Dans l’ensemble des ressources susceptibles d’intéresser les sciences sociales de l’espace, les pages personnelles de Perla Serfaty, sociologue et psychosociologue, apparaissent particulièrement bienvenues. Rares sont, en effet, les sites d’enseignants ou de chercheurs à proposer d’autres contenus que ceux d’une présentation d’eux-mêmes et de leur parcours individuel. Les visiteurs soucieux d’éclairages particuliers sur la question de l’habiter mais aussi de porter la contradiction à partir de textes clés en main pourront se rendre dans les deux rubriques « Entretiens » et « Textes en ligne » d’un site au design clair, agréable et efficace. Sur pas loin de quinze articles, Serfaty décline en suivant des concepts, types d’espaces et types d’expériences spatiales, l’architecture d’une approche à mi-chemin entre anthropologie spatiale, psychologie et sociologie, passant au crible tant la question de l’espace public (urbanisme) que celle de l’habitat (architecture).
Nous attirerons l’attention plus particulièrement sur un texte consacré à la laideur dans le paysage urbain qui rejoint un thème développés de plusieurs manières dans les colonnes d’EspacesTemps.net, soit à partir de situation très concrètes, soit de manière plus théorique : la ville et ses restes. Serfaty défend une approche tout-à-fait stimulante des anfractuosités urbaines, marges et périphéries jugées comme les dommages collatéraux de l’urbanisation, paysages de la vacuité et de la désolation ayant échappé aux formes rationalisantes de l’urbanisation. On soulignera également l’association très clairement identifiée entre ordre moral et pratique esthétique du paysage, qu’elle révèle à partir d’une relecture de la production des jardins ouvriers par les édiles municipales, jardins ouvriers qui font encore tant fantasmer les urbanistes et architectes comme archétype sublimé du plus beau rituel de transfiguration paysager des « zones vagues » dépravées. Toutefois, et cela ne fait qu’ouvrir le champ d’un possible échange avec Serfaty, on reste assez frappé par l’usage constant de la métaphore corporelle, d’une approche empreinte de transfert psychanalytique dans l’analyse du rapport à l’espace immédiat (« enveloppe », « nidification », « refuge »). La position théorique entre par le fait même dans un champ de débat quant aux conceptions du rapport à l’espace, extensives ou restrictives, considéré comme simple déclinaison à d’autres échelles d’un rapport au corps ou comme système d’articulation et d’agencement de réalités spatiales. Et dans ce débat, Serfaty fait en réalité dominer son entrée psychosociologique pour privilégier une grille de lecture des espaces publics et privés à partir du prisme sensible, psycho-sensible d’un individu social qui, dans l’ensemble, il faut bien le dire, entretiendrait un rapport assez agonistique au monde social qui l’entoure, menaçant, éprouvant, agressif et face auquel il devrait se retrancher, se protéger. Au cœur de ce rapport à l’espace : l’intimité, sorte de « colonne vertébrale » théorique des travaux de Serfaty. Le rapport aux espaces publics n’est-il pensable qu’en tant que déclinaison ajustée d’un rapport au domicile, l’habiter ne se cantonne-t-il qu’aux espaces de familiarité ? Que signifie et qu’implique l’aménagement des espaces habités ? Voilà relevées quelques unes des questions complexes que tous ses textes présents sur ce site contribuent à réouvrir et auxquelles ils apportent de denses contributions qu’il sera désormais impensable d’ignorer ou de passer sous silence.
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