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Serendipity.

Une vision syncrétique du social.

Dulac. 2022. Pour une science du social. Paris : CNRS Éditions.

Le livre du collectif Dulac veut à la fois réaffirmer la scientificité des sciences sociales (souci épistémologique) et sortir d’une division des disciplines devenue contreproductive (souci politique). Ce n’est pas un hasard s’il intervient dans une période historique où les sciences sociales en général sont constamment disqualifiées par les pouvoirs politiques et médiatiques au point de voir certaines formations supprimées dans des universités comme au Japon. Le livre signale la responsabilité des chercheurs eux-mêmes et de certaines dérives de leurs travaux bien trop loin de toute exigence scientifique, mais il n’oublie pas non plus de pointer les conséquences d’une telle perte de réflexivité. J’ajouterais cependant, de mon point de vue de spécialiste du numérique, que cette alerte que j’avais lancée en 2015, est largement amplifiée par la puissance de nouvelles entités à finalité financière mais à responsabilité sociale de fait, à savoir les plateformes numériques qui engrangent une connaissance du social opaque, mais séduisante (Boulier 2015). Elles entrainent avec elles des sciences de données qui prétendent traiter tout problème social grâce à leurs capacités de calcul et à leurs modélisations probabilistes, dans l’ignorance totale, parfois, des travaux de sciences sociales. La plaisanterie d’un dirigeant d’entreprise américain dès 1992 en traitement du langage pour la traduction avait valeur d’annonce : « Les performances du système augmentent à chaque fois que je vire un linguiste » (cité par Whitecomb 1992). Elle constituait une autre version plus cynique du diagnostic posé par Chris Anderson dans Wired dès 2008 : « The End of Theory » (et il parlait pour toutes les sciences, ce que l’IA est en train de confirmer).

Sur ce plan au moins, le livre Pour une science du social est un acte de résistance. Oui, le travail conceptuel, la formalisation théorique, la mise à l’épreuve empirique selon des principes scientifiques, sont toujours nécessaires et représentent toujours les conditions de validation des énoncés dans ce régime de vérité propre qu’est la science, constituant clé des valeurs démocratiques. Et préserver ce régime de vérité est vital pour éviter que l’espace public soit envahi par tous les fondamentalismes religieux et leurs dérivés ou par les prétentions complotistes à la post-vérité qui ont été tant amplifiées durant la crise du Covid19.

Sans doute faut-il restituer ces enjeux pour comprendre pourquoi, au même moment quasiment, deux autres livres affichent des prétentions voisines, sur des modes et avec des propositions pourtant très différentes : le livre de Bernard Lahire, Les structures fondamentales des sociétés humaines (2023) et mon propre livre, Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales (Boullier 2023). La discussion ici proposée sur l’approche de Dulac sera donc conduite en miroir des deux autres puisque les questions soulevées sont au cœur d’un mouvement nécessaire de refondation des sciences sociales, pourrait-on presque dire. La critique de l’état actuel des sciences sociales ne se fait pas nécessairement sous le même angle : elles sont trop militantes selon Dulac, trop déconstructivistes et relativistes selon Lahire, trop molles dans leurs méthodes de mises à l’épreuve selon moi-même.

Les frontières tracées pour les sciences sociales ne sont pas non plus identiques entre les trois ouvrages, les uns (Lahire et Dulac) écartant l’économie et la psychologie de leur champ, alors que je les inclus sans problème comme l’avait fait Tarde avant que le grand schisme durkheimien ne le balaie. L’extension à la biologie est cependant un souci commun de ces trois approches, en partie parce que les avancées sur ce plan sont considérables et reconnues plus scientifiques et aussi parce que la division classique des modernes entre humain et vivant, autre formulation de l’opposition culture/nature, a été mise à rude épreuve avec la crise écologique actuelle. Là aussi des nuances peuvent être constatées, puisque Dulac insiste pour maintenir la distinction, tandis que Lahire exploite avant tout les travaux des biologistes des populations et de l’éthologie sous l’égide de la théorie de l’évolution de Darwin alors que pour ma part, ce sont les avancées de la génétique et de la génomique qui me paraissent productives pour s’inscrire dans la lignée de la synthèse évolutionniste (Darwin-Mendel), elle-même en cours de révision constante. Ces nuances ne peuvent cependant atténuer l’importance reconnue que pourrait revêtir la réintroduction de Darwin dans les programmes de formation aux sciences sociales, tout comme, de mon point de vue, celle de Turing, qui devient désormais indispensable dans toutes les formations. Cela permettrait de s’appuyer, comme le disait Dennett (2017), sur les deux auteurs des « algorithmes théoriques » les plus puissants des derniers siècles, algorithmes de portée générale et non limités à leur discipline d’origine. Si l’ambition théorique est partagée par les trois livres, commençons par prendre modèle sur ces deux auteurs et par éduquer toutes les nouvelles générations à leurs formalisations.

Dernière remarque comparative générale, avant d’entrer dans la discussion du livre de Dulac plus précisément. Dulac fait une offre politique d’unification des sciences sociales et il faut saluer cet effort, car il n’est pas fondé sur un principe de table rase ou d’imposition d’un métamodèle. Le pluralisme des approches, marqué dans des tableaux très pertinents pour rassembler tout en classant les différents domaines, est en effet une condition pour faire accepter la réunification. De la même façon mais selon une autre modalité politique, j’ai proposé de reconnaitre les différences entre disciplines selon des « points de vue », au sens fort du terme sur le plan cognitif. Cela permet de tisser des liens entre celles qui attribuent une agency soit aux structures (héritage), soit aux préférences individuelles (arbitrages) soit enfin aux propagations (voisinage). Ce qui aboutit à une recomposition beaucoup plus profonde mais qui a pour contrepartie de ne pas prétendre éliminer ou subordonner les autres points de vue. Cette offre diplomatique n’est pas la position de Lahire qui, certes, veut retisser les liens avec certaines disciplines de la biologie mais sous l’ombrelle de sa vision « dispositionnaliste-contextualiste ». À tel point que des champs entiers et des approches majeures des sciences sociales disparaissent totalement de son projet, comme le pragmatisme ou la théorie de l’acteur-réseau notamment. On pourrait dire, sans doute trop schématiquement, que Dulac adopte une position politique de syncrétisme, Lahire une position de monopole, et moi-même une position politique de pluralisme organisé. Si cette démarche de réorganisation disciplinaire repose en fait sur le cadrage théorique général qui la sous-tend, il est assez vain de consacrer trop de temps à des réarrangements sans fin, comme le fait parfois le livre de Dulac. Nous verrons que tout cela repose en fait sur des différences importantes sur les quatre dimensions qui me servent de guide analytique : la prise en compte des équipements de l’activité scientifique et des Science and Technology Studies (STS), la question du réductionnisme et le souci du Tout, la place de l’action, le « modèle bilantiel » du social (proposé par Dulac).

Une approche épistémologique sans STS.

La discussion sur la réorganisation des disciplines fait apparaitre indirectement un manque cruel dans l’ouvrage de Dulac et encore plus dans celui de Lahire : la science semble se faire dans les cerveaux des chercheurs et ne repose jamais sur des méthodes, des techniques, des matérialités externes aux humains-chercheurs. C’est tout le risque d’une approche « purement » épistémologique qui n’est pas ancrée dans les supports de la connaissance, dans une sociologie des sciences et plus particulièrement des STS (Science and Technology Studies). Pour reconnecter avec les enjeux du numérique, on peut simplement prendre les exemples qui ont déstabilisé profondément deux disciplines récemment :

  • les Systèmes d’Information Géographiques (SIG) en géographie dont les experts ont trusté les postes et ont fait paraitre ringards les quelques chercheurs soucieux de poser une théorie de l’espace (comme le sont J. Levy et M. Lussault, heureusement !)
  • les systèmes de NLP (Natural Language Processing) qui ont là aussi récupéré tous les postes académiques disponibles en linguistique pour faire disparaitre tous ceux qui continuent à discuter d’une théorie du langage. Et sur ce plan, les conséquences sont terribles pour toutes les sciences (et pas seulement pour les sciences sociales) puisque l’industrie de l’IA générative propose des outils d’exploitation des données langagières (source massive dans toutes les sciences sociales) fondées sur une approche purement probabiliste du langage (LLM), sans sémantique. Ces outils sont désormais manipulables eux-mêmes sur un agent conversationnel d’apparence intuitive et immédiate (interaction orale et visuelle plus que textuelle) qui fournit toujours des réponses sans jamais rien comprendre à ce qu’est un protocole d’investigation scientifique et donc un questionnement.

La discussion sur les principes, les lois, les fondements, etc., parait dès lors complètement hors sol et condamnée à l’obsolescence si tous ces équipements sont passés sous silence. Or, la plupart des évolutions, des changements de paradigme dépendent aussi de la faisabilité technique des démonstrations puisque c’est la mise à l’épreuve des énoncés qui est la clé de toute démarche scientifique (et cela nous éloigne en effet du modèle de Kuhn sur les ruptures paradigmatiques qui est la référence pour Dulac 2022, 82). Sur ce plan, je pense que le terme lui-même de « mise à l’épreuve » n’est quasiment jamais utilisé dans les livres de Lahire ou de Dulac. Cependant, Dulac reconnait durant trois pages le rôle de la « vision équipée » (ibid., 45) qui définit l’observation, car « il ne saurait y avoir de fait scientifique « nu » (ibid., 47). Il accepte le réductionnisme entrainé par cette dépendance aux outils : « Ce que l’on voit, on ne le voit que parce qu’on a éliminé tout un ensemble de variables. » (ibid., 45). Le problème, dit-il, c’est « le fait de passer sous silence et d’extraire de la discussion sur la validité des résultats, le microscope, le télescope, le cyclotron, le scintigramme » (ibid., 47). Dulac se place à ce moment clairement du côté des constructivistes et se bat même contre ceux qui évacuent l’objectivation des subjectivités (ibid., 46) en prenant en compte les contraintes de la réflexivité des acteurs eux-mêmes. Comme le disait Desrosières (1993) : « La nature des dispositifs de connaissance du social est d’être utilisés aussi par les sociétés elles-mêmes ». D’où l’idée bien formulée d’une double historicité de tout objet social que propose Dulac : « L’historicité de son engendrement en tant que forme observable, et l’historicité de sa transformation en objet d’investigation » (2022, 55). « Une science du social n’est pas concevable en dehors d’une réflexion concomitante sur la sociologie de la science, c’est-à-dire d’une historicité de la science » (ibid., 56).

 Comme on le voit, les principes sont présents, mais pourquoi alors ne les voit-on guère à l’œuvre dans la suite du livre et dans les études de terrain ? De mon côté, formé à la sociologie des sciences et des techniques, toute mon approche des points de vue est partie d’une analyse historique des dispositifs de quantification du social en trois phases, dans le prolongement de Desrosières : les recensements, les sondages et les traces des plateformes numériques. On peut d’ailleurs faire la même opération avec les méthodes qualitatives. Ce sont des conditions de la connaissance qui produisent leurs effets propres et cette réflexivité méthodologique doit être permanente, comme je le montre pour les études des réseaux sociaux notamment. Ce qui nous fait entrer dans le débat constructivisme-réalisme. C’est sans doute en raison d’un parti-pris réaliste très affirmé que Lahire omet, lui, quasiment totalement les conditions de possibilité matérielles, techniques, de la connaissance du social. Ce qui donne à son histoire de la sociologie une forme d’émergentisme des idées sui generis, qu’il rejetterait évidemment. Nous avons la science de nos outils et ce n’est pas pour autant dénier la réalité, mais seulement reconnaitre le poids des conditions d’accès historiquement situées, comme devrait le faire toute sociologie qui privilégie le rôle des structures.

Sur ce plan historique des médiations techniques de la recherche, dans les deux livres, il est fait référence à l’astronomie et à ses liens avec la découverte de lois physiques fondamentales. Dulac reconnait ici le rôle des progrès de l’instrumentation « qui rend le monde visible » (2022, 44). Lahire, lui, n’en parle pas du tout malgré les passages assez longs consacrés à Kepler et Newton, en oubliant Tycho Brahé, phase pourtant normale de toute science, qui ressemble à celle de l’entomologie, plus modeste, mais indispensable pour rechercher ensuite des régularités (ibid., 64) qui ensuite pourront éventuellement faire émerger une loi. Sans doute, sommes-nous encore en sciences sociales dans la posture de l’inventaire à la Tycho Brahé avec quelques tentatives pour décrire tous les systèmes sociaux à la mode de Kepler, mais il est clair que nous sommes loin, très loin d’un Newton, ce que d’ailleurs Durkheim reprochait à Tarde quand il lui disait qu’il était trop tôt pour établir l’élément de base du social, que Tarde voulait placer dans l’imitation (son seul tort étant selon moi de vouloir TOUT expliquer avec ce seul principe).

Malgré ce parti-pris méthodologique chez Dulac, « la science » est souvent tirée du côté de « la science déjà faite » et de ses fondements rationalistes ou réalistes par refus de se laisser embarquer dans un constructivisme radical alors qu’il prône un « constructivisme réaliste » (alors que tout le processus de construction notamment historique est bien admis et considéré comme fondamental pour l’ancrer dans le social). Ce qui rapprocherait donc Dulac de Lahire. Mais dans les deux cas, on ne voit pas cette science au travail, en train de se faire, par des chercheurs équipés. Elle n’est pas décrite ni considérée comme un régime de vérité propre, spécifique, appuyé avant tout sur une méthode de mise à l’épreuve de ses énoncés, cumulative, collective, et donc avec des phases de controverses, d’exploration et de consolidation, tout ce que les STS ont pris le temps de documenter abondamment. On peut craindre alors de se laisser embarquer dans une nouvelle version interprétative, sans possibilité de mise à l’épreuve, que permettent les méthodes quantitatives. Pourtant, toute l’équipe de Dulac a des expériences avancées en matière de techniques d’investigation, et les travaux restitués omettent souvent cette réflexivité sur les pratiques des chercheurs, et c’est dommage pour l’intérêt documentaire du lecteur.

Face à la complexité de la tâche d’unifier le social ou tout au moins une science du social, il semble que Dulac ait cherché à trouver des principes de découpage qui soient opérationnels sans pour autant saboter le projet unificateur : il fait donc appel à des méthodes de « traversée » plus que découpage (chapitre 4). C’est donc mettre en œuvre un principe de faisabilité qui reste toujours décisif dans les choix de stratégies de recherche, en lien avec les ressources et les outils dont on dispose. Une méthode dite de « coupes transversales dans le social » parait un point de départ intéressant et modeste. Mais cet effort est aussitôt compensé par un souci d’accumulation des coupes au sein d’une « mégathéorie » qui apparait un peu fourre-tout (chapitre 5). Mon approche repose au contraire sur la réduction de ces coupes à celles qui sont décisives et vraiment équipées de façon spécifique (les recensements ne travaillent pas comme les sondages ni comme les traces des plateformes), sur la distribution d’agency et à admettre qu’on ne connait pas le tout. De son côté, Dulac se permet de garder cet idéal du tout en arrière-plan parce qu’il ne pose pas de question précise sur les méthodes de mises à l’épreuve. De ce fait, les accumulations de termes sur les niches, les amas, les cordes ou les diamètres (Dulac 2022, 99) décrivent tous ces possibles conceptuels sur un mode quasi hors sol, sans réelle prise avec un matériau empirique contrôlable.

La question du réductionnisme.

Le livre de Dulac semble faire la chasse aux réductionnismes et cela constitue un choix très contraignant, mais il ne mentionne jamais l’irréductionnisme de Bruno Latour qui était effectivement radical sur ce plan. Or, la volonté de faire science reste en même temps affirmée. Qu’en est-il donc exactement ? La question n’est pas tant, selon moi, de disqualifier les autres en les labellisant « réductionnistes » que d’identifier précisément quelles réductions chacun fait dès lors qu’on prétend produire des énoncés sur le monde en les contrôlant et en les mettant à l’épreuve (il va de soi qu’on ne questionne pas la littérature par rapport à ce critère). Un lien peut donc être fait entre réductionnisme et réalisme vs constructivisme car c’est dans ces termes que Lahire introduit un clivage radical. Pour ma part, je ne lance aucun anathème sur aucune posture, car je leur demande avant tout d’assumer les conséquences de leur position en termes de robustesse de leurs énoncés (plus ou moins démontrables et reproductibles). En fait, chacun se situe plutôt d’un côté ou de l’autre des deux faces des sciences en général, comme je l’ai déjà suggéré : « le social déjà fait » ou « le social en train de se faire », ce qui rappelle évidemment « la science déjà faite ou la science en train de se faire » de B. Latour. Et cela ne disqualifie aucune de postures.

Dulac réserve ses plus fortes accusations de réductionnisme pour les économistes, qui pratiqueraient même un « double réductionnisme » (ibid., 51), aux individus et à l’utilitarisme. Le livre semble entériner la division irréductible avec l’économie et la psychologie (ibid., 97-98) et c’est le cas aussi de Lahire, comme l’avait fait Durkheim dont toute l’œuvre visait à constituer la sociologie en la faisant sortir de la psychologie, au contraire de Tarde. Chez Dulac, le psychisme (« central… mais périphérique » ibid., 121) se réduit (eh oui !) à une « dimension individuelle du social » (ibid., 122) ce qu’on retrouve aussi chez Lahire. Une liste terrible de dix réductionnismes est aussi présentée page 77 comme autant de péchés capitaux, au sein desquels se trouvent pris en même temps des points de vue entiers (structuralismes et individualisme méthodologique) et des postures idéologiques et morales.

Dulac accepte-t-il ou non que le régime de vérité scientifique procède impérativement à des réductions parce qu’il doit mettre à l’épreuve tous ses énoncés et les rendre discutables et donc comparables et testables ? On ne le sait pas finalement. Une grande partie du livre s’élève contre les réductions et prône, au contraire, la subversion des frontières disciplinaires pour favoriser l’extension à d’autres domaines sensibles, la reconnexion de toute l’expérience humaine, à travers un pragmatisme qui met l’action située au cœur de la recherche. Mais par moments, des principes de rigueur de méthode et donc de propositions hypothético-déductives assez classiques se font jour, donc réductrices. Le choix ou la combinaison entre version compréhensive de la science du social et version analytique n’a, semble-t-il, pas été fait jusqu’au bout. Or c’est un point clé, qui a fait débat entre Bruno Latour, irréductionniste « fondamentaliste », pourrais-je dire, et moi-même. Ce qui était une divergence mineure s’est accru lorsqu’on est entré dans le monde numérique : pour Bruno Latour, le numérique devait permettre de décrire sans fin la granularité de tout phénomène, et il n’admettait pas que tout calcul pour produire ces traces entraine des réductions à tout moment. Notre papier dans le numéro de la revue Réseaux que j’ai dirigé avec Jacques Lévy (Boullier, Crépel et Jacomy 2016) montrait précisément comment le choix d’un algorithme de clusterisation pour zoomer dans un graphe (sur les 5000 sites web du livre en France) changeait totalement la visualisation et entrainait des raisonnements bien différents, ce qui renvoie à la question précédente du pouvoir d’agir des équipements techniques.

Car, pour que les énoncés soient rendus comparables (donc sur le plan qualitatif comme quantitatif) puis calculables, il faut les réduire et adopter un point de vue (un standpoint) pour piloter cette réduction. La critique de l’expérimentation dans l’étude du social considère qu’elle n’est pas suffisante pour démontrer la scientificité de la démarche, ce qui est incontestable. Mais elle serait même vouée à l’échec car réduite à la « décontextualisation » (Dulac 2022, 53) sans tenir compte de sa pertinence pour augmenter la robustesse des comparaisons. Si l’on ne fait pas de comparaisons, et si on ne les met pas à l’épreuve, on produit alors des énoncés d’une validité très limitée. Pourtant, l’étude d’un cas est parfois considérée comme suffisante pour produire une avancée conceptuelle radicale. Les sciences sociales dites « interprétatives » pourraient donc s’autoriser une extension illimitée de la validité de leurs énoncés malgré ces dispositifs de validation très sommaires. Mais, page 54, dans un repentir soudain, Dulac admet qu’on peut inventer des méthodes d’expérimentation en histoire, en archéologie ou en science politique (et donc accepter les réductions que cela entraine). Et puis page 59, nouveau coup de théâtre, Dulac fait l’éloge de la sérendipité (et du hasard) et de la ville en train de se faire à travers tous ses événements. Finalement, « les deux approches coexistent parfois à l’intérieur de la même personne ». Il faut reconnaitre que cette position mi-chèvre mi-chou n’est guère éclairante, mais reflète sans doute aussi la diversité d’un collectif.

Les phases de la recherche : exploration ou validation. Dimensions et observations.

Or, nous touchons là à un point de méthode scientifique qui n’est pas juste un goût personnel des chercheurs, qu’on accepterait par esprit de grande tolérance. Oui, les deux approches sont pertinentes. Il faut seulement admettre que la productivité d’une approche ouverte et irréductionniste se justifie dans une phase initiale de toute recherche et qu’elle doit être suivie d’une phase de réduction pour rendre comparables toutes ces dimensions relevées par les ethnographes, sociographes ou géographes, indispensables eux aussi. Pourquoi ? (Je vais prendre des cas de méthodes qualitatives pour mieux faire passer mon argument). Parce que toute étude de cas singulière qualitative est toujours quantitative : elle effectue l’observation d’un seul cas (une seule occurrence, c’est déjà une quantité) sur un nombre de dimensions (ou de variables) très élevées (quand on passe des années à décrire tous les aspects d’une communauté isolée par exemple). En faisant cela, on prend le temps de mettre en évidence des dimensions cachées ou oubliées de ceux qui font des synthèses ou des calculs à partir de catégories standard. C’est donc une phase créative, où le hasard peut intervenir en effet et l’on peut produire des récits passionnants si l’on ne cherche pas à les mettre à l’épreuve. Ainsi, le livre Soleil Hopi (Talayesva 1959) m’a toujours marqué en tant que témoignage, mais il a suffi à O. Mannoni pour en faire une interprétation magistrale en termes d’anthropologie des croyances et des connaissances dans son article « Je sais bien, mais quand même… » (1969) que j’ai discuté longuement (Boullier 2004). Mais si la théorisation est ici créatrice, rien n’a été engagé pour la mettre à l’épreuve, ce qui semble quand même le prérequis de toute production d’énoncés scientifiques. Il faut donc passer à la récolte d’observations sur plusieurs cas, pour les rendre comparables, exactement ce que Mauss fit pour écrire son Essai sur le don (1950). L’énoncé de Mauss à propos du don et de ses trois obligations est une création puissante et elle a le mérite d’avoir été mise à l’épreuve d’une très grande quantité d’observations. Ce faisant, évidemment, Mauss a dû réduire considérablement les matériaux dont il disposait, puisqu’il ne faisait plus de l’ethno-graphie mais de l’anthropologie. C’est pourquoi son énoncé est si simplifié après toutes les opérations de réduction contrôlée qu’il a opérées et qu’on voit encore à l’œuvre dans la quantité de références qu’il aligne et discute en notes de bas de page.

Toutes les lois, que recherche Lahire, sont des opérations de réduction qui ont fini par être validées, et cela en fonction des méthodes disponibles à une époque, et du temps et d’autres ressources. La division du travail entre chercheurs ne doit en aucun cas disqualifier les producteurs des données de base lorsqu’ils ouvrent leur recueil à des entités inédites. S’il s’agit seulement d’aller sélectionner ce qui correspond déjà à l’hypothèse, ça n’a pas grand intérêt puisqu’on ne risque pas d’être démenti. Or c’est ce que des sciences sociales trop positivistes font très souvent malgré leur prétention critique. Les sciences des données procèdent de la même façon souvent et se lancent dans des calculs sur des sets de données classifiés a priori (ou a posteriori si on pratique le machine learning) sans interroger la validité de ces classes. Alors qu’un des grands avantages du machine learning, c’est de pouvoir augmenter sans difficulté (pense-t-on !) le nombre de dimensions et d’observations à la fois. Or elles buteront elles aussi sur le positivisme des catégories si elles ne les questionnent ou ne sont pas ouvertes à des corrélations imprévues, sachant qu’elles ne peuvent pas non plus ignorer la fatalité de la dimensionnalité énoncée par Richard E. Bellman (1961), car si on en retient trop, on ne peut plus calculer ni pondérer leur validité.

Il est donc possible de réconcilier des approches méthodologiquement différentes sans se lancer à la tête les épithètes de réductionnistes, si on prend le temps de situer chaque type de recherche dans une phase d’exploration (beaucoup de dimensions, peu d’observations) ou dans une phase de validation (peu de dimensions, beaucoup d’observations). Ce cahier des charges vaut pour les étudiants, mais aussi pour les chercheurs chevronnés qui doivent assumer le statut de leur recherche et ne pas chercher à jouer hors de leurs phases. Il est en effet rare de pouvoir faire le tout et d’être à la fois Malinowski sur le terrain et Mauss à son bureau ! On peut le faire successivement cependant si on prend le temps, comme l’ont montré Lévi-Strauss ou Descola.

L’irréductible déterminisme de Lahire.

Lahire, sur ce plan, adopte une posture ambiguë, car on sait qu’il pratique le terrain, restitué parfois sans limites de dimensions comme pour les rêves, mais aussi qu’il pratique la théorisation comme il le montre à nouveau dans ce livre récent. Mais, en dehors des attaques classiques contre les autres qui seraient les réductionnistes, il pourrait assumer cette posture dite scientifique, donc nécessairement réductionniste elle aussi. Or, il ne le fait pas vraiment car il se veut vigoureusement réaliste contre tous les constructivismes. Ce qui déplace le débat mais le prolonge en fait. Ses catégorisations, qui lui sont spécifiques, ne seraient, elles, jamais réductionnistes, elles, car elles sont issues du réel, et même présentes dans le réel indépendamment de ses méthodes d’observations (dont il ne parle pas puisqu’on peut faire une science sans équipement apparemment). Et cette garantie de réalité qu’il postule, pour faire science, l’autorise à devenir très sévère contre les sciences sociales compréhensives et interprétatives (weberiennes pour simplifier) qui auraient entrainé la dégénérescence et le discrédit actuel des sciences sociales dont il se lamente (multiplications des angles, objets sans cadrage théorique dans la recherche comme dans l’enseignement). Ce faisant, en critiquant cette « mauvaise science » (il n’emploie pas ce terme), il expulse de son répertoire de « bonne science » une quantité énorme de travaux, dont certainement beaucoup de ceux des membres de Dulac et tous ceux de l’ANT, qui ont pourtant représenté des avancées remarquables, avec leurs limites certes, pour les raisons que je viens d’expliquer et qui peuvent s’appliquer à toutes les approches en sciences sociales. Son opération de fondation et de réunification des sciences sociales avec la biologie est en fait une opération de disqualification des constructivismes, au nom d’une réalité d’origine biologique, ce qui la rendrait scientifiquement indiscutable.

L’étrange recherche encyclopédique de Lahire vise en fait à solidifier le réalisme, mais plus encore à ancrer son déterminisme dans la biologie et à le rendre tout puissant. La plupart des auteurs qu’il mobilise (Testart, Elias, Gould, Bourdieu) se trouvent pourtant à un moment ou à un autre admettre les limites d’une vision totalement centrée sur les effets des héritages et des structures et garder une place pour les événements, pour le hasard, voire pour l’interprétation faite par les humains eux-mêmes comme agissante. J’ai noté ainsi dans mon livre la tentative de la plupart des grands auteurs (Elias, Giddens, Luhman, Goffman) de réaliser une synthèse pour sortir des rails de leur propre point de vue, synthèse que je considère vouée à l’échec puisqu’elle n’assume pas le changement nécessaire de méthode qui rend possible chaque point de vue. Mais Lahire va jusqu’à contredire les auteurs sur lesquels il s’appuie dès lors qu’ils font ce genre de compromis. Ainsi page 472, Lahire (2023) se positionne contre Godelier – qu’il utilise par ailleurs à l’appui de sa thèse – lorsque celui-ci valorise la capacité des sociétés humaines à transformer leurs propres règles de vie sociale contrairement aux animaux. Lahire veut réduire délibérément la portée des variations culturelles, qu’il ne peut ignorer, pour insister encore et toujours sur les invariants et les bornes mises à cette variabilité, ce qui permet de réduire à peu de frais les dimensions prises en compte.

Un darwinisme très lamarckien chez Lahire.

A cette fin, il s’appuie sur la théorie de l’évolution biologique fondée par Darwin, ce que je ne peux que saluer, mais en la réduisant elle-même aux invariants, à la sélection alors qu’elle n’a pas de sens sans la variation et ensuite sans la fitness. Car mettre en avant nos capacités de variation culturelle qui sont sans bornes connues, à la différence de nos cousins primates, serait en fait céder à « une illusion (ultime) de liberté liée à l’idée selon laquelle la culture, la politique, la raison, le langage ou la conscience permettraient d’inventer ou de réinventer de fond en comble les formes de vie sociale » (Lahire 2023, 473). Évidemment, personne n’a jamais prétendu qu’on réinventait « de fond en comble », mais le jeu des différences (« le nous et le eux » auquel il consacre tout un chapitre), suffit à faire varier les façons d’exister de façon très importante. L’utilité de cet ancrage biologique est avant tout de légitimer scientifiquement dans une partie de la biologie seulement, le poids du déterminisme, de la répétition, des invariants qu’il avait déjà établi dans son système dispositionnel. Darwin se trouve instrumentalisé pour une stratégie rhétorique de fondation inexpugnable des déterminismes des structures sociales : ni liberté des individus ni effets du voisinage (même si la « loi de sélection de la parentèle » qu’il traite page 846 reconnait toute la part du « proche », des effets de voisinage, mais alors pour les réduire à la socialisation asymétrique de la relation parentale le plus souvent). Pour ce faire, Lahire choisit son domaine de la biologie et sa vision de Darwin, ce qui est normal, mais en allant jusqu’à faire disparaitre les autres. Il oublie que la théorie synthétique de l’évolution a permis d’intégrer les contributions essentielles de Mendel sur l’hérédité, ce qui a donné toute sa puissance à la biologie dans sa partie génétique et même génomique (là encore, le rôle clé des équipements de la science). Vouloir retisser les liens entre la biologie et les sciences sociales, perspective louable, en ignorant au moins cette moitié de la discipline, la génétique, une approche pourtant hautement formalisée et inspirante, reste très surprenant.

On comprend mieux ce choix dès lors que l’auteur admet lui-même qu’il adopte plutôt une vision lamarckienne de l’évolution (reconnu pp. 921-927 dans un post-scriptum) alors que Darwin avait été plus audacieux en refusant ce finalisme et l’optimisation fonctionnelle orientée qui aboutissaient à mettre l’espèce humaine au sommet de la pyramide de l’évolution et qui pouvaient arranger les églises contrairement au constat subversif du rôle du hasard fait par Darwin (confirmé par la génétique et pourtant reconnu par Lahire page 917, la « variabilité aléatoire »). S’il cite Leroi-Gourhan souvent, c’est aussi pour ce finalisme qu’on détecte souvent chez cet auteur, ordonnant ainsi une lignée d’évolution quasi nécessaire dans les outils et les pratiques techniques humaines. Lamarck devient ainsi un allié pour défendre le déterminisme qui se transforme en fait en déterminisme du contexte qui lui-même se traduit directement en disposition : « les habitudes forment une seconde nature ». Dans tous les cas, le hasard, les événements et les singularités sont évacués sans même leur chercher des régularités éventuelles. Ce qui n’est pas un problème car la théorie des propagations que je propose fera le travail. Mais il serait pourtant bon de ne pas faire passer à la trappe, au nom du réalisme, cette opération de réduction radicale du social à quelques lois déterministes et de reconnaitre la place de chacun selon les points de vue adoptés.

Mais alors, parmi toutes ces tensions qui organisent la recherche en sciences sociales, il faudrait admettre ce pluralisme des points de vue que je préconise, d’inspiration non seulement constructiviste mais même nominaliste. Car au bout du compte, tous nos énoncés dépendent de leurs conditions de production et notamment de notre capacité conceptuelle et de nos classifications et d’autres opérations logiques qu’on ne peut jamais évacuer, pas plus que nos outils et méthodes. Mais une fois qu’un résultat est atteint et que la robustesse est admise par la communauté (entité politique vague mais qui fait tenir la science comme champ), la réalité décrite par cet énoncé s’installe naturellement comme évidence. Comme le disait Stephen Hawking, pourtant investi dans la « théorie du tout » : « Je ne demande pas qu’une théorie corresponde à la réalité, car je ne sais pas ce qu’est la réalité. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut tester avec du papier pH. Tout ce qui m’importe est que la théorie prévoie correctement le résultat d’une expérience ».

 Et cela ne questionne en rien la réalité du monde, qui existe indépendamment des humains sans aucun doute, mais qu’on ne peut rendre intelligible que par le biais de nos technologies cognitives, par nos médiations. Cette posture nominaliste soft (on ne nie pas la réalité du monde) permet de recomposer les points de vue, de bien les construire pour qu’ils soient cohérents selon la distribution d’agentivité que l’on fait au sein du monde : les structures sociales (et donc les déterminismes des héritages), les préférences individuelles (et donc la liberté de choix, certes très encadrée mais bien présente dans certaines situations où l’on peut procéder à des arbitrages) et les propagations (qui nous traversent par effet de voisinage et qui produisent imitation et innovations).

Le risque du Tout.

À la lumière de ce pluralisme, le choix fait par Dulac d’insister très souvent pour tenter d’accéder au « Tout » du social est quelque peu étrange, car il ne s’agit pas du « tout » de lois explicatives comme en physique, mais du « tout » empirique. Dulac propose une définition inclusive du social, tout en faisant malgré tout un très gros travail pour le distinguer de ce qui n’est pas social (alors que ces frontières restent très discutables, et par les acteurs en situation eux-mêmes d’ailleurs). Or, si l’on adopte une approche analytique comme celle que je propose, il faut faire son deuil du tout et assumer que nos outils de connaissance eux-mêmes font des réductions qui rendent définitivement inaccessible à l’activité scientifique la totalité du social. Le travail scientifique consiste à contrôler avec un haut degré de réflexivité la qualité de ces réductions et surtout leur alignement avec les énoncés produits in fine. Pourtant, page 56, Dulac admet la multidimensionnalité du social ainsi que l’absence d’une échelle unique, ce qui « signifie un incessant travail sans fin ». De même dans la mégathéorie, la critique de la notion d’assemblage (ibid., 112) se fait au nom de la préservation de « la société », ce qui conduit à revenir à une position structurale, alors que la notion d’assemblage peut selon moi être critiquée du point de la vue de la faiblesse de la méthode, qui débouche sur un fourre-tout qui ne sait pas ce qu’il fait. Et pourtant « assemblage » est réutilisé page 129 pour parler de l’habiter. C’est le cas de le dire : on ne sait plus où l’on habite !!

On notera avec intérêt que Dulac se focalise sur la recherche du tout, alors que Lahire se focalise sur la recherche de l’origine. Or ce sont les deux ressorts essentiels pour créer du « nous » et du mythe, un travail politique de type mythique et non scientifique. En effet, dans les deux cas, on ne peut accéder ni à l’origine ni au tout, car aucune méthode de surplomb des humains, sujets eux-mêmes connaissants, n’est possible et donc aucune mise à l’épreuve. Je propose donc de faire son deuil de ces deux notions (tout et origine) pour redevenir scientifique en traitant des questions qui sont accessibles sur la base d’un élémentarisme combinatoire prudent et modeste.

Discussion sur l’action.

À la différence de Lahire, Dulac se pose sérieusement la question de l’action, du compte-rendu de l’action, puisqu’après tout, nous observons non seulement des données chiffrées agrégées, mais des comportements situés, engagés dans le monde, de sujets pensants et réflexifs. Trois questions se posent en fait à propos de l’action dans le livre.

Qui agit ?

Dit autrement : qui possède ou démontre du pouvoir d’agir, de l’agency ? Et même, selon le point de vue que j’adopte, à qui distribue-t-on de l’agency ? Parce qu’après tout, on peut très bien, pour des raisons diverses, décrire une situation en passant à côté d’un actant majeur (présent/passé, trop grand/trop petit, trop durable/trop éphémère, trop humain/trop loin des humains, etc…). Dulac décide d’adopter le terme d’actant, ce qui permet d’ouvrir les possibles. Mais il faudrait alors rappeler la filiation sémiotique notamment celle de Greimas (1966), ce qui nous renvoie au formatage par nos comptes-rendus de tout accès à la réalité. Greimas utilisait le terme pour redonner de l’agency à une grande quantité d’entités, dans les récits, et la théorie de l’acteur-réseau en a fait un large usage et même une piste radicale d’approche du social en introduisant les non-humains parmi tous les actants parties prenantes de situations. Dès le chapitre 1, actant est utilisé par Dulac de façon extensive (2022, 29), mais il se trouve en fait réduit rapidement par une coupure brutale avec le biologique (ibid., 30), car les entités biologiques non sociales n’ont pas de capacité de réflexivité et ne peuvent donc être une société. Il est ensuite repris page 43 sous le forme « trois types d’actants (« acteurs, objets, environnements »), et l’on perd ainsi le potentiel exploratoire du terme, car cette classification distribue de fait une autre agentivité : seuls les acteurs sont dotés d’agentivité. Pourtant, les objets et les acteurs restent tous deux des acteurs dans le schéma de la page 116. Ce qui introduit au concept de « milieu » qui certes n’est pas « acteur » mais « réacteur » pourrais-je dire, c’est-à-dire qu’il est « sensible à l’action intentionnelle des réalités qu’il contient » (ibid., 117). Idée très intéressante de distribution spécifique d’agency, mais qui pose un problème pour l’évolutionnisme de Lahire qui donne une puissance d’agir considérable aux milieux, pour mieux ancrer son déterminisme dispositionnel. Voilà en tous cas un objet de débat passionnant.

Pourtant encore, les contenus qui circulent sont mis en avant page 34, mais se combinent avec une approche historique qui met surtout en avant leurs changements, leurs traductions. Cette approche en termes de « transformission » (néologisme de G. Chouquer, repris dans le chapitre 7) rappelle que ça ne se transmet que si cela se transforme, ce qui est une leçon de base de l’épidémiologie et de la mémétique que je retrouve dans tous les travaux sur les propagations. Mais cela ne dit rien sur qui agit dans ce schéma. Le débat est repris page 210 : « la transmission implique la transformation et la transformation permet la transmission ». Cette posture qui entre en phase avec la théorie des propagations pose cependant une question épineuse : comment étudier les deux simultanément ?

La place des individus.

Malgré cette ouverture méthodologique sur la question de l’agency, le débat se trouve résumé (Dulac 2022, 106-107) et réduit à nouveau à une articulation individu-système qui me parait vraiment l’ancienne façon de poser le problème puisqu’il nous oblige soit à choisir son camp, soit à prêcher la synthèse. On retrouve une discussion semblable plus loin quand il s’agit de critiquer holisme et individualisme et que Dulac propose alors de rendre les deux méthodes « cumulables » (ibid., 115). À noter que rien n’est dit sur les choix opérationnels qu’il convient de faire pour rendre cumulables ce que je considère comme des points de vue, car si le débat devenait plus précis méthodologiquement, on constaterait très vite qu’on ne peut pas faire les deux à la fois, ni même successivement : les recensements n’ont pas le même objet ni le même point de vue que les sondages par exemple et il ne sert à rien de vouloir les confondre. Elias, homme de synthèse par excellence, est appelé à la rescousse et « la société des individus » sert alors d’ombrelle et de mot d’ordre pour la réconciliation. Mais cette synthèse ne fonctionne que par la magie littéraire d’Elias, qui n’est pas donnée à tout le monde, alors que ses méthodes, ses sources, privilégient toujours selon les cas, l’une ou l’autre des approches. La distinction de M. Sahlins (2004) reprise par Dulac en page 106 entre « conjonctural agency » et « structural agency » pourrait constituer une forme de distribution de l’agency plus précise et plus opérationnelle, qui permettrait de reconnaitre le pouvoir d’agir des structures et celui des préférences individuelles. Il est dommage qu’elle se trouve résumée ensuite à la distinction entre grands acteurs à la tête d’une banque ou d’un État par exemple et petits acteurs ordinaires de la vie quotidienne, qui en fait une affaire de taille des acteurs plus que de points de vue.

Malgré la proximité de cette discussion avec le pragmatisme, ce courant reste très peu mentionné par Dulac, même si le livre de Boltanski et Thévenot, De la Justification (1991), fait partie des lectures recommandées. De fait, le pragmatisme consiste à attribuer un pouvoir d’agir aux individus comme le fait toute la posture des préférences individuelles. Mais ces travaux présentent toujours une forme de repentir et proposent alors une structure de référence. Ainsi, Boltanski et Thévenot organisent le répertoire des justifications selon des ordres de grandeur bien structurés et durables (qui fonctionne comme un héritage, un déjà-là pour l’action de tout individu). Mais ce régime d’engagement n’est pas le seul : « l’action en plan » fonctionne par décision et par stratégie avec les individus qui disposent du pouvoir d’arbitrage, tandis que « le régime du proche » ou de la familiarité (particulièrement étudié par Thévenot) rend compte des effets de voisinages, par propagation de proche en proche. Comme on le voit, il est possible de réintégrer des travaux importants dans une vraie vision pluraliste des sciences sociales.

Une discussion philosophique.

La question de l’action est souvent transformée dans le livre de Dulac en débat philosophique sur la liberté : contre le pouvoir d’agir des structures, il reste de la liberté individuelle. Cela parait salutaire et faire une grande différence avec Lahire. Mais une profession de foi et un idéal moral ne suffisent pas à produire une méthode scientifique ni un cadre conceptuel. Ainsi, dès lors qu’on analyse la façon dont est traitée cette liberté individuelle en situation de décisions, on finit rapidement par mettre en évidence une « rationalité limitée », des « biais cognitifs », ou en psychanalyse des effets de répétition de l’inconscient. La théorie de la conscience et du libre arbitre qui est soutenue de fait durant le livre semble en fait peu argumentée. Pourtant, on peut convenir qu’il existe en effet une zone, limitée, de libre arbitre. À condition de pouvoir y accéder avec les méthodes qui conviennent pour l’observer et la mettre à l’épreuve. C’est ce que font les psychologues et les économistes qui travaillent sur les préférences individuelles et les décisions, et qu’on doit donc accueillir dans ce « tout » des sciences sociales. Les politistes le font aussi pour les choix électoraux, les spécialistes du marketing et des goûts tout autant, mais alors les méthodes sont spécifiques, fondées sur des expressions individuelles comme l’avait fait Bourdieu lui-même dans La Distinction (1979).

J’ajoute pour ma part un autre point de vue, celui des voisinages, où les humains sont aussi agis par des entités agissantes non dotées de conscience et d’intentionnalité comme des messages, des objets, des propagations diverses et variées où nous ne sommes que les véhicules, des mèmes par exemple qui ont leur pouvoir d’agir, car ils deviennent indépendants de leurs émetteurs d’origine et de plus en plus dès lors qu’ils sont générés par des robots à base d’IA. Dans tous les cas, même avec ce point de vue, il faut chercher à trouver des patterns, des régularités et surtout faire de la comparaison si on prétend faire un travail scientifique. Mais ce ne sera pas la même méthode que pour rendre compte des préférences et des décisions individuelles, car si l’on veut vraiment réintroduire à tout prix la liberté dans ces situations, il faudra adopter une méthode pour épurer la situation de toutes ces déterminations diverses, ce qui tire de fait vers l’expérimental.

Le modèle bilantiel.

L’un des apports les plus originaux et stimulants du livre Pour une science du social consiste à ranger tous ces possibles axes d’analyse du social (des « traversées » plutôt), dans un tableau synthétique, « le modèle bilantiel du social », car inspiré des bilans comptables de toute entreprise. Cette idée originale est aussi une façon habile de réunir d’un côté une approche structurale et une approche pragmatique, et de l’autre une approche substantielle et une approche formelle. L’idée de la gradation du social en termes de liquidité, inspirée du bilan comptable, est très intéressante car elle évacue un peu la question du constructivisme : c’est en cours de construction et donc liquide et quand c’est construit, ça s’est durci et donc cela va durer et produire des « réalités », ce qui nous sort de l’opposition duale proposée par Lahire. La question reste de savoir s’il s’agit d’une gradation ou de points de vue, car penser les virtualités représente un exercice complexe qui requiert des méthodes différentes. C’est là qu’on attend d’un tel type de modèle qu’il se prolonge en énonçant les protocoles de sa mise à l’épreuve. S’il s’agit seulement d’avoir une big picture pour ranger tout dans les bonnes cases, on se retrouve avec un objet hors sol indiscutable ou discutable à l’infini, sans point d’arrêt.

Pour ma part, j’y retrouve trois points de vue bien distincts, évidemment : les structures (réalités et capacités), les choix (médiations, institutions et actualisations qui semblent sous estimées dans le schéma et qui sont les espaces de décisions) et les propagations (virtualités et potentialités). On retrouve cela ensuite dans la version spatiale du modèle de bilan du social, dans les oppositions territoires et réseaux par exemple ou citadinités et connectivités. Tout cela est stimulant mais reste à valider par les méthodes qui pourraient mettre chaque dimension à l’épreuve (on n’observe ni ne teste des citadinités de la même façon que des connectivités). On peut regretter que les études de cas présentées ensuite ne soient pas elles-mêmes organisées selon ce cadre conceptuel pour pouvoir le tester (et pas seulement l’illustrer). Une autre version du bilan porte sur les dimensions temporelles, ce qui constitue un guide intéressant pour expliciter l’angle ou la traversée que l’on adopte quand on engage une recherche, car on ne peut jamais tout faire, c’est certain. Il y manque de mon point de vue le concept de rythmes qui est essentiel et que le groupe Ruthmos a désormais mis en visibilité (Antonioli et al. 2021).

C’est le cas aussi pour le concept de cycles qui permettrait de redistribuer les trois durées de l’historien selon Braudel – longue durée, cycles, événement (1958). Le cycle est occulté alors qu’il est directement lié à un processus naturel (saisons, biologiques, etc., d’où rituels et calendriers) que Lahire aurait pu aussi exploiter comme lien de connexion avec les espèces animales. Le cycle est aussi au cœur de processus sociaux produits par des préférences individuelles et par leur variation organisée (élections, mode). Ces cycles des choix collectifs, cette synchronisation des humains dans une société donnée ne se réduisent ni à la structure qui se reproduit ni à l’événement imprévisible. On trouve là une articulation empirique entre reproduction et changement qui est explorée par de nombreux chercheurs. Le compromis, toujours recherché par Dulac, y compris dans cette série de schémas, entre structure et changement, statique ou dynamique, transmission ou transformation, pourrait alors être rendu plus opérationnel et précis à partir des quantités de social pour une situation donnée ou un domaine donné. Tarde n’avait pas hésité à annoncer ce calcul général des désirs et des croyances, les deux quantités du social selon lui, en proposant par exemple son gloriomètre (1902), qui n’est plus désormais seulement dans les sondages qui fabriquent l’opinion, mais dans les vanity metrics de chaque post sur les réseaux sociaux qui fabriquent la viralité des réputations (Boullier 2022). De mon point de vue on risque de perdre son temps à chercher à réunifier le « tout » alors que ce sont des méthodes différentes qui permettent d’accéder à ces divers états de liquidité.

Il faut souligner que ce modèle bilantiel est porteur d’une formalisation très prometteuse, même si les termes qui la désigne sont peut-être trop proches : la Sociétalité, soit les structures existantes, et la Socialité, soit les échanges interindividuels, les deux constituant le social. D’un côté les environnements, les milieux (sociétalité) et de l’autre les capacités (socialité). Ce dernier terme nous rapproche du pragmatisme sans qu’il y soit fait référence, et l’on voit alors s’introduire entre les deux dans le tableau, l’habitus dont on aimerait connaitre le statut, en phase avec l’approche de Bourdieu ou non, puisque lui parvenait à une sorte de synthèse avec ce concept. Cette volonté de tout réunir dans un bilan général feint d’ignorer que ce modèle s’applique en réalité à des entités (les entreprises) qui peuvent clairement (et juridiquement) définir leurs frontières, alors que précisément toute la question des limites du social reste en suspens et fait l’objet même du livre. Pour ma part, je vois dans Socialité et Sociétalité deux points de vue tout aussi pertinents qui n’adoptent pas les mêmes méthodes et qui ne distribuent pas la même agentivité. Cela n’est pas un problème si on l’accepte comme pluralité de points de vue sans vouloir les réunir a priori pour traiter toutes les situations et traiter le tout des situations.

D’un autre angle, on peut aussi considérer que ce modèle du bilan (la socialité = le passif, des dettes et des potentiels/la sociétalité (des actifs, qu’on peut positiver) donne accès à la double face du social, déjà fait et en train de se faire, comme il est dit d’ailleurs page 173.

D’un bilan à un diagnostic.

Cette analogie du bilan mériterait d’être poussée plus avant et réévaluée à la lumière des évolutions comptables dans notre société financiarisée. Car ce constructivisme qu’on peut critiquer dans les séminaires savants, les traders et les experts de la finance le pratiquent tous les jours, que dis-je, toutes les secondes. Car ils savent que leurs activités n’ont plus de rapport avec « l’économie réelle », avec les « fondamentaux », et que le jeu de la spéculation ne fonctionne que sur la propagation de signaux qui captent et modifient les perceptions des autres investisseurs, comme le montre si bien Orléan (2011). On comprend dès lors que la forme des bilans contemporains ait largement évolué. Les immobilisations (le haut de bilan) ne sont plus une qualité dans un bilan, mais ont un coût trop élevé alors que c’est la fluidité du capital qui est recherchée en permanence, sa liquidité. Les normes comptables européennes ont été adaptées en 2000 pour se conformer au modèle américain. A été introduite notamment à cette occasion, la prise en compte des biens immatériels que sont les brevets et les marques, sous forme de value off-the-books, ce qui entraine la possibilité de prendre en compte dans le bilan, la goodwill, qui peut être estimée à la valeur d’une revente future et non du marché actuel. Or, toutes les opérations financières sont des anticipations et ce n’est donc plus seulement une liquidité qui est estimée mais un pari (donc spéculatif) basé sur des probabilités (d’où le rôle des algorithmes) qui fait de toute valeur un asset financier, sans rapport avec une valeur marchande au sens classique. L’assetization (Birch et Muniesa 2020) a succédé à la marchandisation, ce que les marxistes n’ont toujours pas intégré et qu’il faudrait prendre en compte ici. Les virtualités ont été amplifiées, au point de devenir la règle de l’économie financière mais aussi médiatique, à travers les propagations, avec les effets de bulle auto-référentielles que l’on connait. Et les réputations ont aussi pénétré l’activité de milliards d’humains désormais connectés, ce qui fait un « tout » social un peu difficile à cerner tant il est liquide. C’est tout l’intérêt d’une théorie des propagations, avec leurs méthodes, à côté des autres points de vue qui ne doivent pas se laisser perturber par ce buzz constant et contagieux dans leur quête des structures et des préférences individuelles.

De mon point de vue, ce diagnostic est plus précis et opérationnel que celui de « la société des individus » qui finit par être peu analytique alors que ce qui circule désormais, ce sont des facettes des acteurs, qui sont devenus, selon le mot de Deleuze, des « dividus » (dans des scores par exemple). Michel Feher (2017) parle alors de « société des investis », où la quête des investisseurs pour tout le monde devient plus significative car il faut envoyer les bons signaux pour être accepté.

C’est dire à quel point il reste difficile d’embrasser le « tout » du social sans le faire depuis UN point de vue, même si la proposition de Dulac, dans sa méthode syncrétique, constitue une passerelle intéressante et prometteuse.

Abstract

Dulac's collective work is theoretically ambitious in nature, as it proposes a syncretism between various points of view on the social: realism and constructivism, determinism of social structures and freedom of individual choice. This is mirrored here by Lahire's position on the fundamental structures of societies and Boullier's on propagations. The discussion centres on four major issues concerning the scientific nature of the social sciences. Firstly, there is the question of how to take into account the equipment of scientific activity and Science and Technology Studies, and in particular the absence of numerical methods. Secondly, there is the question of reductionism and concern for the Whole. Thirdly, there is the place of action and the distribution of agentivity. Finally, there is the 'bilantial model' of the social. All these questions are sometimes clear-cut, sometimes more contradictory or ambiguous, as they should be in a collective work. Notably, the discussion does not encompass economics, psychology, or biology, which, according to Dulac, are considered too individualistic or outside the purview of the social sciences, respectively. Daring to tackle the key questions of the theoretical status of the ‘social’ is a salutary and demanding task.

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