« Faites la queue en ordre et prenez le taxi de manière civilisé » (you xu paidui, wenmin cheng che). Voici ce qui est écrit sur la pancarte qui attend les voyageurs à la sortie de la gare de Hongqiao, à Shanghai, et qui patientent pour un taxi. En une phrase tout est dit : soyez respectueux des règles nécessaires à l’établissement d’une société qualifiée autrefois « d’harmonieuse ». Auquel cas, les habitants ont le droit à la mobilité, à acquérir une liberté qui était auparavant limitée, du moins rendue difficile par les conditions de transport et par les transformations spatiales en cours pendant plusieurs décennies. Car en Chine, on l’oublie souvent, ce qui n’est pas autorisé est, par définition législative même, interdit. Et pourtant, en l’espace de quelques années, les déplacements se sont faits très nombreux, aboutissant à un contrôle de ces mêmes mobilités.
Toute l’idée de cet article se trouve là : il y a aujourd’hui une tension entre des habitants chinois de plus en plus mobiles et un pouvoir qui, dans le même temps, cherche à maintenir le contrôle sur eux. C’est pourquoi on observe une mise en normes de l’espace chinois, en particulier au niveau des lieux qui rendent possibles les mobilités. Les habitants y sont appelés à respecter les injonctions, matérialisés dans l’espace de ces lieux. Il y a dès lors une tension entre ce que signifie être ici, afin de se déplacer d’un point à un autre, et le contrôle du pouvoir politique qui s’exerce sur place. En ce cas, la question est : comment habiter dans un régime de contrôle des mobilités ? D’un côté, être un habitant en République populaire de Chine (RPC), c’est aujourd’hui faire partie d’une « société à habitants mobiles » (Lazzarotti 2006), en ce que ceux qui se déplacent, pour quelque raison que ce soit, sont de plus en plus nombreux (Taunay 2017). D’un autre côté, l’autorité culturelle enjoint les habitants à l’abnégation, à l’effacement de soi au profit d’un destin qui transcende les individus, vers l’amélioration générale du niveau de la société. Entre l’ordre et le civisme, où se situe alors chaque habitant ? C’est ce que je tenterai d’analyser, pour réfléchir, modestement et in fine, à ce que représente l’autoritarisme en RPC aujourd’hui.
Pour ce faire, je me pencherai sur un cas particulier, l’espace d’un lieu connecteur de très grande ampleur. Il s’agit de la gare de Hongqiao, qui sera pensée comme une situation, dans laquelle sont plongés des habitants. Tous vivent, même si de manière différente, ce lieu (je ne distinguerai pas ici les profils sociaux des habitants, me concentrant en priorité sur un essai d’interprétation de la situation habitante de cette gare, pensée comme un laboratoire des mobilités et des règles qui les entourent) [1]. C’est l’idée d’analyser tout d’abord un « univers de sens » (David 2007 ; Taunay 2022), d’entrer dans l’espace par les sensorialités, celles indiquées aux habitants, tous coprésents.
Ce choix ne doit rien au hasard ; il fait suite à des observations participantes menées depuis plus une dizaine d’années (depuis 2010) en différentes gares de Chine. Conséquences directes des réformes engagées à la fin des années 1970 et confirmées au début des années 1990, le pays connaît alors de très profondes transformations spatiales (Sanjuan 2004). Les réseaux de transport sont notamment complètement revus et modernisés, et de vastes gares – lieux connecteurs pensés pour rendre possible des mobilités de très grande ampleur – sont édifiées en périphéries des métropoles. Dès mes premières visites en ces lieux, je suis très marqué par leurs dimensions. Ce qui m’interpelle aussi, c’est la logique de fonctionnement de cet espace habité : où s’installent les voyageurs, que font-ils, comment « cohabitent-ils » ? C’est le début d’une réflexion qui va être nourrie jusqu’en septembre 2018 par des visites fréquentes, qui n’ont pas pour objectif spécifique de réfléchir à ces interrogations, mais qui sont permises par mes multiples déplacements dans le pays (à titre professionnel : soit pour me rendre sur un terrain, soit dans le cadre de partenariats internationaux). De retour en Chine en septembre 2022, j’ai eu l’occasion de retourner dans ces lieux, clôturant de fait une série d’interrogations pensées sur plus d’une décennie.
Cet article débutera par une ethnographie de ce que peuvent vivent ceux qui voyagent par ici, en pensant le lieu comme un point dans un processus plus global d’habiter [2]. Ce sera le point de vue d’un habitant, de ce qu’il éprouve, ressent, vit, mais aussi subi, selon des étapes et limites, comme le propose pour la première fois O. Lazzarotti en 2017. Après cette description ethnographique, je reviendrai sur le modèle de la gare de Hongqiao, idéaltype de lieux similaires ailleurs dans le pays. Cela me permettra de réfléchir ensuite à la relation entre ce que vivent les habitants et la volonté du pouvoir de proscrire les incivilités. Je terminerai par une analyse de ce que représente habiter dans un espace mouvant, ouvrant ainsi le propos sur les règles de bonne conduite qui émaillent l’espace de la société chinoise contemporaine.
Être dans la gare de Hongqiao, à Shanghai, le 10 février 2018.
[…] En ce début février, même en milieu de journée, il fait encore froid et humide à Shanghai. Seuls quelques rayons de soleil traversent de temps à autre les nombreux nuages amoncelés en cette partie du pays, celle du delta du fleuve Yangtsé, au bord de la mer de Chine orientale. C’est le moment qu’a choisi Xueji, un habitant chinois de la ville, pour se rendre à la gare de Hongqiao, la plus grande de cette métropole [3]. Peu lui importe la météo, il doit faire vite ; son train est à 14 h 10 et il n’a pas de temps à perdre. Bien que ce soit aujourd’hui samedi, il a travaillé ce matin : les vacances nationales (huangjinzhou) de la fête du printemps (chunjie) n’ont pas encore commencé, elles ne débutent que lundi prochain et, pour en bénéficier, il faut accepter de travailler le week-end précédent. Avec ce voyage, Xueji rempli un rite qu’il connaît depuis l’enfance, celui de retourner chaque année dans sa ville natale (laojia), où il retrouvera l’ensemble des membres de sa famille, avec qui il célébrera le passage de la nouvelle année lunaire. Le soir du réveillon notamment, qui tombe en cette année 2018 le jeudi 15 février, il devra être dans la maison de son plus vieil oncle. Le lendemain, le jour du nouvel an, ce sera dans la famille de sa mère ; et ainsi de suite pendant toute une semaine, où les banquets se succèderont tous les jours, parfois plusieurs fois par jour (en additionnant les rendez-vous pris avec les amis).
Si Xueji veut profiter d’un peu de temps pour se reposer avant les festivités auxquelles il ne pourra se soustraire, il n’a donc pas de temps à perdre. Travaillant dans le district de Baoshan, au nord de la municipalité à rang de province (zhixia shi) qu’est Shanghai, il a plus d’une heure de trajet, ce à quoi il convient d’ajouter le temps du repas. Il a donc quitté son travail en toute fin de matinée, limitant au maximum les congés qu’il prend ainsi pour voyager. Fort heureusement pour lui, l’immeuble où se situe son bureau se trouve à moins de 500 mètres seulement d’une bouche de métro, sur la ligne 3 (sur les 19 que compte la municipalité au total). Ainsi, après les dix minutes de marche et les un peu plus de 40 minutes de trajet sur cette ligne, il changera (cinq minutes de transfert) pour la ligne 2, sur laquelle il voyagera six arrêts et quasiment 20 minutes. Cela aurait été bien plus compliqué en partant directement de chez lui, avec des changements plus nombreux ; et une demi-journée de congé supplémentaire à poser qui plus est. Alors que là, en environ 80 minutes, il arrive dans le district de Minhang, à la station de métro située juste sous la gare de Hongqiao. De fait, il profite de la connectivité d’un réseau repensé à la veille de l’exposition universelle de 2010, date à laquelle la station et la gare de Hongqiao sont entrées en service [4].
En fait, Xueji n’est pas complètement arrivé à destination : plusieurs étages et limites le séparent encore du hall de la gare. En effet, même avant la pandémie de Covid-19 et les multiples points de contrôle qu’a alors rajouté le pouvoir central dans ce type de lieu, afin d’éviter la propagation du virus (infra), plusieurs étapes devaient être franchies. Il lui faut donc d’abord sortir du métro, dont l’entrée se situe un étage plus haut. Ce portique franchi, il doit ensuite trouver la sortie qui mène au niveau des arrivées – encore un étage plus haut – là où il pourrait prendre un taxi ou un bus ; là où, autre possibilité, il pourrait également rejoindre l’aéroport international qui est adjacent à la gare. Dans tous les cas, il doit traverser de longs couloirs bordés de restaurants, de cafés, de boutiques, de machines à retirer un billet de train, de l’espace de vente de ceux-ci ; tout un ensemble qui lui donne l’impression d’être au sein d’un centre commercial. Toutefois, il ne peut pas se permettre de flâner. Il lui faut encore retirer son billet à l’une des bornes dédiées, avant de rejoindre sa destination, qui se trouve deux étages plus haut. Pour cela, il cherche le bon escalator, celui qui va le mener au niveau des départs. Sur sa route, il passe par l’étage où se situe l’entrée principale, c’est-à-dire l’endroit où les taxis et les autres véhicules déposent les voyageurs. Comme il ne se rend pas souvent à Hongqiao, il est impressionné par les dimensions de cet espace : ses volumes, sa hauteur sous plafond, les centaines de mètres de long que mesure la gare. Mais le temps presse, il franchit donc un premier contrôle (sous l’œil de nombreuses caméras de vidéosurveillance), où les billets sont vérifiés ; un point que les accompagnants ne peuvent pas franchir. Ceci fait, il emprunte un dernier escalator, qui mène au hall de la gare proprement dit, 4 étages au-dessus des voies du métro. Il doit alors à nouveau faire la queue, afin de passer un autre point de contrôle, où les bagages sont vérifiés. Pour cela, il attend devant un des trois portiques dédiés (visibles au premier plan sur la Photographie 1), comme il aurait pu le faire de l’autre côté de la gare, où des passages identiques sont disposés.
Xueji est un des habitants coprésents, qui attendent en files indiennes, tous obligés de déposer leurs effets personnels à l’intérieur d’un scanner à rayons X. Tous sont guidés par des marquages au sol (flèches et caractères chinois), qui expriment ce qu’il est possible de faire et ce qui est proscrit : impossible par exemple de couper la file, d’enjamber les barrières, mais aussi d’entraver le mouvement des voyageurs. Il constate là que pour ceux qui ne sauraient pas, ou seraient dans l’impossibilité de lire ces inscriptions, des messages sonores sont diffusés en boucle via des haut-parleurs. Ils lui rappellent que tous les voyageurs doivent suivre les consignes qui régissent ce lieu. Impossible de ne pas les entendre : le son est ici porté à son maximum afin, aussi, probablement se dit-il, de couvrir le bruit de fond généré par les voyageurs présents dans le hall (au-delà des portiques, au centre de la Photographie 1). Mais il n’a pas le temps de rêver : il arrive rapidement au point de contrôle et constate que la fouille corporelle qui y est réalisée n’est que de pure forme (un balayage avec un scanner portable du côté de l’abdomen, puis un autre sur le dos), ce qui permet de faire entrer très vite les voyageurs, qui continuent d’ailleurs d’arriver derrière lui. Cette étape franchie, il pénètre enfin dans le hall proprement dit et va rejoindre les autres habitants, qui attendent aussi l’arrivée d’un train à l’une des portes situées de chaque côté du hall (elles sont indiquées « A » ou « B », selon que les wagons sont situés à l’avant ou à l’arrière du train).
Puisque la porte où attend Xueji n’ouvre que 15 minutes avant le départ du train et qu’il lui reste encore 20 minutes, il en profite pour se promener dans le hall. N’ayant pas déjeuné, il se met à la recherche d’un encas et tombe rapidement sur plusieurs supérettes (bianli dian) et autres commerces vendant des produits régionaux. Ces boutiques se trouvent au milieu d’autres, proposant là des vêtements, là des produits cosmétiques, là des souvenirs de Shanghai, etc. Il voit toutefois que d’autres choix s’offrent à lui au deuxième étage du hall (qui constitue de fait le sixième niveau depuis le quai du métro ; visible à gauche et à droite de la photo 1, avec ses enseignes lumineuses et colorées) : il y a là une grande variété d’établissements de restauration rapide, que ce soit des chaînes internationales (McDonalds, KFC, Starbucks), ou bien chinoises. Les principales cuisines du pays y sont représentées, lui offrant un large éventail de choix. Le temps pressant, Xueji décide ici de commander à emporter et redescend ensuite dans le hall proprement dit. Comme il le voit sur les grands panneaux d’affichage au centre du hall, l’embarquement de son train est maintenant ouvert (il a cru l’entendre dans les haut-parleurs de la gare, mais le bruit environnant lui a fait douter d’avoir bien saisi ceci ou non). Il se presse dès lors pour passer avant aux toilettes. Aucun problème de ce côté-là non plus, ces lieux sont nombreux dans la gare, un des bénéfices comme il le constate de la politique dite de la « révolution des toilettes » (cesuo geming) : grâce au plan sur les écrans à cristaux liquides à leur entrée, il sait exactement combien de personnes y sont présentes et s’il reste une place pour lui [5].
De là, il ne reste plus à Xueji qu’à se diriger vers la porte d’embarquement, celle qui mène aux voies ferrées, situées deux étages en contrebas. Il n’a plus que 10 minutes avant le départ de son train, aussi, face au très grand nombre de voyageurs au centre du hall ce jour-là, il coupe par les allées qui sont situées derrière les portes de chaque côté du hall (visibles aux extrêmes gauche et droite de la Photographie 1). Il doit toutefois faire à nouveau la queue, mais ne s’inquiète pas pour autant : plusieurs portiques permettent de scinder la foule en autant de files et chacun d’eux est équipé d’un lecteur optique. Nul besoin de composter son billet ici, si bien qu’en quelques minutes à peine il est déjà passé et emprunte un escalier mécanique qui l’emmène vers le quai. Pendant cette descente, il observe à la fois les autres voies ferrées (plus d’une vingtaine, toutes dédiées à accueillir des trains à grande vitesse ; nommés « hexie »), les voyageurs qui tentent de le dépasser (et qui parfois n’hésitent pas à le bousculer), mais aussi ceux qui ont choisi de prendre l’ascenseur ou bien les escaliers. Avec eux, il arrive enfin sur le quai, où le train vient juste de s’arrêter (il lit sur les panneaux lumineux que celui-ci arrive de Xiamen, dans la province du Fujian, et qu’il est en direction de Pékin). Pour trouver sa voiture, il n’a plus qu’à suivre – à nouveau – les indications au sol, ou bien se conformer aux consignes présentées par les agents du réseau ferroviaire, placées là pour guider les voyageurs. Encore un dernier effort (sa voiture est à l’arrière du train) et il peut embarquer. Enfin, pas tout à fait : il doit attendre (en file indienne toujours, de chaque côté de la porte) que ceux qui s’arrêtent ici soient d’abord descendus. Les consignes sonores (« laisser d’abord descendre les voyageurs, montez ensuite » ; xian xia, rou shang) lui ordonnent de toute façon de procéder ainsi. Il voit là que des voyageurs profitent de ce court laps de temps pour enfreindre le règlement et fumer une cigarette. Mais peu importe, il monte finalement à bord, juste quelques instants avant que les portes extérieures ne se ferment derrière lui. Avec les centaines de personnes qui ont embarqué avec lui, en à peine 15 minutes donc, il cherche sa place et finit par s’y installer. Il souffle enfin : son voyage en train vient de commencer […]
La gare de Hongqiao, symbole des recompositions en Chine.
Habiter dans la gare de Hongqiao peut être lu de quatre manières. D’abord, c’est fréquenter un lieu de très grande ampleur, complexe, multiniveau, bâti sur le modèle d’un aéroport. Un lieu bâti pour accueillir des mobilités nombreuses, volumineuses voir massives pourrait-on dire. La gare de Hongqiao est en effet une plateforme multimodale, où se rejoignent les lignes de métro (2, 10 et 17), les liaisons de bus (au niveau de la gare routière), ainsi que le trafic aérien (national, mais aussi international depuis l’aéroport qui est accolé à la gare ; la plupart des vols long-courriers étant affrétés à partir de Pudong, à l’est de la ville). C’est donc un hub (Figure 1).
Hongqiao est aussi un lieu dimensionné pour assurer une circulation la plus efficace et rapide possible, avec un plan similaire à celui d’un aéroport : plusieurs étages permettent en effet de ne pas concentrer tous les voyageurs au même niveau, mais bien de les répartir en fonction de leurs mouvements, manières d’être et objectifs [6]. On le voit clairement avec la Figure 2, qui explicite le trajet suivi par Xueji, de son arrivée sur place au départ du train dans lequel il a embarqué. Il y a bien plusieurs étapes à franchir, via des points de contrôle, sous l’œil attentif des agents chargés de visionner les caméras de vidéosurveillance.
Le plan de cette gare est similaire à celui de Hongqiao, dans des proportions toutefois un peu plus réduites : les gares sont en effet toutes bâties sur le modèle, adapté en fonction du volume des mobilités planifiées. Être un habitant ici, c’est dès lors accepter de se conformer à un ordre (zhixu), celui représenté par les aménagements et une série de mesures administratives affichés dans l’espace (évoquées avec le voyage de Xueji), afin de se saisir de la possibilité d’être mobile ; ce qui était très difficile auparavant. C’est l’idée d’une mise en normes de la gare, qui ne laisse rien au hasard afin que ces lieux exercent leur objectif : permettre des mobilités plus nombreuses et plus rapides, conjointement à la mise en ordre des mobilités. Il ne faut en effet pas oublier que la situation en Chine n’a pas toujours été celle-ci : à l’instar de celle de Hongqiao, les gares dédiées aux trains à grande vitesse n’ont été mises en service qu’au tournant des années 2010. La carte du réseau des LGV montre de fait une évolution régulière des gares « ouvertes », « en cours de construction », ou encore « planifiées, mais non débutées » (Figure 3 et 4). Depuis plus de 10 ans, le nombre de villes desservies, petites, moyennes ou plus grandes (relativement aux dimensions des gares chinoises contemporaines), ne cesse ainsi de croître. Tout ceci permet dès lors de nouveaux modes de circulation si bien qu’ensemble, ces réseaux de lignes et de points contribuent à repousser les limites de l’urbanité chinoise, rendant accessibles de plus en plus de lieux à l’échelle du pays, mais aussi permettant des mobilités qui sous-tendent in fine d’autres pratiques.
Les gares TGV sont ainsi devenues aujourd’hui des relais de la mobilité, des points qui sont de véritables commutateurs, dimensionnés pour des volumes importants de voyageurs, fonctionnant sur le modèle des aéroports (avec ses différents étages, niveaux de départ, d’arrivée et de transit), plus que sur celui des gares européennes, aménagées d’abord pour la réalité de la fin du 19e siècle [7]. En Chine contemporaine la réalité est différente : ces lieux sont situés à la limite extérieure de l’agglomération, anticipant au moment de leur édification une extension urbaine et permettant un accès facilité aux voyageurs, grâce aux autoroutes, voies de contournement et d’accès, mais aussi grâce aux lignes de métro, toutes construites à partir d’un plan général préalable. Ceci rappelle là que la Chine demeure une économie planifiée, avec à sa tête un pouvoir qui dit être « au service du peuple » (wei renmin fuwu ; une expression tirée d’un discours de Mao Zedong en 1944, devenue par la suite le slogan principal du PCC). L’amélioration des conditions de vie ici, même encore imparfaite, est un processus effectivement en cours, comme le suggère l’évolution du sous-titre de l’Atlas de la Chine publié par T. Sanjuan : des « mutations accélérées » en 2007, la quatrième version insiste sur « les nouvelles échelles de la puissance » (2018). Il y a donc là une tension entre le respect de l’ordre, qui contrôle, et les manières d’être dans cet espace qui permet des mobilités autrefois impossibles, ou pas dans ces conditions.
Suivre les règles édictées au nom de la lutte contre les incivilités.
On peut donc dire que Xueji, tout au long de son voyage, traverse des univers de sens, en particulier celui de la gare de Hongqiao. Il s’agit d’un espace scénarisé, c’est-à-dire mis en scène, sur le modèle métaphorique du front stage et du back stage conceptualisés par E. Goffman (1973). Il est dès lors intéressant d’analyser cette partie de son voyage au travers des étapes qu’il a dû franchir pour pouvoir s’installer à bord du train : afin de saisir pleinement ce qu’habiter cette mobilité veut dire, il convient d’expliciter la mise en normes de l’espace que nous y avons entrevu. Quel est en effet le projet politique qui sous-tend cet aménagement de l’espace et sa transformation en un univers de sens ?
Être un habitant dans la gare de Hongqiao ce jour-là, c’est en, effet, d’abord, faire l’expérience de la cohabitation pacifique avec d’autres hommes et femmes. L’idée peut paraître simple, mais elle n’a pourtant rien d’évident, même dans un pays aussi densément peuplé que la Chine [8] et encore plus au-delà. La photo 1 en témoigne : difficile à première vue de distinguer des individus, comme s’ils étaient fondus dans un ensemble qui les anonymise tous. Pour l’observateur non chinois, ce serait peut-être une configuration « effrayante », pour reprendre les mots du géographe français P. Vidal de La Blache : « Le mot “effrayant” revient sous la plume des Européens à la vue du nombre d’enfants dans les foules chinoises. Partout où se concentre l’activité chinoise, travaux de rizières, halage de bateaux, banlieues sans fin, tumulte dans les rues, on a l’impression que le réservoir humain coule à pleins bords. » (2015[1922], 16) Une idée ancienne, mais régulièrement réactivée, dans la lignée du « péril jaune », comme l’expliquait en 2008 le sinologue J.-L. Domenach dans son livre La Chine m’inquiète. Mais du point de vue de Xueji et des autres habitants coprésents dans la gare, la réalité est-elle si inquiétante ou bien habituelle, devenue, de fait, familière et avec laquelle il faut composer ? Pour lui, comme pour tous ceux qui ont été éduqués dans le pays, l’idée que « en Chine il y a trop de monde » (zhongguo ren tai duo le), est une conception qui a été intériorisée très tôt, dès l’école élémentaire, à tel point qu’elle revient inévitablement dans le langage populaire. De ce point de vue, la « mise en normes de la gare » (c’est-à-dire la mise en place d’aménagements permettant la mobilité de masse, au moment même de l’édification de ces lieux) n’est qu’un nouvel avatar de l’encadrement politique (le contrôle social ; infra), dont on a l’habitude en ce qu’il est affiché en de multiples points de l’espace public (Kloeckner 2016), et avec lequel il est dès lors nécessaire de composer (sauf à accepter les pénalités policières associées aux déviances).
Il n’est donc pas certain que ce qui pourrait choquer le regard extérieur (i.e. non socialisé depuis l’enfance en Chine), soit perçu comme perturbant par Xueji et les autres habitants chinois coprésents ici. Que tous les habitants soient normalisés de la sorte (ils parcourent la gare au moyen des consignes vocales préenregistrées, les enjoignant à faire la queue, à tenir la rampe de l’escalator, à placer leurs effets dans les espaces dédiés ; mais aussi par des consignes écrites un peu partout) n’est peut-être pas si étrange pour eux. On peut même faire l’hypothèse que c’est l’inverse qui est vrai ; que le message implicite du pouvoir politique (accepter un encadrement des actions quotidiennes afin d’être plus en « sécurité ») a été intégré, digéré, voire parfois se voit repris par les habitants dans leurs échanges et manières d’être entre eux. En ce sens, suivre les règles édictées par le pouvoir ferait partie de ce qui est « normal », entrepris au nom de la « morale » (daode, infra) ; alors que tenter de s’y soustraire ferait entrer l’habitant qui le tente dans la catégorie des « déviants ». L’intérêt serait alors celui du collectif avant celui de l’individu, afin que tous (et donc soi-même) puissent circuler, le plus rapidement possible, vers et dans les lieux de son choix. Par ailleurs, pour toutes celles et ceux qui le souhaitent, des espaces pour la contestation officielle – aussi incomplets puissent-ils être – existent en RPC, comme le démontre I. Thireau (2014) avec son analyse de l’administration des lettres et des visites (xinfang ju) [9].
En retour de cette ouverture à la mobilité, les habitants chinois doivent donc accepter l’ordre, en particulier ici celui de la police des mœurs, qui surveille en permanence les incivilités que pourraient commettre les voyageurs. Dans la gare en effet, la mise en normes est strictement contrôlée par une patrouille dédiée au respect des règles, qui dispose pour cela d’outils idoines, au nom de l’établissement d’une société « harmonieuse » (hexie ; du nom de la 6e résolution du 16e congrès du comité central, entériné lors du plénum d’octobre 2006 sous la présidence de Hu Jintao : Choukroune et Garapon 2007). Face à ces nouvelles possibilités de se déplacer, de rendre les habitants plus mobiles qu’ils ne l’étaient jusque-là, les autorités nationales ont dès lors fait croître proportionnellement le nombre de règles entourant la mobilité, permettant, le cas échéant, de sanctionner les contrevenants à l’ordre public. Il s’agit d’ailleurs là d’un autre aspect du contrôle social, i.e. le « crédit social » (shehui xinyong tixi ; littéralement « système de confiance en la société ») : chaque habitant se voit maintenant doté d’une sorte de passeport à points, lesquels sont décomptés en cas d’infraction aux règles en vigueur, pouvant même amener le voyageur à être inscrit sur une liste noire, lui rendant impossible l’accès à ces lieux [10]. En ce sens, chaque gare devient un théâtre social, dans lequel des comportements possibles et tolérés hier ne le sont plus aujourd’hui (Encadré). C’est là l’idée d’imposer des normes pour l’accès à la mobilité, au nom de la « civilisation » (wenming). Cette politique vise à dispenser des règles de conduite unifiées, peu importe l’endroit où se trouvent les habitants. Ainsi, ces instructions visibles dans l’espace forment « un ensemble de valeurs, un cadre moral auquel les individus sont censés se conformer afin de favoriser l’édification d’une “civilisation matérielle” » (Boutonnet 2020). Elles incarnent également le projet de société édicté par le Parti-État, pour améliorer la « civilisation spirituelle » (jingshen wenming), et la « civilisation matérielle » (wuzhi wenming), des notions qui permettent au PCC d’inculquer des leçons de morale aux habitants chinois.
Dix conseils de civilité (or)donnés aux touristes chinois (2013)
Depuis octobre 2013, des campagnes de publicité ont éclos dans l’ensemble de la République populaire de Chine. Publiées alors par l’administration nationale du tourisme (devenu en 2018 le ministère de la Culture et du Tourisme), elles visent la civilité des touristes chinois, prévoyant leurs séjours en Chine et à l’étranger. Sur ces affiches papier, comme dans les messages envoyés sur les réseaux sociaux, les 10 conseils ci-dessous sont donnés aux futurs visiteurs. Afin de les ancrer dans l’esprit et les pratiques des habitants, ces règles sont rappelées au sein de petits livrets, disponibles un peu partout dans le pays : principalement au sein des espaces touristiques notamment (depuis les hôtels jusqu’aux plus grands sites de visites), en passant par les agences de voyages locales, parfois les entrées de supermarchés et les boutiques de différents commerçants, ainsi que les lieux connecteurs comme les aéroports et les gares.
- La civilité est le plus beau des paysages.
- Voyagez en toute tranquillité, avec la civilité comme compagnon.
- A tout instant, à tout moment, voyagez civilisé.
- La civilité est garante d’un voyage heureux.
- Les paysages sont le voyage, le comportement est le civisme.
- N’offrez à l’environnement que vos traces de pas.
- Respectez la politesse et les coutumes.
- Ne jetez pas de détritus, conservez de bonnes manières.
- Appréciez les paysages, ne gravez pas d’inscriptions.
- La tranquillité rend heureux, le civisme est d’or.
Se familiariser à un espace mouvant.
L’ensemble de ces règles forme ainsi un « code de procédure spatiale » (Lussault 2007), strict, mais qui peut être interprété par chaque habitant selon sa « carte d’identités » (Calbérac et al. 2019). Il est en effet illusoire de penser que tous les habitants choisissent de se plier béatement à ce large dispositif de contrôle des possibilités d’être et de faire dans les gares du pays. De fait, partout à Hongqiao, on observe des individus assis à même le sol, adossés à des barrières, en train de se diriger vers des boutiques, des restaurants ou bien les toilettes, dans des postures et attitudes qui vont parfois à l’encontre des règles édictées et placardées un peu partout dans et aux abords de la gare. Ces manières de faire, non conformes avec les normes imposées et contrôlées par les autorités, ne sont toutefois pas majoritaires, tant s’en faut. En cause, il y a potentiellement une non-familiarité des habitants avec ces lieux nouvellement construits et que tous, dans le pays, n’ont pas encore eu l’occasion de fréquenter [11]. En ce sens, s’arrimer au contrôle imposé au nom de l’ordre ne vaut pas comme une acceptation béate, mais probablement plutôt intéressée : les règles ici édictées permettent de prendre prise sur un espace mouvant, en mutation accélérée depuis plusieurs décennies. Se déplacer pourrait dès lors aller de pair avec une recherche de familiarité qui n’a pas encore été acquise dans ces lieux de la mobilité.
Dans un pays comme la Chine, grand comme dix-sept fois la France, cette idée peut faire sens : de telles dimensions sous-entendent des situations très variées. Partir de Taiyuan dans la province du Shanxi, pour se rendre à Fuzhou (dans la province du Fujian), à Jinghong (province du Yunnan), ou à Enshi (province du Hubei) – entre autres exemples – pour tenter d’y habiter, peut se révéler difficile. Devant les distances et le différentiel entre situations locales (si le mandarin est ainsi parlé dans tout le pays, les langues et dialectes locaux sont nombreux), des habitants souhaitant être un temps touristes peuvent par exemple choisir d’avoir recours à des intermédiaires, tels des agences de voyages ou des voyagistes (comme c’est aussi le cas dans le contexte européen, ainsi que le montrent V. Mondou et P. Violier en 2009 : le recours à des opérateurs augmente avec la distance). En Chine contemporaine, les déplacements supposent ainsi parfois le franchissement de distances et d’étendues qui nécessitent plusieurs heures ou journées selon le mode de déplacement choisi. Ensuite, on peut supposer que la variété des situations est ici plus grande qu’ailleurs : la Chine est ainsi un État multinational, peuplé d’habitants de 56 nationalités, qui vivent dans des conditions différentes. On comprend donc aisément que se déplacer à l’intérieur même de son pays puisse être parfois déstabilisant et que la mise en normes apporte une aide à la mobilité, aussi contraignante que celle-ci soit-elle vue de l’extérieur (là encore pour les habitants non socialisés en Chine continentale).
En considérant les limites (Gay 2016) à franchir tout au long du parcours qui mène les habitants vers les lieux de leur choix, choisir de partir c’est dès lors se confronter à une série d’obstacles potentiels, au regard des dimensions du pays, mais aussi de ses mutations spatiales extrêmement rapides. Pêle-mêle, c’est préparer une somme d’affaires qui seront utilisées pendant le voyage et une fois arrivé à destination ; c’est se déplacer jusqu’à ces lieux connecteurs (gares, aéroports) ; c’est faire l’expérience de la cohabitation ; c’est aussi comme pour Xueji devoir retirer un billet de train dans une borne automatique en gare, etc. Ceci au sein d’un vaste espace qui a connu des changements structurels profonds depuis près de 40 ans et où les habitants n’ont donc pas toujours des repères.
Les villes où ont émergé ces lieux connecteurs sont en effet devenues des métropoles très modernes, où est apparu un « nouvel urbanisme » (Wu 2007). Pour y mettre en relation l’ensemble des nouveaux lieux créés (que ce soit des centres commerciaux, des résidences d’habitation, des complexes administratifs, etc.), il a été nécessaire de construire de nouvelles infrastructures. Tous les habitants se les sont-ils appropriés ? Arrivent-ils tous à se repérer dans ces villes dont l’urbanisme change régulièrement ? Car avant de partir hors de sa ville de résidence, il faut bien arriver à s’en extraire, ce qui peut ne rien avoir d’évident. D’un côté en effet, la multiplication des prises sur l’espace, comme les stations de métro (Figure 5), permet aux habitants de se déplacer plus facilement, voire plus vite au sein d’espaces urbains devenus plus denses.
D’un autre côté, la transformation des métropoles peut induire une perte de marques anciennes, obligeant les individus à récréer des attaches dans l’espace, des points de repère. De plus, au rythme où le développement urbain progresse, cette réappropriation de l’espace peut devenir récurrente : lorsque de nouvelles constructions viennent en remplacer d’autres, implantées dans le paysage urbain depuis quelques années à peine, les habitants doivent régulièrement mettre à jour leur répertoire spatial. Pour ne pas se perdre, il faut donc être capable d’adapter ses prises à la réalité mouvante de l’espace. Dans de telles configurations, ne peut-on imaginer que certains individus fassent le choix de ne plus se déplacer, pour un temps au moins, afin de s’approprier leur espace de vie ? Car il y a là en Chine une dimension à ne pas mésestimer : le quotidien peut ne pas être familier. Les habitants des métropoles chinoises sont ainsi habitués à utiliser au moins deux mots pour décrire cette réalité – « tong » (communiquer ; connecter), « kai » (ouvrir ; ouvert) – et pour évoquer les réseaux de communication : « la route est-elle mise en service ? » (lu tong le ma ?) ; la gare/station est-elle ouverte ? (zhan kai le ma ?) De plus et à nouveau, tous les habitants chinois ne disposent pas des mêmes aptitudes, en fonction de ce qui leur a été transmis, au cours de processus de socialisations complexes.
Encore une fois, partir ne s’improvise pas, il faut au contraire disposer d’un certain nombre de ressources (des capitaux et des compétences géographiques), acquises grâce à la famille, les réseaux de relation, l’école, etc. Là, il nous faudrait mieux connaître les représentations associées aux mobilités, en fonction des différentes catégories d’individus : existe-t-il des profils et des parcours d’habitants, qui se retrouvent plus dans un lieu que dans un autre, en particulier parce que leur maîtrise de cet espace chinois mouvant a été structurée – et tôt – par un ensemble de faits sociaux à repérer (avoir fréquenté les grands hôtels enfant, avoir eu accès à une école sélective, avoir bénéficié de relations familiales pour se rendre dans des lieux habituellement fermés au public, etc.) ? Tout cela explique qu’en Chine comme ailleurs, tout le monde ne parte pas régulièrement de chez soi ou en vacances [12]. L’accès à des lieux non familiers demeure donc encore réservé à une fraction seulement de la population, même si la proportion augmente chaque année dans le pays (Taunay 2017). Pour ceux qui le font, il leur faut choisir dans un éventail fourni et régulièrement recomposé de lieux et de destinations. Le réseau chinois de lignes à grande vitesse compte ainsi en 2020 plus de 35 000 km de voies, alors que la première ligne n’a été inaugurée qu’en 2008. Comment se repérer quand il s’agit de choisir sa destination, de savoir à quelle gare descendre avant de rejoindre son hôtel ou son lieu de résidence temporaire ? Il faut faire là l’hypothèse qu’en Chine peut-être plus qu’ailleurs, des « compétences mobilitaires » (Ceriani, Knafou et Stock 2004) sont nécessaires, pour s’extraire de ce qui est habituel et se transposer dans un espace qui l’est moins. En effet, ce n’est pas parce que les connecteurs sont plus nombreux que la mobilité est plus facile : si elle est facilitée, il faut être capable d’y prendre prise. Là encore, de l’habiter.
Un ordre négocié où les habitants ont leur place.
Cet article permet d’engager le débat sur la situation des habitants dans les gares en Chine, là où les mobilités prennent de l’ampleur, sont permises, mais soutenues par un ordre auquel chaque habitant doit en retour se conformer. Plus largement, il s’agit d’un examen du contrôle social – l’encadrement des individus et des mobilités – qui régit les manières d’habiter un espace recomposé depuis plusieurs décennies. Cette gare est donc un théâtre social, révélateur en creux de logiques qui permettent au pouvoir de veiller à ce que la population qu’il administre respecte les règles édictées le plus souvent au nom de la morale et dans le but de générer un nationalisme auquel chacun et chacune peut s’identifier.
Pour autant, le contrôle social qui est largement promu dans des discours sur la Chine contemporaine se vérifie-t-il ici ? Ne doit-il pas plutôt être nuancé ? Sans minimiser le contrôle sur les habitants, ne faut-il pas aussi envisager que ces derniers ont un poids, une voix, aussi prise en compte ? Car, d’abord, si la surveillance est partout, très visible (Photographie 2), quelles sont les conséquences de celle-ci pour les habitants qualifiés de déviants ? Sont-ils mis en garde, par avertissements gradés, ou bien tout de suite sanctionnés ? En ce sens, la surveillance est-elle individuelle ou bien plus floue, dans le but de maintenir l’ordre général plus que de sanctionner individuellement ? Mais aussi, ensuite, les revendications des habitants peuvent être entendues. On l’a constaté avec la fin brutale de la politique dite de « zéro Covid » : après l’agrégation des protestations étudiantes aux manifestations ouvrières, le pouvoir a mis au rebus (mi-décembre 2022) son contrôle strict des mobilités, qui avait cours depuis quasiment trois ans et dont la révision n’était pas à l’ordre du jour. On peut donc plutôt parler d’un « autoritarisme fragmenté » (Boucher et Taunay 2021), d’un « ordre négocié » (Taunay 2022), où les habitants ont une place. Pour le saisir, une analyse plus fine des règles est encore à conduire ; un questionnement dont ce texte invite à s’emparer.