Ă  mobiliser dans son rĂ©cit une dĂ©marche comparative trĂšs riche – entre « quartier Â», entre villes, entre diffĂ©rentes pĂ©riodes de sa propre biographie, etc.. Le choix des interlocuteurs s’est fait Ă  partir de leur signifiance par rapport Ă  l’objectif de la recherche plutĂŽt que sur leur reprĂ©sentativitĂ© [3] (de Biase, Meron, Rossi, 2005). Pour ce faire nous avons Ă©tabli un ensemble de critĂšres afin de constituer un panel significatif d’interlocuteurs nous permettant d’enquĂȘter sur diffĂ©rentes modalitĂ©s temporelles de pratiquer la ville. Des diffĂ©rences structurantes ont Ă©tĂ© recherchĂ©es parmi les interlocuteurs tel le fait de travailler selon des horaires standards (9h-17h), atypiques (par exemple, tĂŽt le matin et/ou tard le soir) ou irrĂ©guliers, ou encore le fait de ne pas avoir de contraintes temporelles particuliĂšres (travailleurs indĂ©pendants, chĂŽmeurs, retraitĂ©s), ou plutĂŽt d’ĂȘtre liĂ© Ă  des activitĂ©s « saisonniĂšres » ou « temporaires ». Progressivement s’est constituĂ© un groupe d’interlocuteurs de diffĂ©rents Ăąges, sexes, situation familiale, sociale, ou encore professionnelle, au sein duquel nous avons choisi les dix-huit personnes Ă  la fois pour leur disponibilitĂ© et pour leur intĂ©rĂȘt pour les thĂ©matiques de la recherche ainsi que pour leur distribution spatiale Ă  l’intĂ©rieur d’une aire circonscrite (3 km de long) du pĂ©rimĂštre d’étude. Bien que chacun de nos “tĂ©moins” soit liĂ© Ă  un lieu spĂ©cifique de rĂ©sidence et/ou de travail, ils sont tous aussi porteurs d’une expĂ©rience qui – selon les diffĂ©rentes trajectoires individuelles – dĂ©passe Ă©videmment le cadre spatial de l’enquĂȘte et mobilise d’autres Ă©chelles et rĂ©fĂ©rences spatiales et temporelles.

Appréhender les perceptions du temps urbain.

A travers les rĂ©cits recueillis est apparu un ensemble d’élĂ©ments capables de caractĂ©riser, qualifier et donner corps aux modalitĂ©s concrĂštes et/ou sensibles Ă  partir desquelles une expĂ©rience du temps prend forme et se dĂ©ploie dans l’espace urbain. La trame chronotopique sous-jacente Ă  cette expĂ©rience, s’est constituĂ©e en lien avec : la fonction structurante de certaines temporalitĂ©s ; la façon dont chacun de nous mĂ©nage son propre temps ; la question de la proximitĂ© (la proximitĂ© temporelle se substituant la plupart du temps Ă  la proximitĂ© physique) ; la fonction de repĂšre jouĂ©e par certains espace-temps et balises ; la dimension temporelle de la transformation urbaine. Cette trame chronotopique s’appuie sur des dĂ©coupages horaires et calendaires, des lieux et des moments spĂ©cifiques, des fonctions et des chronotypes, [4] ou en identifiant des routines et des pĂ©riodes/cycles, des ambiances et des « matiĂšres Â» temporelles particuliĂšres ou, encore, en mobilisant des stratĂ©gies, des modes de qualification, etc.

Nous avons pu prĂ©ciser les contours chronotopiques de cette expĂ©rience et de ces pratiques en relisant plusieurs enquĂȘtes menĂ©es au cours des quinze derniĂšres annĂ©es par le Laa [5] sur la mĂ©tropole parisienne, oĂč la dimension temporelle, tout en n’étant pas toujours centrale, apparaĂźt cependant comme Ă©tant significative. Ce qui apparaĂźt systĂ©matiquement de ce corpus ethnographique est justement, l’impossibilitĂ© de dissocier en termes hermĂ©neutiques les dimensions spatiales de celles temporelles. MalgrĂ© la diversitĂ© des objets des recherches analysĂ©es, l’interprĂ©tation chronotopique de ces matĂ©riaux fait clairement apparaĂźtre un ensemble de questions rĂ©currentes, indicatives pour mieux comprendre la constitution, sur des bases concrĂštes, de l’expĂ©rience du temps dans le contexte mĂ©tropolitain parisien. Ces questions rĂ©currentes peuvent ĂȘtre provisoirement regroupĂ©es autour de quatre catĂ©gories.

La premiĂšre catĂ©gorie est celle des « accords Â» que chacun de nous met en Ɠuvre au quotidien pour adapter et agencer un mode de vie souhaitĂ© aux possibilitĂ©s et aux contraintes qui dĂ©finissent l’environnement mĂ©tropolitain dans lequel il habite.

Ce qui est particulier c’est que… on juge beaucoup par rapport à ce qu’on avait avant. On vient de dĂ©mĂ©nager et c’est marrant parce que rue du faubourg PoissonniĂšre, c’est un quartier qui a beaucoup Ă©voluĂ©, parce qu’entre le moment où l’on est arrivé et le moment où l’on est parti ça a basculé d’un quartier où il y avait surtout des gens qui travaillaient le textile, le cuir, et sortaient peu pour manger le midi, à un quartier qui est devenu trĂšs agences d’architectes, de design, où tout le monde sort à midi pour manger, et tous les lieux de restauration nouveaux qui sont arrivĂ©es, et c’est devenu une rue un peu laboratoire de nouvelles pratiques culinaires. […] Et ici [rue de l’Ourcq, cĂŽtĂ© Flandre, le truc qui nous a tous… c’était une dĂ©ception les premiers temps, parce qu’il n’y avait pas le choix. […] Ce qui est Ă©tonnant [maintenant] c’est qu’on a l’impression que c’est en train de se modifier, par une espĂšce de remontĂ©e le long du canal. [Paul, Exploration chronotopique d’un territoire parisien, 2015-2018]

Cette quĂȘte d’accords apparaĂźt comme une constante dans les tĂ©moignages recueillis, et elle implique aussi des stratĂ©gies de migrations intra-mĂ©tropolitaines pour rechercher des environnements cohĂ©rents avec des pratiques familiales, sociales ou professionnelles qui peuvent varier au cours d’une vie et engendrer des dĂ©mĂ©nagements successifs en rĂ©action aux Ă©volutions personnelles, mais aussi de l’environnement urbain. A travers ces parcours Ă©merge Ă©galement, en creux, une ville idĂ©alisĂ©e, recherchĂ©e dans les possibilitĂ©s variĂ©es qu’offre une ville comme Paris.

Une deuxiĂšme catĂ©gorie est celle des « promesses Â» liĂ©es aux transformations imaginĂ©es, souhaitĂ©es ou, encore, Ă  l’oeuvre, sur un territoire, et de l’Ă©cart qui peut s’ouvrir sur le plan du vĂ©cu quotidien entre l’horizon d’un projet Ă  venir et l’entre-temps de sa rĂ©alisation (Guez, 2008 ; Guez 2010)

Au dĂ©part, dĂšs 1983, on avait dit qu’il y a des travaux d’urgence, mais on commence tout de suite la rĂ©habilitation lourde [de l’immeuble] Villon […], il faut tenir tous les termes, l’urgence mais en mĂȘme temps montrer aux gens que ce n’est pas ça qu’on veut faire, ce n’est pas le projet d’urgence, c’est Villon, c’est la rĂ©habilitation lourde, on dĂ©sosse les façades, on rattache au logement l’espace extĂ©rieur qu’il n’y avait pas, on en profite pour agrandir les cuisines, c’est la nouvelle peau en brique, peu importe. C’était la « cité couscous Â», ça devenait « couscous royal Â», c’est les gens qui l’ont dit. On voulait Ă©viter l’opĂ©ration « rouge à lĂšvre et bas rĂ©silles Â» : on fait les devants de porte et on s’en va. Donc, il faut faire des opĂ©rations exemplaires et garder un rythme soutenu. Entre les travaux d’urgence où il fallait aller vite parce que Mitterrand Ă©tait venu en hĂ©licoptĂšre… et la rĂ©habilitation lourde de Villon, je crois que c’est en 1987 que ça a commencé. Alors j’ai fait les photos de tous les halls qu’on avait refaits et qui Ă©taient cassĂ©s à nouveau. Effectivement, les gens ne comprenaient pas, on a annoncé un grand projet, puis on fait un petit mĂ©nage et puis on s’en va. Mais c’est vrai que tout ça, ça prend du temps, c’est des projets qui sont longs à mettre en Ɠuvre. Les rĂ©-logements… ce n’est pas facile. On a dĂ©moli Renoir en 2000 et il n’y a encore personne, en 2007 ! C’est vrai que ce rythme est une vraie, vraie question. C’est trĂšs, trĂšs long… […] on disait, pour se justifier, que la ville a besoin de temps, que la durĂ©e fait partie du projet urbain. Ceci dit, là il y a une urgence sociale et c’est vrai que ces durĂ©es sont incomprĂ©hensibles. [Bernard Barre, Les réenchantements de La Courneuve, 2006-2008]

Si les transformations urbaines s’inscrivent prioritairement pour les concepteurs, techniciens et dĂ©cideurs, dans le rĂ©gime temporel du projet (Boutinet, 1990), celles-ci sont aussi porteuses de promesses imaginĂ©es ou souhaitĂ©es pour ceux qui habitent des territoires en transformation. Pour autant, des Ă©carts temporels peuvent apparaĂźtre en termes d’expĂ©rience, selon le niveau d’implication et de connaissance fiable et prĂ©cise des processus de transformation et de leur calendrier de rĂ©alisation. L’entre-temps des transformations vĂ©cues concrĂštement au quotidien ne se rĂ©duit pas Ă  un calendrier, mais bien Ă  une succession de situations habitĂ©es qui peuvent devenir subies dans le temps relativement long, en termes de biographie, d’un projet urbain.

Une troisiĂšme catĂ©gorie, liĂ©e plus au vĂ©cu individuel, est celle des « repĂšres Â» qui participent Ă  structurer nos relations aux milieux habitĂ©s. Elle dĂ©gage l’importance des Ă©lĂ©ments qui permettent de s’orienter et de se reconnaĂźtre Ă  l’intĂ©rieur d’un environnement socialement et physiquement changeant :

Je l’attends à chaque fois que je passe devant. Parce que je sais qu’à cet endroit trĂšs prĂ©cis il va y avoir une vue qui me plaĂźt beaucoup et qui à chaque fois me fait voyager, m’évoque quelque chose de nouveau… m’évade de l’endroit où je me trouve, donc c’est une invitation… bah, oui, au voyage et puis à l’inconnu, à la dĂ©couverte de quelque chose. C’est la vue d’une riviĂšre, la Marne. Qui s’en va loin, et on ne sait pas où. Et parfois il y a un bateau qui passe, une pĂ©niche et à chaque fois je rĂȘve que je suis sur cette pĂ©niche et que je remonte ou je descends la riviĂšre à mon rythme. Et quand on est sur une riviĂšre, le rythme est trĂšs diffĂ©rent des trĂ©pidations de la vie moderne, ailleurs. Justement ça se fait, à un temps trĂšs particulier. […] C’est un peu presque anachronique de voir une grosse riviĂšre comme ça passer à travers les villes. Je crois que la premiĂšre fois ça a Ă©tĂ© un hasard que je tourne la tĂȘte. Et depuis je le fais à chaque fois. […] Et donc ce temps, ce paysage, je l’attends, je sais que je vais passer devant et quand je vais passer devant, je regarde bien à gauche et à droite parce que c’est un pont sur l’autoroute qui passe par dessus la riviĂšre et il y a cette vue et c’est un moment important, pour moi. Et je fais exprĂšs depuis vingt ans de passer devant, de regarder. […] Je pourrais prendre un autre chemin, mais celui-lĂ  est trĂšs pratique. Mais euh… sur tout le chemin, quelques kilomĂštres avant, je me dis, attention bientĂŽt il y a le pont, tu pourras voir ta vue à toi. Donc… voilà. C’est… [sur mon] trajet domicile-travail. C’est trĂšs routinier et assez monotone […] et donc ça fait vraiment une cassure, une cĂ©sure qu’il n’y a pas, que je trouve pas sur le reste de mon trajet, ou de mon quotidien. Et… je trouve qu’elle est… c’est vraiment particulier, c’est notable. [Philippe, Paysage en rĂ©cit, 2014-2016]

Les repĂšres chronotopiques peuvent ĂȘtre de nature fonctionnelle, rĂ©pondant Ă  des pratiques et des modes de vie, mais Ă©galement sensible, mobilisant aussi l’imagination associĂ©e Ă  des faits concrets comme dans ce cas de la riviĂšre dont les valeurs temporelles et rythmiques sont soulignĂ©es dans le tĂ©moignage de Philippe. Dans plusieurs tĂ©moignages, l’eau apparaĂźt d’ailleurs comme un Ă©lĂ©ment « absorbant la ville », un ralentisseur, un attĂ©nuateur des bruits, qui permet de dĂ©brayer de la mĂ©canique urbaine Ă  travers un espace de transition, de dĂ©cĂ©lĂ©ration, de calme. A une autre Ă©chelle temporelle, les repĂšres chronotopiques peuvent renvoyer Ă  des parcours individuels ou collectifs inscrits dans les mĂ©moires comme par exemple en tĂ©moigne un de nos interlocuteurs, rappelant l’origine du nom du cafĂ© Olympe fondĂ© au dĂ©but du XXĂšme siĂšcle dans le quartier des Buttes-Chaumont, habitĂ© par des migrants grecs venus travailler dans les carriĂšres de gypse.

Enfin, une quatriĂšme catĂ©gorie Ă©voque la notion de « libertĂ© Â» faisant apparaĂźtre les enjeux politiques, au sens large du terme, en fonction des possibilitĂ©s rĂ©elles pour un habitant de pouvoir faire des choix dans un environnement contraint :

Veut-on une vie sociale ? À partir du moment où on veut une vie sociale, il faut que les gens puissent se dĂ©placer pour autre chose que pour aller travailler, donc il faut [que] les transports [soient] « sĂ©curisĂ©s Â» […] C’est-à-dire que le transport en commun n’est plus une solution que pour aller travailler, mais c’est un handicap le soir quand ils rentrent chez eux, parce qu’ils vont prendre la voiture. Il y a des tas de gens qui habitent à deux pas d’une station de mĂ©tro, de RER etc. et qui pour des raisons de sĂ©curitĂ© prennent un vĂ©hicule personnel. Faut se poser la question… […] et tant que les gens ne comprendront pas ça, que ça sert à rien de faire des activitĂ©s culturelles, etc. si derriĂšre on n’assure pas la libertĂ© de dĂ©placement en toute sĂ©curitĂ© des gens. Et ça c’est fondamental. […] Il y a des familles qui renoncent à mettre leurs enfants dans notre Ă©tablissement à cause des problĂšmes de transports. C’est-à- dire que les problĂšmes de transports et la sĂ©curitĂ©, provoquent un manque de libertĂ©. Manque de libertĂ© qui est pourtant la libertĂ© de circuler. [Marie, Qualifier la transformation, 2010-2012]

Cette libertĂ© apparaĂźt ici comme une valeur importante, traduite en acte, qui questionne les possibilitĂ©s d’avoir une vie sociale et culturelle Ă  l’échelle mĂ©tropolitaine Ă©tant donnĂ© les contraintes d’accessibilitĂ© et la gĂ©ographie de l’offre et des rĂ©seaux de transport en commun. A une autre Ă©chelle, la quĂȘte de libertĂ© pose la question des possibilitĂ©s de composer pratiquement un mode de vie souhaitĂ© en fonction des offres urbaines de proximitĂ©.

Identifier des « fondamentaux Â» anthropologiques.

AnalysĂ©s dans leur ensemble et dans la perspective d’en proposer une premiĂšre systĂ©matisation, les matĂ©riaux ethnographiques provenant des enquĂȘtes sur la mĂ©tropole parisienne, permettent d’identifier ce que nous avons dĂ©signĂ© comme des « fondamentaux Â» anthropologiques de l’expĂ©rience du temps urbain. De ce travail Ă©merge en effet un systĂšme dynamique composĂ© Ă  la fois de repĂšres chronotopiques, de contraintes temporelles et d’appropriations chronotopiques. Bien que provisoires et fragiles, ces « fondamentaux Â», chacun avec une composante rythmique, sont tant fonctionnels que symboliques et sensibles. Pris ensemble, ils participent Ă  structurer et qualifier les formes tangibles que cette expĂ©rience prend dans la vie quotidienne comme au plan biographique, individuel et collectif, par :

– l’existence d’un ensemble de repĂšres chronotopiques qui se dĂ©clinent de la vie quotidienne Ă  l’horizon de la transformation, et montrent comment les pratiques de l’espace et les expĂ©riences du temps s’ancrent dans un « tout » fait Ă  la fois d’organisations fonctionnelles et de qualitĂ©s concrĂštes (Birth, 1999). Ces repĂšres chronotopiques peuvent apparaĂźtre comme de vĂ©ritables balises du quotidien dans la vie urbaine.

Le matin, je n’ai pas beaucoup de magasins sur ma route, ici il y a une boulangerie et Toyota, lĂ  une boulangerie, donc, je vois qu’il sont ouverts… quand j’arrive lĂ - bas [Jacques Bonsergent], il y a pas grand chose, il y a un bar qui est toujours ouvert, une boulangerie, quelque magasins, mais qui ne sont pas ouverts Ă  cette heure lĂ … je dirais oui [que les deux parties de la ville se rĂ©veillent un peu en mĂȘme temps], aprĂšs je pense que si je descendais Ă  RĂ©publique ça serait autre chose, parce qu’on ne voit pas la mĂȘme chose… quand je sors, je ne croise que des personnes de mon lycĂ©e, Ă  part les gens qui sont au bar, qui sont les mĂȘmes personnes et du coup on les reconnaĂźt. [Julie, Exploration chronotopique d’un territoire parisien, 2015-2018]

Les repĂšres chronotopiques sont issus d’un ensemble de pratiques et d’expĂ©riences individuelles et/ou collectives qui sont identifiables dans des lieux-moments urbains, dans des habitudes, dans des activitĂ©s spĂ©cifiques, ou encore dans des transitions clairement repĂ©rĂ©es. La ville habitĂ©e, et singuliĂšrement Paris, offre un ensemble de possibilitĂ©s avec lesquelles les habitants composent leurs propres repĂšres chronotopiques par des pratiques qui s’inscrivent alternativement dans des logiques individuelles et collectives. Si la ville et le territoire sont des lieux rĂ©vĂ©lateurs des processus multiscalaires qui traversent la sociĂ©tĂ©, oĂč s’articulent diffĂ©rents horizons orientĂ©s tant vers le passĂ© que vers l’avenir, tout en Ă©tant ancrĂ©s dans un prĂ©sent aussi vĂ©cu au quotidien, alors les dynamiques de transformation urbaines jouent un rĂŽle dans, et participent Ă  l’expĂ©rience du temps de ceux qui y habitent. Si les transformations en cours ne prĂ©sentent pas un caractĂšre rythmique, a posteriori ce caractĂšre peut apparaĂźtre, scandĂ© par des moments de changements significatifs qui ont un impact sur l’habiter. Ainsi, l’environnement habitĂ© est, dans les trajectoires biographiques de chacun, un marqueur de moments prĂ©cis, Ă  travers lesquels des sĂ©quences temporelles spĂ©cifiques apparaissent ce qui permet aussi d’ouvrir une rĂ©flexion sur quelle ville et/ou territoire on est en train d’habiter et de bĂątir ; sur ce qui est imposĂ© sur le plan social, mais aussi sur les possibilitĂ©s ouvertes, ainsi que sur les rĂ©sistances et les doutes que les transformations en cours gĂ©nĂšrent.

– le rĂŽle structurant des contraintes temporelles dans l’organisation des temps individuels. Certains horaires et calendriers se singularisent par le fait qu’ils s’imposent ou sont perçus comme dominant, sans laisser de marge de manƓuvre. On a pu repĂ©rer quatre types de temps structurants majeurs : les temps des enfants, les temps de l’école, les temps de travail, les temps rituels Ă©mergents de la prĂ©sence de communautĂ©s religieuses dans les secteurs enquĂȘtĂ©s.

Mes horaires sont trĂšs liĂ©s Ă  ceux de mon fils. Cela veut dire que nous nous rĂ©veillons entre 6h45 et 8h, la premiĂšre chose qu’on fait est d’amener l’enfant Ă  la crĂšche, qui se trouve rue de Nantes, mĂȘme pas 500m de notre appartement. En ce moment, notre journĂ©e de travail commence… […] En gĂ©nĂ©ral vers 17h je pars et Ă  17h30-17h45 je rĂ©cupĂšre mon fils Ă  l’école. Ensuite ça dĂ©pend, s’il fait beau on va directement Ă  la Villette, s’il ne fait pas beau on rentre. […] En semaine nous restons dans cette zone [le canal] parce que c’est difficile de se dĂ©placer avec lui : il faut prendre le mĂ©tro avec la poussette, amener son dĂźner, etc. [Claudio, Exploration chronotopique d’un territoire parisien, 2015-2018]

Les interlocuteurs ont Ă©tĂ© notamment choisis en fonction de leur diversitĂ© qui permet de repĂ©rer les Ă©lĂ©ments temporels structurants, choisis ou subis, et de leur variabilitĂ© au cours d’une biographie. Les contraintes temporelles Ă©mergents des entretiens s’organisent autour d’un systĂšme de mĂ©tronomes hĂ©tĂ©ro-rĂ©gulĂ©s et d’interdĂ©pendances sociales, familiales, professionnelles, religieuses, etc., dont certaines revĂȘtent un caractĂšre plus structurant, sinon contraignant, dans les pratiques et les expĂ©riences habitantes (Eriksen, 2001). Bien que s’exprimant principalement Ă  l’échelle du quotidien, cette dimension de contrainte ne s’y limite pas et elle peut aussi ĂȘtre apprĂ©hendĂ©e sur le plan biographique, modulant des ancrages et des prises sur le prĂ©sent qui dĂ©pendent Ă©galement des possibilitĂ©s offertes par l’environnement urbain dans lequel on s’inscrit.

– la recherche systĂ©matique d’appropriations chronotopiques en marge des temps structurants, Ă  la fois dans le sens d’une quĂȘte d’inscription dans un processus de transformation, et d’une personnalisation et qualification des relations entre soi-mĂȘme et les autres et entre soi-mĂȘme et le territoire habitĂ©.

C’est le vĂ©lo qui ouvre une autre conscience du temps, un autre espace-temps dans Paris, parce que ça me permet d’accĂ©der Ă  plein d’endroits trĂšs facilement, en Ă©tant libre, en gĂ©rant mes temps de transport et en ayant des temps acceptables… […] Ce n’est qu’en vĂ©lo que je peux ĂȘtre rĂ©gulier, et c’est pour ça aussi que le vĂ©lo c’est la libertĂ©, c’est le fait de pouvoir maĂźtriser son temps parce que tu n’as aucune contrainte et quand je suis pressĂ©, et les conditions mĂ©tĂ©o le permettent, c’est ce que je fais… [GĂ©rard, Exploration chronotopique d’un territoire parisien, 2015-2018].

La maĂźtrise de son temps propre apparaĂźt dans l’expĂ©rience de nos interlocuteurs comme une confrontation aux temps structurĂ©s Ă  l’intĂ©rieur duquel retrouver des marges d’agencement et d’optimisation, et opĂ©rer des choix, en personnalisant et qualifiant des moments. Ce temps organisĂ© fait apparaĂźtre une dimension qualitative dans l’organisation du temps structurĂ© qui tient compte des opportunitĂ©s disponibles lĂ  oĂč la confrontation a lieu. C’est un temps « parasitaire Â» des temps structurĂ©s et qui en dĂ©termine les limites. Dans la dynamique de mĂ©tropolisation en cours, des formes pratiques et symboliques de rĂ©sistances (par exemple face aux pressions de l’industrie touristique) et de rĂ©siliences apparaissent au quotidien articulant les dimensions fonctionnelles, sociales, sensibles et aussi technologiques (Eriksen, 2001, 2020).

Temporaliser l’habiter

Le travail ethnographique fait Ă©merger la richesse et l’intĂ©rĂȘt heuristique des formes des expĂ©riences et pratiques chronotopiques, leur dimension qualitative, donc politique, et leur ancrage spatial. MalgrĂ© les nombreuses donnĂ©es aujourd’hui disponibles pour temporaliser les territoires, ainsi que les outils pour les interprĂ©ter et les spatialiser, il reste un hiatus qui ne peut ĂȘtre simplement comblĂ© entre la connaissance mesurable des temps de la ville et la complexitĂ© de l’expĂ©rience du temps, ainsi que le potentiel humain d’invention. Les rĂ©sultats que nous avons exposĂ©s ici sont Ă©videmment spĂ©cifiques au cas mĂ©tropolitain parisien, ils mĂ©riteraient d’ĂȘtre mis Ă  l’épreuve d’autres situations territoriales (mĂȘme Ă  l’intĂ©rieur de la mĂ©tropole), par exemple en s’interrogeant sur la maniĂšre dont l’expĂ©rience du temps se construit face Ă  des processus souvent dĂ©crits en termes d’homogĂ©nĂ©isation (qu’il s’agisse de mode de vie ou de maniĂšre de concevoir un territoire).

Si des injonctions Ă  l’accĂ©lĂ©ration aliĂ©nante (Eriksen, 2001; Rosa 2010), Ă  l’absence de pause (Crary 2014), au prĂ©sentisme (Hartog 2003), ou encore Ă  la patrimonialisation musĂ©ifiante (Poulot 2006), semblent dominer les Ă©chelles et les horizons temporels des sociĂ©tĂ©s contemporaines, ce qui apparaĂźt dans les expĂ©riences et pratiques habitantes, ce n’est pas tant un changement de rĂ©gime temporel dominant, mais plutĂŽt la possibilitĂ© d’une polychronie oĂč s’articulent diffĂ©rentes temporalitĂ©s (vitesse/lenteur, long et court terme, quotidien et exceptionnel, mĂ©moire et attente).

La question ne serait pas alors de trouver le bon ruthmos, mais plutĂŽt de considĂ©rer que la temporalisation de l’expĂ©rience et des pratiques habitantes, semble se configurer plutĂŽt sous une forme polychronique que polyrythmique, dans la mesure oĂč elle mobilise, dans « un mĂȘme temps Â» (RanciĂšre 1996, p. 67-68), plusieurs grammaires du temps et pas seulement plusieurs rythmes. En ce sens, elle saurait « accueillir les diffĂ©rences qui nous constituent, renonçant Ă  la nĂ©cessitĂ© de les soumettre Ă  un unique principe normalisateur Â» (Conz 2019).

C’est pour cette raison qu’il nous paraĂźt important de replacer la question rythmique Ă  l’intĂ©rieur d’une rĂ©flexion plus large autour des temporalitĂ©s de l’habiter, pour ne pas rĂ©duire la complexitĂ© et la richesse des significations dont les pratiques et expĂ©riences habitantes sont constamment chargĂ©es.

Abstract

The aim is to grasp the question of rhythms through an anthropological approach to the experience of urban time as it has emerged from various surveys conducted in Paris and its metropolitan region. Questioning the modalities by which certain "inhabitants" (residents and temporary residents) describe their experiences from a temporal point of view, reveals a set of elements capable of characterizing, qualifying and giving substance to the concrete and/or sensitive modalities through which an experience of time takes shape and is deployed in an urban context. The chronotopic framework underlying this experience makes it possible to better understand, through meaningful representations and practices, both the temporal dynamics of a territory and their influence on the lives of those who inhabit it, then the temporal ruses invented and the role they play in defining individual and/or collective life.

Bibliography

Notes

Authors

Partnership

Serendipity.

Slam.

Le slam est un genre artistique populaire, caractĂ©risĂ© par la performance scĂ©nique d’une personne qui vient ...
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