Cette traverse analyse et interprète les résultats d’une enquête qualitative par entretiens lancée en 2006 auprès d’un échantillon significatif de la population de l’agglomération transfrontalière de Genève (Gems : Geneva Micromega Survey). Ce travail s’est inscrit dans le projet Dia-Logos (2004-2010), une recherche exploratoire proposée par Jacques Lévy lors de son arrivée à l’École polytechnique fédérale de Lausanne en 2004 et soutenue par cet établissement. Le projet Dia-Logos a été mis en œuvre par un comité de pilotage comprenant, outre Jacques Lévy, Caroline Barbisch, Eduardo Camacho-Hübner, Dominique Joye, Alain Kaufmann, Valérie November, Sonia Lavadinho et Mathis Stock.
Le principe fondateur de Dia-Logos reposait sur le constat d’un double déficit marquant les relations entre enjeux de société et sciences sociales. D’une part, les travaux de ces dernières années restent mal connus des citoyens, qui en sont pourtant les destinataires principaux. D’autre part, les grands enjeux de société ne sont pas suffisamment pris en compte par la recherche alors que ce devrait être l’une des boussoles dans la détermination des programmes de recherche. À partir de ce constat, l’objectif consistait à combler ce déficit en favorisant les interactions entre sciences sociales et société. Le cœur du projet visait à encourager la recherche sous le regard actif des « individus ordinaires », avec la conviction que l’ensemble des acteurs concernés y trouvera avantage et que la qualité de la production scientifique, y compris la plus fondamentale, s’en trouvera améliorée.
Dans le développement de sa réflexion, Dia-Logos a accordé une attention particulière aux enjeux de société impliquant les sciences de la nature, les mathématiques et les technologies issues de ces sciences. Une grande part de ce que les citoyens ont à discuter à propos de leur avenir proche ou lointain concerne d’une manière ou d’une autre les deux grandes enveloppes naturelles des humains, le corps et l’environnement. Dans ce contexte, la recherche d’une hybridation, exigeante et respectueuse, de savoirs issus des différents continents épistémiques, à travers l’invention d’objets nouveaux, paraît s’imposer si le monde de la recherche veut vraiment apporter toute sa contribution intellectuelle à la construction et à la résolution des problèmes de la société.
Outre le lancement de l’enquête Gems, Dia-Logos a pris plusieurs initiatives s’intégrant dans sa démarche d’ensemble, telles qu’une recherche-pilote sur le traitement du corpus constitué par le Web pour analyser et confronter les discours des différents types d’acteurs intervenant sur la Toile (WeKWatch) ou la participation à des événements d’interface sciences/sociétés.
Le projet Gems a logiquement pris sa place au sein de Dia-Logos, à un double titre. D’abord, on considère la grande ville — en l’occurrence une « petite grande ville », située au sein d’un réseau urbain plus vaste, lémanique, suisse et européen — comme un concentré de mondialité. Cette « représentativité » ne fonctionne que si l’on s’intéresse non seulement au centre-ville et à la « Genève internationale », mais aussi aux périphéries suisses et françaises de cet ensemble finalement très riche en diversités sociales de toutes sortes. Ensuite, l’accent mis sur les images du futur correspond à l’hypothèse selon laquelle, en écoutant la parole des individus, on apprend beaucoup sur les futurs possibles, espérés ou craints. À l’inverse d’une prospective paresseuse qui se contenterait de prolonger les courbes et d’enfermer l’avenir dans de bien fragiles « tendances lourdes », nous pensons qu’il faut donner toute sa place à la pré-diction des acteurs ordinaires. Ce que résume le slogan de Dia-Logos : « Le futur est ailleurs : ici ».