Les résultats de l’enquête du Ministère de la jeunesse et des sports et de l’Insep sur les pratiques sportives des Français (Mignon et Truchot, 2001) mettent en évidence un engouement de la population pour les sports de nature. Cependant, l’important développement de ces activités « pose le problème de leur insertion dans le milieu naturel qui leur sert de support et dans une société locale rurale qui subit des flux de citadins venant parfois bousculer son mode de vie traditionnel » (Gayte, Mounet, Perrin et Rocheblave, 2003, p. 9). Pour faire face à ces problèmes, une évolution récente du cadre législatif a permis la prise en compte des sports de nature. En effet, la Loi sur le sport du 6 juillet 2000 affirme le principe d’une compétence départementale en matière de gestion et de développement des sports de nature, avec la création d’une Commission départementale des espaces, sites et itinéraires (Cdesi) et la réalisation d’un Plan départemental des espaces, sites et itinéraires (Pdesi), tous deux relatifs aux sports de nature. Après une période d’expérimentation et, parfois, de controverses, la Loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit a rendu les articles concernés directement applicables. Le département se voit ainsi confié une compétence particulière en matière de développement et de gestion des sports de nature, compétence qu’il exerçait déjà dans le domaine de la randonnée et qui est étendue à l’ensemble des sports de nature. « La Cdesi est une assemblée dont l’objet principal est le développement maîtrisé des sports de nature (entendu au sens large, sport, loisir, tourisme) dans une perspective de développement durable » (Comité national olympique et sportif français, 2005).
Avant l’installation de ces commissions et l’évolution du cadre réglementaire, certains acteurs étaient déjà investis dans la gestion des sports de nature. Il s’agit notamment des fédérations sportives et de leurs comités départementaux, qui bénéficient d’une délégation de service public pour l’organisation des activités sportives. Selon le Ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative (Mjsva, 2005), les fédérations participent à l’identification, à la gestion, à l’entretien et à la promotion des sites relatifs à leur activité. D’autres acteurs sont susceptibles d’organiser l’offre de lieux de pratique sportive de nature. « Collectivités territoriales, Parcs naturels régionaux, Commissions locales de l’eau […] peuvent être des structures de concertation au sein desquelles s’organise la gestion des sites de pratique » (Mjsva, 2005, p. 9). C’est notamment le cas des pnr (parcs naturels régionaux) du Vercors et du massif des Bauges, en région Rhône-Alpes, qui ont été poussés à se positionner sur la gestion des sports de nature, plus particulièrement sur la pratique du canyoning, activité hybride empruntant des techniques à la randonnée, à l’escalade, à l’alpinisme, à la spéléologie et à la nage en eau vive. Le positionnement des deux parcs sur la gestion de l’activité canyoning s’est fait dans le cadre de leurs chartes constitutives et en réponse à une demande des acteurs du territoire. Dans le Vercors, ce sont les professionnels de l’encadrement qui ont sollicité les collectivités et notamment le parc pour gérer les conflits locaux. Dans le massif des Bauges, la demande est venue des élus en raison d’un manque d’information sur la sécurité et sur leur responsabilité. Afin de pouvoir se positionner sur la gestion du canyoning, les gestionnaires des parcs avaient au préalable besoin de connaître les sites de pratique et les personnes concernées par l’activité, de déterminer le niveau de fréquentation des canyons et d’avoir une estimation du poids économique de l’activité car cette donnée est « nécessaire pour faire prendre conscience aux décideurs de l’importance et des enjeux économiques liés à l’organisation des activités » (Gayte, Mounet, Perrin et Rocheblave, 2003, p. 10).
Dans le Vercors, huit canyons ont été recensés. Selon une étude de fréquentation menée par Vincent Boudières (2000) sur les deux mois d’été (juillet et août), les trois canyons les plus fréquentés sont le canyon du Furon (2720 pratiquants), celui des Ecouges (2340 pratiquants) et celui de la Comane (1750 pratiquants). Sur ces trois canyons, 90% des pratiquants sont des débutants et sont encadrés par un professionnel de l’activité. Les tarifs pratiqués par ces professionnels pour une journée de pratique sont de 69 euros pour ceux installés au cœur du parc et entre 50 et 58 euros pour ceux installés dans le Vercors drômois (au sud du parc).
Visualisez la carte des canyons du Vercors au format PDF.
Dans le massif des Bauges, sept canyons ont été recensés. Selon une étude de fréquentation menée par Boudières (2001) sur les deux mois d’été (juillet et août), les trois canyons les plus fréquentés sont le canyon du Pont du Diable (1840 pratiquants), celui du Nant de Montmin (1590 pratiquants) et celui de Ternèze (1580 pratiquants). Sur ces trois canyons, 76% des pratiquants sont des débutants et sont encadrés par un professionnel de l’activité. Les tarifs pratiqués par ces professionnels pour une journée de pratique sont entre 38 et 49 euros pour ceux installés au cœur du parc et entre 49 et 67 euros pour ceux installés dans le bassin d’Annecy.
Visualisez la carte des canyons du massif des Bauges au format PDF.
Conformément aux objectifs de leur charte, les deux pnr souhaitent organiser l’activité dans l’optique de son développement durable, c’est-à-dire trouver un équilibre entre son développement, le respect des autres activités humaines et celui du milieu naturel dans lequel elle se déroule. Mais avant la mise en place d’actions et pour le préparer, il a fallu déterminer comment cette activité s’organise sur le territoire de chaque parc.
Pour analyser l’organisation de l’activité il est nécessaire de s’intéresser à plusieurs aspects liés au développement de la pratique sur un territoire. [1] Le premier aspect à prendre en compte est celui de l’utilisation des sites de pratique et le partage de l’espace entre les différents usagers. La question des modes de commercialisation de ce sport de nature qui peut participer au développement économique des territoires se pose également (Perrin, Borrell, Raharinosy et Mounet, 2003 ; Perrin et Mounet, 2004). La question de la sécurité des pratiquants est aussi à prendre en considération. En effet, avec le développement de l’activité, le risque d’accidents s’est accru et le problème des secours se pose. Ceci est devenu une préoccupation pour les élus locaux qui sont responsables de la prévention des accidents et de l’organisation de la distribution des secours sur le territoire de leur commune. La question de la sécurité des pratiquants est également liée à celle de l’équipement des sites. En effet, la pratique du canyoning nécessite la pose d’amarrages pour descendre les verticales en rappel (Quer, 2005). Or certains élus locaux, soucieux des problèmes de sécurité posés par l’activité et de ses conséquences en ce qui concerne leur responsabilité, s’interrogent sur la qualité des équipements en place. Pour eux, il est important de savoir comment et par qui ils sont réalisés.
Ainsi, il apparaît que les questions de la gestion de l’activité sur chaque site, celle de la structuration de l’offre commerciale, celle de l’organisation des secours dans chaque département et celle de l’équipement des sites dans chaque parc sont les quatre éléments à prendre en compte pour comprendre comment est organisée l’activité canyoning sur un territoire. Pour analyser cette question, les concepts développés par Erhard Friedberg (1993) pour l’analyse de l’action organisée ont été utilisés. L’objet de cet article est donc d’analyser l’organisation sportive du canyoning sur deux territoires. Il s’agit également, à la lumière de nos résultats et des problèmes rencontrés pour qualifier l’organisation globale d’un sport de nature, de s’interroger sur la pertinence du cadre théorique choisi.
Cadre théorique.
La dynamique de l’action organisée.
Selon Friedberg, tout contexte d’action susceptible de mobiliser un ensemble d’acteurs autour d’un « problème » commun peut faire l’objet d’une approche organisationnelle car, quelles que soient les caractéristiques du contexte dans lequel elle se déploie, « toute action collective est d’une certaine façon organisée » (Friedberg, 1993, p. 177). « Entendu au sens le plus large ce problème peut être l’élaboration ou la mise en œuvre d’une politique publique, la concurrence autour de la production et/ou de la distribution d’un même bien ou service (un marché, une branche industrielle, un bassin d’emploi), etc. » (p. 16).
Dans cette approche, les hommes sont considérés comme des acteurs stratégiques, c’est-à-dire qu’ils ont des intentions et des objectifs, même s’ils ne réussissent pas souvent à les réaliser, qu’ils sont capables de choix et qu’ils poursuivent ce qu’ils considèrent être leurs intérêts. Pour atteindre leurs objectifs, les acteurs ont parfois besoin d’obtenir la contribution des autres et se trouvent alors en situation d’interaction. Les processus d’interaction sont « des processus de négociation et de pouvoir reliant les acteurs interdépendants d’un espace d’action donné » (p. 109). Le pouvoir, conceptualisé comme une « relation d’échange négocié de comportements », induit « une structuration du champ, c’est-à-dire une régulation des comportements des acteurs impliqués » (p. 113). S’il est possible d’observer empiriquement des régularités de relations entre les acteurs, c’est qu’il existe une structure de jeux qui réalise la coordination et l’intégration des stratégies divergentes des acteurs. Cet ensemble articulé de jeux peut être producteur d’un « ordre local », ordre par lequel « les acteurs parviennent à stabiliser au moins provisoirement leurs négociations et leurs interactions stratégiques » (p. 109).
Analyse organisationnelle du canyoning.
Dans les deux parcs étudiés, plusieurs acteurs sont concernés par les « problèmes », au sens où l’entend Friedberg (1993), posés par le développement de l’activité, à savoir la gestion de l’activité sur les sites de pratiques, la structuration de l’offre commerciale, l’équipement des canyons et l’organisation des secours en canyoning. Si ces « problèmes » sont suffisamment importants, les acteurs concernés sont conduits à coordonner leurs actions. L’analyse organisationnelle permet donc de mettre en évidence la structure de relations et d’échanges entre les différents ensembles d’acteurs, et d’en comprendre la dynamique. Pour cela, l’analyse doit être menée à différents niveaux.
Tout d’abord, la configuration spatiale d’un territoire et des sites de pratique est le premier élément à prendre en compte dans l’analyse organisationnelle des sports de nature. En effet, « les caractéristiques physiques des espaces doivent être appréhendées comme des facteurs essentiels à l’équilibre stratégique » (Mounet, 2000, p. 19).
Dans un deuxième temps, l’analyse systémique permet de délimiter pour chaque problème le système d’acteurs concernés. La première étape de l’approche systémique est de traduire un problème en un réseau d’acteurs. La deuxième étape consiste à comprendre l’équilibre qui existe entre les acteurs pour caractériser le degré d’organisation du contexte d’action. Les relations entre les acteurs sont plus ou moins formalisées. Il peut exister des conventions ou des accords entre certains qui structurent le champ organisationnel. Mais, comme l’explique Friedberg (1992), le degré de formalisation seul ne suffit à caractériser le degré d’organisation. Il faut ajouter les trois autres dimensions que sont le degré de finalisation, le degré de conscience et le degré de délégation de la régulation.
Dans un troisième temps, l’analyse stratégique permet de mettre en évidence les stratégies des acteurs ainsi que les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Si dans un contexte d’action les individus ont des intérêts opposés, les relations peuvent être conflictuelles. Mais souvent, s’ils veulent atteindre leurs objectifs, ils ont besoin d’obtenir la contribution d’autres acteurs. Ils peuvent alors coopérer même si leurs objectifs ne sont pas complètement convergents.
Résultats et discussion.
Les résultats présentés sont issus d’une compilation de plusieurs études menées sur le territoire du Vercors et celui du massif des Bauges (Perrin, 2003 et 2005 ; Perrin, Borrell, Raharinosy et Mounet, 2003 ; Perrin et Mounet, 2004 et 2006). Ces études reposent sur une méthodologie qualitative dans laquelle l’entretien semi-directif tient une place privilégiée. Au total, 170 entretiens ont été réalisés avec les acteurs pertinents, c’est-à-dire ceux dont le comportement contribue à structurer le contexte d’action, à partir d’un guide d’entretien dont les indicateurs portent sur :
- les caractéristiques physiques des sites ;
- l’analyse systémique : l’inventaire des acteurs et le degré d’organisation du système ;
- l’analyse stratégique : les objectifs et les moyens mis en œuvre par les acteurs, leurs relations au sein du contexte d’action et leurs idéaux de référence.
Les données recueillies par entretiens ont été complétées par l’analyse d’un ensemble de documents, notamment :
- les textes de plusieurs règles formelles (des arrêtés municipaux et préfectoraux, les plans départementaux de secours, un plan départemental du tourisme…), dans le but de mettre en évidence les contraintes formelles et de repérer les zones d’incertitude existantes ;
- des courriers et des comptes-rendus de réunions, afin de préciser les positions stratégiques prises par les acteurs ;
- des documents publicitaires élaborés par les prestataires sportifs, pour connaître les types de produits proposés, leurs tarifs et le type de clientèle visée.
Un continuum de contexte d’action.
Le cadre théorique de l’action organisée développé par Friedberg (1993) a permis d’analyser de manière fine le degré d’organisation de chaque contexte d’action et de réaliser une comparaison. En effet, l’ensemble des résultats montre une différence importante dans le degré d’organisation de chaque contexte d’action. Plus précisément, nous pouvons noter la présence d’un continuum des contextes d’action en fonction des caractéristiques de leur organisation et selon quatre dimensions (Friedberg, 1992) : les degrés de formalisation, de finalisation, de prise de conscience et de délégation explicite. D’un côté de ce continuum se trouve l’équipement des sites qui est un contexte d’action flou dont le degré d’organisation est nul. Ceci s’explique par le fait que l’équipement sportif des sites nécessite peu de moyens. En conséquence, chaque acteur concerné peut intervenir de manière individuelle sans coordination avec d’autres pour trouver des sources de financement. De plus, la fédération délégataire dans l’organisation de l’activité, la Ffme, ne réalise pas de plan d’équipement comme elle peut le faire en escalade. Il n’y a donc pas d’action organisée structurée sous la forme d’un ordre local. C’est également le cas des contextes d’action structurés autour de la gestion des sites de pratique du massif des Bauges car le développement de l’activité n’a pas amené les acteurs à coordonner leurs actions pour « organiser » les différents usages du site (Perrin, 2003). Ceci s’explique par le fait que les conflits d’usage sur ces sites sont quasi inexistants.
De l’autre côté du continuum se situent les secours en canyoning, dont le degré d’organisation est le plus élevé et dont les caractéristiques se rapprochent de celles d’une organisation formelle. Ceci s’explique par le fait que le cadre juridique régissant l’organisation des secours en France est très précis et que, dans la majorité des départements étudiés, les modalités d’intervention des différents acteurs sont formalisées dans un plan de secours. Ainsi la gestion des secours en canyoning est assurée par des acteurs publics et supportée par la collectivité. Il est possible d’affirmer que, si la puissance publique prend en charge cette gestion, c’est pour répondre à la demande très forte de sécurisation propre à la mentalité moderne (Lavigne, Blancher, Peguet, Maccio, Navarro et Caillot, 1989). Ici est atteint le dernier palier de ce que Friedberg (1992) appelle « la séquence génétique des systèmes d’action concrets ». En effet, les acteurs du secours ont délégué explicitement un certain degré de responsabilité pour la régulation et le pilotage du système au préfet, « délégation qui coïncide le plus souvent avec l’émergence de structures et de procédures formalisées » (Friedberg, 1993, p. 164). C’est ainsi que, dans chaque département, les modalités d’intervention des acteurs sont formalisées dans un plan de secours.
Entre les deux extrémités du continuum, il est possible de situer la structuration de l’offre commerciale de canyoning, qui est plus ou moins importante en fonction des territoires (Perrin et al., 2003). Dans le massif des Bauges, la structuration de l’offre est faible car chaque prestataire a une clientèle de collectivités fidèle et suffisante pour remplir ses journées. Ils n’ont donc pas éprouvé le besoin de mieux se structurer pour attirer une clientèle individuelle. Le degré d’organisation de ce contexte d’action est toutefois plus élevé que celui de l’équipement des sites car les prestataires sportifs subissent des contraintes communes dans le sens où ils s’adressent tous au même segment de clientèle : les centres de vacances et les individuels en vacances sur le territoire. Ils se trouvent donc sur un marché concurrentiel ; et même si cette concurrence n’est pas très forte du fait du faible nombre de professionnels, ils sont tout de même obligés de tenir compte des actions des autres, notamment pour fixer leurs tarifs (Perrin et Mounet, 2004). Sur le Vercors, au contraire, la structuration de l’offre est élevée car les prestataires sportifs ont mis en place un tissu relationnel efficace afin de répondre à toute la demande des centres de vacances et des vacanciers (Perrin et al., 2003). Cette coordination des actions se retrouve également sur les sites de pratique du Vercors, et notamment sur le canyon du Furon, où les acteurs concernés ont été réunis, ce qui leur a permis de mieux se connaître, mais surtout de s’accorder sur des objectifs communs (Gayte et al., 2003). Ceci a permis d’augmenter le degré de finalisation du système et le degré de conscience que les acteurs avaient de leurs interdépendances. De plus, le parc s’est positionné en arbitre entre les intérêts conflictuels des participants, c’est-à-dire en « intégrateur » du système (Friedberg, 1993), ce qui a permis d’augmenter le degré de délégation de la responsabilité du pilotage du système. Enfin, la formulation de règles par les acteurs eux-mêmes a permis d’augmenter son degré de formalisation, qui va de pair avec une augmentation de la structuration du système. Ce faisant, les acteurs acceptent de réduire leur marge de manœuvre et se rendent plus prévisibles. Mais chacun est gagnant dans le sens où cela contribue à augmenter la stabilité du système.
Ces différences dans le degré d’organisation des contextes d’action peuvent s’expliquer par le niveau « d’utilité sociale perçue » des problèmes que pose l’activité. En effet, l’organisation des secours par l’autorité publique répond clairement à une demande sociale dans une société « où tout doit être mis en œuvre au nom du refus du fatalisme pour prévenir le risque, protéger les personnes et les biens ; en un mot, où le citoyen est de plus en plus exigeant à l’égard des pouvoirs publics » (Dupont-Marilla et Jarnevic, 2000). Cependant, il convient de préciser que les secours en montagne n’ont pas toujours été organisés sous l’autorité de la puissance publique. En effet, les premiers secours étaient effectués par des sauveteurs bénévoles, recrutés parmi les adhérents des sociétés alpines locales. Ce n’est qu’à la suite de la mort des alpinistes belges Jean Vincendon et François Henry au mont Blanc en 1956 que le secours a pris sa forme actuelle, caractérisée notamment par l’intervention des pouvoirs publics. Ainsi, c’est la survenue d’un événement tragique ayant alerté l’opinion publique qui a entraîné une réorganisation et une formalisation des secours. À l’opposé, l’équipement des sites de canyoning n’est ni une préoccupation sociale, ni une préoccupation pour les acteurs institutionnels que sont la fédération et ses comités départementaux. Ce problème ne concerne finalement que très peu d’individus. En revanche, la question de la commercialisation de l’activité et des conflits d’usage qu’elle peut engendrer est une préoccupation plus importante pour les acteurs publics, et notamment pour les pnr, car l’insertion sociale des activités et le développement économique local font partie de leurs missions. C’est pourquoi ils sont susceptibles de participer à la structuration de ces contextes d’action.
Par ailleurs, si les degrés d’organisation des contextes d’action sont plus ou moins élevés, ce sont aussi les modes de coordination dominants qui diffèrent. Il apparaît en effet que le mode de coordination dominant des secours en canyoning est celui de l’organisation avec des règles et des procédures formalisées ; alors que celui de la structuration de l’offre commerciale de canyoning est celui du marché. Cependant, il n’est pas possible d’opposer ces deux modes de coordination car, comme l’explique Friedberg (1993, p. 172), la régulation des contextes d’action « repose toujours non pas sur un seul mode coordination et de mobilisation, mais bien sur des montages, des mixtes inextricables ». En effet, « des éléments de marché et de concurrence existent tant sur le marché que dans les organisations, et des éléments de coordination par des règles existent dans les marchés comme dans les organisations » (p. 173). Ainsi, des concurrences entre certains corps de secouristes en canyon ont pu être mises en évidence. De même, dans le parc du Vercors, les actions de la section locale, qui préconise des tarifs pour une journée d’encadrement du canyoning, introduisent des éléments de coordination par des règles dans le marché du tourisme sportif.
Après avoir analysé chaque contexte d’action séparément, il s’agit de comprendre comment ils s’articulent entre eux, afin de déterminer comment est organisée de manière globale l’activité canyoning sur le territoire d’un massif. Comme l’explique en effet Friedberg dans une réponse à une critique de Mireille Pongy et Philippe Warin (1997) sur son ouvrage, la réflexion sur l’articulation des systèmes d’action analysés est un processus de recherche extrêmement utile et nécessaire. Mais cette réflexion ne doit intervenir qu’ex post. Cette articulation peut s’expliquer par le fait que plusieurs problèmes posés par le développement de l’activité canyoning peuvent être liés. Ces interactions s’expliquent également par le fait que les acteurs participent en même temps à une pluralité de contextes d’action dans lesquels ils s’engagent plus ou moins fortement, ce qui permet de faire des liens entre ces différents contextes.
L’articulation des contextes d’action.
Il apparaît que l’organisation des secours est un contexte d’action indépendant des autres. En effet, le secours en canyon, compris dans le champ du secours en montagne, est pris en charge par les services de l’État et/ou les sapeurs-pompiers spécialisés dans l’intervention en montagne. Or ces acteurs ne sont pas concernés par les autres « problèmes » que peut poser l’activité. Ainsi, dans chaque département, le secours en canyon est organisé sous l’autorité du préfet, et ce sans lien avec les autres systèmes d’action.
Si l’organisation des secours est indépendante des autres, l’équipement des sites et la gestion de l’activité sur les sites de pratique sont liés à l’offre commerciale. En effet, pour pouvoir proposer une offre attractive à leur clientèle, les prestataires sportifs doivent disposer de sites équipés. De plus, ils sont concernés au premier chef par le problème de l’utilisation des sites car, si des conflits d’usage existent ou si des propriétaires interdisent le passage sur leur terrain, le déroulement de l’activité peut être compromis, ce qui n’est pas souhaitable pour des professionnels vivant de son encadrement. Ainsi, les professionnels « participent naturellement en même temps à une pluralité de systèmes d’action » (Friedberg, 1993, p. 251). Or l’analyse organisationnelle développée par Friedberg ne prend pas suffisamment en compte cet aspect. Nous proposons de dépasser cette limite et de nous intéresser à l’implication des prestataires sportifs. Il apparaît que dans les deux parcs, ils n’ont pas la même implication (Perrin, 2005), ce qui a des conséquences sur la gestion globale de l’activité. Dans le parc du Vercors, la section locale du Snpsc (Syndicat national des professionnels de la spéléologie et du canyon) réfléchit à la création d’une commission pour pouvoir proposer un équipement homogène et de qualité sur l’ensemble du massif. De plus, elle est très active dans la défense de l’activité et notamment dans celle de l’accès aux sites, tout en agissant dans le sens d’une conciliation des usages. Par ailleurs, même si elle n’a pas de vocation commerciale, elle a une influence sur la structuration de l’offre sur le territoire dans la mesure où elle préconise des tarifs et veille à ce que les prestations fournies par l’ensemble des prestataires sportifs soient de qualité. Si elle s’implique ainsi c’est qu’elle est soucieuse de la qualité des produits proposés car, pour ces professionnels, celle-ci passe avant la quantité de journées encadrées. En définitive, dans le parc du Vercors, la gestion de l’activité canyoning est prise en charge par la section locale du Snpsc, qui s’implique dans les différents contextes d’action afin de s’assurer de ce qu’elle perçoit comme la « qualité » des produits proposés. Pour une gestion plus efficace, les professionnels ont sollicité l’appui du parc. Celui-ci se positionne en arbitre sur les sites pour tenter de résoudre les conflits d’usage et il apporte une aide aux prestataires pour la commercialisation de leurs produits. Ainsi, dans le Vercors, la gestion de l’activité concerne des acteurs publics et privés qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour résoudre seuls les problèmes posés par l’activité et qui agissent donc en partenariat. Il est donc possible de parler de gouvernance au sens où l’entendent Françoise Gerbaux, Vincent Boudières et Emmanuelle Marcelpoil pour analyser les modes de management touristique locaux (Gerbaux, Boudières et Marcelpoil, 2004 ; Gerbaux et Marcelpoil, 2006).
Dans le massif des Bauges au contraire, les éléments relevés par Gerbaux et al. (2004) pour caractériser la gouvernance des destinations touristiques n’apparaissent pas. En effet, chaque acteur agit seul face au(x) problème(s) qui le concerne(nt), ce qui est un obstacle à la création d’un acteur collectif. Sur ce territoire, il n’existe pas de groupement de professionnels qui rassemble tous les prestataires sportifs pour mener des actions communes face aux « problèmes » posés par l’activité canyoning. Contrairement à ceux du Vercors, ils ne se sont pas organisés pour proposer une offre cohérente sur l’ensemble du territoire. Ils n’ont pas non plus la volonté de coordonner leurs actions pour équiper les canyons. Ceci peut s’expliquer par la quasi-inexistence de conflits d’usage sur les sites. Par conséquent, les professionnels n’ont jamais eu la nécessité de se regrouper pour la défense de leur activité. Ainsi, ils ont une « zone d’autonomie » (Friedberg, 1993) importante : chacun agit indépendamment des autres face au problème de la gestion de l’activité sur les sites, mais également pour la commercialisation de ses activités, et pour l’équipement des canyons. Par ailleurs, le partenariat entre les acteurs privés et les acteurs publics est quasi inexistant. En effet, aucun professionnel n’a sollicité l’appui du parc et peu d’entre eux ont participé aux comités de pilotage. De plus, les prestataires n’ont pas la volonté de se regrouper pour bénéficier des subventions de l’Atd (Agence technique départementale) pour l’équipement sportif des sites. Et il est possible de constater que cette situation rend difficile la réalisation de la politique élaborée par les acteurs publics. Ainsi, dans le massif des Bauges, il n’est pas possible de parler de gouvernance. Du même coup, la gestion de l’activité à l’échelle du territoire est rendue difficile. La pratique du canyoning se déroule spontanément sur chaque site, sans une réelle coordination des acteurs concernés.
Cette différence entre les deux massifs s’explique également par le fait que le développement de l’activité canyoning est beaucoup plus récent dans le massif des Bauges. Les prestataires sportifs sont moins nombreux que dans le Vercors et ont chacun une clientèle suffisante. Ils n’ont trouvé nécessaire ni de se structurer en réseau (Mounet, 1997) pour drainer la clientèle du massif, ni de nouer un partenariat avec des acteurs publics pour faire face aux problèmes que pose le développement de l’activité. De plus, dans le Vercors, la pratique de la spéléologie est antérieure à celle du canyoning. Ainsi, les moniteurs spéléo-canyon étaient déjà structurés en réseau avant que la pratique de cette activité ne se développe sur le territoire du parc. La différence entre les deux massifs s’explique donc par une différence dans le degré de maturité du réseau constitué par les professionnels du canyoning, qui sont finalement les premiers concernés par la gestion de cette activité (Perrin, 2005). Un autre facteur explicatif est l’antériorité du parc du Vercors, qui a été créé vingt-cinq ans avant celui du massif des Bauges. Ainsi, le premier dispose d’une légitimité supérieure au second et d’une capacité d’action plus importante lui permettant d’atteindre ses objectifs.
D’autres facteurs explicatifs à considérer sont d’ordre économique (Perrin, 2005). En effet, des études ont montré que le poids économique du canyoning dans le massif des Bauges était très faible (Conseil général de la Savoie, 2001), alors qu’il dépasse les 300 000 euros dans le Vercors (Plaindoux et Rochablave, 2001).Cette différence entre les deux parcs peut expliquer le positionnement des acteurs publics, et notamment l’opposition des élus locaux du massif des Bauges : ils ne souhaitent pas voir se développer davantage une activité qui selon eux ne leur apporterait que des nuisances. Au contraire, comme le poids économique du canyoning est important dans le Vercors, les maires et le parc souhaitent soutenir son développement raisonné et coopèrent avec les professionnels. Cette différence de positionnement n’est pas sans conséquence dans la gestion de l’activité.
La gestion de l’activité canyoning sur un territoire.
L’exemple des deux pnr incite à s’interroger sur la gestion globale de l’activité canyoning sur un territoire. Or, selon Friedberg (1993), les résultats de l’analyse organisationnelle « ne peuvent fournir la base pour extrapoler à partir de là sur d’autres systèmes apparemment semblables » (p. 255) et il faut se « contenter de savoirs partiels » (p. 300). Pour aller au-delà, nous avons chois de suivre la proposition de Sophie Dion, qui, dans une lecture critique de Friedberg, nous incite à « accorder à des résultats de recherche une portée explicative plus large que le contexte où ils ont été recueillis », car, selon lui, « la monographie fermée étouffe les potentialités de l’analyse stratégique » (Dion, 1992).
Il est donc possible ici d’accorder à nos résultats une portée explicative plus large pour finalement mettre en évidence les caractéristiques de la gestion de l’activité canyoning sur un territoire. Il apparaît que celle-ci échappe à la fédération délégataire, qui n’est impliquée dans aucun contexte d’action. En effet, hormis sur le Furon, où elle s’est trouvée impliquée dans la gestion de l’activité en raison de la réglementation en vigueur (Perrin et Mounet, 2006), elle est absente de tous les sites. De plus, elle n’a pas établi de plan d’équipement. Ceci peut s’expliquer par le fait que la part de pratiquants encadrés par les professionnels est plus importante que celles des pratiquants de clubs. En effet, dans les deux massifs, des enquêtes de fréquentation ont montré que les pratiquants encadrés par un prestataire sportif représentaient plus de 75% des canyoneurs. C’est donc une pratique qui intéresse davantage les professionnels que les clubs sportifs. Ces résultats correspondent aux écrits de Philippe Bourdeau (1994) et d’Arnaud Pinguet (1996) qui s’accordent pour dire que la majorité des canyoneurs font appel à un professionnel pour l’encadrement de leurs sorties. De plus, en tant que composante de l’offre touristique, cette activité intéresse les collectivités territoriales. C’est notamment le cas de certaines communes qui aimeraient bénéficier de retombées économiques et c’est aussi le cas du département de la Savoie, qui a pour objectif de « gagner des parts de marché l’été » (Conseil général de la Savoie, 2001). Or il est intéressant de noter que, dans ce département, c’est l’Atd et non le Service des sports qui est chargée de mettre en œuvre la politique du Conseil général dans ce domaine. Ces résultats montrent donc que le canyoning doit davantage être considéré comme une activité « touristique » que comme une activité « sportive ». On peut alors s’interroger sur la manière dont sera géré ce type d’activité dans le cadre des cdesi puisque les actions menées sont prises en charge par le service des sports du Conseil général et non par celui du tourisme.
La gestion de la pratique est également rendue difficile par la présence sur les sites de pratiquants non organisés, c’est-à-dire de pratiquants qui ne font partie ni d’un club, ni d’un groupe encadré par un professionnel. Ces pratiquants ne peuvent être considérés comme des acteurs pertinents au sens de Friedberg (1993) car un individu a un statut d’acteur dans un contexte d’action « dans la mesure où l’on peut montrer que son comportement contribue à structurer ce champ » (p. 209). Or les pratiquants non organisés n’ont pas de poids dans les contextes d’action puisqu’ils ne se sont pas regroupés en acteurs collectifs autour d’intérêts communs. Ils n’ont donc pas de capacité d’action en tant que groupe pour pouvoir négocier avec les autres acteurs et ils ne sont pas en interaction stratégique avec eux. Cependant, ces pratiquants sont à prendre en compte car ils peuvent avoir une influence sur les contextes d’action. Sur certains canyons, comme celui du Furon (Perrin et Mounet, 2006), les stratégies des acteurs sont influencées par la présence de ce public. De plus, sur certains sites, comme celui des Ecouges (Perrin, 2003), ces pratiquants ne respectent pas toujours la réglementation en vigueur. Ceci a pour conséquence de modifier l’équilibre stratégique en place.
Il apparaît que, dans cette activité, seuls les secours sont réellement « organisés ». Ceci peut s’expliquer par le fait que l’activité canyoning a été incluse dans le champ des secours en montagne, qui depuis 1958 a été pris en charge par l’État et constitue ainsi un véritable service public. De ce fait, le cadre juridique régissant l’organisation des secours dans cette activité est très précis.
En définitive, tous les aspects liés au développement de l’activité canyoning ne sont pas « organisés » de la même manière. L’ensemble de ces contextes d’action peut être considéré comme une bonne illustration de la séquence génétique des systèmes d’action concrets évoquée par Friedberg (1993). On passe en effet de la non-coopération dans le cadre de l’équipement des sites à une structuration du système plus consciente et plus explicite en ce qui concerne les secours, structuration qui coïncide avec une formalisation et une centralisation. Dans le premier cas, les acteurs ne sont pas en interdépendance stratégique. À ce moment-là, le questionnement sur les processus et les mécanismes de production de l’ordre local n’a pas lieu d’être puisque celui-ci n’existe pas. Les concepts proposés par Friedberg (1993) sont alors inopérants car, comme l’explique le sociologue, « s’interroger sur la dimension organisationnelle de l’action sociale revient à s’intéresser à des contextes d’action marqués par l’interdépendance stratégique entre les acteurs » (Friedberg, 1993, p. 29). Toutefois, dans le cadre de cette étude, la mise en évidence de la non-existence d’un ordre local est un résultat en soi, qui permet d’enrichir la connaissance du problème posé.
Vers une difficile coordination territoriale des sports de nature.
Dans cet article, nous nous sommes intéressés à l’organisation d’un sport de nature au sein de deux territoires. Pour mener à bien l’analyse, il a été nécessaire de se pencher sur plusieurs aspects liés au développement de l’activité. Il apparaît que ces différents aspects ne sont pas « organisés » de la même manière. En effet, chaque contexte d’action se situe à un moment différent de la séquence génétique évoquée par Friedberg (1993). Il y a donc une coexistence de systèmes plus ou moins structurés en fonction des problèmes posés et des acteurs en présence.
Ces résultats amènent à s’interroger sur la gestion globale d’un sport de nature tel que le canyoning sur un territoire. Il s’agit alors d’analyser les liens entre les contextes d’action. Or ces liens sont parfois inexistants, notamment en ce qui concerne les secours en canyoning qui composent un contexte d’action indépendant des autres. Ils sont également problématiques dans le parc du massif des Bauges, puisque les professionnels agissent indépendamment les uns des autres et des autres acteurs. Dans le Vercors en revanche, des acteurs « sécants » aux différents contextes d’action permettent de créer des liens. Il s’agit non seulement de la section locale du Snpsc, mais également du pnr lui-même.
Par ailleurs, pour comprendre la dynamique de ces contextes d’action, il est nécessaire de s’intéresser aux stratégies des acteurs, mais également à leurs rationalités en valeur (Weber, [1922] 1995) car celles-ci ne sont pas sans influence sur les positions adoptées. En effet, elles peuvent venir perturber l’organisation que les acteurs publics souhaitent mettre en place. C’est notamment ce qui se produit dans le massif des Bauges lorsque les professionnels « passionnés » du territoire refusent de se structurer car ils ont chacun une clientèle suffisante pour vivre de leur passion. Ceci est un obstacle pour l’obtention de subventions publiques pour l’équipement des sites, et par la même occasion pour l’atteinte des objectifs des pouvoirs publics. À l’inverse, les rationalités en valeur des acteurs peuvent « dynamiser » un contexte d’action peu structuré. C’est le cas des moniteurs du Vercors qui, dans la logique de « l’aménageur » (Bozonnet, 1992), souhaitent rendre les canyons accessibles au grand public. C’est la raison pour laquelle ils ont la volonté de structurer le contexte d’action et de passer à une action collective.
En définitive, les résultats montrent qu’au départ la gestion des différents contextes d’action relève du privé. C’est encore le cas de l’équipement des sites, qui est assuré uniquement par les professionnels et les clubs locaux, car il demande peu de moyens financiers. Par la suite, lorsque les « problèmes » posés par l’activité « interpellent » les acteurs publics, on passe soit à une gestion publique, dans le cas des secours, afin de répondre à une forte demande sociale, soit à une gestion mixte que l’on peut qualifier de gouvernance touristique (Gerbaux et al., 2004) mais qui est plus ou moins aboutie en fonction des acteurs en présence. Dans le Vercors, ce sont les acteurs privés (les prestataires sportifs) qui ont interpellé les acteurs publics (le pnr lui-même). Dans le massif des Bauges, ce sont les acteurs publics (l’Atd de la Savoie) qui souhaitent travailler en partenariat avec les acteurs privés (les professionnels du canyoning) pour l’équipement des sites.
Il est important de préciser la nature de la connaissance produite : « il s’agit d’une connaissance spécifique et limitée, qui ne permet de fonder que des modèles d’interprétation à validité locale demandant constamment à être enracinés et concrétisés dans une analyse fine du terrain » (Friedberg, 1993, p. 20). Ainsi, les résultats obtenus sont spécifiques aux contextes d’action étudiés. Cependant, la comparaison systématique de ces modèles locaux peut permettre d’élever leur niveau de généralité. Friedberg (1993) recommande ainsi d’achever toute recherche par une comparaison entre plusieurs études cliniques. « Sur la base de ces faits pourra alors se bâtir un modèle interprétatif qui, sans avoir valeur universelle, dépasse la seule contingence locale pour se situer à un premier niveau de généralisation. » (p. 304). C’est ainsi que nous avons procédé lorsque nous avons systématiquement comparé les résultats obtenus dans les deux parcs afin de mettre en évidence l’ensemble des convergences et des divergences existant entre les différents contextes d’action.
Un dernier point de vue, à la fois théorique et pratique, émerge de l’articulation de ces contextes d’action. Si l’approche par les ordres locaux a le mérite incontestable de bien décrire une réalité marquée par un bricolage par les acteurs des éléments de la pré-structuration pour atteindre un équilibre stratégique, elle ne permet pas de comprendre directement et aisément l’articulation de contextes différents renvoyant à des problèmes, certes complémentaires, mais perçus comme non reliés entre eux. Elle ne permet pas non plus de bien saisir l’influence d’autres contextes d’action qui ne sont pas en lien avec les sports de nature, mais qui peuvent être pertinents sur le même territoire. Peut-être trouvons-nous ici les limites d’une approche théorique qui se focalise sur un ordre local relié à un unique problème alors que les sports de nature ne sont pas réductibles à cela en ce qui concerne leur gestion. Le « réseau » ainsi décrit manque de « liant ». À l’inverse, la théorie de l’acteur-réseau (Latour, 2006) est une approche qui peut être considérée comme une théorie « pauvre » dans le cadre d’une sociologie modeste (Law, 1994) mais a l’avantage incontestable de relier entre eux acteurs et actants non humains. Les sites de pratique, absolument centraux pour les sports de nature, peuvent servir de lien entre les acteurs qui, eux-mêmes, peuvent relier des modes de réservation et de commercialisation. Dans une approche par le réseau, ce qui est perdu en finesse « stratégique » peut être gagné dans la mise en perspective des interactions, les liens entre actants et acteurs définissant la carte de leurs interactions. Le résultat, graphique, illustre alors les connexions entre les contextes d’action et permet, comme le dit Bruno Latour (2006), de voir comment les acteurs et les actants se contextualisent entre eux, certains étant plus centraux que d’autres dans le réseau parce que plus reliés aux autres. Finalement, peut-être que la posture proposée par Henri Amblard, Philippe Bernoux, Gilles Herreros et Yves-Frédéric Livian (1996) peut permettre d’articuler ces deux approches, qui s’avèrent effectivement tout à fait complémentaires à la lumière de nos résultats.