L’Afrique est le dernier ouvrage paru (janvier 2005) à destination des candidats préparant les concours de l’enseignement secondaire (Capes et Agrégation) en histoire et géographie. Sous la direction d’Anne Volvey, ce livre a été conçu et écrit collectivement par un groupe de jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs (cinq géographes et une historienne) composé en majorité de spécialistes de contrées africaines. Si j’encourage vivement tous les candidats à le consulter, ou à se le procurer, pour bien préparer les oraux qui approchent, je suis persuadé que la durée de vie de cet ouvrage dépassera largement le cadre des concours. Par sa conception novatrice, qui ne fait aucunement doublon avec un autre manuel, ce livre aura toute sa place parmi les grands usuels francophones sur l’Afrique, destiné à un large public.
Cet ouvrage n’est pas du tout classique par son approche. Ce collectif d’enseignants-chercheurs se démarque totalement de l’approche standard de la collection d’articles, sur le fond comme sur la forme. C’est un produit hybride entre le dictionnaire, l’ébauche encyclopédique post-moderne et la « malette-pédagogique » par fiches. Il comprend l’essentiel des références, des problématiques, des symboles et des exemples qu’un public de futurs enseignants, de gens ou d’étudiants curieux a tout intérêt à connaître sur l’Afrique. Ces textes valorisent les spécificités des territoires et des réseaux africains à tous les niveaux sans aucune ambition d’exhaustivité mais en dégageant leur significativité dans l’analyse des grands problèmes contemporains.
Décrypter l’Afrique en hypertexte, naviguer en noir et blanc.
Sur le fond, le projet est ambitieux mais ô combien stimulant. Il propose une « approche réflexive et problématique d’un objet géographique continental », répondant ainsi aux questions sous-jacentes du concours : « de quelle(s) Afrique(s) on parle, et comment on en parle ? » Il amène donc à réfléchir sur l’objet « Afrique » de manière critique et problématique en utilisant le filtre des représentations. En effet, s’il est un continent encombré de clichés de toutes sortes (scientifiques, médiatiques…), c’est bien l’Afrique ! Ce livre s’inscrit dans le second cultural turn, « expression qui renvoie à l’articulation à toutes les échelles de problématiques culturelles et de pouvoir (de l’encadrement), c’est-à-dire une analyse géographique qui sort du cadre originel de la région (échelle du premier cultural turn) ». Il s’agit d’un projet éditorial post-moderne. Si l’ensemble est loin d’être exhaustif (et ce n’était pas le but des auteurs), il fait le tour des problématiques essentielles (représentations, questions politiques, espaces urbains et ruraux, ressources naturelles, santé, culture etc.)
La forme de cet ouvrage est totalement au service de son objectif de fond. Il se présente comme un livre écrit en mode « hypertexte ». Il se compose de cinq parties d’importance égale : des « repères », des « acteurs », des « objets », des « espaces » et des « synthèses thématiques », d’illustrations placées en fin d’ouvrage (6 cartes, 8 graphiques et 23 photographies en noir et blanc), de tableaux de données, d’une bibliographie fournie et d’un glossaire. Plusieurs types de liens sont proposés pour circuler de manière non linéaire et intelligible entre tous les articles de toutes les parties. Ce livre peut se lire comme un dictionnaire, ou encore mieux comme un site Web. Mais il manque les illustrations et la couleur qui transformeraient cette navigation en véritable voyage. Belle utopie aujourd’hui quand on connaît les difficultés de l’édition artisanale, mais bonne idée peut-être que de mettre l’intégralité de ce livre sous forme de site ou de cd, avec donc d’immenses possibilités illustratives (sons, vidéos, photos couleurs, liens, actualité)…
Quatre entrées pour relire l’Afrique contemporaine…mais de multiples voies pour se l’approprier.
Les quatre grandes parties de l’ouvrage sont cohérentes mais ces divisions sont vites oubliées quand le lecteur commence à naviguer dans l’ouvrage. C’est le va-et-vient entre les repères, les acteurs, les objets et les espaces qui permet au lecteur de se fabriquer son propre cheminement et de construire des liens entre ces catégories interdépendantes et inséparables. En effet, Johannesburg peut faire penser à Mandela, aux urbanités et au Sida ; le Wwf peut faire penser à l’éléphant d’Afrique, au parc national ou encore aux dynamiques rurales etc.
Les premiers « Repères » constitue une base épistémologique solide sur l’Afrique, explorant, par exemple, l’Afrique des clichés, la diversité de la géographie africaniste ou encore les découpages de l’Afrique. Les quelques pages sur l’Afrique des clichés sont dans la même veine qu’un ouvrage collectif sur « l’Afrique des idées reçues », dirigé par Georges Courade, qui devrait paraître prochainement chez Karthala, et auquel participent certains des auteurs. Une place plus importante aurait pu être consacrée au « développement local » dans l’article « développement africain », compte tenu de la multiplication des recherches sur ce thème ces dernières années. Ensuite, le point sur les « Acteurs » met en perspective l’action spatio-temporelle d’acteurs ou de systèmes d’acteurs-clés en Afrique. Même si ce terme n’est pratiquement jamais mentionné, c’est bien de processus différenciés de territorialisation dont il s’agit ici. Les acteurs passés en revue vont des « découpeurs de Berlin » à Kadhafi et au Wwf, en passant par les footballeurs africains. Toutes les fiches font très bien le point sur ces différentes questions. Bien sûr, on aurait pu imaginer une fiche sur Senghor, sur le « vieux de Yamoussoukro » et encore sur Mugabe ou Mobutu… Une rencontre plus intimiste avec l’Afrique est proposée en l’abordant par ses « Objets qui ont une « résonance » africaine toute particulière. Par exemple, on y apprend avec intérêt le nouveau rôle central joué par l’anacardier dans l’agriculture africaine. De la bière au dromadaire, de l’éléphant aux moustiques, en passant par les faux Cfa et les préservatifs, sans jamais tomber dans l’anecdote, cette partie explore des « fondamentaux africains » le cœur des contradictions africaines. L’Afrique des « Espaces » est plus classique car elle part d’exemples d’espaces pour mettre en perspective des thématiques plus générales. C’est un voyage contrasté à travers l’Afrique. On part de Brazzaville pour aller à Touba, en passant par les chutes Victoria, Soweto, Ouagadougou ou encore Paris (Château-Rouge – Goutte d’Or). Tous ces espaces auraient pu être localisés sur une carte générale de l’Afrique. L’Afrique du Nord est absente de ces espaces. Cela est du aux différents terrains des six auteurs, plutôt situés au sud du Sahara. Ils ont choisi, et c’est louable, de parler avec passion de ce qu’ils connaissaient le mieux. Les « Synthèses thématiques » étaient-elles vraiment nécessaires ? Si l’aspect thématique n’était justement pas du tout l’objectif annoncé de cet ouvrage en phase avec le second cultural turn, en revanche l’aspect synthétique reste fortement appréciable. En quelques pages, on peut refaire le point sur l’essentiel, tout en opérant une sorte de « liant » avec la démarche hypertexte précédemment proposée. C’est important de finir cet ouvrage en faisant ainsi le point sur les dynamiques rurales, les mondialisations et les urbanités.
Au final, L’Afrique est un ouvrage passionnant, attachant et destiné à durer. Cet ouvrage mériterait une édition qui irait au-delà du simple champ des concours de l’enseignement. Il défend une vision de l’Afrique qui dépasse les caricatures pour mettre en valeur sa diversité et sa complexité.
Quelques idées complémentaires me sont venues à lecture de certains mots-clef. Exceptionnellement, pour un public préparant le concours, je les mets à disposition ici :
Un regard complémentaire sur quelques mots-clefs…
L’Afrique des clichés.
Pour mettre en relief le registre des représentations racistes des géographes d’avant la décolonisation, on peut aussi faire allusion à la géographie universelle de Malte-Brun de 1852 qui recèle des clichés édifiants, ou encore à celle de Granger de 1922 (Hachette, à destination du grand public) qui parle en termes « déterministes » du caractère du « nègre » : « [il] a subi profondément l’influence d’un climat constamment chaud et humide, fait pour engourdir les facultés intellectuelles, pour développer les instincts et les appétits aux dépens de l’intelligence de la sensibilité. » Ces clichés, qui peuvent paraître choquants aujourd’hui, n’avaient rien de surprenant à l’époque et constituaient une représentation commune, (presque) toutes tendances confondues.
La place de l’Afrique dans la géographie française.
Dans la place des « études africaines dans la géographie faite en France », on pourrait aussi mentionner l’Institut de Géographie Alpine de Grenoble dont certains terrains de prédilection (au passé comme au présent) sont bel et bien africains (Niger, Afrique du Sud).
Muammar Kadhafi.
Les dessins du caricaturiste sud-africain Zapiro illustrent à merveille l’analyse de cet acteur panafricain (voir ci-dessous la vision que peut avoir le dessinateur de Kadhafi et l’Union Africaine).
Kadhafi propose à Thabo Mbeki son projet d’Union Africaine (Zapiro, Sunday Times, 2002)
Sorciers et ancêtres.
L’article « sorciers et ancêtres » pourrait mentionner une dérive importante observée en Afrique Australe depuis une dizaine d’années. On attribue aux sangoma et inyanga (médecins et pharmaciens traditionnels en Afrique du Sud) la responsabilité de la prolifération d’un mythe extrêmement dangereux (« violer une jeune vierge permet de se prémunir à vie du sida ») qui continue à faire beaucoup de dégâts. En 2002, une partie de la classe politique sud-africaine s’était mobilisée pour discréditer cette légende infâme, mais pour quels résultats ?
Sadc.
L’article sur la Sadc comporte une petite erreur factuelle. Le port de Richards Bay n’est pas « relativement loin des centres miniers ». Il en est plutôt proche. En effet, une grande partie du charbon du Mpumalanga est exporté depuis Richards Bay grâce à une voie de chemin de fer qui traverse directement le Zoulouland intérieur. Bien sûr, Maputo possède un avantage de localisation par rapport au Gauteng. Dar es-Salaam est-il vraiment le troisième port d’Afrique Australe après le Cap ? En valeur, Durban est en première position et en tonnage, après Richards Bay, on trouve Saldanha Bay (au nord du Cap). Rien n’est dit, par ailleurs, sur la construction de la zone industrialo-portuaire de Coega, dont le port de Ngqura est destiné à remplacer à terme celui de Port Elisabeth. Coega est comparé par les autorités sud-africaines « au nouveau phare de la Renaissance Africaine »… comparaison imagée avec Alexandrie…
Le vih/sida en Afrique.
Pour illustrer les articles sur le sida, on pouvait utiliser comme illustrations les nombreuses campagnes d’affichage public existant dans les différents pays d’Afrique (affiches, murals, tags…) et qui ont fait l’objet de campagnes de photographies par certains chercheurs français. Mais là se posent des questions de taille d’ouvrage et de coût éditorial !
Le parc national.
On peut faire référence ici aux projets de création de parcs naturels transfrontaliers, pilotés officiellement par les nouveaux dirigeants noirs de l’Afrique Australe et officieusement par la vieille garde conservationniste blanche, dont Anton Rupert est un des représentants (il est justement mentionné dans l’article sur le Wwf).