Questions, précautions et réflexions introductives [1].
Comment situer les formes, la place et les fonctions du désordre, de l’anomie, de l’altérité et de la créativité débridée à partir desquelles se (re)pose en permanence la question de la transgression, du renouvellement des modèles, des codes et des pratiques dans la sphère récréative ? À partir de pratiques de loisirs et de tourisme en nature, ce texte examine comment des dissidences qui oscillent entre jeu et transgression contribuent à l’ambivalence du statut de la récréation dans les sociétés contemporaines. Cette démarche est conduite à partir d’observations issues d’une série de travaux conduits dans différents contextes [2], et de leur mise en perspective à l’aune d’une documentation et d’un examen de la littérature en sciences sociales disponible sur ce sujet. Traverser est compris ici au sens de passer les bornes (Christin 2010) du conforme, au moyen d’allers-retours pratiques et idéologiques de part et d’autre d’une frontière hospitalière, au sein de laquelle se reconfigurent ad libitum les limites entre culture légitime et contre-culture, ordre et désordre, autonomie culturelle et hétéronomie économique ou juridique, espaces-temps aménagés et hétérotopies.
En s’intéressant aux termes de ces franchissements, ce sont les figures et les fonctions de l’anomie, de l’altérité, de la créativité débridée et du changement à partir desquelles se (re)pose en permanence la question de la transgression et du renouvellement des modèles, des codes et des pratiques dans la sphère récréative que nous cherchons à interroger. Non seulement dans la perspective de déceler l’émergence d’éventuels nouveaux usages récréatifs, mais aussi afin de comprendre comment ceux-ci s’articulent avec des pratiques plus conventionnelles. La notion ainsi étudiée dans ce texte concerne exclusivement les pratiques dites en nature, les usages de celle-ci par la pratique sportive, ludique et récréative, qui suscite une immersion quasi « éco-expérientielle », actuellement mise en évidence dans le champ des sciences et techniques en activités physiques et sportives par le biais de l’écologie corporelle (Andrieu 2011). De ce fait, nous excluons de notre propos certaines configurations dissidentes qui ne s’inscrivent pas dans une réflexion géo-sportive, mais davantage dans ce qui traite des dérives et déviances, par exemple (supportérisme (Nuytens 2004), violences [3], sexualité (Rubin 2011), etc.). Ce choix épistémologique se défend par l’idée que les pratiques que nous évoquons visent un objectif principal : la critique (éthique, politique et esthétique) ou, dans une moindre mesure, la contestation des espaces de la vie quotidienne — les espaces communs — par une co-construction des corps et des espaces (Delignères et Régnauld 2007, Di Méo 2010, Lebreton et Andrieu 2012) dans un phénomène identitaire de corpospatialité (Fourmand 2008). Cette problématique, chère aux sciences sociales, n’est pas nouvelle. En revanche, l’interroger par l’intermédiaire des dissidences récréatives en nature nous semble pertinent dans le sens où le style récréatif (Corneloup 2011) demeure aujourd’hui une valeur heuristique pour l’étude des formes contemporaines de loisirs et de tourismes sportifs, créant ainsi des « lignes de traverse » (Raunig 2000).
La problématique de notre article est donc la suivante : les dissidences récréatives en nature, qu’elles s’inscrivent en milieu urbain, montagnard, maritime ou rural, révèlent des valeurs esthétiques, ludiques et de sociabilité en adéquation avec un contexte social, culturel et économique qui joue perpétuellement avec les limites façonnant les cultures touristico-sportives (passées, présentes et futures) [4]. De cette manière, nous questionnons aussi les dimensions politiques et idéologiques de la dissidence récréative dans la mesure où nous faisons le postulat que, si elle est sans cesse renouvelée par la créativité individuelle et collective, et n’est donc pas uniforme, une définition politique se dégage pourtant ouvertement. En effet, malgré des contradictions et des nuances que nous préciserons, la dissidence que nous évoquons est explicitement politique (Hall 1974), dans le sens où elle exprime des contenus proscrits dans les normes sportives et touristiques (lieux et espaces de pratiques traditionnels et conventionnels, par exemple). De ce fait, elle est aussi idéologique, puisque l’exemple des cultures sportives et récréatives différentielles que nous évoquons dans nos travaux respectifs illustre ce que Cohen (1972) évoquait en son temps lorsqu’il dénonçait le modèle transactionnel du comportement déviant auxquels certains sociologues avaient recours au sujet des conflits mods/rockers au milieu des années soixante [5]. Ainsi, le style dissident n’est-il pas de la même manière une pratique signifiante ?
Les difficultés méthodologiques inhérentes à une telle démarche ne sont pas à négliger. Par définition, les pratiques underground sont furtives, discrètes, cachées, diffuses, secrètes, invisibles à la manière des antimondes (Houssay-Holzschuch 2007). Se pose donc la question de parvenir à les appréhender et à les observer concrètement sur le terrain. Les travaux d’Éric Déléséleuc (2007) sur le site d’escalade atypique de Claret, de Laurence Nicolas et Cécilia Claeys-Mekdade sur la plage de Beauduc (1999), ou ceux de Florian Lebreton sur les sports urbains alternatifs (2010), montrent l’apport irremplaçable et les exigences de l’immersion du chercheur — en tant que corps participant (Andrieu 2011) — in vivo et in situ sur un terrain. Dans une distanciation à l’objet de recherche, les observations et relevés réalisés de manière extérieure à l’univers des pratiques constituent quant à elles une entrée en matière utile et efficace pour la compréhension des discours, des pratiques et des significations. Cependant, elles peuvent comporter de nombreux biais liés aux conditions d’établissement de l’information et d’accès à celle-ci. Par exemple, l’examen des délits constatés dans certains espaces particuliers, comme les parcs nationaux, peut permettre d’obtenir une photographie à la fois quantitative et qualitative de certaines infractions constatées (introduction de chiens, camping sauvage, braconnage…), mais celles-ci sont loin de couvrir toute la palette des formes de transgression envisageables. De même, Internet est un excellent moyen de repérage de la profusion des pratiques dissidentes, dont le caractère déviant est souvent ostensiblement validé, non seulement par le vocabulaire employé pour les indexer ou les commenter (« clandestin », « illégal »…), mais aussi par la mise en évidence quasi systématique du franchissement de limites marquées par la présence de panneaux d’interdictions. Le rôle que joue l’image — et particulièrement sa mise en lumière sur Internet — pour donner du relief, du crédit ou encore de la valeur aux exploits accomplis, occupe une place prépondérante dans la compréhension des pratiques dissidentes contemporaines. Ce n’est pas un hasard si la toile regorge de forums, blogs ou sites spécialisés et consacrés à la visibilité de la dissidence. Elle est un lieu d’expression et d’identification très fort où les images (photographies et vidéos) circulent aussi de manière plus ou moins clandestine… Mais la traçabilité et l’identification des pratiquants et des lieux ne sont pas aussi aisées pour le chercheur que pour la justice ! De plus, outre la difficulté de choisir les mots-clés les plus productifs sur les moteurs de recherche, les pratiques les plus répandues sur le terrain ne sont pas nécessairement les plus visibles sur le web, alors qu’a contrario, la forte visibilité sur la toile de certaines pratiques ne préjuge en rien de leur diffusion effective.
L’anti-conforme au cœur de la récréation de masse ?
S’intéresser au versant buissonnier ou underground des pratiques récréatives peut sembler une démarche incongrue, alors qu’elles occupent une place de plus en plus centrale dans les modes de vie, les économies et les territoires, et que leur fonction intégratrice et productive ne cesse de se renforcer. En effet, comme dans d’autres domaines culturels, à mesure qu’une industrie globalisée prend le pas sur le bricolage localisé, les dynamiques d’institutionnalisation et de marchandisation semblent prévaloir, loin de la traditionnelle posture mi-distinctive mi-alternative (Rinehart et Sydnor 2003), dans laquelle se sont longtemps épanouis de nombreux loisirs sportifs de nature comme le vélo tout terrain, le snowboard, l’escalade, ou le kite-surf, pour ne citer que quelques-unes des nombreuses activités qui se sont développées depuis vingt ans. C’est ainsi que l’anticonformiste surf de mer s’organise en cluster porté par un partenariat public-privé (Falaix 2012), pendant que les parcours acrobatiques en hauteur franchisés remplacent les terrains vagues dans l’initiation à l’aventure. Dans le même mouvement, une demande supposée croissante de sécurité, de confort et d’animation se traduit sur le terrain par un équipement et des services sans cesse plus poussés et sophistiqués qui font la part belle aux espaces et dispositifs de transition ou de substitution (snow-domes, stades d’eau vive, via ferrata, neige de culture) destinés à apprivoiser une « nature » de plus en plus indéchiffrable et inaccessible dans ses formes non artificialisées ou scénarisées. De plus, ce phénomène est renforcé par la généralisation de médiations technologiques et informationnelles, qu’il s’agisse de signalétiques interactives, de webcams, de réseaux sociaux spécialisés, de GPS ou QR codes.
Toutes proportions gardées, ne peut-on pas relier cette mutation partielle de l’outdoor vers l’aroundoor ou l’indoor (Corneloup 2003) à la montée d’un « tourisme fermé », à l’instar de formes récréatives montrées comme emblématiques de l’avenir comme la croisière, le parc de loisir, le comptoir de type Dubaï ou le tourisme spatial, qui se présentent comme des « bulles » parfaites où la sécurité et l’entre-soi sont des priorités, à l’image des enclaves que sont les villes ou quartiers résidentiels privés ?
Pourtant, derrière ce que d’aucuns analysent comme une implacable aliénation de la récréation de masse (Christin 2008), ne peut-on pas aussi discerner des contre-cultures, des contre-espaces et des contre-temps qui constitueraient des marges de manœuvre créatives et émancipatrices ? D’ailleurs, loin de tuer l’expérience de l’altérité, l’industrie récréative la plus banale ne serait-elle pas propice à de subtils écarts qui fonctionnent comme autant de traversées du réel ou des apparences, transformant potentiellement un banal séjour gagné dans un jeu-concours en une expérience existentielle à part entière ?! Est-il alors question de simples fugues buissonnières, ou d’une possible résistance à l’uniformisation et à la marchandisation déshumanisantes de l’horreur touristique (L’Offensive 2007) ?
En prenant de la distance vis-à-vis d’une lecture critique radicale selon laquelle la domination capitaliste se prolonge dans l’industrie du divertissement en procurant un simulacre de rêve et de bonheur (Adorno et Horkeimer 1983), ces questions nous invitent à réinterroger la capacité d’autonomie des pratiquants et usagers dans le cadre même de l’hétéronomie culturelle et organisationnelle de la récréation contemporaine (Bellefleur 2002). Qu’elle se manifeste sous des formes ostensibles, discrètes ou invisibles, cette liberté inattendue leur permet de détourner, de contourner ou de retourner des techniques, des instruments, des usages et des lieux décriés par les puristes comme dénaturant l’expérience ou la pratique authentique de l’Ailleurs. Développée au départ comme reconnaissance d’une « culture du pauvre » (Hoggart 1970) dénonçant le mythe misérabiliste du conditionnement des masses, cette perspective s’intéresse aux résistances obliques — c’est-à-dire non frontales — déployées par les gens ordinaires pour préserver leur identité en s’affranchissant des processus de domination auxquels ils sont soumis. On retrouve là l’idée de Michel de Certeau (1990) selon laquelle la ruse et le braconnage sont constitutifs de la vie quotidienne, malgré le poids des dissymétries sociales, économiques et culturelles. Tout en étant critiquée, puisqu’elle ne remet pas en question les mécanismes de domination, cette vision recèle une part d’intelligibilité du réel et s’avère féconde dans l’approche des formes plurielles de pratiquer l’espace qui animent le domaine récréatif. En s’intéressant à ce qu’ils désignent comme des compétences cachées du touriste, des géographes ont ainsi pu montrer qu’il est loin d’être « le voyageur moutonnier qu’on imagine le plus souvent », tant il est détenteur d’un savoir-faire élaboré au fil de ses expériences (Ceriani, Knafou et Stock 2004). Tout se passe donc comme si une approche de près révélait ce qu’une approche excessivement distanciée s’avère incapable de déceler, à savoir de subtiles variations interactionnelles qui pondèrent les effets de structure à l’échelle individuelle sans les remettre en cause. En somme, il faut savoir regarder comment les gens ordinaires jouent avec les cadres pour (re)donner de l’autonomie à leurs pratiques et bricoler leur propre expérience. Peu documenté pour le tourisme, ce phénomène a été finement étudié dans le domaine musical, par exemple, dans les travaux de Gérôme Guibert (2004), qui montrent comment des instruments de musique industriels décriés par les puristes, comme l’accordéon, ont été détournés de leurs modalités et méthodes d’usage conventionnelles pour être adaptés à la pratique des musiques populaires. Jean-Didier Urbain (1993) n’a-t-il pas évoqué quant à lui un « tourisme de petite dissidence » (ne pas envoyer de cartes postales, critiquer les sites connus…), qui permet aux fractions sociales intermédiaires de prendre de la distance avec les pratiques de masse, tout en prenant acte de l’inaccessibilité des pratiques les plus élitistes ?
Braconnages récréatifs urbi et orbi.
Dans toutes les dimensions du fait touristique, nombre de pratiques qui n’ont rien de spectaculaire s’affranchissent des codes et contraintes qui définissent les conduites légitimes, habituelles ou attendues. On peut commencer par souligner que la complexification de l’accès à l’Ailleurs et la codification croissante de la récréation à des fins sécuritaires, économiques ou environnementales génèrent invariablement des réactions de transgression. Dans les loisirs sportifs de nature, par exemple, alors que l’on délivre désormais des diplômes de surveillants de parcours d’aventure, l’imaginaire du hors-pistes se renforce plus que jamais autour de l’envie de faire sa trace en surmontant les obstacles d’un terrain non aménagé, mais aussi affranchi des omniprésentes médiations technologiques et informationnelles que sont les balisages, signalétiques, GPS ou bornes interactives.
De nouvelles brèches s’ouvrent sans cesse dans le bel ordonnancement du champ récréatif organisé et standardisé. Dans ses marges et interstices, subsistent, naissent et se développent des pratiques et des lieux buissonniers ou déviants, secrets ou ostensibles dans leur réfutation de la normalisation, de l’institutionnalisation et de la marchandisation. Pour rendre compte de cette spontanéité créatrice, il faudrait s’intéresser à des formes de détournements, de contournements et de retournements d’espaces, de temps, d’installations, de sens, d’usages et de règles, sans oublier les hybridations imprévues et les effervescences festives qui peuvent être observées un peu partout et n’importe quand. À l’heure de la généralisation des espaces dédiés aux nouvelles glisses (snowparks) dans les stations de sports d’hiver, l’attention portée à l’autoproduction de sites de freestyle éphémères bricolés entre potes à l’écart des domaines skiables apparaît incontournable pour comprendre les pratiques émergentes. Le triptyque « hébergement-remontées mécaniques-pistes », qui faisait la force et la cohérence du produit-neige, est ainsi de plus en plus délaissé par les pratiques observées sur le terrain, la nuit, dans les coins et recoins… Et quand l’altérité de la montagne est marginalisée par l’urbanisation et l’industrialisation, c’est aussi à l’échelle du corps que s’exprime la recherche d’un Ailleurs, la traversée des limites s’exprimant alors à travers des prises de risques ou des jeux acrobatiques et de vertige sur le mode du freestyle ou du freeride…
Pour autant, le registre buissonnier ne rime pas systématiquement avec celui de la performance sportive ou de l’extrême, et il ne se limite pas non plus aux hauts lieux et sites touristiques patentés. Il participe aussi d’une habitabilité et d’une quotidienneté qui font la part belle aux pratiques de proximité dans des espaces et des modalités plus ordinaires. À Saint-Nizier-du-Moucherotte, petite station de sports d’hiver du Vercors reconvertie en banlieue résidentielle de Grenoble, l’observation des pratiques récréatives de migrants d’agrément [6] met en évidence une modification en profondeur des rapports entre habiter et visiter. Celle-ci repose souvent sur la transposition de pratiques (escalade, descentes en rappel, canyoning, ski de randonnée…) caractéristiques des hauts lieux récréatifs, autrefois intensivement fréquentés par les personnes interrogées ; ces « Ailleurs » étant délaissés — sauf à l’occasion de sorties devenues plus exceptionnelles — à la fois pour des raisons familiales, professionnelles et de responsabilité environnementale (bilan carbone). Il en résulte un recodage géoculturel de petits lieux et de pratiques d’entraînement comme homothétiques des hauts lieux et de leurs usages légitimes : comme si, en quelque sorte, le Moucherotte (1901m) tenait lieu de Mont-Blanc dont les pentes peuvent être explorées à l’envi durant une vie entière… Des formes inédites ou inhabituelles de pratiques s’expérimentent alors à partir de multiples relectures des espaces et temps de proximité, qui transfigurent leur banalité pour activer intensivement le terrain local afin d’en transcender le potentiel limité et de valoriser les micro-lieux délaissés par les itinéraires répertoriés dans les topoguides et balisés : exploration et dérives sur des traces d’animaux, ou dans des interstices naturels — forêts, barres rocheuses, gorges, canyons secs —, pratiques nocturnes ou par mauvais temps. La pratique systématique de hors-pistes en tous genres et en tous sens — à la montée, à la descente ou en traversée, avec ou sans matériel technique — donne alors accès à tout un univers de lieux « invisibles », voire « masqués », aux visites de surface des excursionnistes ou touristes qui fréquentent également ce terrain de jeu.
Paradoxalement, cette intensification de l’usage de lieux inscrits en « creux » dans le territoire local, aussi bien du point de vue des usages traditionnels des habitants que des visiteurs, va de pair avec la pratique plutôt extensive d’une activité technique (escalade, ski, vélo tout terrain, canyoning…). Celle-ci reste toutefois une référence permanente, tout en étant transposée sur un sentiment de proximité du domicile, de quotidienneté, et d’incongruité distinctive au regard des usages traditionnels des lieux, des temps et des techniques ou des matériels sportifs. Les événements météorologiques (coup de froid, chute de neige, tempête…) sont alors accueillis comme des opportunités dont le sens n’est pas seulement ludique, mais accrédite aussi le rêve d’une vie « en montagne » dont les signes consistent à partir de la maison skis aux pieds ou corde à l’épaule et piolet sur le sac… Le développement récent des pratiques nocturnes ajoute une dimension pratique — pallier le manque de temps en journée — à la recherche permanente de procédés permettant de traverser les apparences de lieux ordinaires ou familiers.
La ville elle-même devient le support de multiples expériences récréatives, y compris dans sa dimension la plus ordinaire. Le voyage pédestre de trois semaines « Ici e(s)t ailleurs », organisé en 2002 dans l’agglomération grenobloise par le collectif Ici-Même et raconté dans l’ouvrage Les paysages étaient extraordinaires (2004), est exemplaire de cette démarche d’exploration des usages négligés et refoulés de l’espace public : camping au pied des immeubles, hébergement chez l’habitant, performances et rencontres sur les marchés ou les maisons de retraite, collecte et diffusion de sons et d’images, etc. Avec, comme point de départ, des interrogations radicales sur le sens et les pratiques du tourisme : « Qu’est-ce que je me retiens de faire dans ma ville ? » « Ça commence où, ailleurs ? ». Et en se réjouissant d’avoir parcouru seulement 14 kilomètres durant leur périple, ces visiteurs de l’interstice urbain prennent le contre-pied de la surenchère à la mobilité contemporaine. On notera ici que l’interstice se trouve co-construit par des pratiques hétérotopiques, ce qui constitue l’exact inverse de l’action aménagiste qui s’attache à fabriquer des comportements attendus [7].
Ce type d’exploration de nouveaux usages de la ville, nourri d’une critique esthétique et idéologique, se réfère au projet situationniste (Debord 1967), non seulement en réactivant la dérive urbaine, mais aussi en transfigurant la banalité des espaces du quotidien et en dépassant le statut aliéné du loisir. Cette actualité du situationnisme se retrouve encore dans le tourisme expérimental (Antony et Henry 2006) à travers une créativité ludique débridée consistant, par exemple, à visiter un site les yeux bandés, prendre une photo toutes les 30 minutes, s’intéresser aux casernes de pompiers plutôt qu’aux monuments historiques, visiter les aéroports sans prendre l’avion, jouer aux dés pour décider de la prochaine étape d’un voyage, etc. [8]. Ce parti pris de voyage devient un contre-tourisme qui vise à adopter une conduite systématiquement opposée à celle admise par les usages ou recommandée par la littérature de voyage. Et, dans l’exploration de ces nouvelles frontières entre l’Ici et l’Ailleurs, on oscille de manière permanente entre, d’une part, une annulation des codes culturels qui fondent l’esthétique et le comportement touristique et, d’autre part, l’invention de contraintes créatives à la manière oulipienne (OuLiPo 2002), c’est-à-dire l’énoncé et l’application rigoureuse de nouveaux codes.
Mais la transfiguration de l’ordinaire ne repose pas uniquement sur des constructions contre-culturelles sophistiquées. Quand la neige déborde le bel ordonnancement de la ville et court-circuite les certitudes technologiques et logistiques, la pagaille qui s’installe durant quelques heures tient de la catastrophe (mesurée en kilomètres de bouchons, vols aériens annulés et manque à gagner pour les entreprises), mais aussi de la fête (Bridel et Delapierre 1985). Une fête inespérée dont jouissent non seulement les enfants privés d’école, mais aussi tous ceux qui savent se laisser détourner de leurs routines et obligations diverses pour s’abandonner même un bref instant à d’autres usages de l’espace, du temps, du corps et de la parole. Avec, en prime, la rumeur feutrée des rues abandonnées aux piétons, lugeurs, skieurs, lanceurs de boules de neige et autres constructeurs de bonshommes. Traverser la presqu’île lyonnaise à ski de fond, descendre de Notre-Dame-de-la-Garde en snowboard ou faire de la luge dans une rue de Toulouse fait tout à coup d’un lieu ordinaire un tremplin pour un ailleurs immédiat. Et, en transformant la ville de manière très éphémère, la neige creuse un vide rempli d’une émancipation fugace qui, par défaut ou à la manière du carnaval, en dit long sur les frustrations quotidiennes de la naturalité, de la corporéité, de la sociabilité et de la temporalité contemporaines. La neige fonctionne alors à la manière d’un révélateur au sens photographique du terme, en inversant le sens et les usages, du banal à l’exceptionnel, du contrôlé au spontané, du productif au festif, de la vitesse à la lenteur, du bruit au silence, de l’indifférence à la convivialité, du sérieux au jeu…
La ville est conquise, immobilisée et muette. Et merveilleuse. Cette défaite dominicale devint vite joyeuse car transformée en une victoire, disons une fête […]. Dans cette ville gelée, les individus se sont dégelés. Dans une sorte d’état de grâce : on se parlait […]. L’inimaginable devenait réalité. (Mayor 1985)
L’altérité n’est pas tant marquée ici par une pratique hétéronomique que par un événement météorologique qui offre une occasion ponctuelle d’introduire, au sein de l’urbain, une pratique décalée ou exotique comme la luge ou le ski.
Sur les pavés, la neige (Bérard 2011) ou sous les pavés la plage… Le slogan soixante-huitard semble plus que jamais d’actualité et inspire de nombreuses opérations de ré-enchantement de la ville, qui se réfèrent souvent à la figure emblématique de la plage comme antithèse de la banalité urbaine. Après Saint-Quentin, ville picarde qui se dote d’une plage urbaine estivale dès 1996, Paris inaugure sa plage en 2002 avant d’être imitée par des villes comme Berlin, Bruxelles, Budapest ou Prague… À la faveur de la réconciliation des villes avec leurs fleuves, longtemps exutoires à ciel ouvert pour l’industrie ou la circulation automobile, les rives urbaines sont dédiées à la qualité de la vie par le design urbain de la « ville durable ». Et, parmi les conséquences involontaires des aménagements réalisés et de la communication qui les accompagne, on observe la renaissance de pratiques spontanées comme le street-fishing ou le street-diving. À Paris, la Brigade nautique multiplie les interventions et contraventions pour lutter contre la multiplication de baignades spontanées dans la Seine. Dans le sud-est de la France, à Vienne, c’est une passerelle traversant le Rhône qui est appréciée pour les sauts et plongeons qu’elle offre à la belle saison. Après des décennies d’indifférence et face à un regain d’intérêt notable pour ce « spot », les autorités compétentes ont installé sur place en 2010 un panneau « Plongeons interdits », très vite malicieusement corrigé au marqueur en « Plongeons inédits »… Dans un autre contexte, au cœur de Porto, depuis le pont Luis Don I, les mêmes manifestations dissidentes profitent au contraire de l’indifférence des autorités locales. Des jeunes se donnent en spectacle informel grâce à une chute de plus de dix mètres dans le Douro, au bonheur des touristes amassés sur les quais de la Ribeira, mais en suscitant la réprobation d’habitués des lieux qui s’offusquent devant l’absence de toute réglementation.
Variations géoculturelles sur le thème du off.
Toute tentative d’inventaire des modes, temps et lieux récréatifs décalés ou carrément déviants paraît vaine tant les modes d’élaboration de la dissidence récréative se nourrissent à tous les registres du jeu, de la ruse et de la transgression, et se déclinent à outrance en entretenant des relations très variées à la culture, à l’économie ou à la loi. Sans omettre le fait que la discrétion de nombre de pratiques empêche simplement leur identification ou leur localisation ; ou au contraire qu’une forte visibilité médiatique (presse, télévision, web) masque en fait la rareté de certaines autres…
Pour tenter de cerner le périmètre des sécessions récréatives, il est nécessaire — outre les exemples déjà cités — de s’intéresser à des pratiques anachroniques, comme par exemple utiliser du vieux matériel ou des sources d’information périmées pour voyager, randonner ou naviguer. Mais il convient aussi d’aller voir du côté d’usages technologiques non conformes (matériel auto-fabriqué ou modifié) ou de pratiques d’inversion comme les désescalades, les remontées de pistes de descente, les concours de fiascos et de déceptions, les pratiques nocturnes… Il faudrait encore investiguer l’éventail infini des nominations humoristiques ou outrancières utilisées sur le terrain, comme, par exemple, l’attribution de noms truculents aux voies d’escalade à partir des années 1980 (Bozonnet 1987). Sans oublier des pratiques littéraires inattendues, loufoques ou provocatrices. Dans le domaine des loisirs de nature, pourtant longtemps marqués par un certain rigorisme (Bourdeau 1999), citons la trilogie de romans érotico-alpinistiques de Pierre Charmoz dont le premier s’intitule La montagne à seins nus (1982), les inévitables guides pratiques Comment chier dans les bois. Pour une approche environnementale d’un art perdu (Meyer 2001) et Le sexe dans la nature. Pour une nouvelle approche d’une dimension cachée de l’outdoor (Rose et Tilton 2001), ou encore le topoguide des Cent plus bêtes : le topo de noms de lieux rigolo. Garanti cent mauvais jeux de mots (Tauvron 2008).
Même s’ils restent discrets dans le flot éditorial, de tels exercices de déconstruction des routines de l’imaginaire récréatif tendent à devenir un genre littéraire à part entière. En témoignent des ouvrages comme le Petit guide pataphysique de l’Auvergne insolite (Sigoda 2002) ou La France vue du sol (Fioretto, Léandri et Haudiquet 2009), dans lequel « la carte de la Gironde est illisible en raison d’un incident technique dû à la dégustation pour vérification par le maquettiste de tous les grands crus ». Quant aux vrais-faux guides touristiques de la collection « Jet lag » de Flammarion, leurs titres sont déjà une invitation à aborder le voyage comme fiction et dérision : La Molvanie : Le pays que s’il n’existait pas, faudrait l’inventer, ou San Sombrero : le pays des carnavals, des cocktails et des putschs (Cilauro, Gleisner et Sitch 2006, 2008).
Il ne faut pas non plus négliger le fait que l’univers des déplacements motorisés, partie prenante centrale du tourisme sous toutes ses formes, mais aussi de la vie quotidienne, est un vivier quasi inépuisable de comportements ludiques déviants ou carrément hors-la-loi : courses improvisées, wheeling, dépassements hasardeux et jeux de roulettes russes aux carrefours n’en donnent qu’un petit aperçu. Mais à l’heure de l’écologiquement correct, les pratiques motorisées les plus banales ne deviennent-elles pas transgressives du simple fait qu’elles sont montrées du doigt par l’opinion publique ou restreintes par la réglementation ? C’est dans ce contexte que les références aux 4X4, hélicoptères, motoneiges ou moto-cross se sont multipliées comme signes ostensibles d’impertinence dans la publicité : « Du ski, c’est du ski, n’importe où, n’importe comment », proclame une publicité de la marque américaine Orage du milieu des années 2000 en mettant en scène une dépose héliportée…
N’oublions pas non plus — en nous interdisant bien sûr toute généralisation — que les revenus procurés par différents types d’allocation (chômage, RSA, maladie…) peuvent aussi être utilisés ponctuellement ou durablement à des fins hédonistes. Le caractère dissident tient alors davantage à la transgression d’interdits sociaux et culturels dans le rapport au travail et à l’argent qu’à la nature des activités récréatives concernées qui peuvent être très conventionnelles comme — au hasard — des sorties en vélo et la pêche à la ligne ! Mais ce type d’écarts n’est pas limité aux bénéficiaires de prestations sociales et peut être étendu à toutes les variantes de « fugues » que tout un chacun peut s’offrir au cours d’activités et de déplacements professionnels en profitant simplement d’un relâchement du contrôle hiérarchique ou en donnant l’illusion d’une continuité d’activité grâce à l’usage approprié du téléphone mobile ou du courrier électronique. Jean-Didier Urbain (2003) a bien montré à propos des « secrets de voyages » comment l’esquive et la disparition sont des modes majeurs du rapport à l’Ailleurs. On notera à ce sujet que, si les mobilités douces peinent à se développer, les mobilités en douce sont déjà généralisées depuis longtemps…
Pour saisir la diversité des braconnages récréatifs, il est nécessaire de remarquer que dans les temps et les lieux touristiques, par exemple, la frontière entre déviance et délinquance est sans cesse outrepassée, soit de manière effective, soit par une violence symbolique, et souvent par la combinaison des deux, et ceci de manière très ordinaire. Resquille, petits vols, tapages en tous genres, altercations et bagarres, délits sexuels, ivresses et consommation de substances interdites en sont les manifestations les plus flagrantes. Dans certains cas, la simple concentration de populations associée à des excès de consommation d’alcool suffit à créer les conditions de dérapages mi-violents mi-ludiques. Les bagarres rituelles entre Mods et Rockers dans les stations balnéaires du sud de l’Angleterre au milieu des années 1960, ou entre touristes allemands et britanniques dans les îles Baléares à la fin des années 1980, en sont un paroxysme bien connu. De telles extrémités ne sont pas toujours atteintes, et nombre de déviances prêtent davantage à sourire. Grâce à une surenchère d’inconvenances et de frasques en tout genre, le célèbre duo d’ouvreurs de voies d’escalade (et de bouteilles de vin) composé par Robert Paragot et Lucien Bérardini s’est ainsi taillé une solide réputation de « cordée de voyous » [9] dans l’univers policé de l’alpinisme des années 1960. Suivant leurs traces une décennie plus tard, les Taborniaux, groupe incontrôlable de jeunes grimpeurs, font les 400 coups dans le Jura suisse et la Haute-Savoie en multipliant provocations et vol de matériel sur les sites ou dans les magasins de sport. Et de manière encore plus banale, on peut noter qu’au-delà de leur dimension utilitaire, beaucoup d’activités de braconnage au sens large (pêche, chasse, cueillette de fruits, récupération de bois…) relèvent d’un loisir dans lequel le jeu avec la Loi peut tenir lieu de ressort essentiel.
Outre la référence incontournable à la norme culturelle, économique et juridique, c’est un aussi un rapport illégitime, transgressif, inédit ou simplement inhabituel à l’espace-temps qui peut fonder le caractère dissident : pratiques hors-saison, hors-station, hors-pistes, hors sites aménagés, pratiques nocturnes devenues de plus en plus courantes : vélo tout terrain ou jogging à la lumière d’une lampe frontale, remontée de pistes de ski à peau de phoque au clair de lune… Les parcours off d’itinéraires tracés pour des compétitions sportives organisées deviennent même un genre à part entière. Et chaque milieu, espace et temps génère des dissidences récréatives spécifiques aux opportunités qu’il offre, illustrant l’idée de la récréation comme facteur de subversion spatiale (Cazes 1992). C’est ainsi que Pascal Mao a proposé la notion d’underdoor — en référence relative à l’outdoor — pour désigner l’espace générique des pratiques récréatives contre-culturelles (Mao, Corneloup et Bourdeau 2013).
Aux sports d’hiver, il s’agit de sortir des pistes, de sauter des télésièges, de franchir routes ou barres rocheuses, de détourner des escaliers et des terrasses, des toits et des murs pour glisser et faire des figures, voire de prendre l’ascenseur ou des navettes pour remonter d’un niveau à l’autre de la station sans utiliser une remontée mécanique… Dans les villes parcourues par un fleuve, on observe bien sûr de multiples défis ou rites de plongeons, de sauts de ponts et de traversées. Dans tous les espaces urbains, c’est une affirmation de la ville comme terrain d’aventure, voire comme nature à réinvestir qui se fait jour. Avec à la clé toute la gamme des activités de l’exploration urbaine et de l’urban touring and gaming (Lebreton 2010) : golf urbain, streetball, excursions clandestines dans des installations industrielles abandonnées, des souterrains, des catacombes, des sites ferroviaires, sur des toits, et bivouacs dans des lieux improbables… Mais aussi avec des baignades et divertissements dans les fontaines et bassins, des surfs acrobatiques sur des jets d’eau [10], des chasses au trésor, jeux de pistes et jeux de rôles plus ou moins débridés, sans oublier les emblématiques parkours, free running et rassemblements ludo-sportifs en tous genres à moto, en rollers, à pieds… Les espaces naturels intra ou périurbains s’offrent quant à eux à une multitude d’usages simplement originaux (jouer du djembé…) et d’effervescences festives, musicales, initiatiques, sexuelles… Sans exclusive, on peut relever certains marquages géographiques : à l’espace rural, les free parties, itinérances et errances diverses, cabanes et randonues ; aux montagnes, les ascensions sans topoguides, la désescalade avec sauts et pendules ou les bivouacs festifs ; au littoral, le camping sauvage, les fêtes, le naturisme improvisé et le libertinage sexuel (Espaces 2009) ; aux zones et friches industrielles, ferroviaires ou militaires, les free parties, explorations (urbex) et jeux de pistes ; aux routes de montagne, les descentes en engins roulants divers et variés au milieu de la circulation…
Ambivalences de la rébellion ludique.
De prime abord, les pratiques obliques ont en commun leur caractère non organisé, spontané, improvisé, sauvage, libre, underground… Un examen plus attentif indique évidemment que cette apparence débridée va souvent de pair avec une élaboration et une codification qui peuvent être très poussées. De même, malgré leur iconoclasme et leur insolence (Pégard 1999), les dissidences ont aussi leurs hauts lieux, célébrés par la géohistoire officielle des pratiques ou la légende urbaine, et parfois médiatisés à l’occasion de controverses. Sans les distinguer en fonction de leur notoriété strictement locale ou internationale, citons Beauduc (Claeys-Mekdade et Nicolas 1999) ou la Digue du Braek [11] pour les pratiques littorales, le Saussois et le Claret (Deléséleuc 2004) pour l’escalade, La Dame du Lac à Évry pour le parkour ou encore la Bastille à Grenoble pour toutes sortes de jeux et escapades non contrôlés.
– Le site d’escalade de Claret (Hérault) incarne la vigueur et la truculence créative d’un petit groupe de grimpeurs, les Claretmen. Après avoir équipé leur terrain de jeu avec originalité, ils le gèrent de manière « tribale » selon de strictes règles relatives à la pratique et à l’éthique sportive, aux relations entre grimpeurs et au respect de l’environnement, tout en faisant fructifier une vie collective intense et festive. Ce lieu est ainsi devenu mythique dans le monde de la grimpe, par le jeu des chutes spectaculaires causées par l’équipement sécuritaire très restrictif, mais aussi par l’accueil glacial, voire musclé, réservé aux grimpeurs extérieurs. Enfin, la radicalité de la vie sportive et de la sociabilité à Claret va de pair avec une résistance esthétique et éthique face au consumérisme sportif (« récupération » de matériel, rejet des relations superficielles à la nature et aux autres), tout en récusant un quelconque engagement militant.
– La plage de Beauduc en Camargue, seulement accessible par une piste en terre battue d’une dizaine de kilomètres, est un haut lieu européen du windsurf et du kitesurf, où la forte fréquentation sportive s’accompagne de camping sauvage et de vie festive nocturne rendus possibles par la grande longueur disponible (sept kilomètres) et l’absence d’aménagement. Cette vie récréative coexiste avec l’installation traditionnelle de plus de quatre cent soixante cabanons, qui accueillent en dehors de toute règle d’urbanisme quelques habitants permanents et des résidents temporaires. Les pratiques sportives et résidentielles sauvages qui s’épanouissent à Beauduc en font un paradis, un lieu d’art de vivre populaire et un espace de liberté pour les connaisseurs. Elles sont en revanche très peu appréciées des services de l’État, qui s’appuient notamment sur la loi littorale de 1986 et sur la sécurité pour chercher à normaliser l’occupation du site. Suite à une intervention musclée en décembre 2004 (bulldozers et CRS), une forte mobilisation associative a obtenu de nombreux soutiens sans pour autant aboutir à une solution pérenne [12].
– La Bastille (Isère), « petite montagne des Grenoblois » desservie par un téléphérique, une route et des sentiers, est un lieu de loisirs traditionnels (promenade, randonnée, via ferrata, points de vue panoramiques, pique-niques, jeux de pistes et de rôles, visites d’anciennes installations militaires), mais aussi prisé pour de multiples formes de pratiques informelles diurnes et nocturnes (jeux de tam-tams, bivouacs festifs, feux…). Au début des années 2000, un ambitieux projet de valorisation touristique (luge d’été, parcours aventure, parc aquatique, minigolf, etc.), porté par la régie du téléphérique et la commune, a soulevé une forte opposition pour empêcher la réalisation d’un Luna Park et préserver « une montagne en ville libre et gratuite pour tous » [13], ainsi que les pratiques spontanées et inorganisées. La forte mobilisation individuelle et collective s’est finalement traduite par une remise à plat complète du projet, une subtile médiation et des ambitions à la baisse.
– La digue du Braek, construite dans les années 1950 pour permettre la desserte maritime de la zone industrielle et portuaire de Dunkerque (Nord), est devenue au fil du temps le support de jeux de plage, de promenades, du cyclotourisme, de la planche à voile, du kitesurf, de la pêche, de la chasse et de l’ornithologie… Mi-terrain vague, mi-station balnéaire sauvage largement appropriée par les Dunkerquois, elle est pourtant en principe interdite au public du fait de la proximité de quatorze usines classées Seveso, ce qui la menace de fermeture. Début 2008, la célébration de cet espace de liberté par un film de Frédéric Touchard (La digue) renforce la revendication du maintien d’un accès en tant qu’espace de liberté, mais là encore le statut incertain de cet espace subsiste comme patrimoine potentiel rejeté dans un entre-deux instable.
De manière assez logique, les sites accueillant des pratiques non conformes sont toujours menacés par des interdictions, des fermetures d’accès ou des projets d’aménagement. Des mesures qui sont justifiées par des arguments liés à l’emploi, mais aussi de plus en plus souvent par la protection du public ou de l’environnement. L’analyse de Bertrand Méheust (2009), selon laquelle plus les sociétés contemporaines s’abandonnent à une dérégulation économique, plus elles s’acheminent à l’inverse vers une surrégulation sécuritaire et environnementale, s’avère ici très appropriée. Mais cette normalisation génère des réactions sur le mode de la zone d’autonomie temporaire prônée par Hakim Bey (1998) : sitôt identifiées, dénaturées ou refoulées, les transgressions se déplacent pour redevenir provisoirement invisibles. Elles peuvent aussi rester sur place en s’insinuant dans les interstices du temps et de l’espace ; ou perdre tout simplement leur caractère turbulent en intégrant voire en devenant la norme dominante, vérifiant l’assertion selon laquelle « l’anomique d’aujourd’hui est le canonique de demain » (Maffesoli 1993, p. 20). C’est ainsi que le snowboard est devenu une modalité à part entière de l’univers des sports d’hiver après avoir joué les trouble-fête dans les stations à la fin des années 1980.
Beaucoup de pratiques sont simplement alternatives ou sous-culturelles (inhabituelles, originales, farfelues, au second degré), alors que d’autres sont et/ou se vivent ou se revendiquent plutôt comme contre-culturelles, c’est-à-dire connotées d’un sens subversif, transgressif ou rebelle… Une gradation d’intensité en matière de transgression est donc à envisager : de buissonnier à déviant, en passant par divers degrés d’étrangeté de comportement par rapport à la norme sociale. Dans son étude classique sur les outsiders, Howard S. Becker (1985) attire notre attention sur le fait que la déviance n’est pas une propriété inhérente à certains actes ou personnes, mais une catégorie construite par ceux qui, au sein de la société, ont en charge la définition et le respect des normes sociales, ces fameux « entrepreneurs de morale ». En quelque sorte, la norme crée la dissidence en s’offrant à la transgression dans un mouvement que Becker désigne comme une transaction.
À partir de ces pistes fragmentaires, comment examiner l’interaction ambiguë entre les composantes de la contre-culture et la culture dominante mise en jeu par les traversées récréatives examinées ici ? Avec quelles grilles de lecture aborder le fait que les routards puissent jouer le rôle de « troupes de choc du tourisme de masse » (Urbain 1993, p. 75) ? Comment interpréter le fait que des pratiques nocturnes encore confidentielles il y a quelques années alimentent désormais un événementiel devenu régulier (Nocturnes de Chamrousse, La Verte à l’envers) ? Ou que les sports « rebelles » des années 1980 (snowboard, funboard, escalade, parapente, vélo tout terrain…) se soient prêtés presque d’emblée et avec un enthousiasme non dissimulé à la compétition et au sponsoring ? À bien des égards, on peut les aborder comme une manifestation de ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont désigné comme des lignes de fuite : fuite des responsabilités, échappatoire au surcodage permettant autant de « faire fuir le monde organisé comme on crève un tuyau » que de le fuir (Deleuze et Guattari 1980, p. 249). D’où la recherche assidue d’espaces lisses (ouverts, non contraints, au sein desquels les passages et usages s’effacent et se déplacent), permettant d’échapper aux espaces striés (fermés, structurés, normés, aménagés, tracés) qui fondent l’ordre géographique mis en place par les sociétés. Ce dé-rangement de l’ordre du monde peut aussi se retrouver dans la notion d’hétérotopie proposée par Michel Foucault (1981) pour exprimer l’idée de contre-lieu, dont l’application à l’univers des dissidences récréatives est féconde (Sevin 2003, Lebreton 2010, Atkinson 2010).
Les contradictions et le caractère récupérable des obliques récréatives invitent à interroger leur inscription par rapport au politique et à l’idéologique : s’agit-il de simples astuces et jeux de francs-tireurs qui confortent au final les codes et valeurs dominants plus qu’ils ne les remettent en cause ? Les approches par la ruse et la micro-résistance (de Certeau 1990), ou la duplicité (Maffesoli 2002) semblent l’indiquer, et nous permettent de comprendre pourquoi le cataphile (l’adepte des catacombes) ou le vététiste nocturne est probablement au quotidien un paisible enseignant ou un ingénieur consciencieux… Avec, pour principales conséquences, le fait que la contre-culture est non seulement un moteur de consommation de biens positionnels et distinctifs, mais aussi qu’elle constitue en plus un excellent vivier de créativité (Heath et Potter 2005). Et les théories de l’innovation n’ont pas manqué d’intégrer le fait que les créateurs sont des inverseurs de normes (Alter 2000), et que c’est au sein des avant-gardes, dans la transgression des comportements légitimes, que s’expérimentent des solutions de rechange.
Les contre-cultures relèveraient donc bon gré mal gré d’une esthétique rebelle constitutive de l’idéologie libérale-libertaire devenue indispensable à la reproduction capitaliste dans la société de la connaissance. Au point que la récupération de la critique-artiste, selon l’expression de Boltanski et Chiapello (1999), et plus généralement de la contre-culture par la culture dominante, se présente comme analyse sociologique bien établie (Cuche 1996). L’instrumentalisation des lieux culturels off par le marketing territorial et les politiques urbaines en offre une très bonne illustration (Vivant 2007), de même que l’appropriation par les squatters artistiques du discours sur la créativité culturelle comme moteur de la compétition interurbaine. Plus généralement, les thèmes de l’aventure, de l’insolite, du hors-piste ne sont-ils pas omniprésents dans la publicité et la communication, qui les associent à une « open attitude » distinctive ? Avec d’incessantes invitations à sortir du rang ou à passer les bornes sans remettre en cause le cadre dans lequel elles sont définies : « Ne rentrez pas chez vous ce soir », a longtemps répété la réclame pour un whisky mettant en scène des voyageurs ostensiblement installés sur le toit d’un train en marche à la tombée de la nuit… C’est dans ce contexte que Louis Janover (2003), creusant au fil de ses ouvrages un « Tombeau pour le repos des avant-gardes », dénonce ce qu’il appelle une feinte-dissidence, aussi inoffensive pour le système dominant qu’elle est ostensiblement subversive. On retrouve dans cette position l’analyse de la contre-culture comme une idéologie de l’apolitisme (Duchastel 1979).
Mais ce constat de dépolitisation à propos des dissidences ne vaut-il pas d’abord pour le tourisme lui-même, abandonné à son caractère ludique et économique ? Nous retrouvons là ce que Sergio Dalla Bernardina désigne comme une « suspension de la dimension historique » (1996, p. 28), processus uchronique constant dans le tourisme et le loisir. Déjà relevée par Joffre Dumazedier au début des années 1960, cette caractéristique a été canonisée par Edgar Morin dans sa formule associant la valeur des vacances à la vacance des valeurs (Morin, 1969). En quelque sorte, les sciences sociales contribuent elles-mêmes à la dimension mythique du tourisme et des loisirs, au sens où le mythe peut être défini comme une parole dépolitisée, soustraite à l’histoire (Barthes 1970). Cette évacuation du politique se comprend mieux si l’on suit l’hypothèse selon laquelle, dans la dialectique entre travail et temps libre, le champ de la démocratie et de la culture politique appartient (en grande partie) à la sphère du travail (Andréani 2000), ce qui contribue à expliquer pourquoi la plupart de ses observateurs la cantonnent à un niveau extra ou infra-politique. Pour illustrer l’efficacité performative du discours de neutralisation idéologique et politique du fait récréatif, on notera que, parmi les 500 entrées du copieux et éclectique Dictionnaire de la contestation au XXe siècle (de Waresquiel 2004), seules deux concernent la récréation au sens large : le bikini et la glisse ! Même si cette perspective est évidemment très biaisée, la contribution de la récréation à la vie politique semble donc plus que modeste et très en retrait par apport à d’autres champs culturels, puisque près de 30 entrées du même ouvrage concernent la musique.
Pourtant, des événements d’un genre inédit dépassent le tabou de l’introduction du politique dans la récréation. Ce faisant, ils contredisent la représentation d’un ludisme désinvolte et désincarcèrent les pratiques de loisirs sportifs d’une perspective strictement récréative, hygiéniste ou naturaliste, et de la marchandisation qui l’accompagne. L’Altertour, « Tour cycliste familial en relais solidaire pour une Nature sans dopage » né en 2009, propose un « autre Tour de France », parcouru en relais et parsemé de manifestations éducatives et festives. Il emprunte des voies vertes et traverse des communes ayant pris des arrêtés anti-OGM, accompagné d’une caravane d’information sur l’écologie et la solidarité, qui procède à des contrôles antidopage inopinés… pour tester les émissions électromagnétiques des antennes-relais de la téléphonie mobile.
Sur un autre terrain, des initiatives similaires défont l’idée reçue selon laquelle les questions de société n’ont plus cours dans les espaces et temps du loisir. En septembre 2010, en pleine polémique sur l’expulsion des Roms et à l’initiative d’un petit collectif de guides de haute montagne, des cordées citoyennes gravissent ainsi symboliquement l’Aiguille de la République, reconstituent sur la Mer de Glace le tableau de Delacroix La liberté guidant le peuple et déploient au sommet du Grand Pic de la Meije une banderole « Vu d’ici, il y a de la place pour tout le monde ». De même, l’Ultra-Sieste du Mont-Blanc organisée à Chamonix depuis 2009 en opposition à « l’idéologie de la domination des autres et de l’environnement » (L’Ultra Sieste) se présente comme une contre-manifestation face à une épreuve sportive de course en montagne nommée Ultra-trail du Mont-Blanc.
Mais, la rébellion ludique prend aussi des formes atypiques ou inattendues, qui croisent l’activisme et le jeu sur le mode de l’action directe. À la suite des street parties du mouvement Reclaim the street et de ses déclinaisons (Vélorution, les Déboulonneurs…), les adeptes du Clan du néon escaladent les vitrines pour éteindre les éclairages inutiles et réduire le gaspillage d’énergie, pendant que ceux du Guerilla gardening pratiquent le jardinage urbain illégal à l’aide de cultures et semis sauvages (Reynolds 2010) destinés autant à une critique de l’urbanisme qu’à végétaliser des délaissés interstitiels. Là encore, la ville apparaît comme un lieu à part entière d’exploration et d’expression politico-ludique, prenant souvent le relais de la nature comme source d’inspiration contemporaine pour des pratiques non conformes.
Dans d’autres circonstances, à l’inverse de ces revendications plus ou moins démonstratives et revendiquées, c’est justement l’apparente neutralité du fait récréatif qui peut utilement masquer son caractère subversif. Éric Boutroy (2009) montre comment des grimpeurs et grimpeuses qu’il désigne comme les Sisyphes de Téhéran vivent les temps et les espaces de l’escalade dans la nature comme une échappatoire et une forme de résistance vis-à-vis du contrôle religieux, social et politique du régime iranien.
Des tourismes alternatifs aux alternatives au tourisme ?
La grille d’analyse des post-sports (Pronger 1998, Atkinson 2010) souligne que des pratiques comme la spéléologie urbaine ou le parkour sont orientées vers une culture morale, réflexive, communautaire et potentiellement anarchique, même si elles peuvent quelquefois reprendre des « éléments résiduels » des sports modernes (Wheaton 2004). Dans la diversité de leurs formes et l’ambivalence de leur portée ludique/politique, les dissidences récréatives relèvent pleinement de la dualité du modèle libertin-libertaire identifié dans les pratiques corporelles contemporaines (Le Pogam 1997) et dans les cultures sportives de nature (Mao 2003) : un ludisme débridé basé sur une esthétique de la fête, de la jouissance, de la spontanéité, du refus des contraintes et de la ruse côtoie ou croise une contestation de l’ordre établi à travers l’affirmation de valeurs d’émancipation et de fronde, et à travers une sociabilité non organisée. Dans le foisonnement interstitiel et le désordre plus ou moins inspiré qui en résulte, il est tentant de voir dans la figure du freerider [14] ou de l’explorateur urbain une déclinaison contemporaine de la figure du pirate, dont la réhabilitation (Rediker 2004, Do or die 2005) permet une célébration constante dans l’actualité de références à la liberté, à l’aventure et à la jovialité matinées de désobéissance ou de dédain pour les règles. Ce schéma est fréquemment mis en exergue dans la défense de la culture océanique (Sea Shepherd [15]) et plus particulièrement surfique, où marques commerciales et représentations graphiques (logos, enseignes, etc.) témoignent de l’ambiguïté constante entre d’un côté la rébellion, le refus de la soumission à un ordre mercantile et la protection des espaces naturels, et de l’autre, le branding de ce signe distinctif…
Par ailleurs, pirates, braconniers et autres « contrebandiers de formes et de sens » (Chollet et Pieiller 2010), dont hackers et anonymous sont des avatars emblématiques, alimentent une florissante esthétique des « pas de côté », notamment marquée par des rapports très ambigus à l’économie marchande et à la notion de gratuité. Dans le champ récréatif, on retrouve ici l’analyse selon laquelle, à mesure que les loisirs et la culture sont devenus des vecteurs économiques majeurs, la dénégation de l’économie s’est affirmée comme une figure classique d’expression de valeurs de rejet symbolique de la marchandisation (Aubel et Ohl 2004). L’affirmation de la notion de tourisme participatif (Espaces 2008) prolonge ce mouvement en mettant en exergue toute une logique non marchande qui fonde les mouvements de couchsurfing, de greeters ou de WWOOfing… Si elle est attendue de la part des pratiquants amateurs, cette prise de distance vis-à-vis des injonctions de l’économisme n’est pas pour autant absente au sein même des métiers du tourisme. Au cours d’une enquête de terrain réalisée en 2010 dans le Vercors [16], le thème de la place faite malgré tout à la gratuité dans la relation avec la clientèle est apparu spontanément dans le discours de professionnels de l’accueil et de l’animation touristique. De même, dans le contexte décalé du Pays des Écrins (Bourdeau 2009), la pratique professionnelle de guides de haute montagne non conformistes est marquée par un certain dilettantisme qui les conduit à renoncer à un certain confort matériel afin de « garder du temps » pour grimper en amateur et privilégier un mode de vie « à la cool » qui contribue à leur réputation dans le microcosme alpin.
En brisant en toute ambiguïté les tabous de l’économisme et de l’apolitisme, les pratiques non ordinaires observables dans le champ récréatif peuvent être appréhendées non comme une déviance ou un résidu anecdotique, mais au contraire comme une production ordinaire du monde contemporain. Le jeu, avec les limites qui le caractérisent, invite à une « ontologie du bord » (Quessada 2002) permettant d’interroger les conditions de forme, de processus et de sens dans lesquelles les frontières des normes en vigueur sont dépassées de façon visible ou discrète, durable ou éphémère, individuelle ou collective. Mais par cette liminologie, c’est aussi la frontière entre la sphère récréative et la vie quotidienne qui est interpellée, alors que des travaux sociologiques indiquent que les symboles et référents projetés par les individus dans leurs pratiques de loisirs débordent sur leur mode de vie (Wheaton 2004). Il est alors possible de prêter attention aux degrés ou niveaux auxquels les pratiquants s’engagent dans une forme plus ou moins dissidente de pratiques récréatives, afin d’être en capacité d’observer les cultures touristico-sportives qui se déclinent ou se transforment sur le mode alternatif (Lapompe-Paironne 2008), en se déployant sur l’échiquier des aventures, itinérances, participations, et engagements qui deviennent des repères structurants des identités et spatialités contemporaines.
Dès lors que les usages récréatifs qui s’expriment sur un registre atypique, oblique ou latéral sont loin de ne concerner que des pratiquants en rupture, ils peuvent être abordés comme constitutifs d’un après-tourisme (Bourdeau 2011) qui reconfigure les relations entre Ici et Ailleurs, travail et loisirs, quotidien et vacances. Au-delà d’un raisonnement limité à la perspective des tourismes alternatifs, il est aussi possible de penser en termes d’alternatives au tourisme. Une position à la fois radicale et banale, qui se laisse observer dans nombre de pratiques ordinaires : tournées de musiciens amateurs, itinérances existentielles ou militantes, stages artisanaux ou de développement personnel, chantiers coopératifs, expériences de volontariat et de bénévolat… Autant de modes d’usage de l’espace et du temps qui, tout en se vivant comme des aventures personnelles, s’affranchissent des codes, comportements et lieux légitimes du tourisme pour jouer sur des combinaisons d’altérités et de registres relationnels, existentiels, artistiques, manuels, intellectuels, géographiques et temporels. Les règles et formes du tourisme sont ici ignorées, évitées, oubliées ou niées au moyen d’euphémismes de nature et de degré divers. Après tout, il n’est guère étonnant de voir le mythe émancipateur du tourisme usé par plusieurs décennies de rituels conformistes [17], et a contrario la ville devenue un espace d’aventures à partir de pratiques qui sont autant d’amplificateurs d’altérité quotidienne.