Si la périurbanisation a été très tôt constituée comme un objet de recherche à la frontière entre l’urbain et le rural, notamment sous l’impulsion de géographes ruralistes (Berger et al., 1980), le regard que l’on porte aujourd’hui sur le phénomène pâtit d’un urbano-centrisme, renforcé par les définitions successives de l’INSEE, qui ne lit souvent le phénomène qu’à partir d’une ville-centre polarisatrice. C’est pourtant nier les spécificités d’un mode de développement urbain qui produit durablement un « tiers espace » (Vanier, 2000), acquiert au fil du temps une épaisseur historique et se diffuse spatialement. Loin du modèle de l’urbanité incarnée par une ville historique dense et diverse (Lévy et Lussault, 2003), l’urbanisation de ces espaces périphériques témoigne d’une évolution du rapport à la ville et de l’émergence de nouvelles formes d’urbanité, sans doute moins denses, mais pas nécessairement moins diverses. À partir de l’exemple toulousain, cet article se propose alors de décentrer le regard afin d’analyser les dynamiques territoriales dans les espaces du front de périurbanisation. En quoi les modes de vie qui s’y structurent en s’affranchissant, au moins pour partie, de la métropole toulousaine, reconfigurent-ils des territoires vécus et pensés non plus comme des périphéries sous dépendance d’un centre mais comme des espaces multipolarisés par des centralités émergentes ?
C’est à partir du croisement des résultats d’un programme de recherche en cours et des conclusions d’une thèse récemment soutenue que nous aborderons cette question. Le premier, financé par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), étudie, dans le cadre d’une comparaison entre des terrains parisiens et trois secteurs d’étude en limite extérieure de l’aire urbaine toulousaine, celui de Saint-Sulpice-sur-Tarn au nord-est, de Puylaurens à l’est et de Revel au sud-est, la recomposition des mobilités autour de polarités secondaires [1] en faisant l’hypothèse d’une « maturation » des espaces périurbains. La seconde porte sur les recompositions territoriales du périurbain toulousain et de ses modalités de gestion sous le double effet de ses évolutions socio-démographiques et économiques et de la mise en place des Schémas de Cohérence Territoriale, à partir d’un travail d’enquête mené auprès des élus de trois territoires, l’un aux portes de Toulouse, la communauté d’agglomération du Muretain, les autres aux frontières de l’aire urbaine, la communauté de communes des Coteaux du Lauragais Sud et les communes isolées du canton de Fronton.
Afin d’étayer notre hypothèse selon laquelle les modes de vie périurbains construisent de nouveaux territoires du quotidien, nous procèderons en trois temps : un rapide panorama des évolutions socio-démographiques en cours dans ces espaces périurbains précèdera l’analyse des reconfigurations territoriales induites sur les territoires vécus, qui nous conduira à mettre en évidence les enjeux émergents du point de vue de la gestion de ces territoires.
Le nouveau visage des périphéries toulousaines en voie de périurbanisation.
Un dynamisme démographique toujours à l’œuvre.
Affichant le taux de variation annuelle le plus important des agglomérations de plus de 300 000 habitants entre 1999 et 2006, l’aire urbaine de Toulouse voit s’étendre son aire d’influence dans des espaces toujours plus lointains (INSEE, 2009). Sa croissance démographique, débutée dans les années 1960 (au recensement de 1962, le pôle urbain ne compte encore que deux communes), n’a cessé de se poursuivre depuis, à un rythme encore plus soutenu depuis 1999. Comme on le voit sur la carte ci-dessous, entre 1999 et 2006, la croissance se poursuit dans les limites de l’aire urbaine en 1999 (+ 1,9 % par an), s’accélère dans la couronne périurbaine (+ 3,1 % par an) et déborde même ses limites : si la population augmente surtout, en nombre absolu, dans le pôle urbain et autour de celui-ci puisque les taux d’évolution annuels, quoique plus faibles, portent sur un effectif de base plus important, les taux d’évolution annuels les plus forts se concentrent à la fois dans la couronne périurbaine et autour de cette dernière, certains secteurs paraissant privilégiés, vers le Gers à l’ouest, Montauban au Nord ou Albi au Nord-Est. La densification de l’aire urbaine va alors de pair avec une extension territoriale confirmée par le nouveau zonage en aire urbaine qui voit 111 nouvelles communes, essentiellement gagnées sur les départements limitrophes de la Haute-Garonne, rejoindre la couronne périurbaine toulousaine.
Or, en se poursuivant, dans des territoires anciennement périurbanisés mais aussi de plus en plus lointains, la dynamique périurbaine connaît des évolutions sociales qui nuancent l’« identité sociale et sociétale » (Roux et Vanier, 2008, p. 30) périurbaine, notamment basée sur le standard familial du ménage avec enfants et l’appartenance aux « classes moyennes ».
Une société diversifiée.
À la répartition des groupes sociaux et démographiques tranchée qui dessinait la « marqueterie sociale du périurbain » (Jaillet, 2004, p. 46) a succédé un éparpillement des profils communaux, indice d’une « banalisation des caractéristiques des résidents de nombreuses communes du périurbain sur un large rayon autour de Toulouse et englobant la périphérie des petites villes » (Desbordes, 2011, p. 23).
Ainsi, en 1999, la répartition des catégories socioprofessionnelles, bien structurée, correspondait à des types de zones résidentielles : des communes de cadres et professions supérieures dans les secteurs valorisés de première couronne, une large auréole autour de Toulouse de communes marquées par une forte représentation des employés, emblématiques d’un périurbain « de classes moyennes », une juxtaposition de communes marquées par des classes moins favorisées, de communes typiques du rural où prédominaient encore des agriculteurs et des retraités et de communes en « basculement » où se mêlaient cadres, agriculteurs et inactifs aux franges de l’aire urbaine. En 2006, cette distribution spatiale auréolaire tranchée fait place à une image beaucoup plus nuancée, sur fond d’élévation du profil moyen de la zone [2] marquée notamment par une répartition plus diffuse des employés. Cette évolution va de pair avec une répartition spatiale plus complexe des différents profils, notamment marquée par un éparpillement des communes caractérisées par une surreprésentation de cadres/professions intellectuelles supérieures et de professions intermédiaires, indice d’une diffusion des classes les plus aisées sur l’ensemble de la zone, jusqu’au-delà des frontières de l’aire urbaine, conformément à l’identification en 1999 de communes en basculement. Sur les pourtours de l’aire urbaine dominent toujours les communes associant agriculteurs et retraités (un peu moins nombreuses) et celles affichant une surreprésentation des artisans, commerçants, chefs d’entreprise : cela confirme la plus grande ruralité de ces franges organisées autour de pôles de service jouant aussi probablement un rôle pour les communes périurbaines du front de périurbanisation.
L’évolution des caractéristiques démographiques est tout aussi remarquable. Une typologie des communes en 1999 permettait d’identifier, autour de Toulouse et des communes de première couronne caractérisées par l’association d’une population d’adultes âgés de 45 à 59 ans et de jeunes ayant entre 15 et 29 ans, une auréole de communes, prolongée le long des axes de communication, où résidaient les jeunes couples (30-45 ans) avec enfants (0-14 ans), témoin d’une périurbanisation en marche, tandis que les communes caractérisées par un vieillissement marqué de la population se situaient aux franges, voire à l’extérieur, de l’aire urbaine. Eu égard à ces lignes de fracture, la répartition des classes d’âge en 2006 tranche par sa moindre lisibilité. Tandis qu’une majorité de communes affiche un profil très proche de la moyenne [3], les communes emblématiques d’une périurbanisation portée par de jeunes couples avec enfants sont à présent plus dispersées, sans report significatif vers des couronnes plus éloignées de la ville-centre, tandis que les communes auparavant marquées par un vieillissement de leur population se rapprochent aussi d’une répartition plus équilibrée.
Pour autant, ces évolutions témoignent moins de l’atténuation de la mosaïque socio-spatiale périurbaine que de l’avancée du front de périurbanisation : alors que la densification des espaces de première et deuxième couronne s’opère, sur fond de vieillissement des premiers périurbains, sous la forme d’un comblement d’espaces valorisés pour leur accessibilité et le niveau de services qu’ils ont acquis, le desserrement résidentiel intègre désormais à la dynamique périurbaine des communes autrefois uniquement investies par les ménages que leur modeste revenu y avait rejetés. Le renchérissement produit renforce l’attractivité de ces espaces pour des ménages aux revenus plus conséquents, pour partie donc plus âgés et avancés dans leur vie professionnelle, et dont l’installation rend moins visible d’une part les populations qui y ont toujours vécu, d’autre part ces pionniers du périurbain lointain, voire à en évincer les plus fragiles. L’éparpillement des profils ne traduit donc pas tant l’homogénéisation de la société périurbaine que sa différenciation à des échelles plus fines, d’une commune à l’autre et parfois au sein même d’une commune. Déjà identifiée à l’occasion d’un retour sur le terrain des « captifs » du périurbain lointain, identifiés au début des années 2000 par Lionel Rougé [4], cette diversification à des échelles très locales ressort du discours même des habitants de ces territoires qui identifient ces différenciations supra-communales entre deux communes voisines, « Saint-Sulpice c’est beaucoup de gens qui travaillent à Toulouse et qui ont des salaires moyens… Et ici, c’est ou des bourgeois ou des cas sociaux » (entretien, 2010), aussi bien qu’infra-communales : « À Rabastens, c’est surtout une population de personnes âgées, il faut dire les choses… Mais des jeunes sont venus s’installer et travaillent sur Toulouse, qui ont choisi Rabastens […] pour profiter du fait que les terrains sont moins chers » (entretien, 2010).
Des trajectoires résidentielles plus complexes.
Cette complexification des caractéristiques socio-démographiques de la population périurbaine va de pair avec des trajectoires résidentielles de moins en moins linéaires, constat par ailleurs partagé à l’échelle nationale (ANIL, 2011).
Plusieurs facteurs participent de cette moindre linéarité résidentielle : si la maison individuelle s’est banalisée et a perdu son statut de marqueur de la réussite sociale, les ménages sont en outre confrontés à la nécessité de s’adapter aux aléas du marché de l’emploi comme à ceux de leur histoire familiale. Sur le plan du marché du travail, les transformations économiques récentes, amplifiées par la crise, ont conduit à une plus grande volatilité de l’emploi qui contraint les salariés à plus de mobilité. L’installation résidentielle qui en résulte est le plus souvent contrainte et vécue par le ménage comme temporaire ou transitoire, comme le dit ce ménage installé par hasard dans la commune de Saint-Sulpice-sur-Tarn suite à la mutation du mari à Toulouse : « On n’avait pas envie de venir ici, mais bon on n’avait pas trop le choix, c’est tombé comme ça. […] Après, suivant comment ça va tourner, je pense ne pas rester ici. » (entretien, 2010). Si le poids du marché de l’emploi ressort souvent du discours des enquêtés, toute une palette de postures se dégage, de l’échec du projet résidentiel en raison de difficultés professionnelles, ce dont témoigne l’expérience d’un ménage installé à Saint-Sulpice-sur-Tarn suite à l’achat d’une maison qui « n’était pas terminée. C’était à un Allemand, un jeune qui s’est lancé là-dedans. Il est tombé au chômage, sa femme étant Bretonne, elle a préféré rentrer en Bretagne, elle ne lui a pas laissé trop le choix, donc il a mis la maison en vente » (entretien, 2010), au « paradoxe de la mobilité » (Kaufmann, 2008) qui fait de la mobilité quotidienne le gage de la sédentarisation résidentielle, le choix résidentiel dictant la relocalisation de l’emploi : « Je me suis fait rapprocher côté nord. Parce qu’au début, quand on est venu habiter Saint-Sulpice, moi je travaillais à Saint-Simon. Là par contre c’était long. […] J’aurais pas continué » (entretien, 2010).
Les trajectoires résidentielles sont également sensibles à des événements liés au cycle de vie, lorsque, face à l’évolution de la structure du ménage, la maison individuelle peut devenir inadaptée sur le plan matériel (inutilité de certaines pièces, vaste surface à entretenir) et/ou financier (poids des mensualités de remboursement d’un prêt ou des charges de loyer). Ainsi, l’augmentation des divorces et séparations décompose les groupes familiaux en ménages monoparentaux aux ressources limitées et à la situation transitoire. À Rabastens, une jeune mère de famille a ainsi reconnu au début « avoir le projet d’acheter une maison mais pour le moment ça n’a pas été fait puisqu’entre-temps on s’est séparés avec le papa et je loue l’appartement » (entretien, 2010). Le vieillissement de la population, synonyme de diminution de la forme physique ou de ruptures telles que le veuvage, fait de l’entretien de la maison et de la mobilité une préoccupation quotidienne qui peut finir par rendre la mobilité résidentielle inéluctable. Même s’il est repoussé dans un horizon lointain, le déménagement n’est pas exclu par ces retraités, à l’image de cette dame rencontrée à Rabastens où elle vit, dans une maison isolée, mais qui avoue :
J’envisage maintenant de me rapprocher de la ville, venir dans Rabastens, je pense que je le ferais plus tard, pour avoir les commodités parce que peut-être qu’un jour je ne pourrai plus conduire. Un appartement, quelque chose de petit, si j’ai le temps de bien le préparer et de trouver quelque chose qui me plaît, j’achèterais, sinon un loyer, pourquoi pas ? (entretien, 2010)
Enfin, les enfants décohabitants des premiers périurbains et des populations rurales qui ont vu leur territoire évoluer au gré de sa périurbanisation peuvent exprimer le désir de dérouler leur trajectoire résidentielle dans le périurbain, en commençant le plus souvent par un logement transitoire.
Dès lors, si le renouvellement de la population est fort, puisque, en 2006, près de 20 % de la population comprise dans un rayon de 50 kilomètres autour de Toulouse résidait auparavant dans une autre commune (Desbordes, 2011), la primo-accession à la propriété d’un pavillon et l’ancrage ad vitam dans cette maison ne sont plus qu’une modalité parmi d’autres d’un parcours résidentiel qui n’exclut ni le retour à la location, ni la revente au profit du rachat d’un nouveau bien, ni l’alternance entre accession et location, à l’image du parcours décrit par cette retraitée rencontrée à Revel :
Je suis locataire, j’ai un appartement dans le Var que j’ai mis en location, parce que je me suis retrouvée seule et je suis venue ici, parce que j’ai de la famille. Avec mon loyer de là-bas, je paye ici, l’an prochain je vends mon appartement et j’achète ici, avec ce que je vais récupérer dans le Var, je pourrais acheter ici, vu que c’est beaucoup plus cher que par ici. (entretien, 2010)
Dès lors, la place de cette accession dans la trajectoire résidentielle change : si elle constitue toujours la première étape après la sortie d’un logement social pour quelques ménages, elle équivaut plus fréquemment à une énième étape dans un parcours résidentiel qui a déjà fait connaître la propriété et/ou la vie en maison individuelle : « Pour partir de Toulouse, on était aux Pradettes, dans une maison mitoyenne dont on était propriétaires. On a vendu pour venir ici. C’est un choix de vie meilleure » (entretien, 2010). Provenant de la revente d’un bien, le capital financier réinvesti est sans commune mesure avec celui d’un couple pour qui il s’agit du premier projet d’accession et permet de mieux maîtriser la localisation du nouveau projet résidentiel. Si celle-ci reste pour une part contrainte par le marché tendu de l’aire urbaine toulousaine, de nouveaux critères de choix sont mis en avant, témoignant d’un ancrage nouveau dans l’espace périurbain.
Ce dernier ne saurait en effet être considéré comme un simple lieu de passage : quoique moins linéaires, c’est désormais à son échelle que se déroulent ces trajectoires résidentielles, comme l’indique la chargée de mission du Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) du Vaurais :
Le parcours résidentiel se construit vraiment sur le territoire alors qu’avant c’était un lieu de passage. Y’a une stabilisation qui est en train de se mettre en place sur le territoire à laquelle il faut répondre en termes de typologie, de diversification des différentes catégories. (entretien, 2011)
Au fur et à mesure qu’il acquiert une épaisseur sociale et historique, le périurbain devient un territoire d’ancrage qui rend compte des liens tissés par ses habitants. C’est d’abord vrai des parcours « traditionnels » du centre vers la périphérie qui montrent combien la présence d’un réseau familial ou social influe sur le choix de la zone de résidence : « Je suis originaire du Tarn, on habitait à Toulouse, on avait des amis ici, on venait de temps en temps, et puis ça nous a plus, on s’est mis à chercher une maison et voilà » (entretien, 2010). Plus encore, cette familiarité avec le périurbain génère une diversification géographique des trajectoires qui ne se déroulent pas uniquement de la ville-centre vers ses périphéries. Elles procèdent aussi du maintien ou de l’arrivée de ménages ruraux qui, en plus de leurs attaches familiales, trouvent dans ces territoires de l’entre-deux des aménités ou des commodités nouvelles :
Nous tenions un restaurant dans un village des Cévennes de 12 personnes, et nous sommes venus vivre à Rabastens parce qu’il fallait se rapprocher de ma famille. […] Il fallait quand même continuer à travailler, on ne pouvait trouver de travail que soit à Albi, soit à Toulouse, et Rabastens était à égale distance de l’une et l’autre ville. (entretien, 2010)
Elles peuvent également être le fruit de « mouvements internes qui témoignent de l’émergence de parcours résidentiels exclusivement périurbains » (Cailly, 2010, p. 214), notamment en lien avec les nouveaux modèles familiaux précédemment évoqués, que l’on pense aux ménages séparés qui souhaitent y garder leurs repères, aux ménages retraités qui se rapprochent d’un bourg fournisseur de services qui ne les coupe pas de leurs réseaux ou aux jeunes décohabitants qui ont grandi en périurbain :
Alors un m’avait dit “j’en ai marre de ce pays de cons”, il est parti aux États-Unis, trois ans à Washington, chercheur au NIH, et en rentrant, la première chose qu’il a fait, il a cherché un terrain pour construire à Rabastens ! Et il habite Rabastens et l’autre, il a construit dans le petit village à côté. (entretien, 2010)
L’ancrage dans le périurbain peut même survivre à une mobilité interrégionale, des périurbains d’ailleurs, attirés par le dynamisme économique ou le cadre de vie toulousains, reproduisant une installation périurbaine : « On était à vingt kilomètres de Chartres, et c’était comme ici, à Saint-Sulpice, dans un village, une maison de ville dans un mignon petit village » (entretien, 2010).
Ainsi renouvelée, cette société périurbaine va façonner différemment son espace de vie, l’organisation radiale et les représentations traditionnellement associées à la périurbanisation faisant place au réinvestissement des bourgs et petites villes qui jouent depuis longtemps un rôle structurant dans ces territoires aujourd’hui partie prenante de la dynamique périurbaine.
La nouvelle vie des territoires périurbains toulousains : un polycentrisme émergent.
Alors que les espaces périurbains ont toujours été pensés comme « sous contrôle d’une ville centre gardant en son sein la presque totalité des services, des équipements et de l’emploi » (Jaillet, 2004, p. 41), ces évolutions des modes d’habiter périurbains sont concomitantes de l’émergence de polarités, sur le plan de l’emploi comme de la vie quotidienne. Si la remise en cause du modèle centre/périphérie pour analyser le fait métropolitain n’est pas nouvelle (Jaillet, 2006) et si la tendance au polycentrisme a été identifiée dans d’autres métropoles, dont Paris (Larceneux, Boiteux-Orain, 2006), elle apparaît relativement nouvelle dans le cas toulousain.
Une logique centre/périphérie moins prégnante sur le plan de l’emploi.
C’est d’abord sur le plan de l’emploi que se renforcent de petits pôles périurbains. Bien sûr, la prééminence du pôle d’emploi central, constitué de Toulouse et de quelques communes du pôle urbain, est toujours forte : l’Agence d’Urbanisme parle ainsi de « système monocentrique » relayé par des « pôles secondaires à l’ombre de Toulouse » : si la déconcentration de l’emploi est avérée à grande échelle (de Toulouse vers sa première couronne), on ne peut que constater la poursuite de la concentration à petite échelle (celle du pôle urbain) (AUAT, 2009). Malgré tout, au-delà de cette réalité, une nouvelle logique de moindre dépendance à ce seul pôle d’emploi semble se développer.
La carte suivante met ainsi bien en évidence les progressions supérieures, voire très supérieures à la moyenne [5], de l’emploi dans le pôle urbain lui-même bien sûr, mais également au-delà de celui-ci, des frontières du pôle urbain jusqu’aux limites de l’aire urbaine. Ainsi, en plus du binôme Castelnau d’Estretefonds/Villeneuve-les-Bouloc au nord, dont l’augmentation de l’emploi, portée par la zone logistique d’Eurocentre, est très supérieure à la moyenne (évolution de plus de 12 % par an), de nombreuses autres communes affichent une croissance conséquente, que ce soit dans le sud (linéaire Bérat/Saint-Sulpice-sur-Lèze), le sud-est (Baziège en limite du pôle urbain ou Nailloux plus excentré) ou encore le nord-est (Bessières et Saint-Sulpice-sur-Tarn).
Loin de l’image réductrice d’un périurbain dortoir, cette évolution est le fruit de l’interaction entre territoires et modes de vie. D’un côté, la croissance de l’emploi peut être lue comme la conséquence du développement démographique de l’aire urbaine et ce, de deux points de vue. D’une part, même si « la croissance de l’emploi dans les couronnes ne peut être réduite aux emplois résidentiels accompagnant la croissance de la population locale » (Beaucire et Chalonge, 2007, p. 101), cette dernière crée indéniablement de nouvelles opportunités en termes d’économie présentielle. D’autre part, l’installation périurbaine de certaines activités productives repose sur le desserrement d’entreprises à la recherche de vastes espaces disponibles que les premières couronnes plus densément construites n’offrent plus. D’un autre côté, ce développement de l’emploi peut entretenir l’attractivité démographique puisque s’installer dans le périurbain ne consiste plus nécessairement à s’éloigner des lieux d’emploi. Ou du moins, si c’est le cas dans un premier temps, à terme, le substrat économique local permet d’envisager, notamment pour les épouses, une relocalisation de l’emploi ou un retour à l’emploi à proximité du lieu de résidence, comme en témoigne une enquêtée rencontrée dans la commune de Saint-Sulpice-sur-Tarn :
Je travaillais à Tournefeuille, ça me faisait beaucoup trop loin. Et dans cette branche, assistante dentaire, on trouve facilement du travail, donc je ne me suis pas trop inquiétée pour ça en venant ici. Je profite pleinement de mon congé parental mais j’ai déjà tissé ma toile, j’ai une place pour dans les environs. (entretien, 2010)
Ce réordonnancement des lieux d’emploi dessine alors une nouvelle géographie des mobilités : si les flux majeurs de salariés sont toujours polarisés par Toulouse (flux de plus de 500 salariés) et ses pôles de banlieue (flux de plus de 100 salariés), « les flux dispersés, inférieurs à 100 déplacements par jour de commune à commune, témoignent de l’existence d’espaces de proximité en dehors des grands courants d’échanges » (AUAT, 2009, p. 14). Dès lors, ces « petits » flux, qui représentent 54 % du total des échanges de l’espace métropolitain, s’articulent avec les flux majeurs dans un système de polarités complexe où des pôles, jouant à différentes échelles, s’emboîtent, à l’image de la situation décrite par le maire d’une commune du canton de Fronton : « la majorité des gens ne travaillent pas sur la commune mais en fait travaillent soit sur Fronton et Villemur qui sont les deux pôles les plus proches, soit sur Montauban soit sur Toulouse » (entretien, 2009).
En plus de réorienter les navettes vers des pôles périphériques secondaires, le développement de l’emploi concourt également à conforter le rôle de bourgs ou petites villes dont le niveau de services, équipements et commerces, s’étoffe, favorisant ainsi la captation de flux autres que professionnels.
Le recentrage des pratiques quotidiennes.
C’est ainsi que les pratiques commerciales et de mobilités des périurbains se modifient. Ce constat ressort d’abord de l’analyse des discours des habitants sur leur mode de vie.
La recherche menée sur le rôle des centralités secondaires dans la recomposition des mobilités périurbaines montre que l’ancrage dans ces territoires du quotidien est avéré. Les habitants des communes de Rabastens et Saint-Sulpice décrivent par exemple un mode de vie recentré sur la commune d’abord pour les services et commerces les plus quotidiens,
Moi le matin je vais chercher mon pain frais chez le boulanger ! Je vais chercher mon bifteck chez le boucher, on a tout ce qu’il faut. […] Et je suis une traditionnaliste : mon petit marché le samedi matin, il est extraordinaire à Rabastens (entretien, 2010),
sur les petites villes voisines de Gaillac et Lavaur ensuite pour compléter les besoins de la vie courante, aussi bien scolaire et associative que culturelle et commerciale :
Alors Gaillac j’y vais pas mal, c’est un centre, il y a des grandes surfaces, pas mal de magasins : j’y vais quand même assez souvent, deux ou trois fois par semaine, j’y vais pour des activités ludiques, du yoga, de la danse occitane, et j’y vais évidemment pour faire des courses. (entretien, 2010)
Si pour certains, ce niveau d’équipement, notamment commercial, a pu être un critère de choix dans la localisation résidentielle, « le critère essentiel, c’était près d’un centre où on puisse faire les courses à pied, en fait ! Qu’il y ait tout ce qui est services de proximité, médecins, infirmiers, pharmacie, boulangerie… » (entretien, 2010), pour d’autres, le recentrage de la vie quotidienne sur des pôles de proximité est plus graduel, relevant d’une forme d’apprivoisement :
Au début quand j’ai emménagé ici, j’avais mes repères à Toulouse […] et au fur et à mesure j’ai trouvé ici à proximité, à Gaillac, à Albi, à Rabastens, à Lavaur des commerces qui remplaçaient ceux de Toulouse […] je me suis dédouanée de Toulouse. (entretien, 2010)
Les recompositions des pratiques dans ces territoires témoignent non seulement d’un moindre recours à la ville centre, qui reste essentiellement mobilisée pour son offre culturelle et administrative ou le réseau familial, « Je me suis jamais dit “tiens je vais à Toulouse faire du shopping”, mais pour tout ce qui est culturel, artistique et la sociabilité, le réseau social, ça, oui, la musique, les sorties… » (entretien, 2010), mais aussi d’un détachement vis-à-vis de ses centralités commerciales périphériques auxquelles les ménages n’ont plus recours qu’épisodiquement pour des besoins spécifiques encore mal couverts localement : « Pour les magasins de vêtements, de chaussures, ces choses-là, on monte sur Toulouse au Leclerc Roques, ce n’est pas à côté ! Donc on y va à peine 3 ou 4 fois sur l’année » (entretien, 2010). La recomposition de ces mobilités participe alors de la recréation d’un territoire ancré dans un espace local fortement multipolarisé par les bourgs alentours et dessinant une hiérarchie, notamment commerciale, des hypermarchés du pôle urbain toulousain aux petits commerces de proximité fonctionnant sur le mode du dépannage, en passant par les moyennes surfaces des centralités périphériques émergentes, polycentrisme décrit par exemple par cet habitant de Cuq-Toulza :
Les petites courses, c’est Vival, à côté, de temps en temps. On y va à pied, en vélo ou en voiture, ça dépend de ce qu’on doit faire, si on est pressé ou pas. Sinon tout le reste, c’est la voiture, on va à Revel pour faire les courses. Ça m’arrive d’aller à Puylaurens mais je préfère Revel. Avant le Carrefour Contact, à Puylaurens y’avait pas grand-chose, un petit Intermarché, donc je n’y allais pas trop. De Péchaudier, on allait souvent à Revel donc j’ai gardé l’habitude. Après, Castres ou Lavaur, ça dépend de ce qu’on a besoin réellement. Castres c’est quand on ne peut pas trouver sur Revel, pour les vêtements, et Revel c’est plutôt pour les courses normales. Y’a beaucoup de gens ici qui vont sur Lavaur, c’est le même nombre de kilomètres donc ça dépend des habitudes car y’a la même offre entre Revel et Lavaur. (entretien, 2010)
L’ancrage dans des bassins de vie périurbains.
Ces recompositions conjointes de l’emploi et des pratiques quotidiennes liées aux services, équipements et commerces confortent alors une approche de ces territoires basée sur la notion de bassin de vie, définie par l’INSEE comme le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès à la fois aux équipements de la vie courante et à l’emploi. Comme l’a montré Philippe Julien dans un article portant sur la France des bassins de vie [6], l’aire urbaine toulousaine contient intégralement neuf bassins de vie de bourgs et petites villes (Fronton, Montastruc-la-Conseillère, Saint-Sulpice-sur-Tarn, Caraman, Villefranche-de-Lauragais, Venerque, Auterive, Saint-Lys, Fonsorbes), la quasi-totalité de cinq autres (Lézat-sur-Lèze, Carbonne, Rieumes, Grenade, Grisolles) et quelques communes de dix bassins de vie (Villemur-sur-Tarn, Rabastens, Lavaur, Revel, Castelnaudary, Saverdun, Cazères, Samatan, L’Isle Jourdain, Verdun-sur-Garonne), aujourd’hui plus nombreuses du fait de l’élargissement de l’aire urbaine. Or, comme nous l’avons analysé pour Saint-Sulpice-sur-Tarn, Rabastens et Revel, « tous les bourgs et petites villes cités ont un rôle structurant pour le territoire de leur bassin de vie » (Julien, 2007, p. 38) et deviennent comme des points relais de la périurbanisation dans la mesure où ils permettent de s’éloigner de la ville centre et de ses services tout en garantissant la proximité d’une centralité autour de laquelle peut s’organiser la vie quotidienne : de la fréquentation des commerces, services et équipements de base à la participation à la vie culturelle et associative, avant éventuellement d’y élire domicile.
Ce fonctionnement nouveau des espaces périurbains appelle alors à une action publique renouvelée prenant acte de la pertinence du bassin de vie comme échelle des politiques publiques.
De nouveaux enjeux pour les politiques publiques.
En lien avec les recompositions des modes de vie, on assiste en effet à un changement d’échelle de la gestion des espaces périurbains : la prise de conscience par les élus des nouveaux enjeux qui traversent leur commune va de pair avec l’émergence de nouvelles modalités de gestion, intercommunale et métropolitaine, des périphéries urbaines.
Pour les communes : accompagner ces évolutions en répondant aux attentes diversifiées de la population.
Conscients des évolutions auxquelles ils sont quotidiennement confrontés, les élus fondent désormais leurs politiques municipales sur trois priorités d’action visant à accompagner l’évolution des territoires périurbains et des besoins de leurs populations : diversifier l’offre de logements pour permettre une mobilité résidentielle sur place, faire de la commune un lieu de vie grâce à des équipements et services plus complets, (re)créer du lien social et spatial.
En matière d’habitat, ce sont par des considérations locales que les élus prennent conscience de l’évolution des besoins et par conséquent des réponses à y apporter. Pour eux, la diversification des formes d’habitat revêt un double intérêt : d’une part, permettre la mobilité résidentielle sur place pour les jeunes quittant le foyer familial et les aînés qui n’ont plus les ressources, physiques ou financières, d’entretenir leur pavillon comme le constate le maire d’une commune du canton de Fronton, « du locatif, on en a besoin pour les jeunes qui veulent rester dans le village et pour les anciens qui arrivent à l’âge de la retraite et qui n’ont plus forcément les moyens d’assumer leur villa » (entretien, 2009) ; d’autre part, assurer la viabilité des équipements réalisés en assurant le renouvellement de la population que l’ancrage dans une maison ne garantit pas. Comme le dit un maire du Frontonnais,
s’il n’y a que des acheteurs, au bout d’un moment, y’a plus d’enfants, et comment on fait pour l’école quand y’a plus d’enfants ? On est obligé de fermer. Tandis que quand y’a du locatif, ça renouvelle, ça tourne et c’est la solution pour tenir les écoles en place. (entretien, 2009)
Les maires œuvrent alors dans le sens d’une diversification effective des formes de l’habitat, d’une part dans les espaces périurbains les plus anciens qui entrent dans une sorte de deuxième âge du développement, plus qualitatif que quantitatif, d’autre part dans les centralités périurbaines émergentes qui modulent leur offre d’habitat, comme en témoigne la maire de Fronton : « Dans Fronton se sont construits de petits immeubles, on a un peu plus de hauteur, plus de densité en centre-ville alors qu’avant, c’est vrai, la tendance était à construire un peu partout et surtout le long des routes » (entretien, 2009).
La volonté de faire de la commune un lieu de vie, loin de l’image de la ville-dortoir, grâce à des équipements et services plus complets, constitue un deuxième axe structurant des politiques portées par les élus (Bacconnier et al., 2008) qui a vocation à accompagner des pratiques habitantes d’ores et déjà pour partie recentrées. Une telle volonté passe tout d’abord par des investissements liés à la petite enfance : le maintien de l’école, symbole de la vie de la commune, et dont la pérennité passe en partie par une réorientation des politiques d’habitat en faveur du locatif, mais aussi le développement de services de garde (crèches, haltes-garderies, réseau d’assistantes maternelles…) qui peine à suivre le développement démographique et reste une priorité de bon nombre de communes et d’intercommunalités (Escaffre, 2011), comme l’a confirmé l’un des maires de la communauté de communes des Coteaux du Lauragais Sud : « Y’a pas des besoins énormes exprimés sauf peut-être en direction des enfants, surtout depuis qu’on est en communauté de communes » (entretien, 2009).
Toutefois, ces préoccupations liées aux enfants en bas âge s’étendent de plus en plus à d’autres classes d’âge au fur et à mesure que les habitants des espaces périurbains s’ancrent et vieillissent sur place (Berger et al., 2010). Si les politiques à destination des adolescents sont encore balbutiantes comme le déplorent certains parents, par exemple à Saint-Sulpice-sur-Tarn (« Pour les garçons, plus de choses, pour les jeunes, c’est vrai que quand ils arrivent ici, ils sont quand même un peu perdus », entretien, 2010), celles en direction du troisième âge s’étoffent. D’abord envisagées en termes d’offre immobilière dont la gamme s’étend vers des formes renouvelées, elles s’élargissent à d’autres domaines d’actions tels que les services à domicile. De plus en plus d’EPCI assument cette compétence, à l’image de la communauté de communes des Coteaux du Lauragais Sud qui a créé un service d’aides ménagères à destination des plus de 60 ans car, « étant dans un milieu rural, y’a quand même des personnes qui restent à la campagne et qui veulent partir le moins possible dans des établissements spécialisés » (entretien, 2009).
Enfin, au-delà des services à la population, faire de la commune un lieu de vie, c’est aussi aider au maintien, voire au développement, d’un équipement commercial proportionnel à la taille de la commune pour la satisfaction des besoins quotidiens. Le maire d’une petite commune du canton de Fronton avoue ainsi essayer
d’avoir un commerce polyvalent type Vival, auquel les gens se réfèrent pour des courses très quotidiennes, vraiment un commerce de proximité, de premier niveau. Après on sait bien qu’il y a Fronton et Villemur. L’objectif c’est de maintenir ce commerce, de maintenir l’école, de maintenir de la vie. (entretien, 2010)
Pour pertinentes qu’elles soient, les réponses à ces enjeux n’ont de sens que si des lieux et des liens permettent aux périurbains de faire société : il s’agit là d’un troisième axe structurant des politiques municipales. Au niveau local, cela passe notamment par le développement, l’aménagement ou la mise en valeur d’espaces publics. On peut considérer que les périurbains, trop souvent présentés comme tiraillés entre leur hypermobilité automobile et leur repli sur l’entre-soi de leur lotissement, ne refusent pas tant le vivre ensemble qu’ils ne subissent, pour détourner les termes de Jacques Donzelot (1999), l’incapacité politique du périurbain à faire société et à créer des lieux où faire société, comme tend à l’indiquer le discours de certains habitants,
je prends la voiture, oui, avec les camions qui passent… Y a rien pour circuler autrement, et j’amène mon fils du coup pareil. Pour l’instant, ils n’ont pas fait de trottoirs, y’a pas de pistes cyclables non plus, ils sont pas mal en retard je trouve. (entretien, 2010)
L’enjeu pour les élus réside alors dans leur aptitude à s’orienter vers un aménagement plus qualitatif des quartiers, des espaces publics et de lieux de rencontre. Si un premier pas semble franchi a minima dans les modalités d’aménagement, voire de réaménagement, des lotissements, l’effort d’interconnexion des quartiers, notamment par le biais des modes de déplacement doux, constitue une seconde étape (Bacconnier-Baylet et al., 2008) encore balbutiante :
tout ce qui est piste cyclable, au niveau circulation douce, ça se met en place mais chacun le gère un peu indépendamment, et ça reste encore sur un quartier, pour aller d’un endroit à l’autre, mais sur des petits morceaux, y’a pas une réflexion forcément globale, donc intercommunale même pas encore. (entretien de la chargée de mission du SCOT du Vaurais, 2011)
Pourtant, au-delà de l’échelle communale, c’est bien celle des bassins de vie dessinés par les pratiques quotidiennes des périurbains qui paraît aujourd’hui structurante dans ces territoires, ce que semble reconnaître aujourd’hui l’action publique, par le biais de l’élaboration des Schémas de Cohérence Territoriale et des intercommunalités.
Renouveler les échelles de la gestion de ces territoires.
Le renouveau d’une planification intégrant les périphéries urbaines dans l’aménagement de la métropole et faisant du bassin de vie le socle nouveau des intercommunalités plaide en effet pour un rapprochement des territoires vécus et de l’action publique, sans pour autant tomber dans le piège de l’optimum territorial.
Si les espaces périurbains ont longtemps été « à l’écart des grandes manœuvres territoriales » (Estèbe, 2003) et livrés à eux-mêmes pour répondre aux enjeux qui les traversaient, la loi Solidarité et Renouvellement Urbains adoptée le 13 décembre 2000 marque un tournant dans les modalités et l’échelle de la planification urbaine à travers un nouvel outil, le Schéma de Cohérence Territoriale [7]. Or, dans une agglomération sans histoire intercommunale et planificatrice forte, l’injonction semble difficile à mettre en œuvre tant les échecs du passé sont cuisants, de la « conspiration municipale » (Jaillet, Estèbe, 1999) qui a mis à mal le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme approuvé en 1982 au désinvestissement institutionnel et décalage fonctionnel dont a souffert le Schéma Directeur approuvé en décembre 1998 dans un périmètre inchangé de 63 communes. Il ne fallut rien moins que l’intervention du Préfet de Région pour que les élus, tentés de répondre a minima, « à la toulousaine », à ce nouvel exercice de planification, se réunissent à l’échelle de l’aire urbaine, conçue comme la bonne échelle de gestion de la métropole toulousaine, pour élaborer la Charte InterSCOT pour une cohérence territoriale de l’aire urbaine toulousaine qui a fédéré les élus autour d’un projet d’aménagement et de développement partagé.
Si une lecture nouvelle des espaces périurbains était déjà présente dans ce document piloté par l’Agence d’Urbanisme qui entendait « réduire la situation de dépendance de la grande couronne, en favorisant la constitution de bassins de vie périurbains, rapprochant l’emploi de l’habitat, des équipements et des services » (Charte, 2005, p. 20), c’est à l’occasion de la traduction du modèle dans les quatre SCOT [8], nés de la volonté des élus périurbains de garder la main sur leur avenir, que les réalités territoriales de ce périurbain vont devenir structurantes. Le modèle trop dogmatique de la charte, qui prônait une polarisation forte sur quelques pôles d’équilibre périurbains, fait alors place à la prise en compte du maillage de ces territoires par une pluralité de bourgs et petites villes structurant des bassins de vie périurbains. Comme en atteste un maire du Frontonnais,
la Charte InterSCOT a été un très bel outil, mais on s’est dit que ce modèle ne nous convenait pas, on est passé à autre chose. On y retrouve les éléments essentiels mais avec davantage de souplesse. En fait, la notion de bassin de vie est devenue très forte. (entretien, 2009)
Pour ne citer qu’un exemple, les deux seuls pôles structurants du SCOT du Nord Toulousain identifiés dans la Charte, Fronton et Grenade, font place, dans le Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) à la définition de cinq bassins de vie, structurés par un ou plusieurs pôles d’envergure différente mais ayant tous un rôle à jouer à l’échelle de leur territoire, du SCOT et de l’InterSCOT. Cette même logique de bassin de vie a par ailleurs présidé au choix des territoires plus périphériques de ne pas entrer dans l’InterSCOT toulousain :
On a un bassin de vie un petit peu spécifique, donc les élus ont véritablement souhaité rester unis et essayer de défendre la spécificité du territoire plutôt que de se retrouver lissé dans un très grand territoire où certains pôles de l’aire urbaine toulousaine allaient émerger mais où eux ils allaient être en deuxième ou troisième ligne (entretien mené avec une chargée de mission du SCOT du Vaurais, 2011)
Si cette armature urbaine dite « équilibrée » paraît distiller un peu de croissance partout, n’est-elle pas le moyen de s’adapter aux transformations des modes de vie et d’habiter que l’on a décrits précédemment afin d’y apporter des réponses efficaces en matière d’action publique ? Les évolutions de la carte de l’intercommunalité dans l’aire urbaine permettent de le penser.
Dans des espaces périurbains plus complexes et confrontés à des enjeux similaires, les élus ont pris conscience de l’intérêt de la coopération intercommunale pour répondre au mieux aux besoins exprimés par les habitants. En ce sens, bien que le débat sur l’intercommunalité soit encore difficile à porter par des acteurs soumis à une élection municipale (Bacconnier et al., 2008), la coopération intercommunale apparaît comme une conséquence de l’accueil de nouvelles populations qui mettent les communes périurbaines en situation de répondre à des besoins nouveaux : « ces attentes-là, on ne peut pas les réaliser parce que ça a un coût exorbitant pour les finances communales, donc l’intérêt c’est peut-être de rentrer dans une intercommunalité » (entretien, maire de Villariès, 2010). Mais ce mouvement est par ailleurs renforcé par les injonctions nationales et métropolitaines qui font de l’intercommunalité de projet une échelle pertinente de l’action publique au regard des modes de vie des habitants. À ce titre, la réussite du SCOT dépend des évolutions de la carte intercommunale qui doit faire du bassin de vie, incarné dans une intercommunalité, l’échelle de la solidarité et de la concrétisation du projet, le président de l’InterSCOT affirmant par exemple, à l’occasion des rencontres de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU) d’octobre 2008, qu’« un SCOT qui marche est un SCOT qui dans vingt ans aura remanié complètement l’intercommunalité », selon la logique des bassins de vie qui structurent le modèle de développement des PADD.
Il est vrai que la progression du maillage intercommunal depuis le lancement de la réflexion SCOT est réelle, dans le sens de son achèvement et de sa rationalisation, les deux leitmotive du volet intercommunal de la réforme des collectivités territoriales. Les échéances nationales et l’élaboration des différents documents constitutifs du SCOT ont d’abord permis de réinscrire à l’agenda politique un projet, parfois ancien, d’intercommunalité, la référence au bassin de vie permettant de dépasser les échecs répétés de projets enfermés dans des découpages administratifs dépassés :
le territoire, la communauté de communes devaient se bâtir sur un bassin de vie, pas forcément sur un périmètre cantonal […]. Aujourd’hui, tout le monde a bien entendu qu’il y a un bassin de vie, le bassin de vie du Frontonnais, et que c’est avec ces communes-là qu’il faut essayer de construire une intercommunalité. (entretien, maire de Fronton, 2009)
Si la création d’intercommunalités nouvelles ne semble pourtant pas se hisser d’emblée au niveau des périmètres ambitionnés par les SCOT [9], comme s’il fallait en passer par une étape intermédiaire avant de se projeter dans un territoire plus vaste, c’est dans des intercommunalités plus anciennes que les évolutions sont plus fortes.
Elles sont d’abord le fait de l’élargissement d’EPCI aux communes isolées voisines qui les rapproche des bassins de vie identifiés dans les PADD. Il en est ainsi dans le bassin de vie Lanta-Caraman : la communauté de communes Cœur Lauragais n’arrive pas à se structurer à l’échelle des deux cantons, mais s’est néanmoins agrandie en 2009 en faisant fi des oppositions entre ces deux chefs-lieux. L’élargissement peut aussi procéder par fusion ou incorporation de communautés de communes étriquées, cas de figure encore rare mais appelé à se développer au vu des Schémas Départementaux de Coopération Intercommunale qui envisagent de nombreux rapprochements, comme celui des communautés de communes susmentionnées du canton de Cazères et de la Louge et du Touch dans un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) qui reprendrait les contours du bassin de vie identifié dans le PADD du SCOT Sud Toulousain, ou celui des deux communautés constitutives du SCOT du Vaurais. Enfin, sous l’effet cumulé des réflexions menées à l’échelle du SCOT et du poids des logiques personnelles et politiques, la rationalisation peut procéder d’un remaniement plus profond de plusieurs intercommunalités qui éclatent et se recomposent, en lien avec l’évolution des dynamiques territoriales. En atteste la dissolution, en décembre 2009, de la communauté de communes du Pays de Dourgne, située dans le département du Tarn, aux franges du SCOT Lauragais, dont une partie a rejoint la communauté de communes Lauragais Revel Sorézois, et donc l’InterSCOT toulousain, l’autre intégrant la communauté de communes Sor et Agout, et donc le SCOT du Pays d’Autan construit autour de la ville moyenne de Castres.
Les logiques simplistes de la coopération intercommunale périurbaine (qu’il s’agisse de logiques techniques, cantonales, de clocher…) sont ainsi bousculées par la dynamique de la planification qui a conduit les élus à concevoir différemment leur territoire, même si le chemin est encore long de la « pertinence des périmètres à la consistance des politiques » (Desjardins, 2009), tant les réflexions sont en ce domaine encore balbutiantes comme le constate la chargée de mission du SCOT Lauragais : « on est quand même sur des intercommunalités qui ressemblent beaucoup à des SIVOM, qui ne sont pas sur des logiques de projet, d’intégration territoriale, de réflexion vraiment communautaire » (entretien, 2009).
L’invention d’une politique périurbaine.
Si l’on interroge souvent les motivations de ceux qui s’installent dans le périurbain, il est tout aussi nécessaire d’inverser le regard pour voir quel rôle jouent ces installations, porteuses de changement démographique et social, dans les espaces d’accueil, notamment sur le plan de leur gestion et de leur structuration territoriale. La réflexion menée dans le cadre toulousain montre que la diversification de la société périurbaine produit de nouvelles attentes résidentielles qui concourent, en matière de commerces, d’équipements et de services, à faire évoluer les programmes d’action des acteurs locaux. Les espaces périurbains s’en trouvent alors modifiés : moins dépendants de la ville-centre et de sa banlieue, ils se structurent autour de polarités que les pratiques habitantes font émerger et que les politiques publiques aident à renforcer. Dès lors, on assiste à un changement d’échelle de la gestion de ces territoires, la commune tendant à s’effacer derrière des territoires d’action intercommunaux qui se structurent non plus selon des logiques défensives ou de circonstance mais autour d’un projet structurant pour des bassins de vie vécus et pratiqués.
Cette adéquation ne peut être parfaite, tant les pratiques, quoique convergentes pour partie, diffèrent d’un individu à l’autre. Elle constitue néanmoins un horizon partagé par des élus périurbains qui se sont affranchis du modèle centre/périphérie longtemps dominant dans cette agglomération (Bonnin-Oliveira, Lefèvre, 2011) au profit de l’invention d’une « vraie politique périurbaine » (Vanier, 2008) faisant écho à des préoccupations que l’on retrouve par exemple outre-Rhin où, dans un cadre politique certes différent, l’aménagement de la Zwischenstadt [10] (Sieverts, 2004) et la prise en compte de ses spécificités sont au cœur des enjeux de la planification métropolitaine.