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Serendipity.

Crime Mapping, ou le réductionnisme bien intentionné.

The Met’s Crime Mapping.

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En 2008, le British Crime Survey fit remarquer que le risque d’être victime d’un crime est au plus bas depuis le lancement de son étude systématique en 1981. Il précisa à cette occasion que cette tendance est observable dans l’ensemble des pays développés. En Angleterre, la criminalité aurait baissé de 39% depuis 1997, dont 40% pour les crimes violents et 55% pour les cambriolages. [2] Ce constat questionne le traitement médiatique et politique de la criminalité qui, accordant une place importance à cette thématique, semble créer un décalage croissant entre la criminalité et sa perception. En particulier, la généralisation récente des cartes urbaines de la criminalité aux États-Unis et en Angleterre interroge sur leurs fonctions, lorsqu’elles sont présentées comme des moyens de rassurer les citoyens, de les rapprocher des forces de police et de faire baisser la criminalité.

À ce jour, la majeure partie des villes des pays anglo-saxons dispose d’un dispositif de cartographie publique de la criminalité. Leur réalisation est certes inégale, mais la tendance est clairement à la banalisation de ce qui est à présent communément appelé le crime mapping. De la criminalité à ses perceptions, s’ajoute alors la carte qui, par sa présence accrue, participera peut-être de cette confusion entre les faits et ce que l’on en fait. The Met’s Crime Mapping Website, [3] une référence du crime mapping, constitue un exemple remarquable d’association entre une réalité suggérée et sa représentation.

De quoi la carte rend-elle compte ?

Cette tendance ne peut être dissociée d’une conception collective de la vérité et de son rôle politique, dont le plus grand dénominateur commun entre les États-Unis et l’Angleterre est probablement le pragmatisme. Orienté vers les finalités pratiques de la pensée, le pragmatisme se traduit souvent par la place privilégiée qui est accordée aux faits, seuls capables de conduire l’action, de l’évaluer et de contredire les idéologies susceptibles de les nier. Lorsqu’une telle philosophie devient philosophie politique, il convient néanmoins de porter une attention particulière aux faits, mais aussi à la propension à croire en une analogie entre les faits et leur interprétation. [4]

Si tout bon manuel de sciences sociales, de statistiques ou de cartographie prévient de ce risque, incitant à contenir le réductionnisme dans le cadre de la complexité, les conditions pratiques de la production et de l’interprétation des analogies sont généralement approximatives. La vertu de l’intentionnalité pragmatique ne suffit pas à rassurer quant à la pertinence de la démarche, tant celle-ci tend à créer un contexte de l’action assuré par des représentations souvent inadéquates des faits considérés. Le pragmatisme, dans sa transposition politique la plus courante, tend en effet à entretenir l’illusion selon laquelle les faits parlent d’eux-mêmes. « Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les chiffres, » se défendra l’un ; « comme le montre la carte, » assurera l’autre. Nombreuses sont les assertions qui encouragent à prendre la représentation des faits pour les faits eux-mêmes. Ainsi, la croissance du pib devient la croissance de l’économie, le taux de chômage devient la proportion d’individus qui ne trouvent pas d’emploi, et le taux de criminalité devient la criminalité.

Parce que les faits ne parlent pas d’eux-mêmes, il importe de considérer pleinement les langages que l’on utilise pour les faire parler. Langage spatial privilégié, la carte n’échappe pas à cette condition. On pense à l’incontournable How to Lie with Maps de Mark Monmonier (1991). On se rappelle aussi la prudence de Brian Harley (2002), lorsqu’il prévient du pouvoir des cartes, s’inspirant de Foucault (sur le pouvoir) et de Derrida (sur la déconstruction). Pour être lisible, la carte doit être déconstruite, révélant ainsi les techniques de l’analogie engagées dans sa construction.

Aussi, dans un glissement analogique comparable, la carte de la criminalité devient aisément celle de la répartition spatiale de la criminalité. La force de la carte est en effet d’autant plus importante qu’elle bénéficie pleinement de l’effet de réel dont jouissent les images (Lévy, Poncet et Tricoire, 2004), octroyant ainsi au réductionnisme toute sa force et toute sa faiblesse. Au regard des pratiques à l’œuvre dans le cadre du crime mapping, il semble que la criminalité ne fasse pas exception.

Met’s Crime Mapping.

Le 3 septembre 2008, Londres inaugure officiellement la version publique d’un site, The Met’s Crime Mapping Website, qui illustre parfaitement la tendance à la représentation cartographique de la criminalité. Disponible sous la forme d’un site Internet, The Met’s Crime Mapping Website fut initié par le maire de Londres, le Mps (Metropolitan Police Service) et la Mpa (Metropolitan Police Authority). Ce dispositif, qui a coûté 210 000 livres, propose une cartographie interactive et multiscalaire de la criminalité, mise à jour mensuellement. Trois échelles sont proposées, les boroughs (« arrondissements »), les wards (« quartiers ») et les sub-wards. [5] À ce jour, seuls les vols et les cambriolages sont représentés. [6] Les agressions et les homicides sont annoncés, mais ils furent l’objet de critiques plus vives de la part de l’Ico (Information Commissioner’s Office), qui incita aussi à ne pas représenter la criminalité en deçà des sub-wards, afin de respecter la vie privée conformément aux Data Protection Act et au Freedom of Information Act.

Ce site s’inscrit dans un triple contexte : celui de la tendance à la cartographie de la criminalité déjà largement engagée aux États-Unis, [7] celui de l’annonce faite par le ministre de l’Intérieur de généraliser cette pratique à l’ensemble de l’Angleterre, [8] et celui de la campagne électorale de l’actuel maire conservateur, Boris Johnson, qui a succédé au travailliste Ken Livingstone. En proposant ce projet comme argument de campagne, Boris Johnson s’inscrivait en effet dans une tendance déjà largement engagée, arguant que New York, dont la criminalité a chuté de 75% en dix ans, devait être un modèle à suivre. La mise en œuvre de la cartographie du crime en Angleterre diffère néanmoins largement des projets équivalents outre Atlantique.

Aux États-Unis, les cartes de la criminalité ne furent pas contraintes par le respect de la vie privée, la quasi-totalité des dispositifs situant précisément chaque incident sur les cartes. Souvent, les incidents sont accompagnés d’informations précises sur la victime, à l’image de l’Homicide Map de Los Angeles, sur laquelle chaque homicide est accompagné de la photo, de l’âge, du sexe et de l’appartenance à un groupe ethnique de la victime. Initiées pour certaines il y a plus de dix ans, les premières cartographies interactives du crime furent aussi plus précoces aux États-Unis. Lors de leur déploiement, elles furent essentiellement destinées aux forces de police. L’exemple le plus remarquable est le Compstat, [9] utilisé à New York dès la fin des années 80 avant de se diffuser à d’autres villes. Ce logiciel fut pensé comme un dispositif d’analyse, de compréhension et d’évaluation de la criminalité (Bratton et Knobler, 1998).

L’association de Boris Johnson au succès de Rudolph Giuliani [10] fut d’ailleurs critiquée par Michelle Martin, de Bbc News, qui précisa que si New York a bien connu une réduction considérable de sa criminalité, rien n’indique que cela soit imputable à sa cartographie publique, qui, en l’occurrence, était relativement confidentielle. La publicité de ces cartes étant relativement récente, il est en effet hasardeux de préjuger de leur capacité à réduire la criminalité. C’est essentiellement en s’attaquant aux causes de la criminalité et à la compréhension de ses espaces privilégiés que New York serait parvenue à en réduire l’intensité (Roché, 2004).

Aussi, dans un document du Ministère de l’Intérieur de l’Angleterre portant sur l’intérêt de la cartographie du crime à l’usage des officiers de police, deux cartes opposent la criminalité perçue par les agents et la criminalité au moment de l’étude (fig. 1). L’écart entre les deux représentations est tel que l’outil est convaincant comme dispositif susceptible de conformer la cospatialité entre l’espace de la criminalité et celui des moyens mis en œuvre pour la réduire.

Image2Fig. 1 : Perception de la criminalité par les officiers de police.

[11] Ce fut aussi la position de l’Ico (Information Commissioner’s Office), lorsque son porte-parole s’inquiétait de l’atteinte possible à la vie privée de telles mesures, doutant par ailleurs de leur intérêt et invitant à considérer plus sérieusement les conséquences de tels projets.

À Londres, les arguments en faveur de l’utilisation d’Internet pour rendre publique la cartographie de la criminalité furent nombreux. Partageant un engouement volontiers affiché, conservateurs et travaillistes se retrouvent dans le sentiment que ces dispositifs permettront de réduire la peur du crime, en informant et en impliquant les citoyens. Lors du lancement du site, Boris Johnson, le Maire de Londres, insista sur le fait que ce dispositif avait été l’un de ses engagements pour lutter contre ce qu’il qualifiait comme étant le problème le plus important des Londoniens, [12] ajoutant que l’information sur la criminalité de leurs quartiers était à présent à « portée de clic ». [13] Approuvant lui aussi le respect de cet engagement, confiant de la tendance générale à la baisse de la criminalité observée depuis deux décennies, Kit Malthouse, le maire adjoint, précisa que ce site Internet rendrait plus visible l’action de la police pour lutter contre le crime et l’efficacité des mesures entreprises. [14] Parce que le public « mérite la vérité sur le crime », il manifesta aussi son espérance en ce « nouvel outil fantastique », dont il attend qu’il aide la population à s’associer aux forces de police pour lutter encore plus efficacement contre la criminalité.

Les registres de la transparence et de la réalité furent également mobilisés par Tony McNulty, ministre de la Sécurité, du contre-terrorisme, du crime et du maintien de l’ordre, lorsqu’il annonça que la généralisation de ce type de site Internet permettrait de montrer à la population non seulement ce qu’il se passe, mais aussi ce qui est fait pour y remédier, rassurant sur la « réalité » de la criminalité. [15] C’est, en substance, la même argumentation qui fut mobilisée par Sir Paul Stephenson, le commissaire du Metropolitan Police Service, lorsqu’il présentait le crime mapping comme un moyen de réduire l’écart entre la « réalité » de la criminalité et sa perception par les « communautés ». Le crime mapping apparaît ainsi tel un dispositif technique ayant vocation à « rassurer » sur la sécurité des quartiers. [16]

Le pragmatisme est-il soluble dans le réductionnisme ?

La démarche pragmatique est certes estimable, mais peut-elle se satisfaire du réductionnisme inhérent à la carte, aussi interactive soit-elle ? Comment passe-t-on de la carte à la « réalité » de la criminalité ? En sus du subjectivisme qui tendrait à donner l’illusion selon laquelle la criminalité renvoie à une substance communément partagée, ce dont Wittgenstein tendait à nous prévenir (1958), avons-nous seulement l’assurance que la carte nous présente bien la spatialité de la criminalité, même résumée à quelques indicateurs consensuels ?

The Met’s Crime Mapping résume la criminalité à des actes caractérisés et enregistrés par les forces de police. Nettement moins nombreux dans la version actuelle que dans la majeure partie des dispositifs comparables outre Atlantique, les actes représentés se limitent aux cambriolages et aux vols de natures diverses, excluant pour l’instant les simples agressions et les homicides. Voilà, sans aucun doute, un premier décalage entre la criminalité perçue par la population et celle présentée sur la carte.

Aussi, les indicateurs considérés sont transposés à la carte lorsqu’ils sont caractérisés et enregistrés par les forces de police. Les actes qui ne font pas l’objet de déclaration ne figurent donc pas sur la carte. Le décalage est en l’occurrence considérable. Il est généralement estimé qu’au moins 60% des actes criminels ne font pas l’objet de déclaration. Marian FitzGerald, criminologue de la Kent University, rappelle que la faible représentativité des déclarations pose encore plus problème dans le cadre de dispositifs cartographiques, puisque sa géographie est au moins aussi contrastée que celle de la criminalité (2002, 2003). En particulier, les espaces où la criminalité est la plus forte sont aussi ceux qui font le moins confiance à la police. Les déclarations y sont relativement faibles et les incidents se règlent le plus souvent localement, augmentant de surcroît la criminalité non déclarée. Seuls les homicides échappent généralement à cette règle, ceux-là mêmes qui ne sont pas présents sur cette carte.

Inversement, la visibilité de la cartographie de la criminalité étant récente (en intensité), certaines pratiques d’enregistrement des délits posent problème, à l’image de la forte concentration de délits observée au niveau des postes de police (coordonnées). Ce paradoxe apparent s’explique par un protocole anodin, qui consiste parfois à enregistrer le lieu du constat du délit. Or ce lieu, assez souvent, est le poste de police ! Une fois considéré que la localisation du délit a plus d’importance maintenant qu’elle est révélée au grand jour, il est probable que les déclarations porteront plus d’attention à ce qui pouvait sembler n’être qu’une formalité. En attendant, la nature du crime importe plus que le lieu de sa manifestation et l’analogie n’en est que plus trompeuse.

Image3Fig. 2 : The Met’s Crime Mapping, ensemble des délits, février 2009.

[17] peut être l’un des plus faibles de Londres. Par exemple, sur les douze derniers mois, le ratio entre le nombre de cambriolages d’appartements et le nombre de vols d’individus est de 0,83 à Westminster, contre 1,77 pour l’ensemble de Londres. Aussi, le ratio entre le nombre de cambriolages d’appartement et le nombre de cambriolages d’autres types de locaux est de 0,65 à Westminster contre 1,75 pour le reste de Londres. La centralité de Westminster, qui propose de nombreuses activités (commerciales, professionnelles ou de loisirs) qui profitent à l’ensemble de l’agglomération, se traduit sans surprise par une criminalité plus importante sur les individus et les locaux non résidentiels que pour le reste de Londres (fig. 4). Ce même phénomène est aussi très largement perceptible à Manhattan, selon une logique tout à fait comparable, qui n’en fait pourtant pas le lieu le moins sûr de New York (fig. 3). [18]

Une fois les données désagrégées (vols d’individus, cambriolages d’appartement, autres cambriolages…), cette logique est nettement plus perceptible, pour peu que l’on porte attention à l’inégale répartition des réalités susceptibles d’être impliquées dans un délit. Il n’est pas surprenant de constater, par exemple, que le borough de Bromley, au sud de Londres, est très peu affecté par les vols d’individus. Ce borough est en effet majoritairement composé de champs et dans une moindre mesure d’habitats pavillonnaires accessibles en voiture (fig. 4). Il n’y a, en d’autres termes, qu’un décalage relativement marginal entre la population résidentielle de Bromley et le nombre d’individus qui s’y trouvent, le bilan pouvant même être négatif en milieu de matinée.

Image5Fig. 4 : London Crime Mapping, montage, février 2009.

[19] L’argument est imparable et la transparence appréciable. Néanmoins, dans de telles conditions, comment considérer Westminster ou Camden ? Où commence la pertinence et où s’arrête-t-elle ? Faut-il des cas extrêmes pour prendre la mesure d’un tel réductionnisme ? Comment, dès lors, faire la part entre les nuances de la criminalité et celles des biais de sa représentation ? La réponse est simple : ce n’est pas possible dans les conditions proposées sur de tels dispositifs !

Se représenter les représentations.

Dans un tel contexte, le décalage entre la criminalité et sa représentation est tributaire d’un tel réductionnisme qu’il interroge sur la portée du projet. Les écarts entre la criminalité et sa quantification d’une part et entre sa quantification et sa représentation d’autre part ne peuvent être dissociés, finalement, de leurs interprétations. Ayant vocation à rassurer la population et à la rapprocher des forces de police, la publicité du crime mapping pose problème, dès lors que les images de la criminalité ainsi produites nécessitent un investissement considérable pour être interprétées, mobilisant des compétences et des informations que ces dispositifs ne proposent pas, aussi interactifs soient-ils. Il en résulte un décalage entre l’instantanéité de l’image proposée par la carte et le temps, long, de son interprétation. La démarche la plus évidente, également la plus économe, est de prendre la carte pour la réalité dont elle prétend rendre compte, externalisant le risque de son interprétation vers les auteurs de la carte.

Le pragmatisme à l’œuvre dans de tels dispositifs et le réductionnisme inévitable qui en résulte sont pourtant bien intentionnés. Comment ne pas être séduit par le consensus des conservateurs et des travaillistes sur le sujet. Comment ne pas être convaincu par les efforts engagés pour rendre la criminalité plus lisible et pour rapprocher la population de ceux qui la protègent ? L’intention, sans aucun doute, est louable, et c’est bien là le danger du réductionnisme. Parce qu’il est souvent inévitable, dès lors que l’on souhaite évaluer la portée de l’action, il se satisfait trop souvent d’approximations qui, ajoutées les unes aux autres, rendent pourtant le résultat inintelligible. L’illusion est néanmoins entretenue par l’apparente précision du processus et plus encore des résultats, qui permettent de situer et de hiérarchiser, ne s’interdisant pas l’usage des centièmes pour peu qu’ils soient disponibles. Ainsi, le taux de criminalité à Westminster est passé de 29,09 à 26,10 de janvier 2009 à février 2009, confirmant l’excellent travail des forces de police et rassurant la population sur les moyens mis en œuvre pour assurer leur sécurité. Traduisant très probablement une réelle baisse de la criminalité, les dispositifs de crime mapping, aussi évolués que celui de Londres, risque néanmoins d’être confronté à deux biais qui menacent de rendre l’illusion encore plus totale.

Comment, en effet, faire la part entre la qualité du travail des forces de police d’une part et l’augmentation conjoncturelle de la criminalité ou de ses déclarations d’autre part. Bénéficiant d’une tendance prolongée de baisse de la criminalité déclarée, les forces de police se situent en effet à un moment propice à la publicité des données, valorisant ainsi leur activité. Comment de tels dispositifs se satisferont-ils d’une hausse conjoncturelle de la criminalité, si elle avait lieu dans le contexte de crise économique que traverse actuellement l’Angleterre ? Comment, aussi, faire la part entre la hausse de la criminalité et la hausse de ses déclarations, dès lors que ces dispositifs ont aussi vocation à en simplifier la démarche, incitant les usagers à déclarer un crime dont ils ont été les témoins ou les victimes. [20] Alors que plus de la moitié des actes criminels ne font pas l’objet de déclaration, cette mesure aggrave la confusion entre la criminalité et sa représentation, et plus encore entre l’évolution de la criminalité et celle de l’efficacité des forces de police. Dans de telles conditions, comment interpréter les propos de Tony McNulty, ministre de la Sécurité, du contre-terrorisme, du crime et du maintien de l’ordre, à propos du Met’s Crime Mapping : « The maps will show what happened last month and what the police have done about it and I think this will be a signifiant advance. »

Le plus surprenant, peut-être, est encore de constater qu’il n’est pas question, non plus, de l’origine spatiale des criminels. La conception de la criminalité est ici limitée à la nature et à la localisation de l’acte. Pourtant, en 1989, dans « Les zones urbaines criminelles », le criminologue Maurice Cusson parlait des quartiers des criminels lorsqu’il évoquait les espaces de la criminalité. Il insistait sur la spatialité de l’apprentissage des pratiques criminelles et sur la géographie des quartiers dont sont issus les criminels. À ces deux géographies correspondent aussi deux politiques de la criminalité. L’une consiste à arrêter les criminels où ils sévissent, l’autre à intervenir sur le contexte social de la criminalité, opposant deux conceptions classiques de la victime. Maurice Cusson regrettait, dès lors, que l’on accorde trop d’importance aux espaces du délit. Cela s’est traduit, selon lui, par l’erreur qui a consisté à aller en banlieue pour fuir le crime. Les villes ayant assisté à ce phénomène sont finalement celles qui ont connu la plus forte hausse de la criminalité, la centralité ayant été laissée à ceux-là mêmes que l’on fuyait. « À l’échelle individuelle, la décision de se réfugier en banlieue paraît rationnelle, mais, à l’échelle de la société, elle contribue à la croissance de la criminalité et de l’insécurité. »

Le décalage entre la criminalité perçue par la population et celle représentée sur la carte n’est pas un décalage entre une représentation de la criminalité et sa réalité, mais entre deux représentations de la criminalité, l’une étant certes plus subjective que l’autre. Le réductionnisme revient précisément à prendre la représentation de la carte pour la réalité ! Malheureusement, la carte ne permet même pas de faire la part entre la réalité de l’une et la réalité de l’autre. Les chiffres comptent, mais, en l’occurrence, ils ne sont pas plus vrais que la perception de la population, aussi décalée soit-elle d’une réalité dont l’étalon est bien difficile à appréhender. Une analyse attentive de la criminalité à Londres incite à penser, à la différence de sa représentation cartographique, que le risque individuel et résidentiel dans le centre, à Westminster en particulier, est probablement relativement faible. Il serait bien hâtif, en revanche, d’en inférer qu’il serait judicieux d’acheter à Westminster une fois que les prix auront baissé. Si la majorité des habitants est finalement convaincue que la criminalité est plus forte dans le centre et qu’elle tend à le quitter, les conséquences de son départ, elles, seront tout à fait réelles. Ce constat rappelle une des règles les plus élémentaires du trading : « il vaut mieux avoir tort avec le marché que d’avoir raison tout seul », soulignant que ce qui est réel, indiscutablement, ce sont les représentations des faits et leurs effets. Finalement, il suffit de se rappeler, avec Socrate, la différence entre la réalité et la vérité.

Abstract

En 2008, le British Crime Survey fit remarquer que le risque d’être victime d’un crime est au plus bas depuis le lancement de son étude systématique en 1981. Il précisa à cette occasion que cette tendance est observable dans l’ensemble des pays développés. En Angleterre, la criminalité aurait baissé de 39% depuis 1997, dont 40% ...

Bibliography

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Notes

[2] Ces statistiques concernent aussi le Pays de Galles.

[3] Crime Mapping, dont le nom développé est The Met’s Crime Mapping, est un dispositif de cartographie interactive de la criminalité proposé par le Metropolitan Police Service de Londres, plus connu sous le nom de Scotland Yard.

[4] Cette erreur fut soulignée par les représentants même du pragmatisme, de Charles Sanders Peirce à John Dewey.

[5] Les sub-wards, appelés aussi lsoa (lower super output areas) sont composés en moyenne de 633 ménages. Londres en compte 4765.

[6] Les catégories actuelles sont les suivantes : vols de biens personnels, vols de biens professionnels, vols de voitures, vols depuis une voiture, cambriolages résidentiel, autres cambriolages.

[7] Parmi les sites les plus représentatifs, on peut considérer ceux de Los Angeles (en collaboration avec le Los Angeles Times), Oakland(San Francisco), Chicago (par le portail Everyblock), mais aussi les portails généralistes tels que Spotcrime ou CrimeReports, qui propose un service de cartographie de la criminalité pour de nombreuses villes, dont New York et San Francisco. À une autre échelle, souvent nationale ou régionale, on remarquera aussi l’offre d’InstantAtlas.

[8] Dans un green paper de juillet 2008, Jacqui Smith annoncait : « Toutes les forces de police du pays doivent s’efforcer de rendre public par Internet les informations mensuelles relatives au crime ! » Un site dédié fut dès lors proposé par le Ministère de l’Intérieur de l’Angleterre et du Pays de Galles, représentant la criminalité à l’échelle des 239 non-metropolitan districts, appelés aussi local authority districts.

[9] Comparative statistics.

[10] Maire de New York de 1994 à 2001. La réduction de la criminalité à New York lui est souvent attribuée. Son succès est associé à la « tolérance zéro » et à une augmentation importante des forces de l’ordre et de leur diversité ethnique.

[11] Clive Chamberlain, porte-parole de la Police Federation, a décrit le projet en ces termes : « I don’t think this is going to tackle crime at all. […] Criminals will gain access to an encyclopaedia of where to go out and commit crime because they know that the police are vulnerable because they don’t have the cover in some areas that they [would] like to » (discours prononcé lors du lancement officiel).

[12] « Crime mapping was one of my major manifesto commitments and an important part of our strategy to tackle the number one issue for Londoners, crime and safety » (lancement officiel).

[13] « This new online service means that Londoners will, at long last, be able to get information about crime levels in their neighbourhood at the click of a button » (lancement officiel).

[14] « This new website will increase the visibility of what the police and local councils are actually doing to fight crime on the doorstep. For the first time Londoners won’t have to guess if crime in their area is a problem. They will be able to see for themselves where the issues are, and what crime-fighting measures are working » (lancement officiel).

[15] « We just think presenting statistics graphically in maps shows people not just what’s going on but what’s being done about it. It’s as much about reassurance as it is about the reality of crime in different areas » (lancement officiel).

[16] « Indeed, we have found that in some cases, Londoners’ perception of crime is higher than the reality and the crime maps may help to reassure communities about the general safety of their local area » (lancement officiel).

[17] Cela vaut aussi pour chacune des réalités considérées, autres que les individus.

[18] Proposée par SpotCrime, cette carte interactive est par ailleurs représentative des cartes disponibles aux États-Unis, chaque acte étant localisé précisément.

[19] « Crime rates for the City of London are not presented. Due to high daytime population numbers, resident population data do not provide a suitable denominator for deriving such rates. »

[20] Le processus de déclaration en ligne participe plus généralement du projet Safer Neighbourhoods, qui vise à rapprocher la population des forces de police en valorisant les logiques de proximité.

Authors

Boris Beaude

Boris Beaude est géographe. Il est chercheur au sein du laboratoire Chôros de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Epfl) et Maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris. Ses travaux portent sur la dimension spatiale de la télécommunication et plus généralement sur le contexte spatial de l’interaction sociale. Il s’intéresse aux moyens que les individus se donnent pour maîtriser l’espace et, en particulier, à Internet comme espace singulier de la coexistence. Dernières publications : « Internet, un lieu du Monde » in Jacques Lévy (dir.), L’invention du Monde, Paris, SciencesPo, 2008, pp. 110-131 ; « Carte et Internet. Nouveaux usages » in La GeoGraphie, n°1529 (2008), pp. 38-41.

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