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Serendipity.

Quand Nicolas Sarkozy rencontre Harry Potter.

…ou sont dans le même bateau.

Image1Ca y est, « il » est là, et bien de retour. Qui ça ? Harry Potter, bien sûr, depuis la nuit du 20 juillet. Et avec lui assurément le cortège de toutes les mauvaises langues qui ne manqueront pas de snober avec dédain un produit mercantile, ou de dépravation des jeunes adolescents contemporains qui ne liraient pas suffisamment de « choses sérieuses » telles que les sciences sociales. Mais avec le come back de Harry Potter, c’est aussi un nouvel épisode qui s’est joué dans l’affrontement entre un nouveau Monde de découvreurs avec ses navigateurs, fondé sur internet, et un autre, l’ancien, qui préfère se retrancher dans un port, plutôt que de s’aventurer en mer par peur d’un risque de tempête.

Alors comme ça, vous saviez déjà que Harry Potter n’allait pas mourir ? Oui parce que « La Toile dit que Harry Potter ne mourra pas » (Le Temps, 20 juillet 2007), annonçaient Suisses et Belges, forbans des plus officiels qui avaient déjà contribué à l’assaut bienveillant du navire lancé dans l’espace tant virtuel que concret de sa publication mondiale. Et cet épisode n’est pas sans en rappeler de suite un autre qui s’est joué exactement dans les mêmes termes, à peine deux mois auparavant, à l’occasion des élections présidentielles françaises. Suisses et Belges ― encore eux ! ― voyaient leurs sites pris d’assaut et s’écrouler sous les visites parce qu’ils allaient publier les résultats des premiers et seconds tours du vote, non la veille cette fois, mais quelques précieuses heures voire minutes avant l’annonce officielle qui devait en être faite par le Ministère de l’Intérieur et, à 20 heures précises, par l’ensemble des chaînes de télévision.

Trait pour trait, tout s’est exactement passé de la même manière, avec la même tentative de restriction, toutes proportions gardées, bien sûr : « tous les contrevenants seront punis, d’une forte amende », avait annoncé le Ministère. Du coup, Nouvelle-République, Nice Matin, Le Parisien, Ouest-France et autres quotidiens régionaux français avaient choisi de baisser pavillon, fermant pages d’accueil et discussions sur leurs forums, une mesure relayée par l’ensemble de la scène francophone en libre accès (forums techniques et autres) par peur de coûteuses éventuelles représailles.

Et l’on rejoue donc la même séquence ce 20 juillet au soir : gare à vous, l’Inquisiteur de la grande distribution veille et fera implacablement tomber son châtiment sur les contrevenants : des poursuites sont déjà engagées contre les sociétés ayant ― le mot ne s’invente pas ― « violé l’embargo de la publication ».

Vacances ou pas, la mer et l’armée sont bien au rendez-vous : « Pour maintenir le suspense jusqu’au bout, les éditeurs britannique et américain n’avaient pourtant pas ménagé leurs efforts : fouille d’employés des imprimeries, bâtiments cernés de barbelés, caisses de transport cadenassées, camions surveillés par satellite. Mais vendredi, plusieurs journaux européens racontent la trame des Reliques de la mort. Le Temps en Suisse et le Corriere della Sera en Italie n’hésitent pas à révéler l’épilogue. Le journal populaire Österreich publie un encadré intitulé « Les dix secrets du nouveau Potter ». L’article, imprimé à l’envers, est assorti d’une mise en garde : « Ne tournez pas le journal dans l’autre sens si vous ne voulez pas connaître les secrets ». En France, le Parisien utilise une formule similaire. [1]

Bien sûr, il sera possible de discuter du sérieux de l’affaire (quelques centaines de milliers d’euros, tout de même, en cas de poursuites judiciaires abouties dans un cas comme dans l’autre) en la rapportant à de curieuses affaires similaires de « fuite » autour de logiciels (Mac OsX Leopard version Wwdc ou Vista déjà disponibles sur la Toile avant leurs lancements officiels), ou encore de films (diffusion de ts et autre vilains screeners ici encore capturés par camescopes à l’occasion de diffusions très confinées auprès de la presse). De mauvaises langues avancent même depuis de nombreuses années que ces fuites seraient en réalité largement organisées, qu’elles s’intégreraient dans d’habiles mais périlleux plans stratégiques de marketing donnant les moyens aux société éditrices, par exemple, de pénétrer plus fortement les mondes visés. Ainsi, on ne compte plus le nombre de freelance autoformés à QuarkXpress ou Indesign ― logiciels d’édition aux célèbres coûts exorbitants ―, mais Quark et Adobe comptent bien sur leurs doigts le nombres d’entreprises réelles acquéreuses du produit. Organisant le piratage de leurs propres productions, elles n’en retireraient à terme que d’autant plus de bénéfices du fait qu’elles permettraient, ce faisant, de rendre plus populaire leur logiciel.

On sait d’ailleurs aussi comme le monde du libre et de l’open source joue habilement sur ce subterfuge du gratuit, entrant de plein pied dans la société de service, ayant saisi que le coût se situe moins du côté du produit (diffusé gratuitement) que dans l’assistance à son utilisation. En fait de pieds de nez au Bsa (obscur organisme international chargé du respect du droit d’auteur des logiciels), et loin d’une société alternative, il n’assume qu’un rôle bien cadré d’avant-garde du capitalisme. Joanne K. Rownling aurait-elle donc elle-même… ?

Quoiqu’il en soit, tout cela témoigne d’un grand écart persistant entre une logique de restriction et une logique de dérégulation, de la persistance d’un immense hiatus non pas entre une société antique et une autre de l’information, mais entre une société de l’information comme pouvoir et une société de l’information comme plaisir et comme expérience. Oui, dans les deux cas, vouloir voir ou vouloir avoir, moins que ne pas vouloir payer, c’est d’abord ne pas vouloir attendre, et c’est cette attente qui se fait alors, objet de pouvoir, dans ses seuils comme dans ses limites.

Depuis 1995, je me suis mis à observer sans savoir exactement ce à quoi cela mènerait, ce minuscule moment d’interaction d’une durée de trois minutes à une demi-journée dans lequel se joue quotidiennement ce temps de l’attente comme temps du vouloir avoir objet de pouvoir, à partir d’une observation de l’ouverture des magasins, des temps les plus quotidiens à ceux des soldes, vu du côté des vigiles et des employés de sécurité. Des temps sans aucun doute d’une bien moindre ampleur que ceux qu’ont connu les abords du Waterstone’s de Piccadilly le 20 juillet au soir.

Tout avait alors commencé par une amitié étudiante qui, aléas d’une condition universitaire, nous avait menés dans les corridors des systèmes d’intérim pour financer nos études. Lui se retrouvait dans la sécurité et moi dans les inventaires et rayonnages et nos chemins se sont poursuivis sur ce mode durant des années. Moment fascinant où la foule nous fait face ― aïe, « Dieu est grand et je suis toute petite » ! ― moment menaçant où le contrôleur, celui qui dispose de la clé pour activer le dispositif électronique d’ouverture des portes coulissantes contemple par le regard la « masse » et redoute « le flux » dont il sait que son demi-tour de clé, rien que lui et pas un millimètre de plus, va lancer l’activation. Moment décourageant, aussi, où l’on sait que tout ce que l’on s’est attaché à parfaitement ranger au millimètre près se retrouvera réorganisé en chantier indescriptible qu’il faudra une fois la journée de cours achevée, venir réorganiser en toute fin de soirée et au petit matin.

Tout est à consommer (avant l’ouverture), tout est consommé (à la fermeture) : étrange interstice phénoménologique où plaisir et pouvoir se retrouvent inextricablement liés dans un combat éphémère de Titans : « ça y est, c’est l’heure ! ».

Et c’est ce même moment qui mensuellement, annuellement, se rejoue de manière plus exceptionnelle avec les soldes français, ou le lancement de la Wii et, donc, face aux vitrines des sites à l’occasion des élections présidentielles ou de celles de la librairie de Londres dans la journée du 20 juillet. Éternel recommencement, donc, au fond, d’une mécanique sociale ancienne, dont la sociologie des interactions s’est emparée depuis Erving Goffman.

Dis-moi Harry Potter, rien ne s’est donc passé (de nouveau) ce 20 juillet à minuit dans ta chaloupe ? Rien ne s’est donc passé (de nouveau) à 20 heures au soir des élections, monsieur le Président, dans votre porte-avion ? Aucun naufrage, aucune avarie ? Non assurément, rien de nouveau. Et c’est sans doute bien cela qui est merveilleux et qui offre autant de stimulant à la pratique des sciences sociales : s’il est donc possible d’entreprendre une sociologie du public d’Harry Potter, par exemple, ou encore du phénomène mondial que représente le lancement de ce livre, il est aussi possible de saisir les micro-événements qui leurs sont associés pour tout ce qu’ils cristallisent de quintessence du social. Dans les deux cas cités, les sociétés y sont bien apparues l’espace d’un instant ― celui de minuit et celui de 20 heures ― dans leurs tensions et leurs contradictions fondamentales : entre libération et restriction, pouvoir et plaisir, vouloir et avoir, toujours les mêmes, identiques dans leurs structures mais toujours différentes dans leurs actualités, celle d’internet, en l’occurrence…

Photographie : morguefiles.com.

Abstract

Ca y est, « il » est là, et bien de retour. Qui ça ? Harry Potter, bien sûr, depuis la nuit du 20 juillet. Et avec lui assurément le cortège de toutes les mauvaises langues qui ne manqueront pas de snober avec dédain un produit mercantile, ou de dépravation des jeunes adolescents contemporains qui ...

Bibliography

Notes

[1] « Clap de fin pour Harry Potter », L’Express.fr, 20 juillet 2007.

Authors

Marc Dumont

Marc Dumont est maître de conférences à l’Université de Rennes 2.

Partnership

Serendipity.

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